1er septembre 2021 - Jacques Erard

 

Événements

Comment circulent les images
à l'heure du numérique

Un colloque international en ligne, du 13 au 15 septembre, interroge les phénomènes de contagions visuelles entre les médias dans la production numérique. Explications avec Béatrice Joyeux-Prunel, professeure à la Faculté des lettres.

 

Professeure à la Faculté des lettres, titulaire de la chaire des Humanités numériques, Béatrice Joyeux-Prunel s’intéresse à la mondialisation par l’image. Après deux décennies consacrées à la mondialisation artistique, l’historienne de l’art a pris à l’UNIGE un nouveau tournant. Son projet pluridisciplinaire Visual Contagions, financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, étudie le phénomène de circulation d’images, quels que soient les supports, d’un point de vue historique.

Ce projet se concentre sur les supports imprimés, de la fin du XIXe siècle à l’arrivée d’internet dans les années 1990. La professeure Joyeux-Prunel n’a cependant pas résisté à la tentation de pousser l’investigation au-delà: «On observe à certaines époques des phénomènes d’accélération dans la circulation des images. C’est naturellement le cas avec l’apparition des imprimés et le développement de techniques particulières d’impression, puis avec l’avènement des magazines illustrés comme Time, Life, Paris-Match, Der Spiegel, etc. Internet et les nouveaux médias électroniques marquent indéniablement une étape encore plus aiguë dans ce processus. Il m’a semblé indispensable d’explorer ce terrain, quitte à déborder du cadre initial du projet.»

 

De cette envie est née l’idée d’un colloque international, qui se déroulera en ligne du 13 au 15 septembre, dédié à la circulation des images entre les médias dans la production numérique. « Les images ne circulent pas uniquement de peinture à peinture, de magazine illustré à magazine illustré ou de photos à photos, observe Béatrice Joyeux-Prunel. Ce phénomène de contagion a également lieu entre la télévision, le cinéma, les livres illustrés, la photo et, aujourd’hui, entre les plateformes internet et les jeux vidéo ainsi que d’autres supports électroniques. »

Les participants au colloque chercheront à comprendre la dynamique sous-jacente à cette contagion: les images circulent-elles plus vite d’un médium à l’autre, ou moins bien au contraire, en raison de barrières techniques entre les supports? Le fait qu’une image passe dans un autre médium augmente-t-elle son succès, en accélérant sa circulation et en modifiant sa réception?

Un accent particulier sera porté sur la culture visuelle des jeux vidéo, en cherchant à identifier quelles images on y trouve, si certains registres visuels en sont absents ou incompatibles dans un même jeu. De prime abord, il s’agit d’un univers caractérisé par le manque, volontairement insuffisant et frustrant: «le monde visuel du jeu vidéo est souvent moins riche, ou moins varié, que des univers plus réalistes dans lesquels nous plongent le cinéma et la publicité, commente la chercheuse. Dans cet autre monde, il faut se battre pour quelque chose et il est probable que le manque visuel entretienne l’ambiance nécessaire pour qu’une quête soit plus stimulante. C’est essentiellement un monde de garçons, même si de gros efforts sont déployés pour capter les filles. J’aimerais bien comprendre par ce biais si la circulation intermédiale des images obéit à des logiques de genre.»

 

Les idées du présent pour comprendre le passé

L'intérêt pour le jeu vidéo, étonnant chez quelqu’un qui n’y joue jamais, répond aussi à une curiosité socio-historique. « C’est un domaine, pour lequel l’intérêt des chercheurs et (rares) chercheuses est très nouveau. Des littéraires, des spécialistes des études médiales, d’histoire du cinéma et de l’art, des philosophes et même des créateurs s’y croisent, et les universités commencent à dédier des postes au jeu vidéo. Aussi les méthodes se mêlent, sans que s’imposent encore une tendance plutôt qu’une autre; ce qui est une grande richesse. Pour ma part, c’est un champ que je maîtrise peu, je vais donc surtout être à l’écoute de ce qui se dit. En tant qu’historienne, c’est aussi une démarche captivante car la confrontation avec les idées du présent permet d’interroger et de comprendre différemment le passé.»

Pour rendre cette confrontation la plus vivante possible, une douzaine de jeunes artistes dans le domaine des jeux vidéo – dont plusieurs femmes – ont été sollicité.e.s, en partenariat avec plusieurs écoles voisines (HEAD Genève, ECAL Lausanne, ZHdK Zurich, Beaux-Arts de Paris et ENSAD Paris. Ils et elles viendront chacun-e présenter une création de 5 minutes durant les «pauses artistiques» qui ponctueront les discussions. Trois de ces créateurs/trices seront sélectionné-es pour une exposition dédiée à la circulation des images dans l’espace numérique, prévue au Jeu de paume à Paris le printemps prochain et pour laquelle Béatrice Joyeux-Prunel officie en tant que commissaire.

Le déluge des images

La démultiplication du nombre d’images en circulation depuis l’arrivée d’internet a-t-elle changé le statut de l’image? Béatrice Joyeux-Prunel a consacré depuis son arrivée à l’UNIiGE fin 2019 trois semestres de séminaire à cette question du «déluge des images», en commençant par demander à ses étudiant-es combien de clichés contenait leur téléphone. «Très souvent elles et ils ne savaent pas, et ils sont étonné-es de s’apercevoir que leurs téléphones peuvent contenir jusqu’à plus de dix mille images.» Comment gérer cette masse, l’organiser, la classer? Si les historien-nes de l’art se sont peu intéressé jusqu’ici à ce phénomène, il y a certainement là de quoi analyser, mais c’est un travail qui reste à faire. Quel est l’impact culturel de ce déluge? Il se démarque en tous cas nettement des images iconiques – des photographies notamment– qui ont marqué des moments charnières du cours des événements historiques, tel le fameux cliché de Nick Ut montrant une fille nue fuyant un massacre durant la guerre du Vietnam, ou le portrait de Marylin Monroe. «Les images sur les réseaux circulent vite et sont éphémères. Du coup, les images iconiques du passé le deviennent peut-être encore davantage, la surcharge visuelle donnant encore plus d’impact aux images qui ne bougent pas», estime la chercheuse.

 

Visual Contagions through the Lens of New Media
Événement en ligne

Du 13 au 15 septembre 2021


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