INFLUENCE ET RESPONSABILITE
Mireille Cifali
La psychanalyse - son avènement et son développement - participe à la construction, commencée de longue date, de " lindividualisme " moderne. En découvrant les pouvoirs du psychisme, elle attribue au sujet - même inconscient - une place centrale, contribue à rendre plus impliqué son rapport au monde; elle donne priorité à ses préoccupations personnelles, à ses enjeux narcissiques et ses réussites. Qualifiée de science de laltérité, elle travaille à rendre lhumain sensible au rapport à soi et à lautre, lui permettant de ne pas seffrayer de ses pulsions; elle lextrait de la masse, le rendant capable de saffranchir au moins en partie des figures du maître; elle lui fait comprendre les mécanismes de sa haine et de ses rejets. Y a-t-il un envers de cet endroit ?
A travers quelques exemples tirés du champ de léducation et de lenseignement, jessaierai de tracer le travail possible dun psychanalyste dans lactualité sociale.
Hier et aujourdhui
Les historiens du vingt et unième siècle analyseront, avec plus darguments quaujourdhui, la manière dont la psychanalyse a influencé, en particulier, les domaines de léducation et de lenseignement. Un versant de cette histoire a déjà été retracé, même si le recul nous manque encore. Dans ces domaines, la psychanalyse considère un enfant comme un sujet à part entière. Elle rappelle sa dignité, prend en considération ses difficultés à grandir et trace linfluence positive et négative de certains gestes éducatifs; elle relève la nécessité dune parole adressée à celui qui ne parle pas encore, souligne la transmission dinconscient à inconscient et les phénomènes transférentiels hors la cure; elle décrète la responsabilité partielle, mais responsabilité tout de même, des adultes dans la transmission des névroses.
Ce faisant, elle attire lattention sur la destructivité à loeuvre dans les relations humaines, les difficultés de laltérité et limplication des adultes. Elle ne cesse de dénoncer les violences faites aux enfants, la pédagogie noire. En son nom on réclame une lucidité des actes quotidiens déducation. Si elle ne se veut pas une Weltanschung, elle véhicule cependant chez ceux qui sy réfèrent, des valeurs et une certaine conception du sujet; elle accentue pour certains limportance des relations duelles au point de faire croire à un enseignant que lidéal est la relation thérapeutique. Se développent alors chez quelques-uns un respect de lautre, une crainte de lui faire mal, une culpabilité par rapport au " bon et mauvais geste ", une inquiétude de ne pas savoir.
Cette sensibilisation aux dimensions personnelles de lacte denseigner et déduquer, cette importance donnée à lenfant comme sujet contribue à une " personnalisation " des fonctions et des rôles. Par sa pénétration dans le monde quotidien des personnes, la psychanalyse a une part de responsabilité dans lévolution des mentalités et les problèmes posés aujourdhui. Il nest pas question ici de faire le procès de certaines de ces avancées, et jai participé moi-même à ce qui me paraissait devoir être une inéluctable évolution; mais il nous faut bien aujourdhui essayer dexaminer les effets et les conséquences des positions prises.
Si nous considérons lhistoire des rapports entre la psychanalyse et le champ de léducation, lindividualisation des pratiques est, avec comme modèle la cure, une tendance forte. Dans cette histoire reconstruite, les rêves échoués sont cependant les plus signifiants. Ce qui frappe, à la lecture par exemple dun ouvrage comme celui de Jeanne Moll, La pédagogie psychanalytique, cest précisément le retour du social comme butée à laction et à lespoir de ceux qui travaillent en éducation. A chaque époque ou presque, des psychanalystes oeuvrent pour restituer au groupe et à linstitution leurs lettres de noblesse et apportent des dégagements importants. La part de la théorie freudienne qui sen préoccupe ne devrait, selon eux, pas être négligée; il est vital de ne pas couper les phénomènes individuels de leurs déterminants groupaux.
Aujourdhui, certains professionnels se sentent responsables de leurs actes, ont des convictions, une sensibilité à lautre, mais ne comprennent pas dans quel contexte ils vivent, et comment les difficultés quils rencontrent appartiennent à un ensemble plus vaste, ce qui les entraîne souvent dans la plainte et le retrait.
Au singulier
Avec des enseignants, aussi formateurs dadultes, nous évoquons leur inquiétude actuelle vis-à-vis de la violence. Je leur demande alors ce qui, dans leur métier, est ressenti par eux comme violence, où et comment ils sy confrontent. Certains avancent : " Nous nous ressentons violents lorsque nous imposons à des stagiaires des dispositifs dont nous ne savons pas sils leur conviennent. ". En quelque sorte serait violent le simple fait dimposer quelque chose à quelquun, et cest au nom de leur respect de lautre quils éprouvent une telle crainte. " Si nous respectons celui qui est en face, alors il nous faut lui donner ce quil demande et ce qui lui sied ". Dautre part, en congruence, ces formateurs perçoivent comme violent le refus par certains stagiaires de ce quils proposent. Lopposition est vécue comme blessure narcissique.
" Mais au nom de quoi pouvons-nous intervenir, de quoi est faite notre autorité ?" " Chacun ne fait-il pas ce quil veut, comme il le veut, alors quelle peut être encore notre influence et quelles sont nos limites ?" Ils se confrontent, disent-ils, à la réaction récurrente dadolescents leur lançant : " Au nom de quoi te mêles-tu de ma vie ? Respecte ma différence, tu nas aucune autorité à me dire ce que jai à faire ". Cette incertitude quant à leur légitimité engourdit leur action, paralyse leur geste. Celui qui leur fait face ne supporte plus cette relation dasymétrie, il a des droits quil fait valoir pour échapper à toute contrainte et limite.
Alors chacun rêve de son côté déchapper au groupe, à linstitution, aux exigences temporelles. Si lon sadapte à sa singularité, chacun aurait le sentiment dêtre reconnu, donc estimé. Au lieu de cela le territoire de la classe devient un enjeu entre adultes, où un enseignant ne sait plus ce qui lui revient. Il est soumis à des demandes, des exigences; on voudrait quil corresponde à ce que tel ou tel parent, tel ou tel adulte souhaite. Des tensions sont permanentes, avec des face-à-face meurtriers que rien ne médiatise. On ne sait plus qui doit ressembler à qui. Lidentité professionnelle se lézarde, une fragilité sinstalle avec son lot didéologie défensive. Nous paraissons dans limpasse, la psychologisation des problèmes entraîne des errances personnelles; le refus dune implication, des violences.
Comment pouvons-nous intervenir ?
Dépendance
Au cours de notre vingtième siècle occidental, la psychanalyse a montré comment un enfant devient victime de violence, dabus, de maltraitance, dexploitation, malgré les discours pédagogiques généreux qui se succèdent. Dès lors on cherche avec raison à protéger un enfant des conséquences parfois nocives de sa dépendance, et se dessine un courant qui le considère comme une minorité et lui octroie des droits. On linstitue ainsi responsable et autonome bien avant lheure. A cause dabus, peut alors être mise en péril une dépendance fondamentale, nécessaire pour grandir ou guérir. Et en fin de compte nous inversons seulement la scène; ce sont les enfants qui deviennent tyranniques, cruels, destructeurs pour ceux quils côtoient, et ceci à force davoir été confortés dans leur droit. Il nest pas de jour où nous ne nous heurtons pas aux effets dune protection qui piège.
Notre conception de lhumain nest plus celle dun homme épris de liberté et de démocratie qui combat avec dignité le mal et les événements douloureux de sa vie, mais celle dun homme souffrant, toujours potentiellement victime, réclamant réparation, se plaignant de navoir pas ce quil rêve. La division entre victime et bourreau, telle quelle se dessine aujourdhui, risque à terme de paralyser les relations de proximité. Antoine Garapon en fait une remarquable analyse. Lémergence dun humain comme victime diabolise le mal dans le bourreau susceptible dêtre notre voisin ou celui dont nous dépendons. Nous nous enfermons dans ce statut qui devient parfois notre seule identité rapportant un peu destime et considération sociale.
Alors que nous avons pu, en toute impunité, abuser en certaines occasions de notre pouvoir, nous en venons maintenant à craindre pour chacun de nos actes. Si nous sommes toujours susceptibles dêtre le bourreau dun enfant, nous paralysons notre geste et notre exigence; nous neutralisons la rencontre, chacun se gardant de lautre. Aussi, tout en combattant les abus, un psychanalyste se doit daccompagner professionnels et parents en vue de retravailler la notion du mal, de désigner les bénéfices de la dépendance pour sauvegarder la nécessaire confrontation des hommes entre eux. Cest la notion même de respect qui est alors interrogée.
La psychanalyse restitue à chacun ses pulsions de vie et de mort, ses nécessaires agressivités, ses violences et sa haine. Son combat contre le pouvoir destructeur de lhomme ne lui fait jamais gommer cette part dombre, et sa vision est taxée de pessimiste. Elle dénonce ainsi sans cesse le clivage entre le bien et le mal. Mais néanmoins, a contrario, nous prenons comme idéal certaines de ses valeurs comme le respect ou la prise de parole. La propension humaine à fonder les projets sur le bien, à organiser les institutions sur le meilleur est récurrente. Les professionnels peinent alors à accepter que leurs actes ont nécessairement des conséquences " mauvaises ". Nous sommes obligés de reprendre avec eux les mécanismes qui font que le positif se transforme en négatif, que le bon crée lenfer.
Confrontation
La psychanalyse esquisse comment un sujet advient, et les difficultés qui sont les siennes. Un homme aide un autre homme, dans une relation duelle, à se réapproprier son histoire. Ces représentations sont fortement imprégnées par lidéal de la cure. Ce faisant, on minimise les effets du milieu, du groupe, des institutions et des médiations. Pour quun enfant puisse exister, un autre chemin est souvent requis. Je pense ici au travail de Francis Imbert et du GRPI (Groupe de recherche en pédagogie institutionnelle) dans certaines classes maternelles. Leurs récits publiés montrent les conditions de parole qui permettent à un enfant dêtre " un parmi dautres ", et non pas autosuffisant. Cest davantage le rapport à la loi, à linterdit, qui paraît fondamental : comment des limites créent des échanges. Des dispositifs de parole, des médiations institutionnelles autorisent chacun à prendre sa place.
Nous sommes alors continuellement dans la nécessité de mener une réflexion avec des professionnels pour quils modulent leur représentation de laide, perdent leur orgueil thérapeutique et quils oeuvrent pour définir autrement leur autorité - non plus autorité naturelle garantie a priori par un rôle social - mais autorité de parole et de discussion. Nous rappelons que contraintes, limites, inscription géographique sont structurantes; que les rituels temporels sont des balises nécessaires à notre survie psychique : une liberté sans exigence aboutit à la passivité alors quon en attendait la saveur dune échappée.
Parmi les procédures pédagogiques, lindividualisation est également une tendance forte pour échapper aux contraintes du groupe. Nest-il pas meilleur pour un enfant quon sadapte à lui, à son rythme et à ses potentialités sans interférence des autres ? La psychanalyse pourrait renforcer cette tendance, chaque sujet ayant ainsi ce qui lui convient. Cest oublier quen individualisant lapproche pédagogique, nous affaiblissons la force du rapport à lautre, la dynamique dun projet qui est commun à plusieurs, nous perdons lopérativité des autres enfants comme médiateurs dapprentissage. On tarit ainsi les surprises qui surviennent lorsque quelquun, transférentiellement, nous déloge de là où nous sommes. Ladaptation aux individualités enclôt le sujet sur lui-même. La confrontation à lautre est douloureuse, mais sa rencontre est également susceptible de faire progresser.
Intersubjectivité
Chacun est convaincu de son importance, a des convictions, sait parfois que son histoire psychique nest pas sans répercussion sur ses actes. Lindividualisation de lhomme est pour ainsi dire conquise. Mais aujourdhui lune de ses souffrances est davoir à travailler avec dautres, davoir à admettre que sa subjectivité est intersubjectivité. Léthique des convictions ne suffit pas, doivent sy adjoindre celle de la responsabilité mais surtout celle de la discussion.
Chaque jour, nous recueillons la souffrance de certains enseignants confrontés à ne plus savoir ce qui leur revient ou pas. Ils ne sont plus seuls sur le terrain scolaire, dautres adultes ont institutionnellement leur mot à dire. Les uns et les autres découvrent le pouvoir partagé et ses difficultés. Pour linstant il y a des effets de miroirs, des captures narcissiques. On peine à accepter le heurt des convictions. Au lieu de créer une certaine émulation, il provoque répétitivement des situations en impasse, des errances individuelles, le désir de se replier sur de la-conflictuel, une intimité hors institution. Nous semblons avoir perdu la dimension extérieure dune institution qui ne sadapte pas à chacun dentre nous.
Nous avons alors à travailler avec chacun pour quil reconnaisse le discours de lautre. Comme personne na raison à lui tout seul, on est condamné à faire ensemble, donc à partir des certitudes premières pour inventer quelque chose qui les dépasse. Cest un apprentissage avec lequel peu de professionnels et de spécialistes sont à laise. Nous aimons mieux rester avec ceux qui ont le même langage, ne rien céder de nos constructions et éviter de reconsidérer notre rapport à la vérité et à la raison.
Fragilité
Les enseignants sont aujourdhui confrontés à la difficulté de transmettre le savoir, ils éprouvent une remise en cause de leur capacité. Ceux qui étaient le plus identifiés à cette transmission, professeurs du secondaire et du supérieur, pour lesquels le métier est avant tout dinstruction et non déducation, souffrent dêtre soumis à des violences actives et passives, des passages à lacte, des refus de lautorité et de labsentéisme. Florence Giust-Desprairies décrit fort pertinemment cette identité enseignante qui sest structurée sur un aspect seulement de la réalité. Certains sont ainsi rattrapés par cette partie déniée, celle qui est dans lombre et quils ne peuvent aborder.
Le débat est rude, et linfluence de la psychanalyse est dénoncée. Je my sens particulièrement concernée. Jai eu, il y a bientôt vingt ans, cette intuition (que je pensais être originale et qui nest au fait que la reprise dune filiation historique), que pour exercer le métier denseignant, une part psychique est engagée dont traite la psychanalyse. Je souligne bien : pour exercer le métier denseignant, pour rendre possible la transmission du savoir, pour côtoyer les enfants et leurs difficultés dans le rapport à lapprendre, existent des apports de la psychanalyse grâce auxquels les enseignants peuvent non pas transformer leur métier en un métier de thérapeute, mais le penser dans tous ses aspects. Je garde ainsi la double dimension dinstruction et déducation, en essayant de restituer aux enseignants la part de leurs gestes professionnels qui leur revient. Jinterroge un enseignant en tant que " je ", cest-à-dire un " je " occupant une fonction, mais qui lexerce avec sa propre histoire.
Avec dautres, jai affirmé la nécessité de centrer aussi le métier sur la personne de lenseignant ainsi que sur celle de lélève, cest-à-dire de reconnaître dans lélève un sujet, avec un nom, une histoire inconsciente, une certaine relation au savoir, un rapport transférentiel à lécole et à lenseignant. Avoir révélé cela et écrit quil fallait sen préoccuper aurait abouti à brader les fonctions intellectuelles, selon la critique de philosophes sous laquelle je tombe. Daprès eux, toute la crise de lenseignement viendrait de ce quon ne sen serait pas tenu à la raison et au savoir. Cette critique fait réfléchir.
Il y a crise du savoir. Mais il est probablement impossible de déterminer si nous éprouvons cette fragilisation de la profession denseignant à cause dun discours psychanalytique comme le mien ou en raison dune évolution inéluctable. Malgré tout je crois encore que cette orientation - qui prend en compte non seulement la fonction mais aussi lidentité de lacteur professionnel, de même que lidentité de lélève - nous permet justement de dépasser la crise ambiante pour aller vers quelque chose qui réunit toutes les composantes de lacte enseignant, à la fois les composantes sociales, celles rationnelles du savoir, et aussi les composantes psychiques inconscientes. Il nous revient alors de nommer les souffrances psychiques liées à la difficulté dexister dans nos conditions sociales, de donner des outils pour accepter lincertitude des gestes quotidiens, et de répéter que le désir de savoir naît dune énigme et non dun savoir plein. Une telle contribution a-t-elle psychologisé le débat ? Il nous faut lentendre. Elle a peut-être tout de même le pouvoir déviter les discours fermés où il ny a dautre solution que lexclusion dun des deux termes.
Clinique
Une des influences majeures de la psychanalyse dans les sciences de léducation se réalise à travers la clinique, cette posture particulière qui permet à un professionnel de construire des connaissances à partir de situations singulières dans lesquelles il est impliqué. Jai choisi depuis longtemps de travailler avec des " métiers de la relation " dans un contexte qui nest pas celui de la cure et de désigner les nocivités à loeuvre dans certains de leurs gestes familiers. Je recueille ainsi des récits, anime des groupes danalyses de pratique ou de supervision, et la psychanalyse à laquelle je me réfère se confronte inévitablement à son " autre ", le social. Les retombées même involontaires de nos théories constitue une bonne partie du matériel amené.
En envahissant le champ social, la psychanalyse a créé de nouvelles difficultés. Pour certains, de telles dérives proviennent de ce que le psychanalyste ne sest pas contenté de rester dans lespace de la cure, quil a voulu intervenir dans le quotidien des personnes et de leurs activités, avec les malentendus, généralisations abusives et fausses interprétations que lon connaît. Le repli sur son espace premier est peut-être pour tel ou tel psychanalyste une solution personnelle, mais ce nest cependant pas une position tenable socialement. La psychanalyse nest pas une affaire privée; ses ouvrages sont accessibles, journaux et média sy réfèrent.
Il ne reste plus alors - comme bien dautres lont déjà fait - quà sengager, en se souvenant de la position occupée par la psychanalyse dans un autre domaine; comme lavance Michel de Certeau, elle fait oeuvre daltération, provoque la surprise : elle tient un discours autre que lhabituel. Doit-elle elle-même saltérer pour poursuivre son oeuvre, maintenir son influence et sa capacité à produire de la symbolisation ? Non, mais revenir à ce quelle a déjà traité, reprendre des éléments souvent négligés, des zones peu investies. Elle le fait en se laissant interroger par la dimension sociale, et les psychanalystes en souvrant à dautres approches. Des psychanalystes, mais pas eux seulement, des philosophes, des psychosociologues peuvent en effet oeuvrer pour quà chacun revienne sa responsabilité individuelle, mais que chacun comprenne également où sont les responsabilités collectives. Nous sommes condamnés à navoir pas raison tout seuls, à intervenir avec dautres, non pas pour résoudre les problèmes actuels, mais permettre que sélabore une pensée là où la toute-puissance succède à limpuissance, et vice versa.
Lorsque nous intervenons, nous avons donc à apprécier le risque dune personnalisation à outrance, et à nous situer résolument dans la contradiction : nos gestes se heurtent à leur contraire, ont parfois des conséquences surprenantes. Il existe une telle atomisation des personnes que souvent chacune ne sen prend quà elle-même; lenjoindre dentreprendre une démarche thérapeutique népuise pas notre responsabilité. Si nous ne prenons pas la dimension culturelle et politique de nos problèmes, nous risquons en effet de ramener à soi ce qui ne nous appartient pas en propre. Restituer la dimension culturelle des problèmes rencontrés, ce nest pas dévaloriser le travail de lintériorité, mais empêcher que chacun ne senferme en soi-même; ce nest pas nier la part prise dans nos actes, mais la relier à un ensemble social.
Aujourdhui, ce sont des réalités telles que le groupe, linstitution, le pouvoir, la collaboration, le lien social, léthique de la discussion et de la responsabilité que nous ne saurions ignorer. Quotidiennement, il nous faut contextualiser les phénomènes vécus, les inscrire dans un mouvement, une tendance et une histoire, en entreprenant un travail de compréhension - psychique et sociale - avec les personnes concernées. Ce travail permet alors à quelques-uns de supporter ce quils perçoivent souvent en premier lieu comme une régression et de sauvegarder les groupes où il est parfois si difficile de rester ensemble. De ces rencontres multiples se dégage alors au moins de létonnement.
Mireille CIFALI. - Entre psychanalyse et éducation : influence et responsabilité
Résumé - La psychanalyse participe à la construction commencée de longue date de " lindividualisme " moderne. Son influence se fait sentir dans les domaines de léducation et de lenseignement. A travers quelques exemples, lauteur cherche à tracer le travail possible dun psychanalyste dans lactualité sociale. Elle interroge les risques encourus, les responsabilités endossées, les revers dune implication et les retombées sociales de nos théories. Comment un psychanalyste peut-il continuer à simpliquer et traiter les effets de son influence ? Où lon voit que des réalités telles que le groupe, linstitution, le pouvoir, la collaboration, léthique de la discussion et de la responsabilité ne sauraient être ignorées.
Mots clés - Psychanalyse et éducation. Individualité. Clinique.