2019

Cancer du sein: de vieilles recettes prometteuses

Des chercheurs de l’UNIGE et de l’UNIL démontrent l’efficacité d’un antibiotique bien connu dans le traitement d’une forme particulièrement mortelle du cancer du sein, offrant l’espoir d’une thérapie ciblée.

 

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Cellules tumorales avec ou sans clofazimine. Sans clofazimine (à gauche), les voies de signalisation Wnt (en rouge fluorescent) apparaissent très actives- Avec (à droite), elles sont presque entièrement éteintes. (©UNIGE – UNIL – Vladimir Katanaev)

 

Des trois grands sous-types de cancer du sein, le « triple négatif » s’avère le plus mortel : la moitié des décès du cancer du sein lui sont en effet imputés, pour seulement environ 15% des cas des incidences du cancer du sein. Et contrairement aux autres cancers du sein, il s’avère résistant à la plupart des thérapies existantes. En étudiant les propriétés de la clofazimine, un antibiotique vieux de 70 ans, des scientifiques des universités de Genève (UNIGE) et de Lausanne (UNIL) apportent la preuve de son efficacité à stopper la progression de la maladie dans des tests in vivo. Il permet en effet de bloquer la voie de signalisation cellulaire Wnt – une perturbation du mécanisme cellulaire à l’origine de nombreux cancers, dont celui du sein triple négatif. Des résultats, à lire dans le journal Cancer Letters, qui mettent en lumière la nécessité de réexaminer d’un œil neuf les médicaments déjà disponibles sur le marché, et notamment les plus anciens.

Frappant surtout les femmes jeunes, le cancer du sein triple négatif constitue une forme particulièrement agressive de cancer du sein. Sa progression très rapide et l’absence de traitement efficace contribuent ainsi à en faire une maladie extrêmement grave, à l’origine du décès de plus de 200’000 femmes par an dans le monde.

 

Mieux cibler pour mieux soigner

De plus en plus, les spécialistes du cancer cherchent à mettre au point des thérapies ciblant précisément les cellules cancéreuses mais qui épargneraient les cellules saines. Vladimir Katanaev, professeur au Centre de recherche translationnel en onco-hématologie de la Faculté de médecine (CRTOH) à l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux, en explique le principe: «L’idée est d’identifier les éléments moléculaires spécifiques aux cellules tumorales, mais absents des cellules saines, afin d’en faire la cible privilégiée de traitements médicamenteux. Ces éléments – que l’on appelle oncogènes – sont nécessaires à la transformation des cellules saines en cellules malignes; il s’agit donc de leur couper les ailes, sans endommager les cellules voisines.»

Dans le cas du cancer du sein triple négatif, ainsi que dans d’autres cancers comme du foie ou du côlon, l’un des principaux suspects est la voie de signalisation cellulaire Wnt. Lorsque des cellules communiquent entre elles, elles le font au travers de signaux chimiques, les voies de signalisation. La cellule qui reçoit le signal y répond en migrant, par exemple, ou en se divisant. La voie de signalisation Wnt est essentielle lors de l’embryogénèse en permettant au futur bébé de se développer correctement. Chez les adultes, par contre, elle est généralement éteinte et sa réactivation – suite à une mutation ou à des modifications épigénétiques – donne un signal erroné de croissance et permet le développement tumoral. Mais si l’on parvient à bloquer Wnt, la croissance tumorale s’interrompt.

 

Un antibiotique très ancien aux capacités insoupçonnées

En 2014, l’équipe du professeur Katanaev, alors à l’UNIL, avait montré in vitro l’effet inhibiteur de la clofazimine sur la voie de signalisation de Wnt dans le cancer du sein triple négatif. Les chercheurs confirment aujourd’hui cet effet in vivo, sur des modèles animaux de la maladie: «Avec la clofazimine, la croissance des tumeurs est fortement diminuée», indique Vladimir Katanaev. «De plus, nous n’avons détecté aucun effet secondaire indésirable, un aspect essentiel dans le processus de mise au point de médicaments.»

Les chercheurs ont aussi prouvé que la clofazimine cible bien in vivo la voie de signalisation Wnt, comme prévu. De plus, la clofazimine est encore plus efficace lorsqu’elle est administrée combinée à la doxorubicine, un médicament chimiothérapeutique classique. Alexey Koval, chercheur au CRTOH de l’UNIGE à la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL et co-premier auteur de ces travaux, analyse ces résultats: «La clofazimine agit comme inhibiteur de la voie de signalisation Wnt: la cellule malade ne peut plus se diviser, mais ne meurt pas. La doxorubicine, quant à elle, tue les cellules arrêtées dans leur croissance. Une combinaison d’une efficacité redoutable!»

 

Le repositionnement des médicaments, avenir de la pharmacologie?

De nombreux chercheurs à travers le monde ont entrepris de réexaminer des médicaments existants à l’aune des nouvelles technologies et méthodologies aujourd’hui disponibles, afin d’en découvrir des effets inconnus. Le repositionnement de médicaments, pour lesquels les procédures de tests et de mise sur le marché sont plus simples que pour des molécules entièrement nouvelles, permet en effet de gagner du temps et coûte moins cher. La clofazimine, un antibactérien utilisé pour lutter contre la lèpre, existe depuis longtemps et est, de fait, dans le domaine public. «Très peu cher, ce médicament figure même sur la liste des médicaments essentiels de l’OMS et est produit un peu partout dans le monde, y compris en Suisse» , ajoute Vladimir Katanaev. «Cela constitue un avantage, bien sûr, mais complique aussi la levée de fonds nécessaire à la poursuite de nos travaux : en effet, aucun brevet ne pourra être déposé.»

La prochaine étape consiste maintenant à effectuer des essais cliniques en impliquant des patientes volontaires, d’abord à Genève, puis vraisemblablement ailleurs en Suisse.

28 mars 2019

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