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Rencontre avec Thomas Lilti

Rencontre avec Thomas Lilti, médecin et réalisateur de

Hippocrate et de Médecin de campagne

9 Février 2017, CMU, Genève

Les étudiants du cours à option “Médecins et scientifiques au cinéma” ont eu l’opportunité de rencontrer le médecin généraliste et réalisateur Thomas Lilti. Les étudiants, qui avaient préalablement visionné et discuté les deux films Hippocrate (2014) et Médecin de campagne (2016), ont préparé une série de questions portant aussi bien sur le parcours professionnel de Thomas Lilti que sur les aspects médicaux et les choix cinématographiques liés aux deux films.

Extraits choisis d’une rencontre riche, chaleureuse et stimulante.

 

“Je fais des films

comme un médecin

 

 

ETUDIANTS : Y a-t-il des points communs entre les deux métiers de médecin et de réalisateur ?

Th. LILTI : Si j'étais honnête, je dirais que je fais du cinéma parce que ça m'emmène très loin de la médecine. Néanmoins, les liens existent : réaliser des films et les mettre en scène, c'est un travail en équipe. La hiérarchie hospitalière n'est pas si différente de la hiérarchie d'un plateau de tournage. Il y a aussi un rapport à l'humain. Dans la médecine, c'est une évidence ; dans le cinéma, ce rapport se retrouve dans le fait de créer des personnages. Dans les films que je fais, il y a de l'amour pour les personnages que j'invente, quels qu'ils soient, même pour les petits rôles. Cela m'est d'ailleurs parfois reproché : je ferais un cinéma trop humaniste, où tout le monde serait bon. C'est parce que j'aime regarder les personnages par un prisme positif plutôt que par leurs travers. Je fais donc un cinéma où il y a peu de cynisme.

Par ailleurs, mon cinéma est profondément nourri par ma formation. De dix-sept ans à vingt-sept ans j'ai effectué des études de médecine qui m’absorbaient quasiment jour et nuit. Obligatoirement je fais des films ... comme un médecin. C'est le métier que j'ai appris. Quand on me demande quel est mon métier, je réponds “médecin”, pas “réalisateur” ou “cinéaste” ou “scénariste”.

ÉTUDIANTS : Vous avez choisi d’interrompre votre activité de médecin ; mais le cinéma constitue-t-il à vos yeux un prolongement de l’expérience médicale que vous avez acquise ?

Th. LILTI : Oui, c'est certain. Faire le deuil d'une formation pareille, d'un métier comme celui-là, c'est impossible. Depuis l’âge de dix-sept ans, on traverse toutes les épreuves : pas uniquement le concours de première année, mais l'apprentissage, la quantité du savoir, la première fois que l’on doit annoncer la mort d'un proche à une famille. Toutes ces choses qui sont extrêmement violentes, on les vit et on doit les surmonter très jeune. À trente ans, on ne peut pas juste se dire qu’elles sont définitivement derrière nous, qu’on passe à autre chose. Ce n’est pas aussi simple. Profondément j'aime ce métier de médecin. Faire des films, c'est un peu rendre à la médecine ce qu'elle m'a donné mais – c’est vrai – en me protégeant par la caméra.

“Médecin de campagne me permet tout de même de soigner un cancer

ÉTUDIANTS : Pourriez-vous nous parler de votre choix des happy ends dans Hippocrate et Médecin de campagne ? En fin de compte, les deux films auraient pu finir très différemment.

Th. LILTI : C'est un goût personnel. J'aime les histoires qui se terminent bien et j'essaie d’être honnête. J'agace beaucoup certains journalistes français qui ont horreur des happy ends. Ils trouvent toujours que mes films sont formidables jusqu'à quinze minutes de la fin. Certes, le happy end peut donner l’impression de la facilité. Pour ma part, j'ai envie que mes personnages aient de l'espoir, j'ai envie qu'ils aient un destin après la fin du film.

Dans Hippocrate, je ne veux pas que ce gamin [Benjamin] arrête la médecine. D’ailleurs, il va encore souffrir car son parcours initiatique est loin d'être terminé. Pour ce qui concerne le personnage d’Abdel, le happy end est peut-être un peu discutable, mais j'avais envie de réhabiliter ce personnage car le système français n'est pas profondément raciste. On a assez de problèmes pour ne pas en rajouter dans la fiction. Je voulais qu’Abdel reste en France et que Benjamin finisse ses études.

La fin de Médecin de campagne est plus qu’un happy end. C’est un miracle. J'essaie de faire un film qui rend hommage à la médecine. Il est important pour moi de raconter par ce film que la médecine, ça soigne, ça ne sert pas à rien... Sinon pourquoi êtes-vous [les étudiants] là ?

Je peux le dire sous forme de boutade, mais une boutade derrière laquelle il y a quelque chose de sérieux : moi, je suis médecin, et Médecin de campagne me permet tout de même de soigner un cancer. Le temps d’un film, j'arrive à guérir un gars qui a une tumeur cérébrale. Ça ne m'est pas arrivé très souvent en tant que médecin. Là, au moins, je pouvais le faire, donc je ne me suis pas gêné.

Propos recueillis par Alexandre Wenger et Radu Suciu

7 mars 2017

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