2006

Mot du recteur: "ranking" et réalité

Le "ranking" des universités par Swiss-Up/l’Hebdo: une mauvaise note

Lettre ouverte à Daniel Borel

Cher Monsieur Borel,
Au travers de ses rankings, la Fondation que vous présidez insuffle un vent rafraîchissant dans nos universités en provoquant des questions pertinentes: Offrons-nous de bonnes conditions aux étudiant-e-s? Notre recherche est-elle de qualité, tire-t-elle vers le haut les programmes d’enseignement, améliore-t-elle les perspectives professionnelles de nos diplômé-e-s?

L’an passé, vous avez lancé une nouvelle formule de ranking qui a fait naître des espoirs: vous avez passé à la comparaison par disciplines. Certes,  les résultats du ranking concernant les études de droit ont  soulevé débats et contestations. Rien n’est parfait. Mais ils nous ont aussi permis d’avancer dans notre quête de qualité.

Cette année, en prenant sous la loupe des domaines aussi sensibles que la médecine et les sciences dites dures, vous vous êtes malencontreusement embourbé dans les difficultés de la tâche. Votre bonne intention se discrédite, et vous risquez, de surcroît, de causer des dommages collatéraux à l’image de nos universités de par le monde.

Pour utiliser une image simple, on dira que vos résultats sont comparables à un instantané photographique : on aime ou on n’aime pas le résultat, mais on est en droit de se demander si l’appareil est de bonne qualité, et si l’angle de vue est correct.

Quelques exemples:

-Attractivité des hautes écoles: Comparer ce qui est comparable?
L’attractivité est mesurée par le nombre d’étudiant-e-s provenant d’un autre canton. Peut-on comparer les universités cantonales et les écoles polytechniques fédérales avec cet indicateur? Evidemment non. Dans certains domaines comme la physique et la chimie, les formations d’ingénieurs ne se trouvent que dans les écoles fédérales. Pas étonnant qu’elles soient «attractives»: elles n’ont pas de concurrence. De plus, en général, les étudiant(e)s des cantons germanophones (presque ¾ de la population suisse) vont dans les universités germanophones, et les francophones dans les universités francophones. Rien de surprenant, dès lors, à ce que  les universités  francophones, qui s’adressent à une minorité de la population et des cantons, apparaissent automatiquement comme «moins attractives».  Enfin, les cantons non-universitaires paient jusqu’à  40’000 francs par an et par étudiant dans une université cantonale et 0 francs dans une école polytechnique fédérale. Très «attractif», on le concédera, et l’on devine les incitations.

- Etudes de médecine: Zurich trop pauvre?
Les facultés de médecine et les Hôpitaux universitaires de Lausanne et Genève ont des tailles comparables. Swiss-Up met Genève en tête avec 1112 lits pour 100 étudiants avancés alors qu’il n’y en aurait que 301 à Lausanne... Et l’opulente Zurich ne disposerait que de 152 malades pour former 100 étudiants? Visiblement, chacun apporte ici son propre «carnet du lait», l’un comptant des petits pois et l’autre des potirons, mais il est justement de la responsabilité d’un ranking de rendre ces échantillons fiables. Ou faut-il vraiment croire que  nos responsables des systèmes de santé seraient tellement inattentifs à leurs devoirs qu’ils laisseraient subsister d’aussi criantes différences?   

Etudes de chimie: L’EPFL à la pointe ou à la traîne?
L’EPFL obtient à la fois un excellent score pour la réputation de ses enseignements, et un très mauvais score pour les perspectives d’emploi de ses diplômés. Que penser de ce deuxième score? Qui croira que les diplômés en chimie de l’EPFL ne trouvent pas d’emploi?

Classement «scientifique». Toutes les études internationales se seraient-elles trompées?
Les classements modernes de la production scientifique utilisent une mesure de la qualité des publications (facteur d’impact), et non pas le critère désuet du nombre de publications. Alors que la revue Nature a mis récemment la Suisse et ses universités au firmament de la production scientifique mondiale, et contrairement à tous les rankings internationaux, vous distribuez des notes médiocres à de nombreuses universités, sans évoquer le fait que, même sur le plan purement quantitatif, de nombreux classements internationaux donnent d’autres chiffres.

Vous gratifiez notamment d'un carton rouge la Section de physique de l’Université de Genève,  à laquelle appartiennent l'astro-physicien Michel Mayor, découvreur de la première exo-planète, ou son collègue Nicolas Gisin, réalisateur de la première téléportation quantique, une section choisie par le Conseil fédéral, sur avis d'experts étrangers, comme Pôle de recherche national. Les nombreux doctorants étrangers qui se bousculent pour travailler avec ces sommités de la science suisse seront sans doute déconcertés. Suivraient-ils des chimères?

Cerise sur le gâteau: une opinion vaut-elle un fait?
Une bonne partie des indicateurs provient d’un sondage effectué auprès d’une petite proportion d’étudiant-e-s de deuxième et de troisième année; la plupart n’a pas l’expérience d’une autre université :  si nous interrogions plutôt les étudiant-e-s Erasmus sur la perception comparée des universités qu’ils ont fréquentées ?
 
Nous le savons: tous les rankings jouent avec le feu. Cependant, il faut le dire: dans une situation de restrictions budgétaires, en plein débat sur l’avenir de la médecine suisse, l’application inconsidérée d’indicateurs, la confusion de la quantité et de la qualité, le manque de précision, de clarté et de fiabilité des informations peuvent avoir des conséquences dramatiques pour la recherche, pour l’enseignement supérieur et, en définitive, pour le pays.

André Hurst

André Hurst

10 avril 2006
  2006