2007

Interview de Pierre Willa, chef du Service des relations internationales de l'UNIGE

Si l’Université entend préparer les étudiants à un monde globalisé, elle ne peut vivre en vase clos

Une image à cultiver. Si l’Université de Genève est forcément associée, à l’étranger, au statut de ville internationale que lui confère la cité de Calvin, ses alter ego helvétiques lui livrent une concurrence accrue sur le terrain académique mondial. A la tête du Service des relations internationales de l’UNIGE depuis le 2 avril 2007, Pierre Willa relève l’importance pour l’institution de développer son ouverture au monde. Docteur en sciences politiques de l’UNIGE, Pierre Willa a entamé une carrière diplomatique au Département fédéral des affaires étrangères à Berne et a été en poste à la mission permanente de la Suisse auprès de l’ONU à New York. Rencontre.

Quelle est votre mission? Qu’attend de vous le rectorat?
Le Service des relations internationales de l’UNIGE est supposé soutenir et développer l’internationalisation de l’Université de Genève. En d’autres termes, la faire connaître de par le monde par le biais d’accords institutionnels, de collaborations internationales ou via les réseaux de recteurs et, bien sûr, en encourageant la mobilité. La confrontation des idées, des recherches, des types d’enseignement est vitale pour une institution académique. Si l’Université entend préparer les étudiants à un monde globalisé, elle ne peut vivre en vase clos.

Quels sont les grands axes que vous souhaitez développer?
Jusqu’à présent, le Service des relations internationales a surtout travaillé sur le volet mobilité. Il était d’ailleurs un peu perçu comme un «Super Erasmus». Si aujourd’hui nous devons encore améliorer la mobilité de nos étudiants - actuellement, l’UNIGE reçoit le double d’étudiants étrangers qu’elle n’en envoie -, il nous faut également travailler à promouvoir l’institution à l’étranger. Notre objectif étant de valoriser nos maîtrises universitaires et la qualité de l’enseignement et des recherches à Genève.
A cet effet, nous souhaiterions donner plus de cohérence et de poids aux différents types d’accords institutionnels passés entre la maison et certaines institutions étrangères. Sans parler d’anarchie, les accords sont souvent passés au gré de rencontres entre professeurs, et ne leur survivent pas toujours. La visibilité et l’image de l’UNIGE dans le paysage universitaire international en pâtissent. Le service des RI devrait participer à faire vivre ces collaborations sur le long terme. Cela nécessitera des choix de la part de l’institution quant à l’opportunité de conclure, avec une certaine université, un accord institutionnel. Mais une fois ce choix opéré, le service souhaite, par son soutien, stimuler la mobilité des collaborateurs et la coopération scientifique. Un gain en qualité, en quelque sorte.

Comment évaluerez-vous les bonnes/mauvaises institutions?
Quel que soit le type de partenaire (pays industrialisé ou pays du Sud), un accord institutionnel ne peut aboutir et perdurer que si l’échange profite, d’une manière ou d’une autre, aux deux institutions. Il s’agit ici de savoir rester ouvert, mais clair sur les objectifs. Pour y arriver, nous devrons travailler à réunir et «digérer» l’information disponible via nos professeurs, nos délégués aux relations internationales, les attachés scientifiques en poste à l’étranger ou même les services des RI d’autres écoles helvétiques. A terme, nous pourrions, comme cela se fait dans d’autres institutions académiques, servir de centre de compétences et de connaissances au service des facultés, des professeurs et des étudiants désireux de collaborer ou de partir à l’étranger.

Quelle est l’influence de la politique migratoire de la Suisse sur les relations internationales de l’UNIGE?
Enorme! Pour les pays extra-européens, les conditions d’obtention d’un visa rendent l’accueil de leurs ressortissants de plus en plus compliqué: il faut justifier d’un certain revenu, etc. En outre, les personnes qui parviennent à venir se former ici doivent quitter notre territoire dès leur diplôme ou doctorat en poche. Financièrement et scientifiquement, c’est une perte sèche pour la Suisse.

C’est pourtant une manière de lutter contre la fuite des cerveaux…
Il est naïf de penser que toutes ces personnes vont rentrer développer leur pays. Une fois formées, la majeure partie travaille en Europe, aux Etats-Unis ou au Canada. Elles ont des compétences à vendre. Et lorsqu’elles y parviennent, elles envoient de l’argent à leur famille, ce qui constitue en soi une énorme source de développement.

Que préconiseriez-vous pour éviter, comme vous dites, cette perte sèche?
Tout d’abord, nous devons cultiver le lien avec notre pays et notre institution. La concurrence entre les universités pour recruter des étudiants étrangers est grande, l’accueil est excellent, mais rien n’est aménagé pour la suite. Des mesures toutes simples existent. On peut imaginer une association des «anciens étudiants internationaux» de l’UNIGE, comme cela se fait aux Etats-Unis… Vous savez, soigner ses relations peut s’avérer avantageux: un scientifique indien formé en Suisse sur un certain type de machine voudra utiliser le même instrument à son retour au pays. Les exemples ne manquent pas.
Une autre mesure, plus politique, serait de prévoir une possibilité pour les personnes formées dans notre pays de travailler quelques mois en Suisse. Aux Etats-Unis, les diplômés obtiennent un permis de travail de 3 à 6 mois pour lancer un projet. Si celui-ci est reçu, elles se voient attribuer une «Green Card» valable 3 ans pour le réaliser, avec possibilité de prolonger leur autorisation de séjour si le projet s’avère performant. Bref, c’est une voie que la Suisse devrait explorer. Nos parlementaires fédéraux pourraient mettre ce point à l’ordre du jour.

En savoir plus:

> "Permis B étudiant: pas tous égaux", paru dans Cont@ct en avril 2007

> "Les milieux scientifiques redoutent les restrictions de séjour pour les chercheurs", paru dans Le Temps le 8 sept. 2007

21 septembre 2007
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