Campus n°150

Sur les ondes de la psychose

3DO4bis.jpg

Des perturbations dans la communication entre les aires cérébrales ont pu être associées à la survenue de la schizophrénie. Détectables par électroencéphalogramme, elles permettent d’envisager un diagnostic précoce.

La communication entre les régions du cerveau, qui se manifeste par des oscillations électriques mesurables par électroencéphalogramme (EEG), est cruciale pour permettre au système nerveux central de traiter les signaux sensoriels et d’adopter une réponse comportementale appropriée. Les patientes et les patients atteints de schizophrénie présentent des dysfonctionnements dans ce système qui proviendraient d’une maturation anormale des circuits de neurones au cours du développement. Grâce à une étude réalisée dans le cadre du Pôle de recherche national Synapsy et parue le 3 mars dernier dans The American Journal of Psychiatry, Valentina Mancini, doctorante au Département de psychiatrie (Faculté de médecine), et ses collègues ont démontré pour la première fois que l’émergence de symptômes psychotiques, avant même l’apparition de troubles véritables de la schizophrénie, est déjà corrélée à la diminution de l’activation d’une catégorie d’oscillations cérébrales, à savoir les ondes gamma. Ces résultats permettent d’envisager un diagnostic très précoce de ces maladies.
Dans le cerveau des mammifères, l’activité électrique des neurones répond à des rythmes oscillatoires. L’activation coordonnée de ces différentes ondes régit par exemple le traitement des stimuli sensoriels ou la consolidation des souvenirs et permet au cerveau de fonctionner correctement. Il existe différentes catégories d’oscillations, définies selon leur gamme de fréquences. Celles dont le rythme est le plus élevé sont les ondes gamma dont on pense qu’elles assurent la précision et l’efficacité de la communication neuronale. Elles sont aussi soupçonnées, lorsqu’elles dysfonctionnent, de jouer un rôle déterminant dans l’apparition des symptômes de la schizophrénie. Le lien a été observé chez la souris. Encore fallait-il le confirmer chez l’être humain.
Pour ce faire, l’équipe genevoise s’est tournée vers une cohorte suivie à Genève depuis une vingtaine d’années et composée de personnes souffrant d’une « délétion 22q11 », c’est-à-dire de l’absence d’une petite séquence d’ADN sur le chromosome 22. Ces dernières ont la particularité d’avoir jusqu’à 35 % de risques de développer une schizophrénie à l’âge adulte. Elles constituent donc une population à risque particulièrement pertinente pour étudier le développement cérébral de cette maladie.
L’expérience a consisté à mesurer, chez 58 patientes et patients de tout âge, l’activation des ondes gamma en réponse à un stimulus auditif. Les personnes schizophrènes souffrent en effet souvent de capacités réduites dans le traitement des informations auditives. Quarante-huit personnes dépourvues de la délétion 22q11 ont servi de groupe contrôle.
Il en ressort qu’au sein de la « cohorte 22q11 », les enfants ainsi que les adolescentes et adolescents à fort risque génétique de troubles schizophrènes mais sans symptômes visibles présentent les mêmes schémas de perturbation des ondes gamma que les personnes souffrant effectivement de la maladie.
Chez les personnes sans prédisposition génétique à la schizophrénie, on observe une croissance linéaire des oscillations de la bande gamma, indiquant une maturation progressive de la communication entre les aires cérébrales lorsqu’elles grandissent. Une maturation qui est absente chez les patients et les patientes 22q11, quel que soit leur âge, ce qui suggère un développement anormal des circuits sous-tendant les oscillations neuronales durant l’adolescence.
L’équipe de recherche a également identifié une forte corrélation entre la perturbation des ondes gamma et la sévérité des symptômes psychotiques, tels que les hallucinations auditives, confirmant ainsi l’existence d’une progression neurobiologique de la maladie.
Selon les autrices et les auteurs, les résultats de cette recherche confirment que ce dysfonctionnement apparaît très tôt dans la vie. Ils ajoutent que les études sur des souris ont récemment montré que des traitements à base de neuroleptiques et d’antidépresseurs parviennent à remédier aux dysfonctions neuronales et, qu’en plus, les défauts des oscillations gamma pourraient être corrigés grâce à des techniques de neurostimulation non invasives des régions cérébrales concernées. Ce qui ouvrirait la voie à de nouvelles perspectives thérapeutiques pour traiter cette maladie.