2020

À Genève, le COVID-19 a fait plonger les personnes précaires

Perte d’emploi, recours à l’aide alimentaire, dégradation de la santé, une étude montre comment, à Genève, la crise du coronavirus a fragilisé une population déjà précaire.

 

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Distribution de denrées alimentaires par les Colis du Coeur aux personnes en situation de précarité pendant la crise sanitaire du COVID-19 à Genève. © Colis du Coeur/David Wagnières.

 

À Genève, les conséquences sociétales et économiques du semi-confinement ont touché de plein fouet les populations qui connaissaient déjà des difficultés à satisfaire leurs besoins élémentaires. Leur situation s’est profondément dégradée, révèle une étude de l’Université de Genève (UNIGE), réalisée à la demande de la fondation Colis du Cœur et avec la collaboration de l’Etat et de la Ville de Genève, du Centre social protestant et du CAPAS. Impact de la crise sanitaire sur l’alimentation, la perte d’emploi, le niveau de revenus ou la dégradation de la santé, l’étude dresse un bilan de la situation deux mois après le début du semi-confinement et identifie des pistes d’intervention pour les services sociaux et associatifs. La majorité des personnes interrogées vivent dans des ménages en surdensité et, malgré leurs difficultés, ne font pas appel aux aides. Les sociologues recommandent un renforcement des mesures conjoncturelles de crise, une meilleure information sur les aides existantes, et des initiatives rappelant les responsabilités des employeurs et les droits des travailleurs.

 

La situation genevoise des populations en situation précaire s’est hautement aggravée pendant la crise sanitaire du COVID-19. «7 972 personnes ont bénéficié d’une aide alimentaire la semaine du 10 août 2020» rappellent les Colis du Cœur qui distribuent des denrées aux personnes en situation de précarité dans le canton de Genève depuis 1993. Les images des files d’attente à la patinoire des Vernets, lors des distributions de nourriture, ont marqué les esprits. Ces situations de détresse, symboliquement fortes pour un pays associé à la prospérité financière, ne sont pas propres à Genève, elles ont été observées dans l’Europe entière. Pour Jean-Michel Bonvin, professeur à l’Institut de démographie et socioéconomie de la Faculté des sciences de la société de l’UNIGE et auteur de l’étude, «les populations précaires sont plus à risque d’échapper aux radars de la politique sociale. Les difficultés auxquelles elles font face sont mal connues et constituent un obstacle à la mise en place d’interventions en situation d’urgence». 

 

À la rencontre d’une population mal connue

Jean-Michel Bonvin et son équipe —Max Lovey, Emilie Rosenstein, Pierre Kempeneers, cinq étudiants du Master en socioéconomie et un doctorant de l’Université de Valence— sont donc allés à la rencontre de la population genevoise précarisée. Un questionnaire et des entretiens effectués auprès des bénéficiaires de la fondation Colis du Cœur ont servi de base à l’étude, menée en mai 2020. Au total, 223 réponses et 40 entretiens ont été exploités. Une grande majorité des répondant-es ont de 25 à 50 ans (76,6 %) et sont des femmes (68,6 %), un nombre important sont originaires d’Amérique du Sud (45,7 %), sont sans statut légal ou dans l’attente d’un permis (44,5 %), tandis qu’une proportion significative est au bénéfice de la nationalité suisse ou d’un permis de séjour durable (43,2 %). Les différents niveaux d’éducation sont variés, allant des sans-diplômes aux profils universitaires. «Les différentes catégories de qualification sont représentées dans des proportions similaires au sein de l’étude», précise Jean-Michel Bonvin.

 

Des conditions de vie dégradées

L’impact de la crise du COVID-19 s’est notamment traduit par une insécurité alimentaire. Une très large majorité des répondant-es dit avoir craint de manquer de nourriture et avoir dû acheter de la nourriture de moins bonne qualité. Une situation d’insécurité alimentaire en lien avec la deuxième grande observation du rapport mettant en évidence une baisse significative des revenus, principalement due à la perte d’emploi. Le pourcentage de personnes en emploi au sein de l’échantillon est en chute libre, passant de 59,3 % à 35,4 % en deux mois. Au total, ce ne sont pas moins de 24 % des répondant-es qui ont perdu leur emploi. Et parmi celles et ceux qui ont réussi à le conserver, «la plupart ont vu leurs heures de travail et leur salaire fondre. Les factures peinent à être payées.», précise le sociologue. L’économie domestique et la restauration sont les secteurs les plus touchés. 

Fait particulièrement marquant : les niveaux de formation des personnes précaires interrogées n’ont pas d’incidence sur leur taux d’emploi ou leur niveau de revenu. La majorité vit au sein d’un ménage qualifié de surdense, soit deux personnes ou plus par pièce d’habitation, ce qui est le cas de plus de 70 % des personnes sans ou dans l’attente d’un permis de séjour. Finalement, l’étude rapporte un fort impact de la pandémie sur la santé physique et psychique: les personnes interrogées déclarent une baisse significative de la satisfaction à l’égard de leur vie.

 

Des situations fréquentes de cumul de désavantages

«La littérature démontre qu’il existe un décalage important entre les besoins et le recours effectif aux prestations sociales. Le constat est le même dans notre étude». En effet, une large majorité des personnes ayant répondu au questionnaire disent ne pas avoir recours aux aides institutionnelles ou associatives alors même qu’elles se déclarent dans le besoin. Un non-recours qui est largement dû, selon l’enquête, à un manque d’information et une non-connaissance de l’existence des services d’aide. La crainte de perdre son permis de séjour ou de travail ou d’être renvoyé de Suisse motive également ce refus d’appel à l’aide. Pour joindre les deux bouts et survivre sans ces précieux soutiens, les gens recourent parfois à la débrouille ou à l’emprunt, à des taux pouvant dépasser les 6 %. Cependant, «on observe de nombreuses situations de cumul des désavantages, où les personnes qui ne recourent pas aux aides sont aussi celles qui ont le plus de difficulté à déployer des stratégies alternatives.», rajoute-t-il.

 

Des voies à explorer 

Le rapport propose une combinaison de mesures conjoncturelles et structurelles. D’une part, l’accès facilité au chômage technique, l’aide aux indépendants et aux entreprises, doivent être renforcés et prolongés aussi longtemps que nécessaire. En parallèle, un besoin d’information sur les droits et prestations disponibles a été exprimé et des mesures concrètes doivent être mises en place pour encourager les personnes à faire appel aux aides. 

Au niveau des mesures structurelles, les sociologues de l’UNIGE appellent des solutions garantissant l’accès à des emplois décents en termes de revenus comme de droits sociaux, ainsi qu’à des logements de qualité acceptable. «Toutes les mesures visant à promouvoir l’établissement de contrats de salarié-es, à limiter le travail au noir et à valoriser les diplômes sont des pistes à explorer», conclut Jean-Michel Bonvin.

 

22 sept. 2020

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