2004

Quel système d'allocation d'études pour l'Université de demain?

 

Le système d'aide sociale actuellement en vigueur pour favoriser l'accès aux études supérieures résistera-t-il aux transformations du paysage universitaire qui se dessinent, avec en point de mire la réforme de Bologne? Ce système est-il encore adapté aux réalités d'aujourd'hui? Dans les débats sur les réformes du monde académique, ces questions sont incontournables et commencent à prendre de l'ampleur. La Confédération n'a-t-elle pas annoncé son intention de diminuer drastiquement sa participation financière aux bourses d'études, qui passerait de 100 à 25 millions par année? De son côté, le Rectorat de l'Université de Genève a placé, parmi ses priorités, l'accès aux études supérieures aux étudiants de toutes les classes sociales. Le débat s'annonce animé, parce qu'il met en jeu des visions parfois très contrastées du rôle de l'université au sein de la société.

Les différents types d'allocations
Il existe actuellement plusieurs types d'aides financières accordées aux étudiants. En Suisse, ce sont d'abord les cantons qui participent à l'effort en la matière, avec le soutien de la Confédération. En fonction du lieu de taxation de son répondant légal, un étudiant peut avoir droit à une allocation annuelle, avec des variations importantes d'un canton à l'autre. En 2002, le Canton de Berne - le plus généreux - a ainsi versé en moyenne 10'600 francs par étudiant bénéficiaire, contre 5'300 francs pour le canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures, l'un des plus chiches à cet égard(1).

Outre ces inégalités, ce système d'allocations cantonales a le désavantage d'être basé sur des barèmes fixes de revenus et non pas sur un examen global de la situation financière du demandeur. Il arrive alors que le revenu des parents soit trop élevé pour permettre l'octroi d'une allocation, mais néanmoins insuffisant pour couvrir l'ensemble des frais liés aux études. A l'UniGe, c'est le cas pour des étudiants confédérés qui doivent payer leur logement.

Pour ceux qui n'ont pas droit à une allocation cantonale, principalement venus de l'étranger, l'Université attribue différents types d'aides. Des bourses partielles sont octroyées, par l'intermédiaire de la Sous-Commission des Bourses de la Commission sociale, selon des critères très précis: l'étudiant doit avoir déjà accompli une année de formation avec succès, et avoir un travail à côté des études pour compléter son budget. Ces bourses partielles se montent à 3'600 francs pour une année académique. Un montant insuffisant, si l'on sait qu'un étudiant a aujourd'hui besoin d'une somme évaluée entre 15'000 et 25'000 francs par année pour vivre décemment.

Après deux années d'études réussies, l'Université prévoit également des bourses annuelles entre 10'000 et 12'000 francs. Dans tous les cas, il s'agit d'aides réservées au premier cycle. Pour l'année 2002-2003, l'Université a attribué 202 bourses de ce type.

Les étudiants qui éprouvent des difficultés à payer leurs taxes universitaires (1000 francs par année) peuvent également s'adresser à la Commission d'exonération des taxes. 1'400 étudiants en ont bénéficié pour l'année 2002-2003. Des allocations ponctuelles sont également octroyées, par exemple en période d'examens ou dans des cas d'urgence. Le Bureau d'information sociale de l'Université (BUIS) prévoit par ailleurs d'offrir une nouvelle bourse de mobilité aux étudiants partant pour des études à l'étranger dans le cadre d'un programme d'échange.

Il existe ensuite des fonds privés, dont les montants sont variables en fonction des besoins des étudiants. Stéphanie (qui préfère utiliser un pseudonyme), étudiante de la Faculté des lettres, a ainsi bénéficié d'une bourse de la Fondation Boninchi, pour son travail de mémoire. Son sujet, la littérature médiévale catalane, l'obligeait en effet à séjourner à Barcelone pour avoir accès à des sources non disponibles à Genève. L'Université tient à jour une liste des bourses privées et offre son appui pour préparer les demandes.

Enfin, les emprunts bancaires représentent un dernier recours. Christian d'Andrès, étudiant en droit et actif dans plusieurs associations et commissions universitaires, a dû se rabattre sur cette solution, n'ayant pas pu obtenir de bourse de son canton d'origine, le Valais. Il s'est adressé à sa Banque cantonale qui lui verse cinq tranches de 20'000 francs à quoi s'ajoutent 20'000 francs d'intérêts et de primes pour une assurance vie obligatoire. Au total, c'est donc une somme de 120'000 francs qu'il devra rembourser. Au titre de garantie, la banque a également demandé à ses parents une hypothèque.

Comment ils le vivent
Ces situations sont naturellement vécues de manière différente en fonction des individus et des facultés. Pour prendre des extrêmes, les lettres offrent plus de flexibilité pour combiner activités salariées et études que la Faculté de médecine. Etudiante en lettres, Stéphanie, qui a travaillé pour gagner sa croûte tout au long de ses études par souci d'indépendance, reconnaît que sa vie sociale en a pris un coup. Cela étant, elle a aussi apprécié l'aspect stimulant et enrichissant de son activité professionnelle.

Pour Christian d'Andrès, les études de droit et ses activités associatives ne lui permettaient pas d'avoir une activité salariée. "Pour les étudiants en droit ou a fortiori en médecine, le fait de devoir travailler met vite leurs études en péril. Ils doivent alors rallonger leur temps d'étude, ce qui ne fait qu'ajouter à leur précarité financière."

Le fait d'avoir contracté une dette qu'il devra rembourser à raison de 1000 francs au minimum par mois sur une durée maximale de 10 ans représente une contrainte non moins pesante. "Cela veut dire pour moi qu'il sera très difficile de faire une thèse. De plus, je me retrouve limité dans mon orientation professionnelle, car je vais devoir trouver un travail qui me rapporte suffisamment et de manière régulière pour rembourser."

A ces soucis d'ordre économique s'ajoutent, pour les étudiants venus de l'étranger, des préoccupations liées à leur adaptation à un nouveau mode de vie. Difficulté à entrer en communication, tâches administratives déroutantes sont autant de facteurs qui, là encore, pèsent sur la disponibilité d'esprit requise pour des études.

Ces situations concernent certes une minorité d'étudiants. Si l'on se fie au nombre d'exonérations de taxes octroyées, on peut estimer qu'environ un étudiant sur dix se trouve en difficulté financière. L'Université faillirait à sa vocation démocratique si elle se retrouvait dans l'impossibilité de diminuer l'impact de ces inégalités. Encore faut-il s'entendre sur l'idée que l'on se fait du rôle des hautes écoles dans la société. Le recteur André Hurst a récemment eu l'occasion à plusieurs reprises de souligner son attachement au principe d'accès démocratique aux hautes études. Cet avis est cependant loin d'être partagé. L'université doit avant tout s'adapter aux réalités économiques, insiste-t-on ailleurs. Cela implique la mise en place de filières hautement compétitives, chapeautée par des pôles d'excellences au niveau national, coûteuses et par conséquent réservées à ceux qui pourront payer.

Le débat idéologique
Un texte publié sur le site internet d'Economie Suisse résume assez bien cette approche très libérale de l'université: "Pour inciter les jeunes à terminer rapidement leurs études, pour mettre des ressources supplémentaires à la disposition des institutions et pour accroître la concurrence entre les universités par le biais de la demande, il conviendrait d'augmenter les taxes d'études. En outre, il y a lieu de favoriser le système des prêts préférentiels si l'on souhaite favoriser l'égalité des chances."

Christian d'Andrès, qui s'exprime là en tant que membre de la CUAE, craint que la réforme de Bologne n'instaure de fait un régime très proche des aspirations d'Economie Suisse. "Le système actuel de bourses étant essentiellement réservé au premier cycle d'études, il y a de fortes chances que la même logique s'applique au système 3+2, de nombreux étudiants se verront alors barrer l'accès à la maîtrise de deuxième cycle pour des raisons financières."

Pour lui, le système des bourses reste de toutes manières insuffisant. "Cela place d'emblée l'étudiant dans une position de dépendance, on lui fait sentir qu'une largesse lui est octroyée, alors que l'accès aux études est un droit." Mais y a-t-il une alternative? L'idée d'un revenu estudiantin garanti pour toute personne mérite d'être explorée, selon lui. La CUAE va d'ailleurs mettre cette question à l'ordre du jour.

Mireille Lagier, responsable du BUIS, estime quant à elle que le principe de solidarité entre étudiants doit jouer, plutôt qu'une allocation universelle. C'est d'ailleurs le système qui prévaut actuellement, puisqu'une partie des taxes d'études sert à financer les bourses. Un système qui demande toutefois à être améliorer. Dans l'immédiat, Mireille Lagier espère trouver une solution pour les étudiants de première année qui ne peuvent pas faire de demande, ne serait-ce que pour une bourse partielle. Cela d'autant plus que, dans l'ensemble, le nombre de demandes a tendance à augmenter, observe-t-elle.

(1) Pour Genève l'allocation moyenne annuelle est de 8'100 francs

Pour en savoir plus:

Bureau d'information sociale de l'Université
Tableau comparatif des allocations cantonales
Interpellation du député Remo Gysin au Conseil national à propos de la réduction des bourses d'études et l'égalité des chances (23.09.2003)

Jacques Erard
Université de Genève
Presse Information Publications
Janvier 2004

15 janvier 2004
  2004