2007

Exoterre Gliese 581c - pourquoi un tel engouement médiatique?

Médias: lorsque la science-fiction dépasse la science

A peine communiquée aux rédactions, la nouvelle de la découverte d’une planète hors de notre système solaire aux caractéristiques proches de celles de la Terre s’est répandue comme une traînée de poudre. Pas un journal, pas une revue – y compris Playboy! – n’a omis d’en faire écho. Blogs, sites Internet, chacun y est allé de son imagination et de ses fantasmes… Même les annonceurs s’y sont mis: «Pour tous ceux qui ne veulent pas parcourir 240 trillions de kilomètres» un grand supermarché suisse propose à ses clients d’investir dans «la seule Terre que nous avons». Une façon originale de vendre ses produits labellés bio et, surtout, de rebondir sur l’actualité. Mais pourquoi un tel engouement médiatique? Qu’est-ce qu’une telle découverte suscite chez le commun des mortels?

«En premier lieu, une planète est un objet tangible, concret», avance Jean-Claude Pont, professeur honoraire et ancien directeur de la chaire d’histoire et philosophie des sciences de l’UNIGE. Autrement dit, le langage des astronomes entre en résonance avec un objet connu du grand public.

Qui en effet s’est ému, en dehors des scientifiques, de la véritable révolution intervenue ces dernières décennies dans la connaissance qu’ont les astronomes de l’Univers avec les travaux sur la nucléosynthèse (qui étudie la manière dont l’Univers a synthétisé les éléments chimiques qui composent l’être humain)? Quasiment personne. Trop abstrait pour le plus grand nombre.

Starwars, le retour...
Deuxième élément d’explication: la science-fiction, poursuit Jean-Claude Pont. 2001 l’Odyssée de l’Espace, Rencontres du 3e type, et autres Starwars n’ont cessé d’alimenter dans l’imaginaire collectif les mythes liés à une existence extra-terrestre, aux voyages dans l’Univers, etc. Sans parler des mouvements apocalyptiques ou sectaires faisant leur pain sur une certaine vision de l’Univers.

Bref, la découverte par une équipe internationale d’astronomes – dont l’équipe menée par le prof. Michel Mayor à l’UNIGE - d’une planète extrasolaire orbitant autour d'une étoile autre que notre Soleil (définition de l’exoplanète) est venue faire écho à cette croyance populaire qu’une sœur de notre Planète bleue sera un jour «habitable». Voire qu’il existe quelque part dans l’Univers des petits hommes verts.

Un long, trop long voyage
Mais revenons sur Terre! Oui, le chemin parcouru est énorme. Et tout scientifique réalise l’exploit, l’arsenal technique nécessaire à la découverte de cette exoplanète, insiste Jean-Claude Pont, qui dirige aujourd’hui l’Observatoire de Saint-Luc, en Valais. En outre, poursuit-il, au-delà de l’exploit technique, ce qui n’était il y a peu que spéculation, à savoir la question d’une forme de vie possible dans l’Univers, est devenu en 1995, avec la découverte de la première exoplanète, un véritable problème scientifique.

Un pas de plus vient d’être franchi avec la découverte de Gliese 581c. Si les premières exoplanètes, difformes, énormes, éloignaient toute perspective de vie à leur surface, celle-ci nous en rapproche. Et permet de poser le problème de la vie dans l’Univers de façon positive: on peut aujourd’hui songer à observer scientifiquement les conditions physico-chimiques qui règnent sur cette planète.

De là à s’y rendre… Gliese 581c se trouve à 20 années-lumière de la Terre. Considérant une vitesse de déplacement de 100 000 km/h, le voyage simple course prendrait 200 000 ans. Et Jean-Claude Pont de plaisanter sur le «romantisme» des commanditaires de la sonde Voyager, truffée de messages alors qu’elle ne rencontrera sa cible que dans 40 000 ans.

Mais, au fait, cette fascination pour les choses d’en haut existait-elle déjà chez les Grecs? Après quoi courent les astronomes? Sont-ils des Christophe Colomb modernes, mus par le désir de conquérir de nouvelles terres, de nouvelles richesses? Pour l'historien des sciences, qui rappelle que les grandes découvertes ont souvent mis du temps à déboucher sur des applications concrètes, c'est la curiosité, le désir de connaître, de comprendre qui guident les chercheurs.

Quant aux choses d’en haut, les scientifiques n’ont guère commencé à s’y intéresser avant que Galilée ait eu l’idée de tourner sa lunette vers le ciel. Ce qu’il y vit invalida définitivement la théorie aristotelicienne des deux mondes: le monde des sphères, jusqu'ici supposé parfait, immuable, donc inintéressant pour les scientifiques, ressemblait au nôtre à s’y méprendre (montagnes sur la Lune, tâches solaires, etc.). C'est ainsi que notre Terre – le monde sublunaire – imparfaite, lieu du changement et de la mort, constituée des quatre éléments (eau, air, terre, feu), rejoignit le monde des sphères pour ne former qu’un univers, observable. «Cette découverte a marqué la réunion des deux physiques, elle fut une véritable révolution conceptuelle», explique Jean-Claude Pont.

Depuis, les physiciens braquent leurs télescopes vers le ciel. Quant au grand public, il reste fasciné par ce monde mystérieux, encore largement méconnu.

Une notoriété payante en …nuits de télescope!

En dehors du temps considérable passé à répondre aux sollicitations des journalistes, la recherche ne gagne pas grand-chose à court terme d’une médiatisation populaire. Mais s’il s’en tient à ce qu’il a vécu après avoir découvert la première exoplanète, 51 Pegase b, il y a 12 ans, le prof. Michel Mayor, découvreur avec son équipe de Gliese 581c, sait qu’à moyen et long terme, l’impact peut être énorme, et pas seulement en financement pur de la recherche.

«A l’époque, mon équipe se résumait à un doctorant et moi. Aujourd’hui nous sommes douze. Surtout, le nombre de chercheurs dans ce domaine de l’astronomie a explosé sur le plan international.» Avec, en corollaire, une avalanche de planètes découvertes, toutes différentes, et, à terme, une meilleure compréhension des mécanismes de formation des systèmes planétaires, donc du système solaire.» Autrement dit, un pan entier de la recherche s’est développé depuis.

La notoriété se traduit évidemment par diverses collaborations, induisant davantage de moyens, de postes, le développement et l’amélioration des instruments d’observation. Mais c’est surtout en termes de «nuits de télescope» que les astronomes courent. «Les mesures nécessaires à la recherche de planètes exigent beaucoup de temps d’observation», explique Michel Mayor. La concurrence est rude. Les comités scientifiques des observatoires astronomiques évaluent la pertinence des dossiers soumis par les équipes de recherche et, partant, décident de leur attribuer - ou non – des minutes de télescope. Un élément fondamental et incontournable de la recherche astronomique.

«La construction, il y a quatre ans, à l’Observatoire européen situé au Chili, du spectrographe qui a permis la découverte de Gliese 581c, nous a été payée non pas en argent, mais en temps de télescope par l’European Southern Observatory», relève Michel Mayor. Qui ajoute:«500 nuits de télescope sur 5 ans; vous vous rendez compte?!»

En savoir plus:
> "Les conditions pour qu'une planète soit habitable sont extrêmement complexes"
Analyse du prof. André Maeder, astrophysicien, parue dans Le Temps du 7 juin 2007
> "On rêve d'exo-Terres mais pourquoi l'exohomme serait-il un ami"
Analyse de Bertrand Kiefer, membre de la Commission nationale d'éthique pour
la médecine humaine, parue dans Le Temps du 1er juin 2007
> Communiqué de presse de l'UNIGE (avril 2007)

12 juin 2007
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