2017

Quand l’écrit pénalise l’oral

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En haut, en rouge : couplage occipito-temporal dans le cortex droit, révélant un pronostic défavorable d’implants cochléaires
En bas, en bleu : découplage occipito-temporal dans le cortex droit, révélant un pronostic favorable d’implants cochléaires (adapté de Strelnikov et al. 2013).© UNIGE – Institut Vernes, Paris.

L’implant cochléaire est une prothèse électronique permettant de stimuler directement les terminaisons nerveuses de l’oreille interne, afin de restaurer l’audition lors d’une surdité profonde. Il permet aux personnes devenues sourdes de communiquer à nouveau oralement, même par téléphone, et aux enfants sourds de naissance d’apprendre à parler et de suivre une scolarité normale. Néanmoins, les résultats peuvent être très variables, et certaines personnes ne parviennent pas à en tirer le bénéfice escompté, sans que l’on puisse prédire l’échec à partir de facteurs strictement cliniques. En utilisant les données issues de technologies permettant de visualiser l’activité cérébrale, une chercheuse de l’Université de Genève (UNIGE) et une chirurgienne ORL à Paris sont parvenues à décrypter certains processus de réorganisation cérébrale à l’œuvre lors de la perte d’audition, et ainsi à prédire le succès ou l’échec de l’implantation cochléaire chez des personnes devenues sourdes profondes à l’âge adulte. Des résultats à lire dans Nature Communications.


Les implants cochléaires sont des prothèses électriques visant à pallier une déficience de l’oreille interne, acquise ou congénitale. Dispositifs d’abord expérimentaux dans les années 70, ils sont couramment utilisés depuis les années 90 et ont permis d’apporter un important confort de vie à de nombreuses personnes sourdes, en restaurant chez eux une bonne capacité de compréhension orale.  Mais malgré les progrès techniques, les implants restent peu efficaces chez 5 à 10% des adultes devenus sourds. Pourquoi? Afin de répondre à cette question cruciale d’un point de vue clinique,  Anne-Lise Giraud, neuroscientifique à la Faculté de médecine de l’UNIGE, et Diane Lazard, chirurgienne ORL à l’Institut Vernes (Paris), ont cherché à identifier les facteurs cérébraux liés au succès ou à l’échec des implants.


Les scientifiques se sont penchées sur la manière dont les cerveaux des personnes sourdes parviennent à se représenter les sons de la parole et leur capacité à réutiliser ces répresentations après une implantation cochléaire. «Notre test se déroule ainsi : nous présentons aux personnes examinées des stimuli visuels  – des mots écrits – en leur demandant d’effectuer une tâche bien définie. Elles doivent par exemple déterminer si deux mots riment ou ne riment pas quelle que soit leur orthographe, comme par exemple poisson et hameçon. Le sujet doit alors faire appel à son souvenir des sons et nous observons, par IRM fonctionnelle, les réseaux corticaux en action», explique Anne-Lise Giraud. Et de manière très surprenante, les chercheuses ont observé que certains sourds exécutaient cette tâche plus vite et aussi bien que le groupe contrôle constitué de personnes entendantes, alors qu’on se serait attendu à ce qu’ils soient plutôt plus lents et moins précis.


Le cerveau réorganisé des « super-lecteurs »
Chez les «super-lecteurs», ces personnes sourdes capables de manier les mots écrits plus vite que les entendants, le cerveau semble avoir opté pour le remplacement de l’oralité par les échanges écrits et s’est restructuré en conséquence. Les circuits cérébraux que ces «super-lecteurs» utilisent, situés dans l’hémisphère droit, sont réorganisés différemment et chez eux, les implants cochléaires donnent de mauvais résultats. Les autres sourds, ceux qui exécutent la tâche à la même vitesse que les sujets contrôles, démontrent qu’ils restent plus ancrés dans l’oralité et tirent au final un meilleur bénéfice des implants cochléaires. A l’arrivée de la surdité, ces derniers arrivent à lire sur les lèvres, contrairement aux «super-lecteurs», et vont ainsi préserver une organisation centrale phonologique proche de celle des normo-entendants, qui fait appel à l’hémisphère cérébral gauche. Il s’agit donc de deux catégories de patients dont les circuits corticaux fonctionnent de manière très dissemblable.


Ces recherches mettent en évidence le rôle essentiel des interactions entre les systèmes auditif et visuel dans le succès ou l’échec de l’implant cochléaire. Le résultat de l’implantation va en effet dépendre de cette réorganisation corticale : chez les «super-lecteurs», le fait de s’adapter à la surdité en développant des capacités visuelles supranaturelles devient un handicap lors de l’implantation. Est-il possible de revenir en arrière ? «Difficile de le dire pour l’instant. Mais l’idée est aussi de repérer, à l’avance, les gens qui auront tendance à se diriger exclusivement vers l’écrit et leur proposer des mesures actives pour les maintenir dans l’oralité, notamment avec des appareils auditifs et une prise en charge orthophonique beaucoup plus précocement que cela n’est proposé actuellement», souligne Diane Lazard. «Nous ignorons également pourquoi certaines personnes choisissent, inconsciemment, l’une ou l’autre voie, mais il y a certainement une part de prédisposition. En effet, nous apprenons tous à fusionner les informations auditives et visuelles avant l’âge de trois ans ; certaines personnes y parviennent mieux que d’autres et, chez les sourds, les bons intégrateurs audio-visuels auront probablement tendance à rester davantage dans l’oralité», indique Anne-Lise Giraud. Ces résultats expliquent également pourquoi il est essentiel d’équiper les enfants souffrant de surdité congénitale dans les premiers mois de vie, c’est-à-dire avant la réorganisation des circuits cérébraux visuels et auditifs qui pourraient compromettre leur accès à l’oralité.

Contact: Anne-Lise Giraud, +41 22 379 55 47

27 mars 2017

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