2007-2008

Un petit doigt pour la science, un grand pas pour l’humanité - L’équipe du prof. Denis Duboule dévoile les secrets du pouce

Comment se fait-il que le pouce ne compte que deux phalanges plutôt que trois et à quoi cela sert-il? Une collaboration entre une équipe lémanique de chercheurs en génétique moléculaire dirigée par le prof. Denis Duboule et des mathématiciens de l’Université Paris VI élucide aujourd’hui ce mystère en révélant la différence de fabrication entre le pouce et les autres doigts. Produit de six années de recherche, ces résultats s’inscrivent dans la continuité des travaux du scientifique sur les gènes architectes. L’étude, qui paraît aujourd’hui dans la revue Genes and Development, révèle que le même modèle de régulation des gènes architectes préside aussi à l’émergence des organes génitaux externes. Avec quelques différences toutefois, qui illustrent les fonctionnalités distinctes de ces structures chez l’adulte.

Chez les humains et les autres mammifères, le pouce (ou le gros orteil) est morphologiquement différent des autres doigts, puisqu’il est généralement plus court et ne contient que deux phalanges, alors que les autres doigts en ont trois. Comment cela est-il possible et à quoi cela peut-il servir? Une équipe de recherche membre du Pôle national Frontiers in Genetics, pilotée par le prof. Denis Duboule, généticien à l’Université de Genève (UNIGE) et à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, apporte les réponses à ces questions dans la dernière édition du magazine américain Genes and Development, accompagné d’un commentaire éditorial.

Les architectes génétiques
D’après les scientifiques, les responsables de cette spécificité morphologique seraient les fameux gènes architectes, ces éléments qui organisent nos structures pendant le développement embryonnaire, et qui sont disposés sur nos chromosomes l’un après l’autre, comme des oiseaux sur un fil électrique.

Si les chercheurs savaient déjà que ces gènes déterminent également le nombre et la forme des doigts, le mécanisme en jeu restait à ce jour inconnu. Ce travail, réalisé par Thomas Montavon, montre que c’est au niveau de la régulation de l’expression de ces gènes que se joue cette différence entre le pouce et les autres doigts. En effet, le mécanisme responsable produit dans le pouce embryonnaire une quantité totale de protéines architectes inférieure à celle présente dans les autres doigts. La conséquence est une croissance un peu moins forte qui aboutit à la formation de deux phalanges seulement.

En collaboration avec une équipe de mathématiciens parisiens dirigée par le prof. Michel Kerszberg (Paris VI), ce processus complexe de régulation génétique a pu être modélisé, pour la première fois, sous forme d’équations. Ces dernières ont permis d’expliquer comment quelques gènes localisés les uns à côté des autres peuvent ainsi générer des différences au niveau moléculaire, qui se traduisent plus tard dans la forme de nos doigts.

De l’origine de la «poucitude»
A quoi cela a-t-il pu servir d’acquérir, au cours de l’évolution des animaux à pattes, un pouce plus court que les autres doigts? «A rien de particulier probablement, explique le prof. Duboule, et un pouce à trois phalanges aurait fait l’affaire également. Mais le fait que ces gènes soient voisins sur le chromosome contraint l’embryon à adopter cette solution. C’est là ce qu’il y a de plus simple à faire et, une fois de plus, la nature en profite.»

Ainsi, ce que nous imaginons être le résultat d’une longue sélection ne reflète en réalité que le bricolage moléculaire à la source de nos mains et de nos pieds. «Une évolution graduelle a certainement affiné ces structures qui nous sont tellement utiles, mais la forme générale était vraisemblablement présente dès l’apparition des doigts, il y a plusieurs centaines de millions d’années» ajoute Denis Duboule. Pour décrire cet état moléculaire particulier du futur pouce, les chercheurs proposent l’utilisation d’un nouveau mot reflétant la «condition d’existence d’un pouce» ou le terme thumbness en anglais qui, en français, devrait se traduire par «poucitude».

Comment construire un mammifère
Il est à noter que ces résultats s’inscrivent dans le sillage des recherches que Denis Duboule a réalisées à l’UNIGE sur les gènes Hox depuis plus de vingt ans. Pionniers dans le domaine de l'analyse moléculaire du développement, les travaux menés par son groupe ont permis de lever le voile sur le plan de construction des mammifères. Ils ont en effet démontré que les gènes architectes constituent un ensemble de chefs d’orchestre chargés d'assurer la coordination du déroulement des opérations. Ces gènes sont alignés sur les chromosomes en suivant l'ordre des structures qui vont apparaître: d'abord les éléments de l'épaule, puis ceux du bras, de l'avant-bras, pour finir avec les doigts. Autrement dit, le chercheur a découvert une correspondance entre l'organisation linéaire des gènes et celle, tridimensionnelle, de nos membres.

Les protéines produites par les gènes Hox sont des interrupteurs moléculaires. Elles peuvent activer ou réprimer des gènes impliqués dans l’apparition d’un membre particulier pendant le développement fœtal. Dans ce contexte, Denis Duboule a pu reproduire le phénomène de polydactylie chez la souris, en induisant des mutations ou des déplacements de certains gènes Hox. Si Anne Boleyn avait vécu à notre époque, son mari volage n’aurait pas pu invoquer cette malformation dont elle était affectée comme étant une marque de sorcellerie…

Contacts: prof. Denis Duboule au +41 (0)22 379 67 71

1 févr. 2008

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