A (re)découvrir

Contagion, Steven Soderbergh (2011)

Le réalisateur à succès (plus jeune lauréat de la Palme d'Or pour Sexe, mensonges et vidéo en 1989) nous propose une plongée angoissante et réaliste dans une catastrophe sanitaire à l'échelle mondiale, où les humains sont brusquement ramenés à leur statut infiniment vulnérable d'êtres de chair et d'os.


Ce film, « basé sur un scénario considéré comme crédible par des spécialistes »1, peut être vu, sans jeu de mots, comme une vraie piqûre de rappel. En effet dans Contagion la terrible épidémie réduit l'humain à l'état de survie pure et simple, nécessitant de subvenir à ses besoins essentiels. Ce qui n'est pas une mince affaire quand les routes sont bouclées, les frontières fermées et les contacts humains réduits au minimum...

Devant les peurs et les estomacs vides, la civilisation, faite de lois et de confortables habitudes, laisse vite la place au chaos le plus total : ce qui compte, c'est de sauver sa peau. Soderbergh met en scène les corps dans de multiples situations révélatrices. Violents, traîtres, séparés, sacrifiés ou interchangeables, ils sont véritablement au centre de l'intrigue.

Le corps qui se bat

L'aspect le plus évident de la survie est évidemment la conservation de soi. Pour se nourrir en temps de pénurie, l'heure n'est pas à la retenue ou au partage ; c'est chacun pour soi et, lorsque l'armée échoue à satisfaire l'entier de la foule affamée, les plus mal servis se retournent bien vite contre les plus chanceux. Mouvements de foule, bagarres, ruées...les corps s'opposent, se frappent, se tuent, cassent et brûlent dans un élan de panique presque animal. Les codes sociaux se brisent en même temps que les vitrines des magasins, l'autre devient un concurrent menaçant, un obstacle à sa propre
conservation.

Le corps qui trahit

Beth Emhoff (Gwyneth Paltrow) est « le patient zéro », celle par qui se diffuse la maladie et accessoirement première victime à y laisser la vie. Épouse et mère, elle retrouve sa petite famille après un voyage d'affaires assorti d'une escale chez son amant, qu'elle contamine au passage. Cette relation charnelle se trouve être triplement sournoise : Beth, par l'intermédiaire de son corps, trahit son amant qui se trouve atteint lui aussi, son mari et elle-même, puisque son infidélité sera découverte à cause de cette escale coupable et de la propagation virale qui en découle. Le corps laisse sa trace là où il passe, à l'insu de celle qui le dirige et de ceux qui le côtoient.

Les corps séparés

Les rares salutations qui subsistent se font sans poignée de main. On fuit le voisin, l'amie, le collègue. La fille Emhoff (Anna Jacoby-Heron) se voit recluse à la maison par un père (Matt Damon) glissant doucement du deuil à la paranoïa, interdite de voir son petit ami – ou qui que ce soit par ailleurs. Pourtant les corps insistent, certains gestes tendres font de la résistance. La transmission par le toucher rend le monde fou mais on prend parfois le
risque d'être contaminé, justement, pour ne pas devenir fou. La mise en quarantaine concerne des régions entières, les bactéries stoppées à la frontière: on confine les futurs cadavres à l'aide de fusils d'assaut.

Le sacrifice de soi

Autre aspect du rapport au corps dans Contagion, il arrive qu'on mette en danger sa santé pour le bien de celle des autres. Après des recherches prometteuses sur un possible vaccin, le Dr. Hextall (Jennifer Ehle) décide de court-circuiter les longues procédures de mises sur le marché en s'inoculant elle-même le produit, et ce au péril de sa vie. Dans ce cas précis, le corps est donné, mis au service de l'ensemble de l'espèce humaine, pour des raisons qui sont donc supérieures à l'individu à qui il appartenait en premier lieu. C'est d'ailleurs le même principe qui préside à notre ultime réflexion.


Les corps indistincts

La bataille contre la maladie demande des soldats disciplinés, prêts à tout pour vaincre l'ennemi désigné. Lorsque ce dernier prend la forme d'une maladie infectieuse comme dans ce film, le rôle de chair à canon est tenu par les innombrables médecins qui combattent sur le terrain. Le fait saillant étant que, si l'un d'entre eux tombe, il sera immédiatement remplacé par son ''clone'', les deux semblant ici parfaitement interchangeables. Le Dr. Mears (Kate Winslet) paiera de sa vie son engagement sans faille, après avoir été traitée au même niveau que les autres malades (une intervention
spéciale n'ayant pas été accordée par les autorités). Elle est enterrée dans une impressionnante fosse commune au milieu d'un terrain vague, vêtue, comme tous les autres cadavres, d'un linceul en plastique bleu, ultime symbole de la dépersonnalisation des corps. De même, quand un vaccin est finalement distribué, il l'est après un tirage ausort par définition parfaitement aléatoire, réaffirmation du caractère interchangeable des personnages qui peuplent cette fiction. Comme l'indique Fabien Reyre sur Critikat, « il s’agit moins ici d’éprouver un minimum d’empathie pour les personnages sacrifiés que de suivre attentivement le cours magistral prodigué par le professeur Soderbergh sur le risque d’extinction pure et simple de la race humaine. »2