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Protéger les espèces marines, une histoire de statisticiens ?

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©LDD

Lorsque les pêcheurs jettent leur filet en mer, ils ne peuvent pas trier leurs prises. Des poissons d’espèces non commercialisables et protégées, à l’image du requin marteau, se retrouvent prisonnières et meurent inutilement. Afin de limiter au maximum ces prises accidentelles, des statisticiens de l’Université de Genève (UNIGE), de l’Université de Dalhousie (Halifax, Canada) et de l’Université nationale australienne (Canberra) ont proposé une nouvelle méthodologie statistique permettant de prédire avec plus de précision les prises accidentelles lors de futures campagnes de pêche. Cette méthode, à découvrir dans la revue Annals of Applied Statistics, est également applicable à d’autres domaines, à l’image  de l’économie de la santé,  de la médecine ou encore des sciences de l’éducation.

Lors de leurs sorties en mer, les pêcheurs attrapent des poissons destinés à la commercialisation, mais également des espèces protégées non ciblées. Afin de pouvoir étudier la quantité de prises accidentelles et leur impact sur la faune marine, les biologistes récoltent des jeux de données comprenant les chiffres de pêche et ceux des conservations des espèces. La structure de ces données, dite «emboîtée», est très complexe car elle intègre de nombreuses informations techniques tels que le nombre de voyages ou le type de bateau utilisé. Elles recensent aussi, pour chaque voyage, le nombre de poissons d’espèces protégées pris dans les filets. Mais certaines espèces, par exemple le requin marteau, sont absentes la plupart du temps. Il devient alors délicat d’établir des modélisations en tenant compte du nombre de prises nulles pour chaque espèce. «Aucune méthodologie statistique générale combinant une structure des données emboîtée et une grande quantité de zéros dans les observations n’existait jusqu’à présent. Il s’agissait alors de combler ce manque, ce que nous avons fait en proposant un modèle très général et flexible, appelé le Random-Effects Hurdle Model (Modèle à effets aléatoires de type haie)», expose Eva Cantoni, professeur au Research Center for Statistics de la Faculté d’économie et de management (GSEM) de l’UNIGE.


La complexité de la généralité


Les statisticiens ont mis au point une nouvelle méthodologie dont le but final est de gérer la pêche et de réduire les prises accidentelles. «Il nous a fallu prendre en compte de nombreux aspects», explique Eva Cantoni. «Il s’agissait d’étudier l’évolution du nombre de prises dans le temps, mais aussi les différentes saisons et la météorologie, tout en tenant compte des conditions techniques : la profondeur des filets, les saisons, les crochets utilisés, la présence ou non de lumière, la sorte de bateau, etc.», ajoute-t-elle. En fonction des données récoltées, les chercheurs ont relevé les conditions facilement influençables, comme par exemple la profondeur des filets, qui permettraient de diminuer la pêche d’espèces non commercialisables.


Les statisticiens ont ensuite construit une nouvelle méthodologie combinant des modèles plus anciens spécialisés soit dans les structures emboîtées, soit dans la gestion du zéro. «La difficulté était de combiner ces deux aspects, tout en rendant le modèle le plus général possible, afin qu’il s’adapte à toutes les situations», souligne Joanna Mills Flemming, du Département de mathématique et de statistique de l’Université de Dalhousie.


Or plus un modèle est général, plus il est complexe à manier. Des techniques modernes de simulations ont été utilisées pour estimer les paramètres du modèle (liés, par exemple à la profondeur des filets, etc) et leur variabilité. Enfin, les auteurs ont démontré des théorèmes qui déterminent et quantifient les marges d’erreurs du modèle et de ses prévisions.


Prévenir les prises accidentelles et soutenir la politique environnementale


Grâce à cette modélisation, il est désormais possible d’estimer les possibles prises accidentelles lors de campagnes de pêche. «Lorsque les pêcheurs nous fournissent les données de leurs campagnes, nous pouvons désormais prévoir avec plus de précision les prises accidentelles de requins marteaux par exemple», s’enthousiasme Eva Cantoni. «La méthodologie proposée peut ainsi servir de soutien aux politiques environnementales, en interdisant la pêche à une certaine profondeur lors d’une période de l’année, car celle-ci contiendrait un pourcentage trop important de prises accidentelles», ajoute Alan Welsh, de l’Université nationale australienne.

Enfin, ce modèle comble un manque en statistique. Précédemment, il n’y avait aucun modèle général capable de prendre en compte simultanément des structures de données emboîtées et complexes et un nombre important d’observations égales à zéro. Aujourd’hui, le modèle proposé sert non seulement la pêche commerciale, mais peut également être utilisé dans d’autres domaines possédant la même structure complexe des données, à l’image de l’économie de la santé,  de la médecine ou des sciences de l’éducation.

Contact: Eva Cantoni, +41 22 379 82 40

9 nov. 2017

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