Schizophrénie

Take Shelter

La représentation de la schizophrénie au cinéma

 

par Camille Veuthey (UniGE)

travail réalisé dans le cadre des mémoires de master de la Fac. de médecine de l’UniGe en juin 2017

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Curtis Laforche, un homme menant une vie ordinaire dans une petite ville des Etats Unis constate qu’il a des perceptions dérangeantes qu’il n’arrive pas à expliquer. Le film raconte alors le processus de découverte de la schizophrénie dont est atteint Curtis, des premiers signes jusqu’au diagnostic, ainsi que ses conséquences familiales, économiques et sociales. Ce travail met en évidence les principales techniques cinématographiques traduisant symptômes positifs (délires et hallucinations) et négatifs qui caractérisent la schizophrénie.

1. Introduction

Les représentations cinématographiques des malades psychiatriques sont souvent stéréotypées. C’est le cas en particulier des personnes souffrant de schizophrénie, réduites à une double personnalité souvent violente (du type Jeckyl et Hyde, ou Norman Bates dans Psychose d’Alfred Hitchcock). De tels films influencent la manière dont les patients atteints de schizophrénie sont perçus au sein de la population générale.

Mon travail consiste en l’analyse d’un film cherchant à contrebalancer ces stéréotypes par une représentation « objective » de la maladie. La méthodologie est la suivante :

Après avoir visionné une dizaine de films, j’ai sélectionné Take Shelter (réal. Jeff Nichols, US, 2011). Mon travail consiste en une étude de cas du personnage principal, Curtis Laforche. Comment le film représente-t-il sa schizophrénie ? Quelle perception de son statut de malade le film véhicule-t-il auprès du spectateur ? Comment les réactions de l’entourage du malade (sa femme, sa fille, ses amis et collègues) sont-elles représentées dans le film ? Le film apporte-t-il une compréhension de la maladie mentale qu’est la schizophrénie ?

Mon analyse porte sur la manière de représenter la maladie dans le film, soit en la connectant à des éléments formels tels que le cadrage, le montage des plans, la lumière et la musique, soit en identifiant les symptômes présents chez Curtis. Afin de fluidifier ma démonstration, l’analyse filmique détaillée de quelques scènes fondamentales ainsi qu’une analyse du rôle de la famille de Curtis).

Afin de valider mon analyse et mon point de vue d’étudiante, je souhaitais les confronter aux réactions face au film d’un/e patient/e souffrant ou ayant souffert de troubles psychotiques. Après diverses investigations, j’ai rencontré une psychiatre, la Dre Legendre, ayant son cabinet à Genève. Après discussion, la Dre Legendre m’a présentée une de ses patientes, Barbara (non d’emprunt), qui était très motivée à participer à mon projet. J’ai donc pu visionner le film avec Barbara en présence de la Dre Legendre. Puis, sur la base de mon analyse, j’ai élaboré un questionnaire (mélange de questions ouvertes et fermées couvrant les principaux aspects de la vie de Curtis), soumis pour commentaires préalables à la Dre Legendre, puis proposé oralement à la patiente, que j’ai pu enregistrer avec son accord.

Mon travail s’articulera donc comme suite : je proposerai dans un premier temps une mise en évidence des différents éléments formels, puis une réflexion sur la manière dont le film influence le point de vue du spectateur pour terminer par une analyse des représentations de la schizophrénie chez Curtis. Dans un second temps, je mettrai en évidence les points importants qu’a relevés Barbara à propos de la représentation de la maladie.

 

2. Analyse

2.1. Temporalité

Les journées du récit sont très souvent montées en alternance entre des plans mettant en scène d’une part, Curtis seul, et d’autre part, Sam (Samantha) et Hannah. Ces scènes se répondent les unes aux autres et créent un rythme structurant le film.

Cette alternance commence dès le premier jour qui met en scène Curtis travaillant sur le chantier, puis buvant un verre avec ses collègues tandis que Sam est à la maison, travaillant et voyant des amies. Un pont sonore entre Curtis forant le sol et Sam cousant des rideaux, permet le passage d’une scène à l’autre. L’effet de réflexion s’accentue lors du lundi de la deuxième semaine : Curtis voit son médecin tandis que Sam trouve un médecin pour Hannah qui va pouvoir lui donner accès à un traitement.

Ce rythme se traduit non seulement dans le montage répétitif des journées, mais aussi dans les activités mêmes des personnages. Prenons par exemple le deuxième samedi du récit : il se passe comme une copie du samedi précédent. A nouveau Sam est allée vendre ses confections au marché, à nouveau Curtis travaille dans son jardin pour calmer ses angoisses. A nouveau, les plans se répondent et montrent le travail de chacun.

Le week-end, moment charnière de chaque semaine, marque une gradation dans la maladie du héros : le premier week-end met en évidence sa prise de conscience de la maladie. Lors du second, il ose en parler à Sam. Lors du troisième, il révèle ses angoisses au grand jour.

Des éléments isolés rappellent encore la construction du récit qui tourne sur lui-même. Le début du film montre Sam apprenant à Hannah comment exprimer en langage des signes le mot « tempête », mot que Hannah exprimera à son père lors de la dernière scène.

Ce rythme répétitif traduit l’enfermement de Curtis dans sa maladie. Chaque semaine, il tente de trouver des solutions et chaque week-end, celles-ci s’écroulent, pour recommencer le lundi suivant. La structure, déroulant le récit sur trois semaines, montre aussi la rapide dégradation de l’état du personnage. La première semaine met en scène les premières hallucinations de Curtis. Lors de la deuxième, il consulte son médecin et avoue sa maladie à son épouse. La troisième semaine, il perd le contact avec la réalité, obnubilé par son abri. Cette perte de contact est transmise au spectateur par une perte de la notion de durée. La fin du récit montre une relation temporelle beaucoup plus lâche : on parle de mois et non plus de jours. Le spectateur, tout comme Curtis perd pied avec la notion de temps et de réalité.

2.2. Musique

La musique est un élément omniprésent dans le récit. Elle précède l’image au début du film. Elle agit comme un leitmotiv qui présage des manifestations de la maladie de Curtis. Le thème qui accompagne le premier rêve de Curtis revient lorsqu’il sort de sa maison et se retrouve face à l’immensité du ciel. Des raccords sont effectués, troublant le spectateur sur la vraisemblance de la scène. Est-ce la réalité ou encore un rêve de Curtis ? La musique présente dans le bar où Curtis se rend avec ses collègues de travail (06:45) revient lors de son rêve d’agression par son chien (11:07).

Des thèmes musicaux associés à certaines situations se répètent. Un arpège rappelle l’abri anti-tempête, un autre thème l’ouverture de la porte de l’abri, repris dans la scène finale. Cette musique extra-diégétique prend toujours plus de place dans la vie de Curtis alors que la maladie s’empare de lui.

La musique crée un effet d’isolement du personnage dans sa maladie. Elle coupe Curtis du monde réel. Lors de la scène au Lions Club, la musique remplaçant les paroles traduit la perte de contact et l’isolement de Curtis et sa famille.

2.3. Thème de la nature

Tout au long du film, des plans de nature se succèdent et renvoient à l’obsession de Curtis : s’en protéger.

L’eau

L’eau est un thème omniprésent dans le film, et ce dès la première scène où un gros plan montre une pluie brune tomber sur la main de Curtis.

Les premières scènes du film démontrent son importance : un pont sonore (01:41) s’effectue entre le plan de Curtis dans son jardin puis sous la douche. Le réalisateur joue sur le contraste de la couleur de l’eau. Elle est brune lorsqu’elle tombe du ciel et transparente dans le plan suivant de la douche. Plus tard, ce contraste est encore rappelé par la couleur brune de l’eau du barrage. L’eau est perçue par tous les sens du héros : il l’entend lorsqu’il y a un orage, il la voit sous la douche, il la sent lorsqu’elle tombe du ciel, brune. Celle-ci agit puisqu’elle empêchera la suite du chantier de Curtis. Elle baigne tout le monde et fait le lien entre les personnages. Elle apparaît presque en tant que protagoniste. Pour Curtis, elle est un présage malfaisant et personnifie sa maladie. Cette dernière, tout comme l’eau, s’infiltre dans sa vie et prend de plus en plus de place. On apprend de la bouche de Curtis, lors de ses aveux à Sam, que l’eau aurait le pouvoir de rendre les gens fous. Curtis trouve ainsi une explication à ses rêves. Pour y échapper, il construit un abri sous terre.

Le ciel

L’eau s’inscrit dans une thématique plus générale du ciel et de la nature très souvent mise en évidence par des plans généraux du ciel. Par exemple, au début du récit, une contre-plongée met en évidence Curtis face à l’immensité du ciel.

Cette confrontation est renforcée par la scène suivante, où Curtis apparaît net face au ciel tandis que le décor est flou. Un plan rapproché permet de voir le regard inquiet de Curtis dirigé vers le ciel. Plus tard, on retrouve un autre plan général sur un ciel bleu cette fois.

Ces plans larges, cadrés sur le ciel, créent une forte opposition entre son immensité et la petitesse de Curtis. Ils donnent un effet d’écrasement du personnage et traduisent sa vulnérabilité.

Le vent

Le vent est un élément toujours présent, faisant bruisser les feuilles des arbres au premier plan puis ébouriffant les cheveux de Sam en fin de récit. Des plans mettant en évidence les effets du vent créent un fil rouge en introduisant les scènes du récit ou en raccordant les plans d’une scène. Ces scènes peuvent être réelles, comme la scène (57:35) de l’agrandissement de l’abri montrant l’effet du vent sur plusieurs plans successifs.

Elles peuvent être aussi imaginées, comme la scène du cauchemar de Curtis précédent l’alarme annonçant la tempête. Ceci accentue la confusion entre réalité et imaginaire.

2.4. Lumière

Le décor du film est un environnement de grandes plaines avec beaucoup de lumière, sans verticalité. Rien ne vient couper la lumière, ce qui rend l’environnement très homogène : soit très lumineux le jour, soit très sombre la nuit. Ceci donne une impression d’exposition permanente. Curtis est donc soumis aux éléments de l’environnement, sans abri pour se protéger de ses peurs représentées par la nature. Le seul moyen d’échapper à cette immensité est de fuir le ciel et de se cacher sous terre ce que la scène (21:38) de la découverte de l’abri met bien en évidence. Lorsque Curtis s’approche de l’abri, il prend conscience qu’il pourrait l’utiliser comme refuge. En déverrouillant la porte, plusieurs plans alternativement rapprochés et éloignés montrent Curtis et l’abri sous différents angles. Ceci crée une opposition entre la lumière extérieure éblouissante et la couleur brune de la porte de l’abri se confondant avec la chemise du personnage. Apparaît ensuite l’obscurité de l’abri, dans laquelle Curtis vient se réfugier. La durée du plan renforce l’effet protecteur sur le personnage.

Plus tard, un plan (32:35) nocturne de l’abri illuminé par une lampe à huile contraste avec l’obscurité environnante. Le jeu ombre-lumière est cette fois inversé, mettant toujours en avant la sécurité de l’abri.

Cette opposition est exploitée de multiples fois durant le film : la lumière agressive des éclairs dans la nuit apaisante ; le raccord (57:23) du coup de tonnerre avec le bruit du garage s’ouvrant sur une lumière aveuglante au plan suivant ; la sortie de l’abri sombre et rassurant le lendemain de la tempête s’opposant au plan prolongé de la lumière extérieure éblouissante.

2.5. Angles de vue

A l’arrivée du premier week-end du récit, Curtis est de plus en plus en proie à ses angoisses. Celles-ci ont maintenant des répercussions visibles, qu’il ne peut plus cacher. Ceci l’amène à prendre rendez-vous chez son médecin et à consulter un livre sur la schizophrénie à la bibliothèque. L’ambiance angoissante lors de sa visite à la bibliothèque et au supermarché est bien traduite par la composition de ces scènes. Les plans sont filmés de manière oppressante. A une plongée sur Curtis et Hannah, succède un grand angle à l’entrée de la bibliothèque (29:09). La caméra est ensuite placée de telle sorte qu’il n’y a pas de point de fuite, rendant le plan désorganisé.

Dans les allées de la bibliothèque, un lent traveling avant associé à un point de fuite central donne l’impression d’étouffer Curtis. Ceci fait écho avec la scène suivante au supermarché où on retrouve cette même configuration.

Les deux scènes sont séparées par le trajet en voiture où la caméra filme Curtis et Hannah en plusieurs gros plans donnant aussi l’impression de les étouffer. A cela s’ajoute une musique aux tonalités dissonantes.

3. Points de vue du spectateur

3.1 Regard externe, regard interne

Le spectateur oscille entre point de vue extérieur et point de vue subjectif, permettant une immersion dans le vécu de Curtis, non seulement réel, mais aussi rêvé. Par exemple, dès la première scène, un raccord de regard plonge le spectateur dans la peau de Curtis pour découvrir le ciel par ses yeux.

Le spectateur dans la peau de Curtis devient le sujet des émotions du héros. Lorsque ce dernier conduit sous la pluie durant un de ses cauchemars, le spectateur peut ressentir sa tension au moment de l’accident. Encore, lorsque Curtis prend pour la première fois son médicament prescrit par son médecin, un fondu d’ouverture associé à une musique rassurante mime l’éveil paisible de ce dernier, après une nuit sans cauchemars.

Cette oscillation entre vue subjective et vue externe est troublante pour le spectateur qui ne sait jamais si sa vision est la réalité ou le produit du rêve de Curtis. Ainsi, la première scène du film que le spectateur prend un moment pour réelle, n’est finalement qu’un rêve de Curtis. En effet, la pluie brune renvoie à l’aveu de Curtis à Sam lorsqu’il décrit ses rêves (qu’il compare à de l’huile à moteur). Cette alternance de points de vue traduit la maladie de Curtis qui le fait osciller entre réalité et délire.

 

3.2. Cauchemars et réalité

Le réalisateur décide de flouter de plus en plus la séparation entre réalité et imaginaire, de telle sorte que le spectateur ne sait plus quel point de vue il adopte. Ceci se révèle particulièrement lors des derniers cauchemars de Curtis. Prenons le rêve de Curtis qui imagine Sam voulant le tuer avec un couteau (1:18:14). Cette fois-ci, le réalisateur ne nous montre pas le moment où Curtis s’endort ni celui où il se réveille. Les plans s’enchaînent : une séquence sur la douche d’Hannah le soir, la scène du cauchemar, puis directement la séquence du petit-déjeuner. Lors de l’insert (1:19:34) sur le couteau, une mouche vole rapidement autour de cet objet. Son bourdonnement vient s’ajouter au bruit de la pluie qui tombe, apportant une touche de réalisme à la scène. Le spectateur est dans la même position que Curtis : il n’est plus certain de distinguer le réel de l’imaginaire.

En revanche, le rêve qui suit le dîner du Lions Club (1:34:18)montre clairement la distinction au spectateur : les oiseaux attaquant Curtis puis tombant morts du ciel rappellent peut-être la mouche du rêve précédent mais cette fois-ci expriment l’invraisemblance de la situation.

4. Représentation de la schizophrénie de Curtis

4.1. Emprise de la maladie

La scène (24:51) des nouvelles à la télévision traduit l’enfermement de Curtis dans ses peurs. Le nuage toxique, la fumée qui s’insinue partout, l’absence d’abri, tout ceci rappelle les thèmes du récit représentant les peurs de Curtis. Les plans successifs sur l’écran de la télévision et sur le visage de Curtis, visiblement tourmenté, révèlent ses angoisses. Cette emprise est accentuée par un pont sonore (25:33) à la fin de la scène où on entend la pluie tomber alors que Curtis est encore dans son salon.

Ce pont sonore entraîne alors le spectateur à son insu dans le prochain cauchemar de Curtis. Le danger s’est insinué dans la maison à présent et il n’y aucun moyen de s’échapper. Des inserts (26:23) se succèdent rapidement sur la porte qu’on essaie d’ouvrir, sur les objets prêts à tomber dans le salon et sur Curtis paniqué tenant sa fille. Les bruits de tous les objets en mouvement créent une tension croissante. Puis une coupure se produit, mimant la noyade de Curtis : les meubles entrent en lévitation et sont filmés au ralenti, comme des objets qui flottent. Les sons deviennent soudainement feutrés. Curtis se fait étouffer par le flot d’objets. Il remonte enfin à la surface lorsque tous les objets retombent, puis se réveille.

4.2. Isolement familial et retrait social

Curtis, à cause de ses angoisses, s’isole de plus en plus de son entourage. Le réalisateur montre cet isolement de différentes manières. La scène (30:28) du repas de famille dominical en est un bon exemple. Curtis est d’abord mis à l’écart par son retard au repas et son absence au service de messe soulignée par son beau-père. Ceci est renforcé par le montage : la caméra passe alternativement par des plans rapprochés sur Curtis parlant et des plans subjectifs montrant le reste de la table. Curtis est presque invisible aux yeux des autres, renforçant cette déconnexion avec l’extérieur. Lors du repas, l’accent est mis sur la nourriture par plusieurs inserts. Lorsque Curtis parle, les gens regardent leur assiette et continuent de manger, comme s’il n’existait pas.

Curtis, après son abus médicamenteux, est obligé d’avouer à Sam ce qui lui arrive. Ce moment du récit marque un tournant dans la perception de la maladie de Curtis. Désormais, elle est vue à travers les gens qui l’entourent, et non plus à travers Curtis lui-même. Le jour qui suit projette le spectateur dans une multitude de séquences (1:09:21) où il assiste à des échanges entre Curtis et des personnes de son entourage. D’abord Sam, ensuite son collègue Russell, son chef, et enfin Kyle son frère. Cette succession d’échanges souligne le décalage entre Curtis et les autres. Curtis n’est plus réceptif au monde qui l’entoure. Jusqu’alors, les moments de perte de contact avec la réalité correspondaient aux cauchemars du héros, dont seul le spectateur était témoin. A présent, il y a un net décalage entre la réalité et ce que Curtis vit, décalage perçu par le spectateur à travers son entourage. Prenons par exemple la scène (1:09:31) de l’hôpital lors de la prise de rendez-vous pour l’opération d’Hannah. Le montage place Curtis comme centre de l’attention bien que le sujet réel de cette séquence soit Hannah. Pourtant, tous les personnages regardent Curtis tandis qu’il semble regarder dans le vide, perdu dans ses angoisses. L’entourage est maintenant témoin de son délire, comme le témoigne la scène (1:12:03) de la discussion entre Sam et Nat. Curtis est désormais isolé des autres.

4.3. L’abri, image de son enfermement psychique

Curtis est de plus en plus enfermé dans sa maladie, comme le montrent de multiples gros plans coupant systématiquement le personnage ; Curtis est prisonnier de l’écran comme de sa maladie.

Peu à peu, l’abri devient sa seule raison de vivre et devient la manifestation physique de son emprisonnement. La maladie a pris le dessus, à un point tel qu’il n’arrive plus à avoir d’implications avec les autres. Le jour où il se fait renvoyer et que sa femme quitte la maison avec sa fille, il n’essaie pas de la retenir et n’a pas l’air de s’en soucier. La seule chose qu’il parvient à faire est de continuer à construire son abri. L’abri a donc un double rôle à jouer chez Curtis : d’une part il doit le protéger lui et sa famille d’une tempête dévastatrice qu’il pressent arriver, d’autre part, il est la personnification de l’enfermement dans son délire. La scène (1:35:55) de la tempête où la famille Laforche doit se réfugier dans l’abri démontre ce double rôle. C’est alors comme si Sam et Hannah avaient pénétré dans le cœur de la maladie de Curtis. Sam est plus effrayée par les mesures prises par Curtis que par la tempête elle-même. Durant toute la scène, une succession de gros plans montre cet enfermement physique mais aussi psychique chez Curtis. Le masque à gaz a pour rôle de mieux respirer, tandis que Curtis s’étouffe à cause de son angoisse ! Après la nuit passée dans l’abri, l’enjeu n’est pas de savoir si la tempête est terminée, mais de savoir si Curtis pourra affronter ses peurs.

5. Discussion avec Barbara

J’ai fait visionner le film à une patiente, Barbara, atteinte d’un trouble schizo-affectif depuis de nombreuses années et actuellement stabilisée. L’objectif, très ouvert, était de constater si mes propres conclusions pouvaient se conformer au point de vue d’une personne directement confrontée à des symptômes proches de ceux de Curtis. Le visionnage s’est déroulé en deux séances. Je lui ai soumis un questionnaire lors de la troisième séance dont je résume les réponses les plus intéressantes par rapport à mon analyse.

5.1. Rêves prémonitoires

Barbara estime que la maladie est représentée de façon réaliste, en particulier en ce qui concerne les rêves et hallucinations. Elle perçoit les rêves de Curtis comme étant prémonitoires, éléments d’autant plus significatifs qu’elle en fait l’expérience.

 

5.2. Envahissement de la maladie

Barbara souligne l’envahissement de la maladie dans la vie quotidienne de Curtis. Elle remarque ses hallucinations visuelles, auditives, cinesthésiques. « Ce sont tous les sens qui sont exacerbés ». Barbara voit une opposition avec sa fille Hannah qui, « elle, est dans le silence ». Cette opposition entre le trop de sens chez Curtis et le manque du sens de l’audition chez Hannah a frappé Barbara. Elle souligne d’ailleurs « peut-être que lui aspirerait à être un peu comme elle quelque part, que ça s’arrête ».

 

5.3. Ambiguïté entre réel et imaginaire

En évoquant la dernière scène qu’elle décrit comme équivoque, Barbara l’interprète aussi comme la prémonition de Curtis qui se réalise. Elle relève qu’à ce moment-là, il n’y a pas d’abri, mais que la tempête est bien là. Sa remarque pointe ainsi du doigt toute l’ambiguïté voulue du film entre réalité et imaginaire de Curtis. A ses yeux, le film montre la difficulté pour les personnes souffrant de schizophrénie de tracer une ligne précise entre le réel et l’imaginaire. « C’est un peu mettre en image ce qui se passe à l’intérieur d’un cerveau ». Barbara traduit par cette phrase le sens métaphorique qu’elle voit dans le sujet du film : se mettre à l’abri d’un excès de sensations. Elle parle de « presser l’éponge une fois qu’elle est pleine et que à ce moment-là il vaut mieux être seul ». La tempête devient « une tempête intérieure ». Barbara estime que la coupure, représentée par l’abri, est nécessaire. Elle relève aussi l’utilisation de masques à gaz lors de la tempête qui accentue cette coupure. Barbara se sent en adéquation et relève qu’elle aussi a besoin de se couper et d’avoir des moments pour soi. Elle remarque que Curtis a besoin de rituels (ranger les boîtes de conserve, nettoyer l’abri) dont elle souligne le caractère anxiolytique.

 

5.4. Utilité du film

Cette oscillation de Curtis et du spectateur entre réel et imaginaire n’existe pas dans Un homme d’exception (réal. Ron Howard, US, 2002), que Barbara prend comme exemple de film sur la psychose. Dans ce film, le héros est totalement dans son monde, et le spectateur avec lui. Puis s’opère une rupture à partir de laquelle le spectateur prend conscience du caractère délirant de ce qu’il a vu, puis prend de la distance avec le héros. Barbara considère que ce film est plus représentatif car il entraine le spectateur dans le vécu du héros sans susciter le doute chez ce dernier. Elle explique qu’elle-même en étant enfant voyait des morts et considérait cela comme tout à fait normal. Le doute sur ces visions ne s’était pas posé. Barbara considère donc que ce film serait plus utile pour le grand public. Par contre, elle relève l’utilité de montrer Take Shelter au corps médical car il montre bien la difficulté pour un patient souffrant de schizophrénie de discerner réalité et imaginaire.

6. Conclusion

Avec ce travail, j’ai voulu examiner la représentation artistique de la schizophrénie dans Take Shelter. J’ai analysé comment le réalisateur a mis en scène la maladie et ce qu’il a voulu nous transmettre. Il ne s’agit pas d’un simple récit descriptif, Jeff Nichols nous permet de découvrir la maladie par les yeux du malade, de sa famille et de la communauté. Il s’agit d’une fiction, dont cependant Barbara remarque qu’elle pourrait être vraie.

Cette réflexion révèle la construction du film, qui derrière une histoire commune permet de mettre l’accent sur le processus de révélation symptomatique de la maladie, ce qui est réellement vécu par le patient. Ce parti pris du réalisateur dépouille le personnage principal de tout attribut exceptionnel si souvent associé à la schizophrénie au cinéma.

La confrontation de cette analyse au point de vue de Barbara peut faire entrevoir les limites de cette approche, mais aussi les développements envisageables. Ainsi, il aurait été intéressant que Barbara complète ses réponses après un entretien, permettant ainsi une réflexion à distance du visionnage. Par ailleurs, la Dre Legendre a apporté des éléments pertinents de son point de vue de psychiatre. Ses remarques ont mis en évidence qu’une analyse explorant la schizophrénie de Curtis Laforche sur le plan médical (ses symptômes, l’aspect héréditaire de la maladie, son suivi, son traitement) pourrait être un complément à ce travail.

 

 

 

7. Annexes

7.1. Résumé du film

Take Shelter raconte une tranche de vie de Curtis Laforche, un homme d’une quarantaine d’années, travailleur de chantier dans un petit village des plaines du midwest américain. Sa femme Sam reste généralement au foyer ou complète le maigre revenu de Curtis par de petits travaux ponctuels ; ils ont une fille atteinte de surdité, Hannah. Curtis mène une vie paisible, aimé de sa famille et de ses collègues de travail. Cependant, des évènements perturbent progressivement sa routine : il commence à faire des cauchemars et à les prendre pour la réalité. Parallèlement, il remarque qu’il voit ou entend certaines choses que les autres ne perçoivent pas. Le film raconte alors comment cet homme se bat pour gérer ses hallucinations et ses angoisses et les concilier avec une vie normale, et par-dessus tout pouvoir continuer à s’occuper de sa famille.

7.2. Zoom sur des scènes primordiales

Scène du Lions Club : confrontation du malade à la société

Le dîner du Lions Club est attendu par le spectateur et les protagonistes du film dès son début. On entend Sam en parler avec ses amies (05:47); plus tard, Nat repassera chez les Laforche pour organiser le repas. On comprend que ce dîner est un événement social important. C’est aussi la première fois que toutes les personnes gravitant autour de Curtis sont rassemblées. Cette scène (1:29:55) est construite comme une pièce de théâtre. Les habitants prennent le rôle du public, commentant silencieusement la scène. Dewart et Curtis, quant à eux, en sont les acteurs où Curtis est mis en spectacle devant la population. C’est Dewart, soutenu par le public qui va précipiter Curtis dans son délire. Ce montage dévoile ainsi le malade révélant sa folie au grand jour sous le regard de la communauté.

Tout d’abord le décor est posé. Plusieurs plans représentant les éléments du décor font penser aux didascalies de la pièce de théâtre ; description des repas : les frites et les huîtres prévues au menu, la salade de choux rajoutée par Nat et Sam ; description des figurants représentant l’entourage social de Curtis ; description de l’ambiance : une fête réunissant les gens du village en plusieurs grandes tablées.

Acte 1 - Le premier acte est introduit par le regard de Nat qui voit Curtis arriver. Puis entrent Curtis et sa famille au centre de la pièce pour aller se servir à manger. Curtis est placé de telle sorte qu’il apparaît comme le personnage principal du premier acte. En effet, Sam et Hannah apparaissent à moitié hors champ, puis au deuxième plan. Dewart apparaît dans les cuisines apparentées aux coulisses, hors de la scène de la salle de fête.

Acte 2 - Une transition vers le deuxième acte est opérée par les regards échangés : Curtis regarde sa fille, puis une amorce montre Russell (un collègue de travail de Curtis) au deuxième plan regarder Curtis sans que celui-ci ne s’en aperçoive.

Dewart apparaît alors sur scène et introduit le deuxième acte. Tandis que les jeux de regard continuent, Dewart interpelle Curtis en lui disant qu’il n’a rien à faire ici. Son exclusion est liée à un comportement qu’on lui impute à tort, mais les personnages ne le savent pas. Lorsque Curtis se lève pour parler avec Dewart, le bruit de la foule se fait plus discret, laissant place à la confrontation des deux hommes. Toute la foule floutée au deuxième plan assiste à la dispute qui tourne en bagarre.

Acte 3 - Curtis introduit le troisième acte en se relevant de terre et se place au milieu de la pièce pour entamer son monologue. Cette fois-ci, au lieu de se taire ou de partir, il prend la foule à témoin de la catastrophe annoncée.

Alors que ses premiers aveux à Sam étaient fondés sur la réalité, ceux-là sont totalement perdus dans son imaginaire. La maladie ressurgit et est accentuée par le montage : Curtis crie ses aveux alors qu’il n’y a aucun bruit dans la salle. Il agresse les figurants et les prend à parti de l’horreur annoncée. Sa chemise pleine de tâches accentue l’image du malade.

Acte 4 - Puis, à nouveau, Hannah agit comme intermédiaire qui permet à Curtis de revenir à la réalité. A travers ses yeux, Curtis se rend compte de sa crise de folie, ce qui permet l’ouverture de la dernière partie qui montre l’effondrement psychique de Curtis. Ceci est bien traduit par une perte de contact : la musique remplace les bruits et paroles, l’image se floute jusqu’à la sortie de Curtis et sa famille hors du champ de la scène.

Cette scène marque une coupure dans le récit. C’est le dernier contact de Curtis avec les gens qui l’entourent, mis à part sa famille. C’est même le dernier contact avec la réalité sans la maladie. Tout le long du film, il y a sans cesse une oscillation entre réalité et hallucinations ou délires. Curtis est tantôt en contact avec le monde et se rend compte de son problème, tantôt il est obnubilé par ses cauchemars qu’il prend pour la réalité. Mais à partir de cette scène, c’est comme si ce balancement s’arrêtait, et que réalité et maladie ne formaient plus qu’un. Au dîner du Lions Club, se succèdent le cauchemar de Curtis, l’alerte de tempête et la scène de l’enfermement dans l’abri, puis la visite chez le psychiatre et la scène du bord de mer. Toutes ces scènes sont au cœur de la maladie de Curtis, maladie qui n’est désormais plus discernable de la réalité. Le réalisateur nous le fait aussi comprendre en coupant le rythme du film. Le temps s’étire dans ces dernières scènes. Elles paraissent comme hors du temps du reste du récit.

 

Scène d’un cauchemar : Curtis envahi par son délire

Face aux rêves et aux hallucinations que subit Curtis, celui-ci développe de l’angoisse mais aussi de la peur. Tout d’abord, son discours révèle sa peur de la maladie : Curtis utilise des paraphrases ou des tournures, comme pour atténuer la réalité. Il parle en effet toujours de « rêves » ou de « mauvais rêves » au lieu de « cauchemars », mot qu’il mentionne pour la première fois lors de ses aveux à sa femme (1:05:18). Il explique également lors de cette discussion que quelque chose de « pas bien » va se produire au lieu de parler de tempête.

Le paroxysme de sa peur est atteint lors du cauchemar mettant en scène Sam prête à l’attaquer avec un couteau (1:18:12). C’est le premier cauchemar où une personne de sa famille s’en prend à lui. Ce cauchemar est particulièrement représentatif des peurs de Curtis. Tout d’abord, le fil conducteur est à nouveau l’eau. Le plan précédent montre Curtis sécher sa fille qui sort de la douche, puis un raccord sonore montre le plan suivant où Curtis est assis sur son lit avec le bruit de la pluie qui tombe. Un traveling panoramique dévoile au spectateur le salon et la cuisine où Sam est debout sans bouger. Elle a les cheveux mouillés, rappelant Hannah sortant de la douche. Le bleu est prédominant : la chemise de Curtis, celle de Sam, le rideau, plusieurs objets de la cuisine et même la lumière. Le plan suivant révèle les flaques d’eau formées par les pas de Sam. Une musique très inquiétante se déclenche à la vue de Sam, puis baisse en intensité pour faire place au bruit des gouttes d’eau dégoulinant de Sam. Elle se retourne pour fixer un couteau de cuisine, puis Curtis. Les mouvements sont ralentis, la scène est très figée, le temps s’arrête, présageant une catastrophe. Un insert sur le couteau de cuisine fait comprendre au spectateur ce qui va suivre.

 

Dernière scène : réalité ou fiction ?

La dernière scène du film est un concentré du récit sur le plan stylistique. Tous les éléments y sont : l’eau de la mer sur laquelle s’ouvre le premier plan ; les mouettes, rappelant les oiseaux des hallucinations de Curtis ; la prédominance du bleu sur les habits des personnages, rappelant encore la nature. L’eau revient ensuite pour lier les différents plans : C’est au moment où Curtis verse un sceau d’eau pour créer une rivière autour du château de sable qu’Hannah lève justement les yeux vers la mer.

Le montage rappelle aussi la construction en miroir déjà utilisée à plusieurs reprises dans le film. Un gros plan sur les mains de Curtis construisant un château de sable est suivi de plusieurs plans montrant le père et sa fille s’amuser. En parallèle, un gros plan s’ouvre sur les mains de Sam en train de mélanger la sauce du repas de midi, puis se succèdent des plans sur l’activité de Sam. Le spectateur se croit à nouveau dans un énième début de semaine de la famille Laforche.

Du point de vue de l’histoire, la fin peut être interprétée de différentes manières. Tout d’abord, si nous considérons que nous sommes bel et bien dans la réalité, alors la scène vient en quelque sorte clore la boucle. Hannah, après avoir vu la mer, exprime en langage des signes le mot « tempête » à son père, mot enseigné en début du récit par Sam. La famille découvre alors une énorme tempête se préparant, confirmant la prédiction de Curtis. Cette hypothèse est renforcée par le point de vue du spectateur, qui est soit un point de vue externe, lorsque la tempête se reflète sur les vitres, soit le point de vue subjectif de Sam qui voit la tempête. Ceci va confirmer la réalité de cette vision de fin du monde.

Néanmoins, le réalisateur insère une fois de plus des éléments venant troubler le spectateur quant à la réalité de cette scène. En effet, le spectateur ne perçoit tout d’abord la tempête que de manière indirecte : le regard d’Hannah, son geste, puis celui de Curtis et enfin le reflet des tornades se formant sur les vitres de la maison de vacances. Ensuite, des gouttes d’eau brunes tombent sur la main de Sam, qui rappellent un signe typique des cauchemars de Curtis. Enfin, les plans suivant la découverte de la tempête sont construits en exact miroir à la première scène, qui elle aussi oscille entre réalité et hallucination. Cette dernière scène peut donc aussi être interprété comme un dernier cauchemar de Curtis.

 

7.3. Rôle de la famille de Curtis

Hannah, trait d’union entre Curtis et sa maladie

Hannah, de façon paradoxale puisque c’est une fillette sourde, est l’intermédiaire de Curtis qui lui permet d’exprimer ses peurs. Tout au long du film, elle est là pour faire le pont entre lui et sa maladie. Lorsqu’il enferme son chien dehors, c’est pour Hannah qu’il le fait (24:43). Lorsqu’ils sortent faire des courses (29:04), c’est auprès d’Hannah qu’il se rassure. C’est également Hannah qui semble lui faire prendre conscience de son accès de folie lors du dîner du Lions Club. Hannah est aussi présente dans ses cauchemars, à nouveau comme intermédiaire entre Curtis et l’agresseur. Prenons le cauchemar de Curtis lorsqu’il conduit avec Hannah sous la pluie : Curtis parle de nouveau à sa fille pour se rassurer de la pluie battante qui semble l’angoisser. Ensuite, lors de l’accident, le spectateur passe au point de vue d’Hannah voyant Curtis reprendre ses esprits. C’est ensuite Hannah que des inconnus enlèvent par la fenêtre. Il y a donc toujours Hannah entre Curtis et son cauchemar.

Hannah est donc étroitement liée à Curtis et à sa maladie. D’abord, étant son enfant, c’est à elle que Curtis craint qu’on s’en prenne dans ses cauchemars. De plus, Curtis a très peur de devoir abandonner sa famille à cause de la maladie comme il l’a vécu avec sa mère. Ensuite, métaphoriquement, Hannah est ce que devient Curtis : une personne subissant l’exclusion et ne pouvant parler de cela. Le réalisateur décide de faire d’Hannah une petite fille sourde, qui est nécessairement coupée du reste du monde, comme on le voit déjà dans les premières scènes du film. L’histoire du père et de la fille vont se rejoindre. D’abord le problème, la surdité d’Hannah et les étranges visions de Curtis ; ensuite l’espoir de résolution, le remboursement de l’opération d’Hannah et les médicaments de Curtis ; enfin l’échec du traitement de Curtis et d’Hannah dû au renvoi de Curtis. Le réalisateur veut peut-être mettre en évidence en faisant ce parallèle que la maladie de Curtis est une maladie autant que celle d’Hannah. Cependant les habitants sont loin de le reconnaître.

 

La famille Laforche, facteur d’union face à la maladie

Tout au long du film on assiste à une évolution des relations inter-familiales. Tout d’abord, chacun est filmé dans ses activités respectives en compagnie ou non d’Hannah. Comme vu précédemment, les scènes de Curtis à la maison agrandissant son abri répondent aux scènes de Sam au marché. A partir de la scène où Curtis avoue sa maladie à Sam, il y a un rapprochement des deux personnages. Un plan rapproché sur le couple met ceci en évidence.

Après cette scène, les liens entre les trois membres de la famille se resserrent de plus en plus. Après la scène du Lions Club, on ne voit plus apparaître d’autres personnages que la famille, mis à part le psychiatre. Plusieurs plans soulignent cette évolution : on voit les trois membres de la famille enlacés dans un gros plan à la fin du délire de Curtis au Lions Club. On retrouve la même configuration à la sortie de l’abri après la tempête, dans un plan général de quinze secondes centré sur la famille et l’abri.

Ceci aboutit à la dernière scène où le spectateur assiste à une confusion des rôles. Tout d’abord, Le décor apparaît flou dans les différents plans faisant ressortir les membres de la famille, très souvent au premier plan. De plus, des plans très serrés sur les personnages les placent comme intérêt principal de la scène. C’est Hannah cette fois-ci qui perçoit la tempête et qui va la signaler à son père en langage des signes, mot appris avec Sam en début de récit. Sam prend la place de Curtis : elle reste muette face à la tempête. Des gouttes d’eau brunes tombent sur ses mains. Les cheveux de Sam couleur du sable et son t-shirt couleur de la mer mettent en évidence ce plan qui est en exact miroir à un plan de la première scène où Curtis regarde la tempête. Quant à Curtis, c’est lui qui tient Hannah dans ses bras et qui incite cette fois Sam à agir en opposition à la scène dans l’abri anti-tempête. Leur union est devenue si importante que leurs rôles se confondent.

Le réalisateur souligne (dans une interview présente dans les bonus du film) une connexion entre les membres de la famille, que ce soit dans la réalité, dans un rêve de Curtis ou même dans un délire à trois . Ceci rappelle aussi l’enjeu de Curtis de ne pas devoir quitter sa famille à cause de la maladie.

8. Bibliographie

1. JULLIER, Laurent. L’analyse de séquences. 3ème édition. Paris : Armand Collin, 2011. 222p.

2. MOINEREAU, Laurence. CENTRE IMAGES. Initiation au vocabulaire de l’analyse filmique [en ligne]. http://www.centreimages.fr/vocabulaire/index.html (consulté le 17 janvier 2017).

3. WOOLLEY, Agnes. “There's a Storm Coming!”: Reading the Threat of Climate Change in Jeff Nichols's Take Shelter. In : Interdiscip Stud Lit Environ 2014; 21 (1) p. 174-191.

4. AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, et al. Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM-5®). American Psychiatric Pub, 2013.

5. WEINBERGER, R. Daniel HARRISON, J. Paul. Schizophrenia. Third edition. Singapore : Wiley-Blackwell, 2011. 722 p.

6. ALMEIDA, Joyce. ROYAL COLLEGE OF PSYCHIATRISTS, Take Shelter, [en ligne]. http://www.rcpsych.ac.uk/discoverpsychiatry/mindsonfilmblog/takeshelter.aspx (consulté le 20 mars 2017).

7. WATERS, Flavie BLOM, Jan Dirk DAND-VU, Thien Thanh CHEYNE J., Allan ALDERSON-DAY, Ben WOODRUFF, Peter COLLERTON, Daniel. What Is the Link Between Hallucinations, Dreams, and Hypnagogic–Hypnopompic Experiences?. In : Schizophr Bull 2016; 42 (5) : p. 1098-1109.