2003

Entretien avec André Hurst, futur recteur de l'Université

"Je n'ai pas l'intention de jouer un domaine du savoir contre un autre"

 

 

A leur entrée en fonction, les recteurs sont rarement des personnalités connues par l'ensemble de la communauté universitaire. André Hurst, appelé à succéder à Maurice Bourquin le 15 juillet 2003, n'échappe pas à la règle. Si les " pensionnaires " d'Uni Bastions, abritant la Faculté des lettres dont il a été doyen de 1986 à 1992, sont familiers avec sa silhouette, le reste du campus ignore généralement tout du futur recteur. Au-delà des faits marquants qui ponctuent son curriculum vitae, quelles sont les orientations et les talents cachés de cet helléniste réputé?

Entretien

"Je n'ai pas l'intention de jouer un domaine du savoir contre un autre"

 

 

Vous avez déclaré vouloir travailler dans la continuité du rectorat actuel. Dans cette perspective, quand songez-vous nommer votre équipe de vice-recteurs et pensez-vous vous assurer les services d'un des vice-recteurs actuels pour une transition sereine?
André Hurst: Il est clair que je ne vais pas m'en préoccuper le 14 juillet à minuit... J'ai la chance d'entretenir de bons rapports avec l'actuel recteur, Maurice Bourquin, qui m'a assuré de son soutien pour faciliter cette transition. J'espère aussi pouvoir persuader un des vice-recteurs actuels de m'accompagner dans ma tâche. Je crois que cela donnerait un signe clair de continuité à l'adresse de la communauté universitaire, mais aussi vis-à-vis de l'extérieur. Avant de constituer une équipe, je souhaite toutefois m'entretenir avec les membres de la Commission de désignation qui ont une très bonne connaissance des dossiers.

A travers votre nomination, la Commission et les autorités politiques ont tenu à mettre en évidence votre profil en sciences humaines. Cela signifie-t-il que ces dernières vont bénéficier de davantage de ressources?
Je ne conçois pas les choses comme cela. Ma vision de l'Université est certes déterminée par mon appartenance aux sciences humaines, mais c'est une vision qui englobe toute l'Université. Je n'ai pas l'intention de jouer un domaine du savoir contre un autre. Je rappelle volontiers à ce sujet qu'à l'époque romaine, les "lettres" désignaient, sous la plume de Cicéron, l'ensemble du savoir mis sous forme écrite, que ce soit l'histoire, la médecine ou la physique. Je suis persuadé que les savoirs ont beaucoup à s'apporter mutuellement, certains domaines pouvant jouer le rôle de locomotives entraînant dans leur sillage d'autres secteurs. Lorsque l'équipe de Nicolas Gisin, physicien à l'Université de Genève, met au point un système de cryptographie quantique, cela a des implications théoriques et des retombées technologiques susceptibles d'inspirer des chercheurs en sciences humaines. Mais au-delà du succès affiché par telle ou telle équipe, il importe surtout de communiquer à la société les résultats des recherches pour lesquelles la collectivité a consenti des investissements.

Un des problèmes récurrents à l'Université concerne le statut du corps intermédiaire. Leur situation est souvent précaire. L'absence de plan de carrière les laisse dans l'incertitude quant à leur avenir académique, alors qu'ils constituent la relève. Comment allez-vous aborder ces questions?
C'est un dossier que je connais bien, ayant siégé comme expert dans une commission pour l'évaluation du corps intermédiaire. Je compte faire mon possible pour améliorer leurs conditions de travail, sans toutefois ignorer les difficultés inhérentes à ce secteur. A mon avis, il ne devrait pas y avoir de temps partiels. Qui se prépare à une carrière académique doit pouvoir y consacrer toute son énergie, afin d'améliorer ses chances de succès. Car il faut bien l'admettre, un tri doit s'opérer: l'Université fonctionne sur un mode pyramidal et tous les assistants ne pourront pas accéder à des postes de professeurs. Cela dit, je ne considère pas non plus que l'insécurité soit nécessaire à l'émulation. Le musicien François Couperin savait à l'âge de 11 ans déjà qu'il occuperait à vie un poste d'organiste officiel, ce qui ne l'a pas empêché d'écrire parmi les plus belles pages de la musique française…

Envisagez-vous des mesures concrètes dans ce domaine?
Je donnerais deux exemples. Mon travail au sein de la Société académique m'a sensibilisé à l'importance du soutien matériel à apporter aux chercheurs. Lorsque ceux-ci veulent se rendre à un congrès à l'étranger, par exemple, nous devrions les aider financièrement, car cela représente pour eux une occasion de nouer des contacts avec d'autres universités qui pourront leur être utiles au cours de leur carrière. Je veux ensuite utiliser le réseau informatique pour diffuser de la manière la plus transparente possible les mises au concours de postes académiques dans toutes les universités.

Y a-t-il également des mesures à prendre afin de faciliter la carrière académique des femmes?
Très certainement. Je fais partie de ceux qui pensent que la promotion de l'égalité n'est pas un problème inhérent au monde académique mais à la société. J'espère convaincre les autorités du Département de l'instruction publique d'entamer une réflexion, avec des universitaires, pour voir ce qui peut être fait en amont de l'Université. Lorsque mes filles étaient à l'école primaire, je me souviens d'avoir été surpris par le point de vue très masculin adopté par les textes utilisés en cours. Cela a peut-être changé depuis, mais je reste convaincu qu'il faut davantage valoriser, à l'école comme dans les familles, les contributions féminines au savoir. J'y suis particulièrement sensible, étant donné que les femmes ont joué un rôle de premier plan pour le développement des études grecques.

L'Université doit-elle être au service de l'économie?
L'Université doit être au service de la société. Quand on dit économie, il faut faire des distinctions. Si l'on parle des "milieux économiques", pour désigner des intérêts particuliers, l'Université n'a pas à être à leur service. En revanche, elle doit agir en partenariat avec l'ensemble de la société, qui comprend l'économie. Là encore, il importe de bien communiquer à la collectivité les limites que l'Université se donne dans ses rapports avec des partenaires, qu'ils soient étatiques ou privés.

Le personnel administratif et technique de l'Université ne se sent pas toujours valorisé dans son travail. Quelle sera votre approche dans ce domaine?
On a reproché à l'Université de Genève de "gonfler" son appareil administratif. J'attends de voir les comparaisons avec d'autres hautes écoles en Suisse avant de me prononcer à ce sujet. Quoi qu'il en soit, je souhaite favoriser la mobilité au sein de l'Etat en général, afin d'éviter certains doublons. Parallèlement, il me paraît essentiel d'encourager les membres du personnel administratif et technique désireux d'acquérir de nouvelles compétences, en leur offrant des chèques de formation. Cela est particulièrement souhaitable lorsque cette formation est en rapport avec le domaine dans lequel ils travaillent.

Quatre ans à la tête d'un rectorat, est-ce suffisant pour mettre en place une politique?
Louis Gaulis, l'un des fondateurs du Théâtre de Carouge, disait qu'il aurait aimé être dictateur pour un seul jour, car cela lui aurait suffit pour effectuer les réformes qui lui tenaient à cœur. A l'opposé, les laboratoires obtiennent des certifications de type ISO lorsqu'ils sont capables de décrire toutes leurs procédures de fonctionnement, de manière à ce qu'ils puissent opérer indépendamment de l'équipe qui les dirige. En élaborant un Plan de développement évolutif, le rectorat actuel a adopté une position médiane entre ces deux extrêmes, qu'il convient de saluer. Cela va permettre une politique dans la continuité, tout en réévaluant constamment les effets qu'elle produit. Je reprends volontiers à mon compte le concept de "glocal", contraction de "global" et de "local", pour indiquer une politique axée sur le local, qui vise des effets très précis, sur la base d'une approche globale.

Bloc-notes
Une rencontre avec André Hurst sera organisée lundi 12 mai 2003 par le Sénat de l'Université

 

Du tac au tac

 

 

Y a-t-il une personnalité qui vous a particulièrement marqué au cours de votre carrière?
André Hurst: J'aimerais mentionner mon maître d'école primaire, Monsieur Ulysse, eh oui déjà… (sourires), Monsieur Ulysse Magnenat. Nous habitions à Châtelaine, dans un quartier populaire, un environnement qui ne me prédestinait pas à une carrière universitaire. Il m'a beaucoup encouragé et c'est à lui que je dois d'avoir fait des études. Ensuite, j'ai beaucoup d'admiration pour mon prédécesseur à l'Unité de grec ancien, le professeur Olivier Reverdin. Il m'a convaincu de continuer l'étude du grec, ce qui n'était pas du tout évident : il est vrai que, collégien, j'avais été ébloui par Platon, mais je ne songeais pas forcément à une carrière d'helléniste. Olivier Reverdin était une personnalité très chaleureuse, engagée dans la promotion de la science. Il m'a beaucoup influencé.

Vos origines modestes continuent-elles d'inspirer votre action?
Je crois que mon goût à communiquer vient de là. Comme mes camarades de quartier ne faisaient pas d'études, j'ai pris l'habitude de leur expliquer ce que je faisais avec des mots simples.

Le Département des sciences de l'Antiquité a récemment organisé une série de cours sur la cuisine antique. Aimez-vous cuisiner?
Alors qu'elles étaient adolescentes, mes filles m'ont une fois offert des casseroles pour mon anniversaire. C'était naturel à leurs yeux, car elles m'ont toujours vu cuisiner à part égale avec mon épouse, chacun ayant ses plats de prédilection… Mes nombreux voyages dans les pays méditerranéens ont développé une préférence pour les cuisines italienne et grecque.

Quel est votre moyen de transport pour venir à l'Université?
Précisons d'abord que j'habite Collonge-Bellerive…. Pendant un an, j'ai essayé le vélo. Cela me prenait 25 minutes, dont 8 minutes passées à des feux rouges…. De plus, on n'est jamais à l'abri d'un orage, et ce n'est pas très pratique pour transporter des courses. J'ai donc craqué pour la voiture…. Cela prend aussi du temps, mais j'essaie d'en faire quelque chose. C'est là que j'apprends des langues. Je prends aussi des auto-stoppeurs, pour pouvoir leur parler, c'est propice au dialogue, on apprend des tas de choses. Et puis j'écoute aussi beaucoup de musique en voiture.

Etes-vous simplement mélomane ou pratiquez-vous un instrument?
Je suis pianiste et, depuis huit ans, je me suis mis au violoncelle. La musique occupe une place très importante dans mon existence. Nous faisons de la musique de chambre avec des amis, parmi lesquels Alex Mauron, notre professeur de bioéthique, qui tient magnifiquement le traverso. Je me suis aussi beaucoup investi dans le Conseil de fondation du Conservatoire de Genève.

Votre lieu préféré dans la région genevoise?
Je vais régulièrement faire l'ascension de la Pointe d'Andey, au-dessus de Bonneville. On y jouit d'une vue magnifique sur toute la région. C'est devenu une telle habitude que mes proches l'appellent la Pointe d'André…

7 mars 2003
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