2004

Walter Wildi nommé président de la Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires

Quand les géologues auscultent les centrales nucléaires: une expertise genevoise à Berne

 

Directeur de l'Institut Forel, le géologue Walter Wildi s'est vu confier par le Conseil fédéral la présidence de la Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires (CSA) pour une nouvelle période de 4 ans. Il avait déjà assumé cette responsabilité ces deux dernières années. Originaire du canton d'Argovie, diplômé de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, Walter Wildi enseigne au Département de géologie et paléontologie de l'Université de Genève et mène des recherches sur les systèmes lacustres au sein de l'Institut Forel. Rencontre.

De quand date votre engagement dans le domaine de la sécurité nucléaire?
En tant que géologue, je me suis occupé de questions relatives au stockage des déchets radioactifs dès les années 70. Depuis lors c'est resté une de mes activités principales à côté de mes recherches.

Comment considérait-on le nucléaire à cette époque?
C'était une technologie qui faisait l'objet de très peu de critiques. Beznau I, la première centrale de Suisse a été mise en service en 1969, au moment où je commençais mes études, et je n'avais aucune opinion particulière à ce sujet. Beaucoup de gens de ma génération l'ont vécu de la même manière. Personne n'imaginait que le nucléaire civil allait donner lieu à un des débats politiques les plus controversés de l'après-guerre.

Qu'en est-il actuellement?
Peu de recherches scientifiques et de développement technologique sont effectués dans ce domaine; l'énergie nucléaire n'est pas inscrite dans les priorités scientifiques de demain. En Suisse, cinq réacteurs sont actuellement en service dans quatre centrales, Beznau ayant deux réacteurs. Initialement, ils ont été prévus pour une durée de 40 ans. Les exploitants envisagent maintenant de prolonger ce délai à 50 ou 60 ans. Certains pays, comme l'Allemagne, vont complètement abandonner la filière nucléaire, sans d'ailleurs avoir une idée très claire sur des solutions alternatives. Il faut dire qu'entre-temps, il y a eu la catastrophe de Tchernobyl…

Comment avez-vous vécu cet événement?
Un choc terrible. Tchernobyl a laissé des traces durables. Dans les sédiments du lac Léman, on les utilise d'ailleurs encore maintenant pour faire de la datation. En-dessous, il y a un autre repère, encore plus marqué, lié aux essais nucléaires effectués par l'Union soviétique et la France dans les années 60. Tchernobyl a eu l'effet d'une prise de conscience, y compris en Suisse. Les autorités et les exploitants ont alors beaucoup investi pour renforcer la sécurité des centrales.

Le problème des déchets radioactifs n'a toujours pas trouvé de vraie solution…
Nous avons beaucoup appris dans ce domaine au cours des 20 dernières années. Il est devenu techniquement possible de stocker les déchets avec une sécurité élevée à long terme. Le problème reste essentiellement politique. Il y avait un programme pour les déchets de faible et moyenne activité prévu à Nidwald, mais il a été refusé par le peuple en 2002. Pour les déchets de haute activité, la recherche de sites se concentre dans le Nord de la Suisse.

Qu'advient-il alors des déchets?
Les déchets de faible et moyenne activité sont stockés près des centrales en surface. Quant aux combustibles, ils partent à l'étranger pour être traités, avant de revenir pour être stockés dans un dépôt à Villigen, en Argovie, ce qui pose des problèmes de sécurité. Il faut savoir qu'il n'y aura pas de solution miracle. Ces déchets vont rester actifs pendant des milliers d'années et quelle que soit notre action, cela restera toujours un emplâtre sur une jambe de bois.

Vous êtes sensible aux questions environnementales. Est-ce que cela ne vous pose pas un problème de conscience de contribuer à trouver des solutions pour une technologie dommageable à l'environnement?
En tant que scientifique, j'estime avoir le devoir d'informer la population sur les risques et les avantages de cette technologie, afin que le peuple prenne des décisions en connaissance de cause. Depuis des années, je m'efforce de faire de l'information sur le problème des déchets. A partir du moment où le risque est accepté par la population, il est important d'avoir, auprès des autorités et des commissions de surveillance, des gens critiques et vigilants. C'est comme cela que je vois mon rôle.

C'est une énorme responsabilité. Si un accident survenait, vous seriez immédiatement pointé du doigt…
Notre commission, la CSA, n'est pas la première autorité de surveillance. Ce rôle revient à la Division principale de la sécurité des installations nucléaires, la DSN. Notre responsabilité est plus stratégique. Nous devons suivre les tendances dans l'évolution des techniques et examiner les rapports de la DSN. Les premiers responsables sont en fait l'Etat et les compagnies d'exploitation. Cela dit, il est vrai que c'est une tâche lourde de conséquences, que j'assume parce qu'il en va de ma responsabilité en tant qu'universitaire. Lorsque les scientifiques mènent des recherches fondamentales, ils ne doivent pas seulement se soucier de la rentabilité des applications, mais aussi du service après-vente: informer le plus objectivement possible le public.

Les attentats du 11 septembre ont-ils modifié la donne en matière de sécurité?
Bien sûr. Jusqu'alors, nous n'avions considéré que la chute involontaire d'un avion militaire. Au lendemain du 11 septembre, les autorités ont tout de suite ordonné une étude sur les conséquences d'un impact d'un avion de ligne. Les conclusions ont montré que les dégâts sur un réacteur restent limités, car l'impact est réparti sur une surface assez large.

Le chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique, Mohamed El-Baradeï a tout récemment lancé un cri d'alarme, estimant qu'avec la prolifération des armes atomiques le monde court à l'apocalypse nucléaire…
Il n'a hélas pas tort. Le fait est que le nucléaire est une technologie qui perd chaque jour de son caractère exceptionnel. De plus en plus de pays et d'individus peuvent avoir accès à du matériel fissible. Et c'est malheureusement un processus irréversible. Le seul espoir est que la communauté internationale parvienne à un contrôle. Mais je ne suis pas très optimiste.

Y a-t-il aujourd'hui des alternatives crédibles au nucléaire en Suisse?
Dans le passé on a toujours opposé le nucléaire à une autre source d'énergie, alors qu'à mon avis il n'y a pas UNE solution de rechange, mais plusieurs solutions non concurrentes pour augmenter la part d'énergies renouvelables, à commencer par la géothermie et le solaire. Le nucléaire ne représente de toutes manière que 35% de la production d'électricité en Suisse.

 

La Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires, qui dépend de l'Office fédéral de l'énergie, a un rôle consultatif. Elle donne son avis sur les autorisations de construction, de mise en service et d'exploitation des centrales nucléaires. Elle examine également les rapports d'expertise fournis par la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (DSN) et suit l'état de la recherche dans le domaine de la sécurité nucléaire en général. Elle est composée de personnes issues de l'industrie, d'autres secteurs de l'administration fédérale, comme celui de la santé, ainsi que de représentants des hautes écoles.

Pour en savoir plus:
Le site de la Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires
L'Ordonnance concernant la CSA
Le site de la Division principale de la sécurité des installations nucléaires
Le site du Département de géologie et paléontologie
Le site de l'Institut Forel

Jacques Erard
Université de Genève
Presse Information Publications
Février 2004
25 février 2004
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