2006

Une perspective de genre sur les codes vestimentaires

Tongs au bureau? Une perspective de genre sur les codes vestimentaires

Lorsqu'un Conseiller d'Etat s'en prend à la tenue vestimentaire de l'une de ses subordonnées, l'affaire mérite d'être prise au sérieux. La vétérinaire cantonale, Astrid Rod, qui s'était présentée à des journalistes de la Tribune de Genève en "tongs" a provoqué l'ire de Robert Cramer, qui réclame désormais le bannissement au bureau des tenues "donnant l'impression qu'on va à la plage".

Au-delà de son caractère anecdotique, cette remise au pas pose la question plus générale des codes vestimentaires et de leur signification. Pour Anne Dafflon Novelle, chercheuse en sciences sociales et auteure d'une récente publication sur la socialisation différenciée entre filles et garçons(1), le fait que ce soit une femme qui ait déclenché le courroux du Conseiller d'Etat, n'est pas le fruit du hasard, les codes vestimentaires féminins prêtant beaucoup plus matière à discussion. En effet, si pour les hommes la tenue correcte type souffre peu d'ambiguïtés (le costard-cravate s'impose dans 90% des cas), il en va tout autrement pour les femmes.

Jupe ou pantalon?
Anne Dafflon Novelle, qui s'exprime ici sur la base d'observations et non pas de recherches scientifiques, relève ainsi qu'à l'Université, cette dissymétrie des genres fait tôt ou tard surface dans la carrière académique des femmes. "Plus on monte dans la hiérarchie, plus les codes vestimentaires deviennent rigoureux, à l'Université comme ailleurs. Pour un homme, cela ne pose guère de problèmes, il lui suffit de se conformer à la tenue de ses pairs. Chaque faculté possède ses usages en la matière, strict en droit, plus détendu en sciences sociales. Pour les femmes, en revanche, c'est plus difficile. Le nombre de femmes occupant un poste dans le corps professoral n’est pas suffisant pour que se dégagent des tendances sur la manière type de s’habiller en fonction des différentes disciplines. Des collègues femmes m'ont confié s’être posée la question de la tenue à adopter, notamment lors d'entretiens pour obtenir un poste: faut-il se maquiller ou pas, faut-il porter un pantalon ou une jupe?"

On pourrait certes considérer que ce flou est à l'avantage des femmes, plus libres que les hommes dans leur palette vestimentaire. Pour Anne Dafflon Novelle, toutefois, c'est souvent un facteur déstabilisant, dans la mesure où la tenue vestimentaire féminine devient l'objet de commentaires. "Cela m'a frappée lors de l'élection de Doris Leuthard au Conseil fédéral. Si vous regardez les articles dans la presse, vous verrez qu'il y a plusieurs mentions sur sa façon de s'habiller. A la télévision, un gros plan s'est attardé sur ses chaussures. Ce genre de détails ne sera jamais mis en avant pour un homme."

Pas d'androgynie vestimentaire
Autre exemple avancé par Anne Dafflon Novelle, le débat sur les "strings" trop voyant des filles à l'école: "Là encore, la tenue des garçons, qui laissent leurs caleçons déborder du pantalon, prête nettement moins à discussion …"

Le flou entourant les codes vestimentaires des femmes jouerait donc en leur défaveur. Mais à mesure que les femmes gagnent du terrain sur l'échiquier social, cette différence de traitement avec les hommes n'a-elle pas tendance à s'estomper? On parle de mode "unisexe" et le jeans est devenu un standard aussi bien chez les hommes que chez les femmes.

"Il n'y a eu qu'une époque, dans l'histoire récente, où régnait une certaine androgynie vestimentaire. C'était dans les années 1960-70, avec la mode hippie des chemises à fleurs et des cheveux longs pour tous. Pour le reste c'est illusoire. La différenciation a même tendance à être de plus en plus précoce chez les enfants. Alors qu'avant la puberté le corps des filles et des garçons a pratiquement la même morphologie, les vêtements, eux, affichent des différences bien marquées: rose pour les filles, bleu pour les garçons, paillettes et tee-shirt plus près du corps pour les filles, par exemple. De plus, cela devient difficile de trouver un pyjama ou un body pour bébé qui ne soit pas marqué par le genre, avec une fleur brodée ou un camion imprimé…"

(1) Filles-garçons, socialisation différenciée?, sous la direction d'Anne Dafflon Novelle, préface de Micheline Calmy-Rey, col. Vie sociale, Presses universitaires de Grenoble 2006    >>> détail (pdf 328k)

20 juin 2006
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