2020

Flou juridique autour de la prise en charge du COVID-19

Peut-on concilier la lutte contre la pandémie avec un système de franchises, de quote-part et de participation quotidienne aux frais hospitaliers qui contraignent les personnes assurées à supporter une partie des coûts?

 

Dépistages, prises en charge, traitements, la crise sanitaire du COVID-19 met le système de soins sous pression, y compris d’un point de vue économique. Mais en Suisse, la nouvelle loi sur les épidémies, entrée en vigueur en 2016, ne traite que de manière succincte du financement de ces soins. Les mois qui viennent de s’écouler ont montré que l’articulation entre la loi sur les épidémies et la législation en matière d’assurances sociales est tout sauf claire et qu’un certain flou entoure aussi les conditions de l’intervention de plusieurs assurances sociales. Une chercheuse de l’Université de Genève (UNIGE) dresse l’état des lieux dans la revue en ligne Jusletter et plaide pour que les décisions soient concentrées entre des mains uniques.

La loi sur les épidémies a pour but de prévenir et combattre l’apparition et la propagation des maladies transmissibles. Elle permet d’adopter des mesures contraignantes pour les personnes, en principe sous l’autorité des médecins cantonaux, telles que la quarantaine, l’isolement, le dépistage ou le traitement, sans régler pour autant la question de leur prise en charge. La Confédération l’a déléguée aux cantons qui n’interviennent que si aucune autre source de financement n’est disponible. En d’autres termes, soit une assurance sociale assume les coûts, soit c’est aux cantons de s’en charger. «Mais les différences entre les solutions cantonales ont révélé la pluralité des interprétations possibles, tout comme certains effets pervers», remarque Anne-Sylvie Dupont, professeure au Département de droit public de la Faculté de droit de l’UNIGE et à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel, spécialiste du droit de la sécurité sociale et des assurances sociales.

Dans le cas du COVID-19, trois assurances sociales sont concernées : l’assurance-maladie, l’assurance-accidents et l’assurance militaire. La première ne couvre pas tous les frais, laissant à la charge de la personne assurée le paiement de sa franchise, une quote-part de 10% des coûts et 15 francs par jour pour les hospitalisations.

 

Comment définir une maladie professionnelle?

L’assurance-accidents peut quant à elle intervenir si le COVID-19 est reconnu comme maladie professionnelle. Avantage, elle prend en charge l’intégralité des coûts, sans franchise ni quote-part et compense également la perte de revenu. Inconvénient de taille, il faut s’entendre sur le caractère de maladie professionnelle du COVID-19. La SUVA pose pour condition que «les collaborateurs exerçant l’activité professionnelle en question soient exposés à un risque bien plus élevé de contracter le coronavirus que le reste de la population» et semble réserver cette définition au personnel soignant. Pour Anne-Sylvie Dupont, la reconnaissance doit être plus large, et «englober l’entier du personnel des établissements de soins ainsi que les travailleuses ou travailleurs exposé-es de par leur profession à de nombreux contacts avec des personnes dont ils ou elles ne connaissent pas l’état de santé, par exemple à la Poste ou dans les activités de vente, notamment en pharmacie.»

 

Le casse-tête du dépistage

Depuis le 25 juin 2020, le test de dépistage est gratuit, son coût est pris en charge par la Confédération. Mais qu’en était-il avant cette date du point de vue de l’égalité de traitement ? Depuis le 4 mars 2020, le test de dépistage figure sur la liste des analyses établie par le Conseil fédéral et devait donc être remboursé par l’assurance-maladie. Mais la personne assurée devait-elle participer aux frais ? Tout dépend, selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP): oui au travers de la franchise ou de la quote-part si le test avait été prescrit par le médecin traitant, non s’il avait été prescrit par le médecin cantonal. Cette position a induit «une inégalité de traitement entre les personnes qui doivent recourir au test», déplore Anne-Sylvie Dupont qui dénonce la mise en péril des objectifs de santé publique. «Le fait de devoir en payer le prix a pu décourager la personne assurée de se soumettre au test de dépistage. Le risque qu’un individu porteur du virus ait ainsi échappé à la vigilance du système sanitaire s’en est trouvé augmenté.» Comme le dépistage répond à un objectif supérieur de santé publique les cantons devraient rembourser à la personne assurée les montants qu’elle a versés. «Cette triangulation entre la personne assurée, sa caisse-maladie et le canton rend ardue la mise en œuvre du système voulu par le législateur» regrette Anne-Sylvie Dupont.

 

Masques et quarantaines

Les masques, désormais obligatoires dans les transports publics, ne sont pas remboursés par l’assurance-maladie et n’entraînent donc pas d’inégalité de traitement. « Nous sommes tous égaux devant le fait de devoir payer nos masques », résume la chercheuse. Même constat pour les coûts engendrés par la quarantaine qui ne donnent pas lieu à des prestations des assurances sociales, du moins tant que la personne n’est pas malade. La compensation de son éventuelle perte de gain relève donc du droit du travail et sera fonction de sa situation personnelle, de son ancienneté, d’éventuelles autres prestations déjà obtenues. «Cela pose évidemment un problème humain, déplore Anne-Sylvie Dupont, ce seront majoritairement les personnes les plus fragiles qui risquent d’être touchées.»

 

Inégalité de traitement face aux hospitalisations

Lorsqu’aux mois de février et mars, les cantons ont dû accroître rapidement leurs capacités hospitalières, ils ont eu recours à deux solutions distinctes : certains cantons, comme Genève, ont modifié leurs listes hospitalières pour que des établissements privés puissent accueillir des malades du COVID-19. D’autres, à l’instar des cantons de Vaud et Neuchâtel, ont au contraire concentrés ces mêmes malades dans les établissement publics et délesté sur les établissements privés les personnes traitées pour d’autres raisons. Dans les deux cas, les solutions adoptées contreviennent aux règles de la loi sur l’assurance-maladie, sans qu’une base légale ne l’autorise. D’autres cantons encore ont choisi de financer les séjours hospitaliers «COVID» via des prestations d’intérêt général. Dans ce cas, la personne assurée n’a rien à payer de sa poche. La liberté laissée aux cantons débouche ainsi sur une nouvelle inégalité de traitement.

«Manifestement, conclut Anne-Sylvie Dupont, la loi sur les épidémies est insuffisante pour permettre une solution juridiquement cohérente à une situation de pandémie. Les tests doivent être pris en charge par les pouvoirs publics exclusivement et, pour des raisons d’efficacité, il faudrait concentrer en des mains uniques les possibilités de coordonner la carte des structures de soins disponibles et le financement de ces soins.»

6 juil. 2020

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