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Les grandes régulations du corps humain

André Giordan

Dans une société où la nécessité d'une école de longue durée ne semble pas remise en question, il faut au moins rouvrir le débat sur certaines préoccupations de base. Parmi celles-ci, il faut se demander si le lycée a toujours pour projet de préparer les individus, et par là les futurs citoyens, à affronter leur époque ? Si tel est le cas, il doit cesser de diffuser une culture scolaire, c'est-à-dire un ensemble de connaissances ponctuelles qui n'ont d'intérêts qu'en interne , pour passer des examens, par exemple. En d'autres termes il doit cesser de fermer les yeux sur les multiples défis auxquels notre société est confrontée et dont certains s'avèrent très menaçants. La bromisation et la chloration des alcènes (C=C) en chimie, les capteurs CCD (Charge coupled device) en physique, la création des zemstovs dans la Russie en histoire, les colinéaires en mathématiques, les voies de régénération de l'ATP ou le volcanisme andésitique sont tous des sujets fort intéressants en eux-mêmes . Mais ils le sont surtout pour les professeurs agrégés ! Bien que prévus par les programmes actuels, que peuvent en retirer des lycéens pour comprendre leur monde? Sans liens avec la réalité vécue, sans perspectives personnelles ou sociales et surtout sans relation avec un quelconque questionnement préalable, ces savoirs sont parachutés dans la vie des étudiants comme autant de cheveux dans la soupe scolaire.

Les défis

Quels sont-ils ces défis auxquels notre société est confrontée? Il y a bien sûr le défi économique avec son cortège de chômage, de fractures sociales et d'exclusions. Mais il y a également les défis, environnementaux, démographiques, épidémiologiques et éthiques. Derrière ces challenges, plus terrible encore, on constate chez les jeunes un fort sentiment d'impuissance. Des doutes les assaillent, liés à l'absence de maîtrise de l'innovation technique et des forces des marchés monétaires, à la crainte pour l'emploi, pour la survie ou en tout cas pour une certaine qualité de vie, craintes encore face aux solutions hasardeuses qui s'avèrent souvent pires que les problèmes qui les ont engendrées. Pour faire face à cela, le défi épistémologique est incontournable. En effet, la plupart des paradigmes que notre société s'était forgée depuis le XVIe siècle ont été balayés ou sont en passe de l'être .

Rien que sur le plan des modes de raisonnement, la logique classique, la causalité linéaire ou l'approche analytique s'avèrent des plus limitées. Les notions d'espace, d'énergie, de temps, de matière, etc. ont été remises en question au cours du dernier siècle. L'énergie peut devenir matière, le temps peut se contracter, l'espace est courbe, la vitesse est relative, l'électron devient une onde ou une particule selon l'observateur, le chaos peut être organisateur, l'univers n'est pas permanent. Nous ne sommes même pas "nés tous nus dans une prairie". Nous ne sommes que l'un des produits d'une histoire, celle de l'univers ; mais d'un "univers qui n'a pas d'adresse" et dont nous ne sommes même pas le centre !

Nous devons nous forger de nouvelles représentations du monde. Or les modes de pensée pratiqués au lycée non seulement "passent mal", mais sont inspirés encore trop largement par une ancienne conception du monde ou par des formes de pensée dépassées. L'enseignement fournit au mieux des outils pour aborder ce qui est constant, homogène, ordonné, régulier et immuable. De nos jours, l'individu doit faire face à de l'inattendu, du paradoxal, du contradictoire et du complexe.

Or, il existe des organismes qui savent très bien gérer de telles situations. Ce sont les êtres vivants dans leur ensemble. Au cours des 3,5 milliards d'années de leur histoire, ils ont su développer un ensemble de pratiques pour y faire face, en mettant au point des fonctions que l'on nomme de "régulation". Ces dernières sont particulièrement développées chez les mammifères, et notamment dans le corps humain. Pourquoi ne pas leur donner leur vraie place dans l'enseignement ?

Certes, l'idée de régulation n'est pas d'un abord aisé. Elle n'est pas une question directement attractive pour les élèves comme peut l'être l'origine de l'univers, celle de l'homme ou les animaux préhistoriques. Pourtant, j'aimerais vous convaincre, comme je le fais avec les lycéens , que c'est un thème porteur, qui caractérise le mieux l'humain sous toutes ses formes.

L'idée de régulation ne fournit pas seulement de "la matière pour penser" le psychologique ou le social. Comprendre, apprendre ou mémoriser sont également des régulations optimisées. L'individu tire parti de ses réussites et de des échecs pour les réinjecter dans ses pratiques à venir. De même, les sociétés, les entreprises, les institutions humaines ont besoin, pour être efficientes, de la mise en place et de l'optimisation de mécanismes de régulation. Nous avons promu à cette fin une nouvelle approche, "la physionique". Cette science est celle des processus de régulation, dans le prolongement de la bionique. Répondant à certains besoins spécifiques, elle est reçue avec un intérêt grandissant par les milieux dirigeants. Offrant une approche nouvelle des processus complexes, nous devons lui accorder une place dans l'enseignement, non pas comme discipline supplémentaire, mais comme démarche de pensée.

Une autre vision de nous-mêmes

Que nous apprennent les grandes régulations du corps humain ? Je ne développerai pas ici mon cours sur ce sujet. Je souhaite seulement mettre en avant la pertinence d'une idée. Loin de la simple description d'un fonctionnement ou de l'accumulation de nouvelles connaissances sans perspectives, c'est l'approche complexe au travers de mécanismes qui peuvent sembler très simples qui est visée.

Avec des lycéens ou avec des jeunes de banlieue, j'aborde ce sujet en leur faisant découvrir ce que leur propre corps contient de "merveilleux", en tant qu'architecture incroyable, faite d'une multitude de micro-mécanismes très complexes. Cette approche est primordiale pour qu'eux-mêmes changent l'image qu'ils ont de leur propre personne, non seulement du point de vue physiologique, mais de l'estime qu'ils s'accordent en général. Ensuite, j'essaie de leur faire partager en quoi les phénomènes de régulation peuvent être utiles pour comprendre leur milieu de vie ou leur époque. Par exemple, qu'est-ce-qu'une organisation ? Ou encore, pourquoi penser "régulation" plutôt que "règle" peut transformer radicalement notre façon d'appréhender la société?

La plupart des jeunes n'ont aucune idée de la complexité que notre corps régit. Perçu à travers un champ disciplinaire qui le divise en fonctions bien distinctes, il apparaît souvent comme un simple ramassis d'organes disparates. Or, par exemple, pour la simple répartition de l'eau que nous absorbons, l'organisme met en place une administration immense qui, contrairement à celle de notre bureaucratie, doit être d'une efficacité à toute épreuve. Son réseau de distribution comporte 5 milliards de capillaires, 160 millions d'artérioles, et 500 millions de veinules. En tout, plus de 950 kilomètres de "tuyaux".
Cette distribution ne se fait pas au hasard ; en raison de l'importance de ce précieux liquide, il y a rarement trop d'eau ou pas assez à l'intérieur de notre corps. Sa répartition dépend des besoins de l'organisme en général et de ceux des parties en particulier. Des mécanismes de régulation, soit généraux, soit de proximité, opèrent en continu.
Cette régulation nécessite une transmission continuelle d'informations entre des capteurs, des centres de régulation et les organes effecteurs. Pour "gérer" la répartition générale, une trentaine d'organes sont concernés à divers titres, plus d'un millier de capteurs sont disposés dans des lieux les plus insolites, plus d'une cinquantaine de messages différents sont échangés.

Par un tel cheminement, l'apprenant prend conscience que "nous ne sommes pas rien", pour reprendre l'expression d'un élève. Nous ne sommes pas non plus la somme de nos parties, mais "beaucoup plus" ou "autre chose". On peut démonter entièrement une locomotive, et la remonter ultérieurement à l'identique. Rien de semblable n'est possible avec le corps humain. Après "démontage", tous les organes seront là, mais plus l'individu....

En réalité, toutes les cellules -notre corps en disposent de plus 60 mille milliards- sont concernées par la régulation de l'eau. De plus, tout est interrelié : en gérant l'eau, l'organisme gère la concentration des divers sels minéraux, le pH, la pression artérielle, la température et la vitesse de réaction des enzymes, donc le métabolisme. Notre corps est un ensemble si complexe qu'il est inconcevable sans une régulation de ses diverses fonctions.

Toutefois, rien n'est harmonieux a priori. Chaque organe a des besoins divergents, concurrents même. Pour évacuer l'énergie en supplément, la peau évapore de l'eau par l'intermédiaire de la sueur qui en est composée de 95%. Cette eau va modifier la concentration du sang dont l'effet va se répercuter sur d'autres organes. Ce qui fait de nous des êtres harmonieux, ce sont les multiples interactions et les échanges d'informations entre les différentes parties. L'ensemble constitue de véritables boucles de rétroaction. Ces dernières sont efficientes partout dans l'organisme, dans chaque mouvement, dans l'équilibre pondéral, le volume sanguin, la température du corps, le pH, la pression sanguine, la glycémie, la concentration en sel, etc.
Ce qui est encore plus intéressant de montrer, c'est que les régulations sont progressives. Elles se déroulent d'abord dans l'organe lui-même, puis entre les organes, et enfin avec des centres de plus en plus complexes.
Ces régulations mettent en branle des mécanismes d'une incroyable finesse. Pour réguler l'eau, le rein ne fonctionne pas comme une simple passoire. Il possède une architecture remarquable, constituée de plus d'un million de structures de base, les néphrons. Pour assurer l'intendance, ces derniers doivent assumer une multitude de fonctions.

Structure d'un rein et d'un néphron

Chaque mécanisme fait intervenir une foule de réactions chimiques régulées. Par exemple, pour faciliter la réabsorption de l'eau dans une des cellule du tube collecteur du néphron, un signal, en l'occurrence une hormone dénommée vasopressine, interfère avec un récepteur situé sur la membrane. Il en résulte une chaîne à peine croyable de réactions chimiques où participent une centaine de produits différents. En bout de course se déclenche la réalisation de protéines qui vont s'insinuer dans la membrane opposée de la cellule. Des pores se mettent alors en place pour faciliter l'entrée de l'eau. Ces pores sont provisoires, pour que le phénomène soit limité dans le temps. Les protéines de la paroi des pores sont recyclées en permanence.

Suite des réactions déclenchées par la vasopressine
dans une cellule d'un tube collecteur du rein

L'important n'est pas que l'élève apprenne la suite de toutes ces réactions chimiques, mais qu'il entre dans la dynamique d'un processus. Le propos est surtout qu'il prenne conscience de l'incroyable organisation qui nous constitue.
L'enseignant peut situer cette étonnante complexité comme le produit d'une histoire, celle du vivant, ou encore dans le prolongement de celle de la matière et de l'univers.
Au passage, on peut également faire entrer l'élève dans l'hypertechnologie que suppose le vivant. Pour faire un travail identique, le rein artificiel nécessite un volume d'un mètre cube. Le rein naturel, lui, a la taille d'un verre de bière. Le dernier numéro de la revue La Recherche vante les mérites des nanotubes comme technologie du troisième millénaire. Le vivant a mis au point des technologies de ce type depuis 3,5 milliards d'années!

Suite des réactions déclenchées par la vasopressine dans une cellule d'un tube collecteur du rein

 

Comprendre l'organisation

Les exemples que fournissent ces grandes régulations, permettent à l'élève d'entrer dans la complexité que représente une organisation, quelle qu'elle soit. Sa structure et son fonctionnement peuvent être clarifiées en même temps, il peut comprendre en quoi elle est dépendante de son environnement et comment elle s'en libère.
Contrairement à une idée répandue, des éléments, quelque soit leur niveau (particules élémentaires, molécules, organes, etc.) ont tendance à s'organiser spontanément. L'auto-organisation est donc un processus inhérent à la matière, qu'elle soit inerte, vivante ou humaine. Cependant, un système ne parvient à exister et à fonctionner en tant qu'organisation pertinente que si certaines conditions très strictes sont remplies. Une approche des grandes régulations permet de les mettre à plat. Les mêmes "principes" peuvent être corroborés dans d'autres organisations. Les éléments qui composent le système doivent avoir la possibilité d'interagir de diverses manières d'où l'importance des échanges multiples d'informations entre les éléments.

Tout communique avec tout, mais pas n'importe comment. Cette communication augmente, s'affine, se diversifie au fur et à mesure que les organisations deviennent plus complexes.
Dans le vivant, le réseau d'informations est toujours multiple et différencié. Le système le plus usité, le système hormonal, est un système de type "postal". Des molécules porteuses d'informations se déplacent. Ce sont des sortes de "cartes postales" à trois dimensions. Un inconvénient bien sûr, cette communication est peu précise et plutôt lente. Un deuxième système, de type "télégraphique" cette fois, le système nerveux, y supplée. Des cellules spécialisées, livrent directement et rapidement le message à une cellule spécifique, celle sélectionnée pour son efficacité dans l'action à mener.
Chaque réseau de communication a des avantages et des limites. Le vivant ne cherche pas à les mettre stérilement en opposition pour perfectionner un système idéal. Il valorise les possibilités de chaque méthode et jongle entre les deux. Il envoie par exemple un message nerveux, relayé au niveau local par un messager chimique. L'information est rapide, elle cible une zone spécifique, un tissus par exemple. Ensuite, la diffusion est large. Autre possibilité, face à un danger immédiat, l'organisme réagit brutalement par un message nerveux, puis il entretient la réponse sur la durée par des messages hormonaux. Bien d'autres exemples pourraient ainsi être donnés. De plus, l'organisme ne craint pas les redondances. Il n'a pas peur de se répéter. On rencontre des doublons, voire même des triplons, tant au niveau de la transmission qu'à celui de la détection.

Ces interactions sont d'autant plus riches que chaque élément est autonome et présente un grand nombre de potentialités. Chacune des innombrables cellules du corps humain fabrique sa propre énergie ainsi que pratiquement tous les constituants indispensables à son fonctionnement ; elle réalise ses activités à son rythme et à partir de son économie individuelle. Tout ceci sans oublier que chaque cellule possède dans son noyau toute la mémoire génétique de l'individu.
D'autres paramètres sont également identifiables. Ils permettent de comprendre comment les organes se coordonnent, coopèrent malgré des intérêts divergents. Cette communication n'est pas forcément hiérarchique, elle est avant tout transversale. Elle se pratique inter-tissus ou inter-organes. Elles est également ascendante: un très grand nombre d'informations remontent aux centres supérieurs depuis d'innombrables capteurs. Certaines caractéristiques en matière de communication sont même paradoxales. En effet, malgré une concertation interne perfectionnée, un organisme vivant reste perpétuellement ouvert sur l'extérieur. Ses principales régulations sont d'ailleurs dictées par l'environnement. Par expérience, le vivant a "enregistré" qu'il n'a pas de prise sur lui, ou si peu. Or cet extérieur, déjà hostile en lui-même, est en constante transformation : variations de température, de pH, de concentration, de composition de l'air et d'humidité, modifications de nourriture, agressions diverses, etc.

Pour cette écoute entretenue, d'innombrables organes dits "des sens" ont été spécialisés. Leur mission est de rechercher en continu tout indicateur susceptible d'éclairer l'organisme. Toutes les modifications extérieures, du moins celles qui peuvent avoir des conséquences néfastes sont repérées en priorité. Pas question de "crouler" sous les données : ces informations sont filtrées, traitées et regroupées. Elles sont ensuite croisées et comparées à des informations déjà mémorisées.
Aucune décision n'est imposée du haut. Certes, on peut "hiérarchiser" des zones de coordination, avec au sommet celles du cerveau, et en son sein le cortex pour les vertébrés supérieurs. Mais ces structures n'ont pas de pouvoir de décision en soi. Ces centres sont sous la dépendance en continu des autres organes et de l'environnement. Leurs choix ne sont jamais a priori. Ils sont sous contrôle des informations reçues et des possibles mémorisés. Le maillage et l'intégration des données apparaissent au centre du dispositif .
Dans les organisations vivantes, la hiérarchie, point faible de toute organisation sociale, est ainsi reformulée. D'abord il en existe fort peu, tout au plus peut-on observer trois niveaux de coordination. Ensuite ses fonctions sont autres ; la "direction" apparaît surtout comme un lieu de consensus et d'intégration. Sa principale préoccupation est la gestion des conflits et des contradictions, à commencer par ceux qui pourraient rompre le délicat optimum de fonctionnement de l'organisation. Le reste du temps, tout est réglé au plus près du problème, sans aucune intervention des centres dit "supérieurs".
Par ailleurs, ces centres ont pour tâche essentielle de concerner. Mieux, ils anticipent en tenant compte de l'histoire de l'organisation et de ses interactions préalables avec l'environnement. Dès qu'un choix est décidé, ils font partager à l'ensemble des composants le parti pris choisis, grâce aux multiples systèmes d'information.

Mettre en place une pensée pour demain

L'organisation du corps humain est donc un bon support pour introduire à la pensée "complexe". Pour survivre, chaque organisme, chaque "tout" comme dirait Edgar Morin, délègue des activités à différentes parties : les organes, les tissus, les cellules, les organites. Toutefois chaque cellule a besoin d'être pourvue en matière et en énergie. Pour ce faire, le "tout" doit créer des conditions qui satisfont au fonctionnement des parties, notamment la circulation et la pression sanguine et ceci au moyen de parties telles que le coeur, les reins, le système sanguin et des messagers comme la rénine et l'angiotensine. Comme l'écrivait Georges Canguilhem : "c'est le tout qui réalise le rapport des parties entre elles comme partie, de sorte que hors du tout il n'y a pas de parties".

Les grandes régulations interpellent ainsi notre façon de penser, et plus particulièrement elles questionnent la pertinence de notre logique ou celle de la causalité. Sur ce dernier plan, les régulations renvoient à l'idée de système. Elles modifient radicalement nos conceptions de la causalité linéaire.

Dans la vie courante, nous envisageons souvent une relation de cause à effet. Un événement se produit si une cause en est à son origine. Rien de tel en réalité. Tout phénomène repérable est le produit de causes multiples (multicausalité) ou d'un réseau causal. Très souvent, l'effet rétroagit sur la cause pour l'amplifier ou l'inhiber. On parle alors de feed-back positif ou négatif. Cette idée, qui a pourtant plus de cinquante ans, n'est pourtant pas encore partagée par le grand public.

Différents principes de causalité
En bas, un exemple de causalité régulée dans une bactérie : l'opéron lactose

 

 

Nombre de décideurs l'ignorent également, ce qui n'est pas sans conséquences dramatiques pour l'économie. L'exemple le plus "frustre" que l'on peut mettre en avant est la politique bancaire. Les banques ont investi puissamment dans l'immobilier. Dans le même temps, elles ont poussé à la restructuration des entreprises. Cela a conduit, d'une part, à mettre en place ce qu'on appelle par euphémisme des "plans sociaux". En d'autres termes, le chômage s'est aggravé, le pouvoir d'achat des salariés a diminué. Ces derniers n'ont plus pu acheté d'appartements D'autre part, le prix du mètre-carré de bureau a chuté fortement faute de salariés à installer. Le tout a contribué à faire s'effondrer le marché de l'immobilier. Les banquiers en retour ont subi les conséquences de leurs choix !
Sur de nombreux plans, nos paradigmes ont ainsi besoin d'être repensés. Tout un travail est à situer à ce niveau. La physionique permet cette approche. Par exemple, dans la pensée habituelle un produit est "bon" ou "mauvais". La régulation de l'eau met en évidence, par exemple que l'urée, considérée par les populations comme un produit de déchet, prend une place prépondérante dans le fonctionnement du rein. Elle facilite la récupération de l'eau au bas des néphrons avant d'être rejetée à son tour !...

D'autres analogies avec le corps humain éclairent les raisonnements à mettre en place. Une organisation vivante ne se conforme jamais au principe de "commande rigide". Pour maintenir son équilibre, l'organisme n'a pas de solution préalable toute faite. Il n'a même pas de solution du tout. Il possède seulement un registre de fonctionnements lui permettant de faire face au mieux aux multiples problèmes dus aux modifications permanentes de l'environnement et aux conséquences induites par l'évolution d'un paramètre sur les autres. Son seul critère de sélection, s'attaquer en premier aux plus pernicieux, ceux qui dégradent irrémédiablement son économie générale.
En somme, le vivant pratique ce qu'on nomme parfois par dérision, le "pilotage à vue". Il y excelle à tel point qu'il a élaboré des structures et des règles "intelligentes". Elles garantissent à la fois la flexibilité et la rapidité de réaction et d'adaptation aux changements de l'environnement. Pour que le système opère correctement, il reste en éveil en permanence et une coordination s'établit entre les parties et les sous-parties.

Modèles physioniques
A droite, exemple d'interactions enchaînées dans le corps humain,
à gauche, exemple dans l'économie.

 

Ce qui n'exclut pas les conflits d'intérêts. Toutefois ceux-ci sont pris en compte et gérés par les systèmes de régulations. A leur tour, ceux-ci sont régulés dans d'autres réseaux. Pour parfaire le tout, l'organisme garde en mémoire une trace de ses expériences passées et les réinjecte en priorité dans ses choix.
L'organisation vivante apprend et transforme continuellement ses processus pour atteindre ses objectifs. L'incertitude est également prise en compte dans ses modes de décisions. Un travail spécifique est à développer sur ce plan et des conséquences pourraient en être extraites sur le plan de nos modes de raisonnements. Déjà, on peut avancer que pour y faire face, il faut tabler autant sur des démarches que sur des connaissances. Il faut d'abord être capable de faire des choix et d'accepter d'interférer avec une part d'inconnu.

Conclusion provisoire

 

L'idée de régulation, comme celle d'organisation, est un des quelques grands concepts organisateurs à mettre en avant pour l'école de demain. D'autres sont possibles comme le propose ce tableau.
Mais pour qu'ils soient opératoires, il faut qu'ils soient à leur tour en interaction avec des attitudes et des démarches d'une part. D'autre part, ces "grands concepts" ont besoin d'être constamment resituer par ce que nous appelons un "savoir sur le savoir".

A travers mes propos, la priorité n'est plus d'enseigner des contenus disciplinaires, mais de prendre appui sur des savoirs disciplinaires pour introduire chez l'apprenant une disponibilité, une ouverture, une curiosité d'aller vers ce qui n'est pas évident ou familier. Dans le même temps, c'est un mode d'investigation capable de répondre aux défis en cours ou à venir que l'enseignant se doit de faire partager.

Projet éducatif pour l'enseignement des sciences

Pour en savoir plus :

André Giordan, Comme un poisson rouge dans l'homme, Payot, 1995.
André Giordan, La physionique in La Recherche, 284, février 1996


© Laboratoire de Didactique et d'Épistémologie des Sciences 2008