1er décembre 2022 - Alexandra Charvet

 

Analyse

«Le VIH ne doit pas être invisible»

Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre est également l’occasion d'apporter un soutien aux personnes vivant avec le VIH/sida, toujours victimes de discriminations.

 

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La séropositivité a longtemps été synonyme de mort. Grâce aux trithérapies, cette issue n’est plus une fatalité. Mais la guérison n’est toujours pas possible et les traitements doivent se prendre à vie, prévient Alexandra Calmy, professeure au Département de médecine, vice-doyenne de la Faculté et responsable de la consultation VIH aux HUG.


LeJournal: Pourquoi est-il encore nécessaire de parler du VIH en 2022?
Alexandra Calmy
: Parce qu’il y a encore beaucoup de personnes qui vivent avec le VIH en 2022, que ce soit à Genève, en Suisse ou dans le monde. S’il est vrai qu’une baisse du nombre des nouveaux diagnostics est observée en Suisse depuis quelques années (318 cas pour l’année 2021), on ne peut pas dire que la partie est gagnée. Certes, l’épidémie est sous contrôle, mais il n’existe pas de vaccin, ni de guérison. Toutes les personnes nouvellement diagnostiquées doivent être mises sous traitement, un traitement qu’elles ne pourront pas arrêter. Dans le contexte économique tendu qui prévaut actuellement, il y a une compétition pour les financements dans le domaine du VIH. Enfin, le 1er décembre n’est pas seulement une journée de dépistage, mais aussi une journée de solidarité avec toutes les personnes qui vivent avec le VIH et qui ont besoin de toute notre attention.


Y a-t-il eu des avancées dans la lutte contre cette maladie ces dernières années?
Oui, et deux d’entre elles sont marquantes. La première concerne la prophylaxie de préexposition (PrEP), soit la prise de médicaments pour prévenir une infection par le VIH. Il existe aujourd’hui des traitements préventifs qui ont une longue durée d’action: au lieu de prendre des comprimés tous les jours, une seule injection par mois ou tous les deux mois suffit. Même si ce n’est pas encore un vaccin, cela s’en approche. Malheureusement, ces produits ne sont pas encore disponibles en Suisse pour la prévention. Mais nous disposons tout de même d’excellents traitements préventifs, qui sont peu coûteux car disponibles en version générique, ces derniers n’étant pas remboursés par les assurances maladie.

 

Et la seconde?
Des médicaments ayant une longue durée d’action sont également disponibles pour le traitement chronique de la maladie. Depuis mars 2022, nous pouvons les offrir à certain-es de nos patient-es, à raison d’une injection tous les deux mois. C’est une avancée particulièrement intéressante, car prendre un comprimé tous les jours, c’est aussi penser au VIH tous les jours. En proposant ce type de soins, on améliore grandement la qualité de vie des patient-es, surtout quand on sait la lourde charge mentale qui est liée à la maladie, sans compter les discriminations quotidiennes, au travail par exemple ou dans l’accès aux assurances sociales.

 

Le développement d’un vaccin est-il toujours d’actualité?
C’est un défi majeur auquel nous sommes confrontés depuis près de quarante ans. On entend parfois que si le développement d’un vaccin contre le Covid-19 a été aussi rapide, c’est parce que énormément d’argent a été investi, contrairement à ce qui se serait passé avec le VIH. Mais il ne s’agit pas d’une question de priorité scientifique ou de moyens. Le problème, c’est que le virus du VIH a tenu en échec toutes les personnes travaillant dans l’immunologie vaccinale pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles son taux de mutation très important ou encore la présence de glucoprotéines de surface empêchant la reconnaissance des antigènes qui permettraient de développer un vaccin.

 

Reste-t-il d’autres défis à relever dans la lutte contre cette maladie?
C’est une épidémie mondiale pour laquelle il n’y a ni vaccin ni guérison. Il faut donc rester très vigilants à ce que l’ensemble du continuum des soins soit assuré, du dépistage à l’accès au traitement, en passant par la prévention et la solidarité avec les personnes malades. Et ce, partout dans le monde. Et, bien évidemment, il faut en assurer le financement. Une pandémie n’en chasse pas une autre, mais Onusida (le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida) a malheureusement constaté une diminution des financements disponibles dans son rapport d’août 2022.

 

Comment l’expérience des personnes vivant avec le VIH/sida est-elle prise en compte dans la lutte contre cette maladie?
Le VIH/sida a fait avancer la médecine et a transformé nos pratiques de bien des manières. L’une de ces évolutions est le développement de l’écoute et de la participation des communautés: les associations sont aujourd’hui impliquées à chaque étape des décisions en lien avec la lutte contre le VIH, que ce soit au sein de l’étude suisse de cohorte VIH, lors de la mise en place de nouveaux protocoles de recherche ou dans l’organisation des soins ou du circuit des médicaments. Et leurs prises de position ont bien souvent fait bouger les lignes.

 

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