Cinéma

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Passé recomposé

La Revue du Ciné-club universitaire, avril 2022

Édito

N’en déplaise aux nostalgiques de la première heure, le passé ne se répète pas, il se recompose. Un souvenir ressurgit soudainement au détour d’une conversation, à l’écoute d’une chanson Disney ou d’une bouchée de madeleine imbibée de thé. Un fragment de souvenir apparaît et laisse place à un voyage intérieur vers ce qui fut une fois vécu.

L’évocation du souvenir se déroule donc en deux étapes : une réminiscence puis un voyage introspectif vers le passé. Le thème original du cycle Printemps 2022 du Ciné-Club fut « Voyage temporel » puis a évolué vers son titre actuel, « Passé recomposé ». Autant dire l’importance de cette seconde étape (celle du voyage dans le passé par le souvenir) pour l’équipe qui a conçu la sélection de films et cette présente revue. Ce processus mental de voyage dans le temps a d’ailleurs un nom scientifique 一 chronesthésie, concept démocratisé par le psychologue Endel Tulving en 1972. La littérature a fait la part belle à ce concept grâce à des auteurs comme Phillip K. Dick ou bien évidemment Marcel Proust avec A La Recherche du Temps Perdu. Au cinéma, les exemples font foison. En faisant côtoyer des images du passé et du présent par le flashback notamment, le cinéma rend le rapprochement entre souvenir et voyage dans le temps encore plus évident. Les remembrances dans les films sont presque aussi vieilles que le cinéma lui-même et leurs mises en scène ont su évoluer avec le temps. Une lente ouverture d’iris signifiait le début de l’évocation du souvenir de Francis dans Le Cabinet du Docteur Caligari (Robert Wiene, 1920). A contrario, les révélations de Jason Bourne sur sa vie antérieure arrivent par flashbacks saccadés dans La mémoire dans la peau (Doug Liman, 2002).

Les souvenirs sont souvent utilisés au cinéma ou ailleurs afin de caractériser un personnage. On peut penser au journaliste de Citizen Kane (Orson Welles, 1941) tentant de reconstituer la vie de Charlie Kane par les récits des personnages que ce dernier a connus.

Quand un personnage se met à la recherche d’un moment qu’il a vécu ou d’une sensation qu’il a éprouvée, ce n’est pas moins que son moi du passé qu’il essaie de retrouver. Les souvenirs semblent constituer en quelque sorte une identité passée. Ainsi, l’évocation des souvenirs d’un personnage de cinéma est souvent doublée d’une quête d’identité ou de vérité. Une quête de l’enfant que l’on était dans Le miroir (Andrei Tarkovski, 1975), une quête de l’amour que l’on a perdu dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Michel Gondry, 2004) ou bien une quête du père et du frère dans Incendies (Denis Villeneuve, 2010). L’éternelle figure de l’amnésique offre une représentation plus ludique de cette quête de soi. L’amnésique est perdu dans un monde dont il ne connaît ni l’histoire ni les règles, tout comme le public du film. Chaque information est nouvelle à la fois pour le personnage et le spectateur.

Néanmoins, les souvenirs peuvent être tronqués, falsifiés. Le passé recomposé se retrouve alors différent du passé tel qu’il a eu lieu. Des réalisateurs comme Tim Burton avec Big Fish (2003) trompent ainsi les spectateurs en leur proposant une histoire qui se révèle être fausse ou douteuse. Le spectateur ne sait plus ce qui est réel ou inventé, et fait alors l’expérience de la double nature du souvenir à cheval entre la réalité et la fiction.

On pourra finalement se demander la pertinence de ce cycle en 2022, dans un monde postpandémie où l’on préfèrerait se projeter dans l’avenir plutôt que de se plonger dans le passé. « L’oubli est un puissant instrument d’adaptation à la réalité », disait Proust. Cependant, l’art a souvent été là pour graver dans le marbre un évènement passé afin d’éviter l’amnésie collective. Le cinéma a plusieurs fois pointé du doigt des époques passées et leurs dérives. On prendra pour exemple le film The Watermelon Woman (Cheryl Dunye, 1996) où une femme nommée Cheryl se met à la recherche d’une actrice noire des années 40, pas créditée au générique du film, chose qui fut malheureusement courante pour les acteurs noirs du vieil Hollywood. Alors que les derniers survivants mourront un jour, des films comme Nuit et Brouillard (Alain Resnais, 1956) resteront les témoignages d’horreurs que l’on ne devrait jamais oublier. Le cinéma donc comme outil du devoir de mémoire ? Nous n’en sommes pas très loin.

Sommaire

  • Mathias El Baz, Édito, pp.1-2
  • Etienne Kaufmann, Alain Resnais, rendre la mémoire par la déconstruction temporelle, pp.3-6
  • Nicolás González Granado, L’amnésie frappe l’Hollywood classique, pp.7-12
  • Rayan Chelbani, La mise en scène du souvenir: Millenium Actress, pp.13-16
  • Nicolas Sarkis, Almodóvar et la mémoire, pp.17-18
  • Margaux Terradas, The Watermelon Woman: La fiction pour faire vivre un passé non documenté, pp.19-22
  • Leandra Patané, La porte du vent: Baarìa, de Giuseppe Tornatore, pp.23-26
  • Gabrielle Pirotte, Twixt: les vertus de l’errance, pp.27-31
  • Francisco Marzoa, Ode à l’impermanence: Les cendres du temps, de Wong Kar-wai, pp.33-38
  • Louise Tanner, Lisbonne et ses fantômes, pp.39-42
  • Nicolas Sarkis, Le scaphandre et le papillon: entrez dans la mémoire et n’y ressortez plus!, pp.43-45
  • Saba Shakerian, Cries and Whispers: A look into the human soul through time, pp.46-47
  • Pour aller plus loin, pp.48-49

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Pour citer la Revue

La Revue du Ciné-club universitaire: Passé recomposé. Avril 2022 (2).

Pour citer un article de la Revue

Terradas, Margaux . (2022). The Watermelon Woman: La fiction pour faire vivre un passé non documenté. La Revue du Ciné-club universitaire: Passé recomposé, avril 2022 (2), 19-22

Production

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  • vendredi 1 avril 2022 00:00 ‑ 00:00
								
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