Prix Maurice Chalumeau

Le «Prix senior Maurice Chalumeau 2021» ex æquo a été décerné à Sophie-Valentine Borloz, pour la thèse de doctorat en littérature française qu’elle a soutenue à l'Université de Lausanne, sous le titre:

« L’odorat a ses monstres ». Olfaction et perversion dans l’imaginaire fin-de-siècle (1880-1905) » 

Cette thèse porte sur la façon dont les représentations entourant l’olfaction (sens animal, primitif, instinctif) et les prétendues « déviances » sexuelles ont été associées dans l’esprit des hommes de l’art et hommes de lettres français à la fin du XIXe siècle. En faisant dialoguer textes médicaux et textes littéraires, elle montre comment praticiens et écrivains se sont mutuellement inspirés et ont collaboré à la création d’une nouvelle entité nosologique marquante : le pervers olfactif. Méconnue, cette figure est pourtant centrale dans l’étude de la protosexologie, puisqu’elle se retrouve dans l’ensemble des grandes « perversions » qu’identifie l’époque, tant le fétichiste que l’onaniste, tant la lesbienne que la prostituée se caractérisant par un rapport jugé anormal aux odeurs. La pensée d’époque peut donc se résumer à cet adage : là où il y a perversion, il y a olfaction. Inversement, l’association entre odorat et déviance est si étroite que toutes les activités incluant un rapport au parfum se trouvent à leur tour menacées du spectre de la dépravation et de la maladie, permettant de compléter l’aphorisme : là où il y a olfaction, il y a perversion.
Cette recherche présente un double intérêt. Résolument interdisciplinaire, se situant à l’intersection de l’histoire littéraire, de l’histoire de la médecine sexuelle et des Smell Studies, elle permet d’une part de mettre en lumière un aspect méconnu de la proto-sexologie et de l’histoire des perversions en les abordant à travers le prisme des études olfactives. Elle montre ainsi l’influence déterminante de l’osphrésiologie (l’étude des
odeurs) sur l’élaboration de nosographies et de modèles cliniques qui ont durablement marqué la discipline et continuent, pour certains, à imprégner nos représentations. D’autre part, elle invite à prendre davantage en compte la dimension olfactive lorsqu’est abordée la question de l’érotisme, qui fait souvent la part belle aux sens de la vue et du toucher. Pour pathologisants et virulents qu’ils soient, les textes de la fin du
XIXe siècle ont le mérite de reconnaître l’importance des senteurs (de soi, de l’autre, des lieux, des objets) dans les sexualités. En cela, cette thèse fournit un cadre permettant de contextualiser et de situer historiquement certaines problématiques actuelles, allant de la commercialisation de parfums aux phéromones censés rendre leur porteur irrésistible à la récente prise de conscience (COVID oblige) de l’influence de la perte de l’odorat sur le désir sexuel.

  • S-V. Borloz, « Portrait du parfumeur en fille de joie », colloque international « Le parfumeur, évolution d’une figure depuis la Renaissance », Château de Versailles, Versailles, 14-15 octobre 2021.

  • S-V. Borloz, « De souvenir en fétiche : réminiscences féminines », journée d’études de la SERD « Femmes, féminité et parfums au XIXe siècle : imaginaires olfactifs et construction du genre », MUCEM, Marseille, 7 mai 2021.

  • S-V. Borloz, « The Readability Crisis of Floral Perfumes », colloque international « Common Scents: Smells and Social Life in European Literature (1880-1939) », University of London, 22-23 novembre 2018.

  • S-V. Borloz, « Parfum d’adultère », colloque international « Sens et Senteurs. Une question d’expression et de communication », Université de Lille, 5-6 octobre 2018.

  • S-V. Borloz, « De l’aromal à l’amoral. Passage obligé d’un style d’écriture à un style de vie », Colloque international NCFS « Le Style », University of Virginia, 9-11 novembre 2017.


Vidéo de présentation du prix senior Maurice Chalumeau 2021