14 juin 2022 - Anton Vos

 

Événements

Journées suisses d’histoire: «une occasion de prendre le pouls de la discipline»

Le 6e congrès des historien-nes de Suisse se tient à Genève à la fin du mois. Ouvert au grand public, il devrait attirer près de 1000 personnes autour du thème de la «nature».

 

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Image: Bibliothèque de Genève

Du 29 juin au 1er juillet se tiendront à Uni Mail les Sixièmes Journées suisses d’histoire. Accessible au grand public moyennant une modeste contribution (10 francs par événement, 120 francs pour l’ensemble de la manifestation et gratuit pour les membres de la Société suisse d’histoire), ce congrès rassemble une fois tous les trois ans tous les historiens et historiennes professionnel-les du pays. Pour sa sixième édition, il est organisé à l’UNIGE et aura pour thème la nature. Au programme: une centaine de panels, tables rondes, exposés et conférences plénières. Explications avec la présidente de l’événement, Irène Herrmann, professeure au Département d’histoire générale (Faculté des lettres), et son coordinateur Marc Aberle, docteur de l’Université de Neuchâtel.

 

LeJournal: Que sont les Journées suisses d’histoire et à quoi servent-elles?
Irène Herrmann: Cet événement a été créé en 2007 par la Société suisse d’histoire, à l’image des réunions d’historien-nes qui existent depuis longtemps dans d’autres pays. Les Journées suisses d’histoire (JSH) permettent à la corporation des historiens et historiennes suisses, qui est assez grande, de se rencontrer, d’échanger et de prendre la mesure de ce qui se fait dans la profession. Il s’agit en quelque sorte de prendre le pouls de l’histoire en Suisse. À la différence du Festival Histoire et Cité, qui est une manifestation genevoise essentiellement destinée au grand public, les JSH ont une ampleur nationale et sont conçues pour réunir les professionnel-les, tout en restant ouvertes au public. Entre les nombreux événements comme les tables rondes et les panels qui permettent de présenter les travaux de chacun-e, nous avons également pris soin d’organiser des plages de repos de manière à favoriser les rencontres informelles dont on sait qu’elles représentent un des éléments les plus appréciés de la manifestation et qui peuvent donner naissance à des collaborations ou des synergies nouvelles. Les JSH jouent aussi un rôle important pour la relève, qui peut y trouver une occasion de se faire connaître. La plupart des intervenant-es prévu-es dans le programme en font d’ailleurs partie.

Les JSH rencontrent-elles du succès?
Marc Aberle: Le succès est considérable et il ne se dément pas d’une édition à l’autre. Cette année, environ 350 personnes participent activement en tant que responsables ou intervenant-es dans des panels, des exposés ou des tables rondes. À cela s’ajoutent le public et d’autres historien-nes venu-es écouter et rencontrer leurs collègues. Cette sixième édition des JSH devrait permettre de réunir entre 700 et 1000 personnes en tout durant ces trois journées.

Le thème choisi cette année est la nature. N’est-il pas trop vaste?
I.H.: Nous avons choisi à dessein un thème très large dans lequel tout le monde peut se retrouver. Notre discipline est très généraliste et notre objectif est d’inclure le plus d’historiens et d’historiennes possible, pas d’en exclure. Nous ne voulions pas d’un colloque spécialisé.

M.A.: Le thème de la nature est d’ailleurs pris dans un sens global. Les participants et participantes évoqueront le rapport de l’homme à la nature, la nature des relations humaines ou encore la climatologie, l’environnement ou la pollution. À côté de ceux qui traiteront de la nature au sens classique, comme la protection contre les risques naturels ou la sauvegarde des ressources naturelles, un des panels a par exemple choisi une approche plus métaphorique et se penchera sur la nature du corps, évoquant notamment la fameuse thèse de l’historien allemand Ernst Kantorowicz (1895-1963) à propos des deux corps du roi dans la monarchie française. Le premier corps physique de l’homme qui incarne la royauté à un moment donné et le corps métaphysique de la monarchie qui assure une continuité entre les monarques à travers la cérémonie du sacre. Une table ronde permettra également de rappeler la figure du Léviathan, une métaphore de l’État imaginée par le philosophe anglais Thomas Hobbes (1588-1679), comme une sorte de grand mastodonte naturel.

Vous-même, Irène Herrmann, vous participez à un débat autour du «caractère naturel de la solidarité»…
I.H.: Il se trouve que je dirige actuellement un projet sur l’histoire de la solidarité. En même temps, certains biologistes se demandent si la solidarité fait partie des dispositions naturelles d’espèces animales spécifiques. Cette notion, qui se déploie dans les contextes les plus divers, de la sphère de la morale aux luttes politico-idéologiques, représente ainsi l’occasion d’un questionnement historique sur le caractère naturel ou non des relations entre les individus et la société.

L’homme a toujours tenté de dominer, contrôler, classer ou encore maîtriser la nature qui l’entoure. Est-ce que ces thèmes seront également abordés durant les JSH?
M.A.: Il sera notamment question de botanique ou des savoirs pré-linnéens, que ce soit au travers de médecins-botanistes ou de la figure du savant suisse Albrecht von Haller (1708-1777). Un panel sur le naturaliste allemand Alexander von Humboldt (1769-1859) sera également organisé. Ce personnage semble en effet susciter une grande curiosité au sein de l’espace germanophone, puisqu’il est parfois considéré comme précurseur d’une espèce de conscience écologique. Par ailleurs, de nombreux panels traiteront de l’opposition persistante entre la nature et la culture, selon une thèse développée par l’anthropologue français Philippe Descola qui veut que dans la pensée occidentale on ait tendance à séparer les cultures humaines de la nature. Cette dichotomie sera au moins discutée, voire mise à l’épreuve durant les JSH. Cette volonté de déconstruire de tels concepts participe du fait que c’est l’être humain qui a construit la notion de nature alors qu’il en fait lui-même partie. Il cherche ainsi à la maîtriser tout en ayant conscience de vivre dedans et entretient par conséquent une relation extrêmement paradoxale vis-à-vis de son environnement. Cela intrigue beaucoup d’historiens et d’historiennes qui s’intéressent fortement à ce concept plastique de nature.

Est-ce que la pandémie de Covid-19 – une manifestation de la nature – a influencé le choix du thème?
I.H.: Notre choix a été effectué avant la crise sanitaire. Mais il est remarquable de noter que ce que la nature nous a fait subir à cette occasion a des répercussions dans notre façon d’aborder la nature. La pandémie a modifié la manière d’appréhender certaines problématiques. Je l’observe partout, et notamment dans les mémoires de maîtrise universitaire qui me sont remis. D’un côté, les problèmes d’accès aux archives ont favorisé la réflexion théorique. De l’autre, nos expériences en tant qu’historiens et historiennes de différentes situations qui restaient jusque-là très abstraites sont subitement devenues concrètes. Comment l’être humain réagit-il face à une crise? Quels sont les espaces de liberté qu’on arrive à se créer dans une situation contrainte? Le confinement nous en a donné un aperçu réel. Et cette nouvelle perspective apparaît déjà dans la recherche. Les historien-nes modifient leur manière de parler des crises historiques car ils/elles ont compris – ou intégré – l’idée que l’on peut les traverser sans être forcément totalement détruits – une réalité qui pouvait nous échapper tant qu’on était épargné-es.

Les JSH comptent deux conférences plénières. Qui les donnera?
I.H.: La conférence d’ouverture sera donnée par François Walter, professeur honoraire à la Faculté des lettres. Il a récemment pris sa retraite et il est l’un des premiers en Suisse à avoir développé l’histoire de l’environnement. Il a notamment écrit il y a quelques années un livre sur l’hiver et en prépare un autre sur le printemps. La sortie de ce dernier devrait coïncider avec sa conférence plénière dont le titre est, justement, un Printemps pour l’histoire.

M.A.: La conférence plénière de clôture sera, quant à elle, donnée par l’historienne et géologue Naomi Oreskes, professeure à l’Université d’Harvard (États-Unis) et auteure du best-seller mondial Merchants of Doubt (2010) qui a été adapté sous forme de documentaire en 2014. Elle évoquera le passage d’une politique économique aux États-Unis dans laquelle l’État soutient et dirige l’économie à une autre, caractérisée, dès la fin des années 1970, par un laisser-faire total qui a généré une sorte de «fabrique de l’ignorance» et qui a surtout produit une flambée de climato-scepticisme dont on paye encore le prix aujourd’hui.

Sixièmes Journées suisses d'histoire

Congrès

Du 29 juin au 1er juillet 2022 | Université de Genève
Uni Mail, Bd du Pont-d'Arve 40, 1205 Genève


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