2018

Rendre les molécules asociales pour en décupler l’énergie

En forçant des molécules à répudier leurs semblables, des chimistes de l’UNIGE sont parvenus à les organiser comme ils le souhaitent, dans le but final de convertir la lumière infrarouge en lumière visible.

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Illustration du caractère fort asocial nécessaire à l’organisation des terres rares le long d’une chaîne polymérique. © UNIGE

 

La lumière visible pour l’œil humain se situe entre l’ultraviolet (haute énergie) et l’infrarouge (basse énergie). C’est dans cette fenêtre que les cellules solaires captent la lumière pour produire de l’énergie. Or, près de 50% du rayonnement solaire se situe dans la zone de basse énergie qu’est l’infrarouge proche et lointain. Des chimistes de l’Université de Genève (UNIGE) sont en passe de «rendre visible» la lumière infrarouge en empilant les photons qui la constituent pour en augmenter l’énergie grâce à une chaîne moléculaire constituée d’une alternance de terres rares. Pour la réaliser, il faut que les éléments semblables, naturellement indifférents les uns aux autres, se rejettent violemment afin de ne pas être voisins dans la chaîne. Pour réaliser ce tour de force, les chercheurs de l’UNIGE ont programmé et modifié les molécules de terres rares, induisant la répulsion de leurs semblables. Des résultats à lire dans la revue Chemical Science.
 
Quinze éléments du tableau périodique sont qualifiés de terres rares, non pas parce qu’ils sont difficiles à trouver sur le globe, mais parce qu’ils possèdent des caractéristiques propres aux niveaux chimique, magnétique et optique. C’est pourquoi, avec la montée de l’électronique, ils sont utilisés dans la grande majorité des objets de notre quotidien : aimant, lampe, batterie, catalyseur, etc.


Des chimistes de l’UNIGE, en collaboration avec le Centre de biophysique moléculaire du CNRS d’Orléans, se sont alors demandés s’il serait possible de combiner des molécules de terres rares afin de promouvoir les photons de la zone infrarouge vers la lumière visible et de les rendre utilisables par nos cellules solaires.


Rejeter son voisin pour augmenter l’énergie


Pour créer une chaine moléculaire de terres rares, dite polymérique, il faut sélectionner deux terres rares, l’ytterbium et l’erbium, et les alterner dans les petits récepteurs moléculaires qui constituent la chaîne, afin de permettre le transfert de l’énergie. Mais les molécules d’ytterbium comme celles d’erbium ont tendance à se regrouper aux mêmes endroits de la chaîne, empêchant l’alternance. «Il fallait trouver un moyen pour que lorsqu’une molécule de terre rare remplit un récepteur, elle rejette ensuite les molécules semblables des récepteurs voisins», explique Claude Piguet, professeur au Département de chimie minérale et analytique de la Faculté des sciences de l’UNIGE.


Les chimistes de l’UNIGE ont donc manipulé directement les molécules de terres rares à l’aide de groupes d’atomes qui déstabilisent la symétrie de ces éléments. «En détruisant le centre de symétrie de la molécule, nous avons changé ses propriétés et construit son caractère asocial qui la pousse à rejeter toute molécule qui voudrait s’installer dans le récepteur voisin», précise Claude Piguet.


Une histoire de coopérativité


Mais comment la molécule sait-elle que le récepteur voisin est vide ou rempli ? Dès que l’un d’entre eux reçoit une molécule de terre rare, il avertit ses récepteurs voisins grâce au principe de coopérativité qui lie le comportement des récepteurs de la molécule. En effet lorsque le récepteur est plein, il change ses liens d’affinités avec ses voisins et favorise ou repousse les molécules qui voudraient s’y installer. «Ce principe est capital pour nous permettre de rendre les molécules asociales, relève Claude Piguet. Pour le moment, nous ne pouvons pas encore alterner un ytterbium et un erbium, mais nous pouvons faire en sorte que lorsqu’un ytterbium prend place, aucune autre terre rare ne vienne s’installer à sa gauche ou à sa droite, grâce au principe de coopérativité qui lui fait rejeter tout voisin possible.»


Les chimistes de l’UNIGE sont donc à la première étape de l’organisation de la chaîne polymérique, qui à terme devrait permettre de rendre l’énergie infrarouge visible, une fois les vides comblés par les molécules d’erbium. «Il y a 15 ans, il semblait impossible de pouvoir manipuler et empiler les photons en utilisant des molécules de terres rares. Aujourd’hui, nous pouvons les organiser et les trier comme nous le souhaitons. C’est une immense avancée vers l’usage de la lumière infrarouge dans de nouveaux outils que nous pourront reproduire à volonté et utiliser dans notre quotidien», conclut Claude Piguet.



22 févr. 2018

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