2007

Pénurie de médecins et trop d’étudiants sur les bancs. Un paradoxe!

Pléthore ou pénurie de médecins? Trop ou pas assez d’étudiants en médecine? Le Conseil suisse de la science et de la technologie (CSST) a jeté fin octobre un pavé dans la mare. Dans un rapport, il pronostique une pénurie de médecins, en particulier de praticiens généralistes, et demande aux facultés de médecine de former 20% d’étudiants en plus. L’inverse de la pratique actuelle, qu’il s’agisse du moratoire sur l’ouverture de nouveaux cabinets –clause du besoin- ou de la sélection drastique des aspirants étudiants. Où est la réalité? Comment la Faculté de médecine de l’UNIGE apprécie-t-elle ce rapport? Les universités suisses ont jusqu’en avril 2008 pour donner leur avis. A l’UNIGE, on se dit plutôt serein.

«Nous avons anticipé les conclusions du rapport il y a 5 ou 6 ans», explique Jean-Louis Carpentier, doyen de la Faculté de médecine. Actuellement, 93 étudiants arrivent chaque année en fin de cursus universitaire et l’objectif avoué est de porter ce nombre à 100-120. Compte tenu d’une déperdition en cours de formation, l’institution devrait, pour y parvenir, augmenter ses effectifs en amont.

Augmenter les effectifs en amont…
Si Genève, à l’instar de Lausanne et Neuchâtel, ne pratique pas le numerus clausus appliqué ailleurs en Suisse, les examens de fin de première année réduisent le nombre d’étudiants de manière significative. En 2007, 380 étudiants, dont 250 nouveaux inscrits, usaient les bancs de 1e année. En 2e année, ils n’étaient plus que… 120. «C’est la capacité que nous pouvons actuellement absorber», explique le doyen. Mais pour répondre aux recommandations du CSST, et augmenter le nombre de diplômés, «nous allons essayer de porter ce nombre à 140», explique M. Carpentier.

…et en aval

Un tel effort ne découle pas d’une décision purement administrative. Les étudiants doivent être encadrés de manière adéquate, ce qui, avec l’introduction du système d’apprentissage par problèmes, en petits groupes, exige davantage de moyens. – et donc une volonté politique. «En outre, notre capacité de formation dépend également de la capacité d’absorption - en terme de formation - des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG)», relève Jean-Louis Carpentier.
Une fois leur diplôme de médecine en poche, les étudiants poursuivent en effet leur formation dans un établissement hospitalier. L’augmentation des effectifs dépend dès lors d’une chaîne de «production» à considérer globalement. A savoir jusqu’à leur départ de l’institution et leur installation dans le privé.

Goulet d’étranglement

Or c’est à la sortie que le robinet est bouché. Une clause du besoin, qui interdit l’ouverture de nouveaux cabinets médicaux si le marché ne le justifie guère, a été instaurée il y a 5 ans par la Confédération au motif que l’offre conditionne la demande en prestations et fait grimper d’autant les coûts de la santé.
Conséquence de cette mesure: la majorité des diplômés ont préféré rester à l’hôpital, malgré des conditions de travail difficiles (horaires astreignants, gardes de nuit et de week-end, contrats annuels), et ils s’y sont spécialisés. Prise individuellement, la solution est évidemment préférable au chômage. Mais sur le plan du système de santé, la victime première de cette sur-spécialisation de la profession est la médecine de premier recours, dite médecine générale.

Médecin de famille en perdition

A ce titre, la situation est alarmante, prévient le CSST dans son étude, qui pronostique une pénurie de médecins de famille. Si aujourd’hui 20% des médecins suisses sont des généralistes, seuls 10% des étudiants aspirent à le devenir. A l’UNIGE, en 2004, 6% seulement des 6e année s’apprêtaient à s’orienter vers la médecine de premier recours, confirme Charles Bader, vice-doyen de la Faculté de médecine, qui s’appuie sur un rapport de l’Unité de développement et de recherche en éducation médicale (UDREM).

Question de valorisation

La clause du besoin n’est pas seule en cause dans cette défection. La médecine de premier recours a longtemps été le parent pauvre de la formation pré- et post-graduée. Et le système de tarification Tarmed, introduit début 2004, a davantage réduit - contrairement aux attentes – la spécialité la moins bien rémunérée de la profession.  
«La médecine est devenue si complexe et pointue qu’on a peut-être envie de se spécialiser pour connaître à fond un aspect de la science», avance, en guise d’explication, la Dre Agnès Harding, psychiatre récemment installée. «Ce que j’aime le plus dans mon métier, ajoute-t-elle, c’est la relation thérapeutique. Une grande partie du traitement réside dans ce que le médecin suggère au patient. Or, à mon époque, les études ne mettaient peut-être pas suffisamment l’accent sur l’empathie, la capacité de se mettre en relation.» Un aspect essentiel du médecin de famille.

Susciter des vocations

«Nous devons susciter des vocations», convient Jean-Louis Carpentier, pour qui une revalorisation et une amélioration de la formation est essentielle. Comment? «Un médecin de premier recours doit avoir une formation dans différents domaines -  ORL, pédiatrie, chirurgie de base, gynécologie, etc.», explique-t-il. Au niveau pré- et post-gradué, l’accent est désormais mis sur le renforcement de ces compétences.

Le cursus «médecine générale», proposé au sein de la Faculté de médecine a été étoffé. Jusqu’ici, la chirurgie avait toutes les faveurs et  les aspirants médecins voulaient tous devenir «internes» - des métiers typiquement hospitaliers. «Une aberration, à l’heure où la politique de santé veut favoriser l’ambulatoire et diminuer le nombre de lits», commente le Dr Yves Jackson, chef de clinique au Département de médecine communautaire et de premier recours des HUG.

L’institution travaille avec l’UNIGE à redéfinir le rôle du médecin généraliste et à former les jeunes diplômés en conséquence, avec des moyens supplémentaires.

«Integrated and managed care»

L’approche se veut globale, axée sur un système en réseau. Elle vise une maîtrise des coûts basée sur des critères de soins, et non pas économiques. Un concept en vertu duquel les médecins généralistes, extrêmement  compétents, se situent au centre du système et sont à même de résoudre 80% des problèmes des patients. Le cas échéant, ils les orientent vers le meilleur traitement ou examen.

Constitués en réseau, les médecins négocient avec les assureurs des tarifs préférentiels pour l’assurance de base. Leur argument: éviter le «shopping» et la multiplication d’examens non-indiqués et coûteux par des particuliers en quête de soins, et souvent d’écoute, tout en assurant une meilleure prise en charge des patients. Davantage en prise avec les besoins de la société, cette redéfinition du système par les professionnels de la santé contribuerait à redonner une logique au système de santé suisse, fortement soumis aux diktats des assureurs.

Après la clause du besoin, aux effets pervers et contreproductifs (voir également ci-dessous), la menace de la fin de l’obligation de contracter est brandie. Une mesure donnant le pouvoir aux caisses-maladie de ne plus rembourser les médecins qui ne leur conviennent pas. Car trop chers. Les besoins des patients passeraient au second plan.

Accès universel aux soins

Ce nouveau coup réduirait sans doute encore l’attrait pour une profession qui se complexifie. «Le vieillissement de la population exige une prise en charge plus lourde en terme de soins et certaines populations précarisées et marginales sont laissées de côté par le système de santé ordinaire», relève encore le Dr Yves Jackson, qui milite pour une politique fondée sur un accès universel aux soins.
Le rôle du médecin de famille, dépoussiéré de ses vieux habits, serait-il en passe de devenir le métier de l’avenir?

Pallier la pénurie en périphérie

Le rapport du CSST s’alarme également de la pénurie déjà marquée des médecins dans les régions dite-périphériques. Pour Jean-Louis Carpentier, une meilleure répartition ville-campagne des médecins praticiens nécessiterait l'adoption de mesures incitatives, notamment financières.

Premier obstacle à l'installation en campagne ou en montagne? Aujourd’hui, à Genève, avec la clause du besoin, les médecins sortent des HUG vers 35-40 ans, contre 30-31 ans auparavant. Ils ont fait leurs études en ville, ont construit une famille, et leur conjoint-e travaille généralement. Difficile de s’installer ailleurs. Outre supprimer ce goulet d’étranglement, «peut-être faudrait-il favoriser la mobilité durant les études, et davantage intégrer au cursus les hôpitaux périphériques», avance Guillaume Haarman, co-président de l’Association des étudiants en médecine de Genève, en 5e année, interrogé sur le vif.

Autre frein: être médecin de premier recours dans un village signifie être de garde 24h/24. Les médecins, à l’instar du reste de la population, aspirent à travailler dans des conditions décentes, voire à temps partiel. Ils craignent également de se retrouver seuls. La formule des groupes médicaux serait dès lors incitative. Autre mesure possible, qui renforcerait la précédente: les autorités d’une région sinistrée, si elles souhaitent offrir une forme de «service minimum» à sa population, devraient subventionner des moyens techniques, tels que des instruments de radiologie ou d’échographie.

Pour en savoir plus:
> Communiqué de presse du CSST (29 oct. 2007)
> Rapport du CSST: "Démographie médicale et réforme de la formation professionnelle des médecins", septembre 2007
> La Suisse ne forme pas assez de médecins (swissinfo, 29.10.07)(swissinfo, 29 oct. 2007)

7 décembre 2007
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