A (re)découvrir

Dr Ehrlich’s magic bullet (1940)

Paul Ehrlich, docteur et scientifique humaniste


Paul Ehrlich (1854-1915) était un médecin et scientifique allemand de confession juive. Avec son équipe, il a fait d’importantes découvertes notamment dans la recherche d’un traitement de la syphilis. En 1909, son laboratoire découvre l’asphernamine qui donnera le Salvarsan, le
traitement le plus prescrit contre la syphilis avant l’avènement de la pénicilline à partir des années 1940. En 1908, il reçoit le prix Nobel de physiologie et de médecine pour sa contribution en immunologie.

Dr Ehrlich’s magic bullet de William Dieterle, sorti en 1940, retrace les avancées de l’émérite Dr Ehrlich ainsi que de ses collègues. Le film se centre sur la découverte du Salvarsan au début du 20ème siècle, mais surtout sur la personnalité du docteur, connu pour être un homme
humaniste, ne se souciant guère de l’origine de ses collaborateurs et allant à l’encontre du racisme et de l’antisémitisme prégnants. Ainsi, plus que de narrer une découverte scientifique importante, le film plaide pour un discours philanthrope. Sa magie réside dans l’actualité des
thèmes abordés. Toutefois, il semble nécessaire de commencer par un détour contextuel afin de situer en quoi les partis pris du film sont d’une actualité remarquable.


De l’antisémitisme aux MST, un film résolument moderne
Le film sort en 1940, alors que la Seconde Guerre mondiale débute en Europe. Aussi promouvoir les avancées scientifiques – aussi magistrales soient-elles – d’un médecin allemand de confession juive ne fût pas du goût de tous-tes. Les studios Warner Bros auraient délibérément choisi de narrer l’histoire du Dr Paul Ehrlich connu pour ses qualités altruistes. En effet, selon McDermid, scénariste de Warner Bros : « the reason for picking Ehrlich as a protagonist had very little to do with syphilis and its cure. Ehrlich happened to be a great humaniarian and a German Jew » (cité par Lederer et Parascadola 1998). Le thème de la maladie sexuellement transmissible était un choix problématique, car les films produits à cette époque devaient obtenir l’approbation de la très conservatrice PCA (Production Code Administration). D’ailleurs, le film n’a failli jamais voir le jour. C’est seulement après d’importantes négociations que la PCA accepta le projet. La scène qui illustre le mieux la difficulté d’aborder des questions d’ordre sexuel est celle d’un dîner mondain organisé par la mécène Mme Speyer (à partir de 1 : 13 : 24). Alors que le Dr Ehrlich énonce
le mot interdit ; « syphilis », chaque invité, filmé l’un après l’autre de manière rythmée, se retourne outré.e et choqué.e, avec pour fond une musique dramatique. Aujourd’hui, la mise en Roder Loriane Mai 2018 scène théâtrale de cette réaction donne lieu à un moment plutôt drôle et insolite. Or à l’époque, cette scène cristallisait les enjeux d’évoquer les MST dans un film tout public.
Ainsi comme le notent Lederer et Paranscandola (1998), ce film doit être regardé en étant conscient.e des enjeux du contexte de la Deuxième Guerre mondiale. De prime abord, le film peut paraître mielleux, à cause de la musique notamment, omni présente et mélodique à souhait. Une manière de faire dont nous n’avons plus l’habitude. Le jeu de Edward G. Robinson, avec un air toujours modeste ajoute aussi à l’enjolivement de l’histoire. Comme s’il fallait, à l’instar de la scène du dîner cité précédemment, faire oublier que l’on parle de la syphilis, une maladie hautement stigmatisante au milieu du 20ème siècle. Et ainsi mettre en exergue la personnalité intrinsèquement bonne du Dr Ehrlich.

Les enjeux raciaux, une thématique délicate
La « race » est un enjeu important du film. Nous l’avons vu d’abord par l’origine juive d’Ehrlich utilisée comme argument principal de production du film. Ce qui a permis à Warner Bros de faire passer un message politique clair en ces temps de guerre mondiale. En outre, comme le suggère Bernhard Witkop (1999), le choix du charismatique acteur incarnant Ehrlich n’était sans doute pas anodin. En effet, Edward G. Robinson était un acteur américain, né en Roumanie, d’origine juive également et connu pour ses prises de position antifascistes et antinazies.
Le thème de la « race » se traduit également par la dimension humaniste du personnage d’Ehrlich dans ce film. Lorsqu’il défend son collègue «oriental », en réalité japonais, face aux inspecteurs très germaniques qui lui reprochent d’engager quelqu’un qui ne soit pas de « pure race», Ehrlich s’emporte et envoie un signal fort contre l’antisémitisme de l’époque.
Néanmoins une scène illustre tout de même un rapport ambigu entre le bon docteur blanc et un peuple de l’hémisphère Sud. Lors de sa convalescence en Egypte, le Dr Ehrlich est appelé à soigner un enfant égyptien mordu par un serpent. Même si cette scène n’est pas choquante, la figure du médecin blanc venant apporter son savoir et ses compétences à une famille égyptienne conforte l’idée d’une vision supérieure de l’Occident. D’autant que le père de l’enfant mordu a également des connaissances ; il explique lui-même avoir déjà été mordu auparavant par un serpent et explique une évolution dans ses réactions. Il a donc un savoir plus empirique qu’Ehrlich mais ce sont les connaissances théoriques (et occidentales) qui sont considérées comme valables.

Il est donc difficile d’utiliser l’argument contextuel dans ce cas, puisque le film est axé sur les questions raciales et les questionne.
Cela dit, cette scène sert à introduire les prochaines recherches du Dr Ehrlich à son retour d’Egypte puisqu’il décidera de travailler sur le venin de serpent. Il ne s’agit pas de considérer ce film comme impérialiste puisque l’ensemble est, comme nous l’avons dit, un plaidoyer humaniste. Soyons simplement conscient.e de la relation mise en scène et suivons encore une fois le conseil de Lederer et Parascandola (1998) qui est de regarder le film dans son jus.


Conclusion
La figure ici incarnée est celle, comme l’a relevé Martin Wrinckler (2006), du médecin humaniste, brave et courageux. Un héros modeste comme on les imagine, travaillant sans cesse afin de soulager les plus vulnérables, comme lorsqu’il décide de soigner tous les enfants de l’un des hôpitaux où il exerce malgré les ordres contraires de son directeur. En outre, le film ne parle pas que de médecine comme nous l’avons vu et transmet des opinions en opposition aux opinions majoritaires de l’époque. Des opinions empreintes d’humanisme et dénuées de racisme. Dr Ehrlich’s Magic Bullet mérite donc aujourd’hui d’être (re)découvert autant par les futur.es médecins que par les cinéphiles pour la modernité de ses thématiques, ses qualités formelles et son style un peu désuet mais dont le charme opère toujours.