Le droit de l'eau

L'eau, un patrimoine commun à toute l'humanité ©Getty - © Ascent/PKS Media Inc. / Coll. Stone
L'eau, un patrimoine commun à toute l'humanité ©Getty - © Ascent/PKS Media Inc. / Coll. Stone
L'eau, un patrimoine commun à toute l'humanité ©Getty - © Ascent/PKS Media Inc. / Coll. Stone
Publicité

La sécheresse que connaît notre pays a probablement accéléré une prise de conscience de l’importance cruciale de l’eau pour la vie. La loi du 30 janvier 1992, dans son article 1er déclare « l’eau est patrimoine commun de la nation ».

Avec
  • Laurence Boisson de Chazournes Professeure de droit international et de droit des organisations internationales à l’Université de Genève, fondatrice de la plateforme internationale pour l’eau douce et titulaire (en 2023) de la chaire Avenir durable au Collège de France.
  • Jean-Philippe Pierron Philosophe, Professeur à l’université de Bourgogne à Dijon, ancien directeur de la Chaire « Rationalités, usages et imaginaires de l’eau » à Lyon

Mais, l'eau, ne devrait-elle pas plutôt être consacrée patrimoine commun à l’humanité tout entière ? Que faire si elle vient à manquer ? L’eau n’est-elle pas déjà à l’origine de nombreux conflits, aussi bien nationaux qu’internationaux ? L’eau est en effet la ressource naturelle la plus menacée par le réchauffement climatique. La plus menacée, mais la plus paradoxale, car si elle est consubstantielle à l’homme, puisque son corps est composé à 70% d’eau, elle est également le signe de sa dépendance à son environnement ; non seulement au climat mais à toute une chaîne de solidarité depuis sa captation, sa conservation, son partage, son traitement, son respect en s’abstenant de tout gaspillage, son recyclage et tant d’autres usages.

Laurence Boisson de Chazournes "Pendant longtemps, on a utilisé l'eau sans se soucier de la singularité de cette ressource. Puis, à la fin du XXᵉ siècle, l'émission des préoccupations d'environnement, de justice sociale, l'accès à l'eau pour tous, ont fait qu'on ne va plus parler en termes d'utilisation, mais en termes de protection, de sauvegarde des ressources en eau. Dans ce contexte, à mon avis, il y a un changement de paradigme et l'on doit apprendre maintenant le langage de la protection et de la sauvegarde."

Publicité

Jean-Philippe Pierron "Nous avons inventé, avec la modernité, des villes que l'on appelait des villes imperméables, c'est-à-dire, dans lesquelles l'eau devait arriver si on le voulait, et devait partir le plus vite possible, parce que l'eau qui stagne est potentiellement une eau dangereuse. Donc, la ville imperméable, c'est celle que nous avons bâtie avec ses infrastructures et qui est en train de devenir une ville invivable, parce que précisément, elle est tellement imperméable que, via l'artificialisation des sols, elle est en train de nous sécher littéralement."

À écouter ou à réécouter : Eau : penser la fin de l'abondance 
L'Invité(e) et maintenant
34 min

Laurence Boisson de Chazournes "Si on ne fait pas alliance avec notre monde, les impacts vont être dramatiques, et on ne peut pas mener une guerre contre l'environnement. C'est l'environnement qui nous dira que nous n'avons pas agi comme on aurait dû. [...] On doit s'allier avec lui en changeant de comportement. Il faut renouer un contact qui nous permette aussi de mieux respecter cette ressource, de limiter nos usages et de mieux respecter l'environnement naturel."

Jean-Philippe Pierron "Quand on pense à l'eau, bien évidemment, on pense tout de suite à l'eau liquide, mais il y a toutes ces formes d'eau qui échappent à notre regard : l'état solide de l'eau, les glaces en particulier, et les états gazeux, les nuages, qui disent qu'effectivement l'eau est multiformes, et cette pluralité de formes, il faut aussi apprendre à la symboliser."

C’est à ce niveau qu’intervient le droit – non seulement le droit civil de la propriété, le droit public de la gestion de ce bien commun mais aussi le droit international. Même si l’eau est la ressource la plus abondante de la planète et qu’elle est en quantité constante, un grand nombre de personnes n’y ont pas encore accès, pendant que d’autres en font un usage irresponsable.

Laurence Boisson de Chazournes "Le droit traduit un peu notre appréhension à cette ressource. Elle était inconnue, juste un objet extérieur, en abondance, et maintenant en fait, le droit international et les préoccupations juridiques veulent s'orienter vers les ressources en eau. Alors, on se rend compte qu'il y a un grand nombre d'eaux souterraines invisibles que l'ont a exploité sans limite. Il y a des prémices, maintenant, d'une conscientisation pour essayer de faire en sorte de mieux gérer cette eau souterraine qui alimente les eaux de surface."

Comment renouveler notre approche de l’eau ? Comment inventer un statut et une régulation des usages conformes à sa singularité et à son essentialité, quitte à bousculer quelques dogmes juridiques immuables comme la définition du sujet de droit ou la propriété ? Ce sont les questions qu’Esprit de justice va se poser avec Laurence Boisson de Chazournes, Professeure de droit international et de droit des organisations internationales à l’Université de Genève ; fondatrice de la Plateforme internationale pour l’eau douce et titulaire, cette année, au Collège de France, de la chaire Avenir durable et a donné un cours intitulé « Le droit international au fil de l’eau », et, Jean-Philippe Pierron, Philosophe, Professeur à l’université de Bourgogne à Dijon ; ancien directeur de la Chaire « Rationalités, usages et imaginaires de l’eau » à Lyon et auteur de La poétique de l’eau. Pour une autre écologie, éditions Les Pérégrines, 2018.

Laurence Boisson de Chazournes "Il y a quelque chose qui me fascine, quand on regarde bien les frontières dans le monde, 30 % des frontières entre États sont des frontières d'eau. Donc, cela veut dire qu'il y a un potentiel de coopération énorme entre les États, ou aussi, malheureusement, un potentiel de confrontation."

Jean-Philippe Pierron "Ce qui me frappe dans la troisième génération des droits humains ou des droits de l'homme, c'est comment, au fur et à mesure que l'on construit un droit des droits de l'homme, on découvre qu'on ne peut pas raconter l'humain sans le raconter dans ses rapports à ses milieux et que la question de l'articulation entre "droit de l'environnement", et "droits humains", est intrinsèquement liée et qu'il faut inventer un droit qui soit à la hauteur de la compréhension de ces relations."

Pour aller plus loin

>> Laurence Boisson de Chazournes
 Ses pages de présentation : sur le site de  l'Université de Genève, sur le site du  Collège de France, sur le site de  l'Institut de droit international, sur  Babelio, sa page  wikipedia. Ses publications : présentation de son ouvrage reprenant sa leçon inaugurale, " L'eau en droit international : entre singularité et pluralité" (Fayard, 2023), sur le site Cairn.info et Babelio.
• A visionner, sa leçon inaugurale au Collège de France, " l'eau en droit international : entre singularité et pluralité" - 12 janvier 2023.
>> Jean-Philippe Pierron
• Ses pages de présentation : sur Linkedin, sur le site de l'Université de Bourgogne (Ufr Lettres-Philosophie). sur le site Babelio.
• Ses publications : présentation de son ouvrage " La poétique de l'eau. Pour une autre écologie" (Les Pérégrines, 2018), présentation de son ouvrage " Ecologie politique de l'eau" (éditions Hermann, 2017), sur le site Cairn.info, sur le site Babelio.

Laurence Boisson de Chazournes "Il y a encore 2 milliards d'habitants de la planète qui n'ont pas accès à des services d'assainissement. [...] Donc là, c'est un défi, et il y a une reconnaissance sociétale de la nécessité de parvenir à cet objectif. Ça fait partie des objectifs du développement durable des Nations unies. [...] C'est bien pour vivre de manière minimale, mais il faut aussi pouvoir avoir de l'eau en quantité suffisante pour l'éducation, l'alimentation, et des tas d'autres choses."

Laurence Boisson de Chazournes "Il y a une amorce de nouveau pacte social et vous avez maintenant des pays, par des législations ou des décisions judiciaires, qui considèrent qu*'un élément naturel pourrait avoir une personnalité juridique**, ce qui refonde les rapports sociaux avec la nature, puisque la nature va avoir des représentants qui vont pouvoir exprimer le vœu de protection de la ressource naturelle. [...] Le droit essaye de coller à cette essentialité, de montrer un nouveau chemin*."

Quelques références citées

Extraits musicaux

  • Morceau choisi par Jean-Philippe Pierron : “ L'eau" par Jeanne Cheral - Album "L'eau" (2006).
  • Morceau choisi par Laurence Boisson de Chazournes : " Burn On" par Randy Newman - Album "Sail away" (1972).

L'équipe