2003

Le rectorat s'investit dans le soutien à la recherche

Au cours des deux dernières années, Claus Hässig s'est employé à "créer des ponts", comme il aime à le souligner, entre les hautes écoles de l'arc lémanique. En tant qu'adjoint au rectorat, il a ainsi été amené à se faire une idée précise du contour que prendra le paysage universitaire au cours des années à venir. Dès la prochaine rentrée académique, il mettra cette expérience au service de la recherche. La quête de fonds pour financer les travaux des chercheurs absorbe en effet une part de plus en plus importante de leur énergie et nécessite une planification stratégique à long terme toujours plus complexe. Pour répondre à cette évolution, le rectorat de l'Université a donc décidé de mettre en place un "Secteur recherche" appelé à devenir prestataire de services pour la communauté universitaire. Cette nouvelle structure, s'empresse de souligner Claus Hässig, n'est pas destinée à "instaurer des rigidités administratives et académiques", mais à servir les intérêts des chercheurs. L'objectif: que l'Université de Genève reste parmi les meilleures institutions de recherche en Europe, malgré une concurrence de plus en plus âpre.

Présentation du Secteur recherche

Pourquoi mettre en place aujourd'hui un secteur entièrement consacré à la recherche?
Claus Hässig: Le rectorat a la volonté de jouer un rôle beaucoup plus actif dans ce domaine, comme annoncé dans le Plan stratégique. C'est aujourd'hui une nécessité. Pensons, par exemple, à la politique d'impulsion à travers les programmes plurifacultaires. Par ailleurs, la Confédération exige que les institutions qui accueillent des organes bénéficiant de subventions s'engagent beaucoup plus qu'auparavant. Le soutien du rectorat a ainsi été indispensable à l'accueil des deux pôles nationaux de recherche. La mise en place de ce secteur répond également à des exigences légales. La nouvelle Loi cantonale sur l'Université donne au seul rectorat la compétence de signer des contrats avec des tiers. Elle formule aussi des obligations en termes d'évaluation, d'éthique et de transparence. Pour y répondre nous allons, par exemple, constituer une base de données générale sur les recherches conduites à l'Université, de manière à compléter celles existant déjà dans quelques facultés.

Au-delà de ces aspects légaux, quelle sera l'utilité de cette nouvelle structure?
Elle aura une mission proactive et prospective. Sur le plan européen, on constate que les ressources ont de plus en plus tendance à se concentrer sur un nombre limité de centres d'excellence, au détriment des institutions moins compétitives. Cette évolution représente un défi pour un petit pays comme la Suisse. Par ailleurs, les bailleurs de fonds conditionnent leur soutien à des critères de qualité de plus en plus exigeants. L'excellence et la répartition des compétences sont ainsi devenues les nouveaux maîtres-mots de la politique scientifique, alors que le débat fait encore rage sur la question de savoir comment mesurer l'excellence. Enfin, l'évaluation et la gestion des coûts indirects de la recherche deviennent très complexes. Dans ce contexte, notre but est de fournir des outils d'analyse et de valoriser les secteurs les moins bien équipés pour affronter cette évolution. Le Fonds national va prochainement mettre au concours de nouveaux pôles nationaux de recherche pour les sciences sociales et humaines. Nous allons faire en sorte que l'Université de Genève puisse soutenir des projets dans les meilleures conditions possibles.

La recherche a surtout besoin de moyens. Ne craignez-vous pas que l'on vous reproche d'absorber des fonds qui pourraient lui être alloués directement?
Notre intention n'est évidemment pas de prendre de l'argent aux chercheurs, mais au contraire d'accroître les ressources. Je me suis fixé comme objectif que chaque franc investi dans le Secteur recherche en génère dix qui n'existaient pas auparavant. Il s'agira par ailleurs d'une structure administrative légère, absorbant moins d'un demi-millième du budget global de l'Université. Face à l'enjeu que représente la recherche pour l'avenir de notre haute école, située aujourd'hui parmi les douze meilleures universités de recherche européennes et devant affronter la compétition d'autres institutions suisses qui lui disputent énergiquement cette place, ce n'est pas un investissement démesuré.

Comment allez-vous vous y prendre pour générer des ressources supplémentaires?
A l'avenir, les subsides de recherche iront de plus en plus aux groupes sachant mettre leurs compétences en commun pour mieux se profiler à l'échelon national et international. Nous avons acquis dans ce domaine une solide expérience, par exemple à travers notre coopération avec l'Université de Lausanne et l'EPFL. On a vu dans ce cas que, grâce à un effort de coordination, il était possible d'accroître les ressources. C'est une voie à poursuivre. Nous allons également mettre, à disposition des chercheurs, de l'information sur les sources de financement, qui se sont nettement diversifiées ces dernières années, et les conseiller sur la meilleure manière de cibler leurs recherches de fonds. Un travail plus systématique doit être entrepris notamment auprès des fondations.

Il existe déjà des structures de coordination travaillant dans le domaine de la recherche au rectorat, comme Unitec ou la Commission de gestion des subsides du FNS. Allez-vous, à terme, vous substituer à ces entités?
Certainement pas. Pour prendre l'exemple d'Unitec, il s'agit d'une structure qui s'inscrit dans une logique économique et qui est axée sur la valorisation des résultats obtenus, alors que le Secteur recherche aura un rôle plus académique, en amont du processus de valorisation. Les expériences faites dans d'autres universités montrent qu'il est préférable de ne pas mélanger ces aspects. Quant à la Commission de recherche du FNS à l'Université de Genève, il convient qu'elle conserve son indépendance vis-à-vis des autres organes de l'institution.

Comment pensez-vous que votre projet sera perçu dans les facultés?
Je mets l'accent sur la subsidiarité et j'essaie de montrer que le but n'est pas de créer des doublons. Si notre activité devait faire obstacle au travail des chercheurs, il est clair que ce serait un échec. Nous avons pour vocation d'être un outil innovant au service de l'innovation, et non pas d'instaurer des rigidités bureaucratiques. Voilà le message que je vais m'efforcer de faire passer.

Du tac au tac: Claus Hässig à visage découvert

 

Vous vous êtes occupé jusqu'à présent de la coordination lémanique entre les Universités de Genève et de Lausanne et l'EPFL. Avez-vous un don particulier pour la diplomatie?
Claus Hässig: Je ne suis pas formé à la diplomatie, mais tout mon parcours est marqué par une constante: créer des ponts. Avant d'aller à l'Université, j'ai travaillé comme journaliste. Je me suis inscrit en lettres, tout en étudiant la gestion. Durant cette période de formation universitaire, je me suis beaucoup intéressé à la relation entre science et société et, dans les années 80, j'ai publié l'une des premières études en Suisse sur l'impact de l'informatique sur la société. Je marie aussi les cultures francophone et alémanique et j'ai publié pendant plusieurs années sur les relations qu'elles entretiennent. Puis, j'ai travaillé pendant 10 ans dans des projets autour de la construction européenne. Il est vrai que cela implique un goût certain pour la diplomatie, avec la volonté de faire dialoguer des parties qui n'interagissent peut-être pas spontanément.

N'avez-vous jamais songé à mettre ces talents au profit d'une action politique?
La politique au sens partisane, non. Mais j'ai été influencé par la pensée de Denis de Rougemont, selon qui la personne se définit par son engagement dans la société. Je n'ai donc jamais cessé de m'impliquer dans la vie sociale. Il y a quelques années, j'ai été parmi les fondateurs d'une ONG qui s'occupe de développement dans le Tiers-Monde. Plus tard, j'ai travaillé, toujours à côté de mes activités professionnelles, sur des projets d'exposition. Je continue d'être impliqué dans plusieurs initiatives qui, sur le plan suisse et européen, favorisent l'échange et le dialogue intellectuel et culturel.

Y a-t-il un fait d'actualité qui vous a particulièrement irrité ces dernier temps?
Dans ce désastre de la guerre en Irak, j'ai été choqué par le pillage des musées et des bibliothèques. En tant qu'historien de formation, cela m'a beaucoup touché, car c'est un témoignage unique sur les origines de la civilisation qui est désormais dispersé, détruit ou entré dans la clandestinité des circuits parallèles du marché de l'art.

Un fait que vous avez trouvé particulièrement remarquable?
(après un moment de pause)… Pas facile. Je dirais néanmoins que la crise économique et internationale actuelle n'est pas seulement porteuse de désespoir, car c'est à travers les crises, même douloureuses, qu'on trouve l'énergie pour améliorer les choses. Les récents événements politiques internationaux nous montrent que la génération qui entrera bientôt à l'Université a une capacité à se mobiliser pour des idéaux, même si les médias nous renvoient une autre image, davantage focalisée sur une petite minorité de casseurs qui n'ont certainement
aucune idée constructive à défendre.

Quel est le dernier film que vous avez vu ou le dernier livre que vous avez lu?
Je parlerai d'abord de lecture, car c'est vraiment une passion. J'ai l'habitude de lire plusieurs ouvrages en parallèle. Je viens de terminer Seule la mer, d'Amos Oz, écrivain israélien qui milite aussi pour la réconciliation au Proche-Orient. C'est un livre magnifique qui unit le roman à la poésie, la force et le meilleur de ces deux genres. Je suis aussi attelé à L'hominescence, de Michel Serres, qui développe une superbe réflexion de philosophe sur la science, créant les ponts que je recherche dans mon travail entre sciences humaines et sciences naturelles. Quant au cinéma, j'ai été très impressionné par Bowling for Colombine, de Michael Moore. Voilà l'exemple d'un fait remarquable sur lequel vous m'interrogiez dans votre question précédente: il est remarquable qu'un film aussi dur à l'égard de certains aspects de l'"american way of life" puisse être récompensé par un Oscar.

Quels sont les trois objets que vous emmèneriez avec vous sur une île déserte?
Un livre, un crayon, un cahier. Pour les autres choses matérielles, je me débrouillerai.

Quel moyen de transport utilisez-vous pour vous rendre à l'Université?
J'habite à Cartigny et j'utilise la voiture. Lorsque je vivais en ville, je faisais du vélo. Après mon déménagement, j'ai tenté les transports publics, mais le soir je mettais 45 minutes, au lieu de 20 en voiture. C'est seulement 25 minutes de gagnées, mais en rentrant du travail, cela compte…

… et vous ne vous sentez pas coupable?
Je n'en suis pas particulièrement fier, mais ce temps volé à la nature est gagné pour être donné à ma famille et surtout à mes enfants.

Le point de vue du vice-recteur Jean-Dominique Vassalli

Quel regard posez-vous sur l'évolution de la recherche au cours de ces dernières années?
Jean-Dominique Vassalli: Alors que la qualité de la recherche en Suisse peut être qualifiée de satisfaisante à excellente, l'évolution est allée dans le sens d'une augmentation des coûts indirects, que ce soit pour assembler les équipes de recherche, les accueillir ou encore pour assurer les infrastructures en locaux ou en équipements. Or la Suisse a mal anticipé cette évolution et il y a aujourd'hui un retard à combler.

Que pensez-vous de la professionnalisation de la gestion de la recherche?
C'est un secteur qui est devenu éminemment complexe. La gestion administrative des projets va au-delà des capacités du chercheur moyen et de ses principales préoccupations. Il est donc non seulement souhaitable, mais nécessaire d'enter dans une logique de professionnalisation. C'est d'ailleurs ce qui s'est fait lorsque l'Université de Genève a été choisie pour accueillir deux pôles nationaux de recherche. En ce sens, la mise en place d'un Secteur recherche ne fait qu'institutionnaliser une pratique qui s'est constituée au fil des évolutions de ces dernières années. Cela dit, il importe aussi de souligner que cette professionnalisation doit s'opérer dans le plus grand respect de la liberté académique et de la créativité des chercheurs. En aucun cas, il ne s'agira de leur dicter l'objet de leur recherche.

On crée à l'Université un Secteur recherche alors qu'à Berne, le Conseil fédéral veut restreindre son soutien dans ce domaine: n'est-ce pas un mouvement qui va à contre-sens?
Au contraire... Le Secteur recherche aidera le rectorat à faire valoir encore mieux que maintenant les atouts de l'Unige en matière de recherche, ce qui devrait permettre de consolider la position de notre université dans ce domaine. En aidant aussi à la planification et à la mise en place des infrastructures indispensables à la recherche, le Secteur contribuera à une meilleure utilisation des ressources disponibles. De plus, par le rôle qu'il jouera dans l'organisation de collaborations avec d'autres institutions, il permettra à l'Unige de continuer à participer à une dynamique qui s'instaure de plus en plus activement en Suisse. Les éventuelles coupes dans la progression des budgets universitaires qui nous menacent rendent donc d'autant plus indispensable la création de ce Secteur.

Brièvement, quel bilan dressez-vous de la politique de la recherche à l'Unige, en tant que vice-recteur en charge de ce dossier?
Jusqu'à présent, cette politique a été essentiellement le fait des facultés, bien qu'au niveau interfacultaire, le rectorat se soit efforcé de stimuler les recherches interdisciplinaires. L'Université a accordé beaucoup d'importance à la valeur de ses publications et à la recherche de candidatures de pointe. Une ambiance de compétitivité prévaut dans beaucoup de secteurs, et cela est une bonne chose, car on sent qu'il y a une ambition d'excellence. Autre élément positif : le renforcement de la formation doctorale, qui reste encore à améliorer. Il faut également noter que l'Université de Genève reste en première position en termes de crédits alloués par le Fonds national suisse pour la recherche scientifique. Tout dépendra, à l'avenir, de la prise de conscience, de la part des collectivités publiques et des fondations privées, de la valeur d'investissement que représente la recherche dans notre Université. Elle mérite en effet largement qu'on lui accorde confiance.

Claus Hässig commente le débat parlementaire sur le soutien à la recherche

On a rêvé de 10 %. On a espéré 6. Le Gouvernement voulait en accorder 4. Le taux est remonté à 5%, et la chambre du peuple vient de voter pour 6. Ce yo-yo est à la mesure de l'enjeu, et le pire est évité. Tout le monde s'accorde pour dire que les augmentations prévues pour la formation et la recherche ne constituent pas un luxe, mais sont simplement nécessaires pour éviter une relégation de la recherche suisse en ligue B. 5% ou 6%, cela veut aussi dire limitation des moyens disponibles pour l'innovation, pour l'ouverture de nouveaux domaines et pour l'amélioration des conditions d'encadrement, puisque les budgets décidés garantissent à peine le maintien de l'existant. Quid alors de l'affirmation que nos cerveaux sont la seule matière première suisse.

Deux remarques pour illustrer ces contradictions : le jour du premier vote du Parlement, le 5 mai , déclaré Journée de l'Europe, la Suisse a célébré le 40ème anniversaire de son adhésion au Conseil de l'Europe. Or, la décision prise décroche plutôt la Suisse de l'évolution européenne qui va dans le sens d'un renforcement très volontariste du financement de la recherche, et cela notamment dans les petits et moyens pays comparable à la Suisse. Ou encore : l'Office fédéral de la statistique a publié le 5 mai une étude attestant l'attractivité des hautes écoles suisses pour les étudiants étrangers. Mais combien de temps pourrons-nous encore accueillir ces étudiants dans des conditions favorables ? Alors que ces derniers, une fois diplômés, peuvent apporter un potentiel d'innovation important à notre pays ou encore être des ambassadeurs très efficaces pour la Suisse dans leurs pays d'origine, ce dont nous avons besoin.

Claus Hässig

7 mai 2003
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