Source et copyright à la fin du texte

 

In Éducation et Recherche, 1992, n° 1, pp. 10-27. Repris dans Perrenoud, Ph. : La formation des enseignants entre théorie et pratique, Paris, L’Harmattan, 1994, chapitre VI.

 

 

 

Le rôle d’une initiation à la recherche
dans la formation de base des enseignants

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1992

Sommaire

I. La recherche comme mode d’appropriation active de connaissances de base en sciences humaines

II. Rapport au savoir et usages de la recherche

III. Un paradigme transposable

IV. Et les formateurs ?

Références


Les propos qui suivent abordent le problème du point de vue de l’itinéraire de formation des futurs enseignants. Il ne sera donc question que marginalement de la place de la recherche dans les instituts de formation des maîtres, que ce soit sous l’angle du statut universitaire de ces institutions, ou sous celui de la carrière, de la formation continue ou de la légitimité scientifique des formateurs qui leur sont rattachés.

Les chercheurs de métier ont pour tâche de construire des connaissances générales, organisées, invalidables et transmissibles, dans le cadre d’une discipline scientifiques constituée. Les enseignants ont une autre vocation. Seule une minorité d’entre eux seront appelés à collaborer intensivement à de véritables recherches scientifiques, un plus petit nombre encore devenant durablement ou temporairement enseignants-chercheurs. Même si ces minorités tendent à s’élargir, la question se pose : pourquoi vouloir initier tous les enseignants aux pratiques de recherche, dès leur formation initiale ?

Ça ne peut pas leur faire de mal ", dit-on parfois. C’est un argument un peu court. Aujourd’hui, dans la formation professionnelle des enseignants, il n’y a place que pour ce qui accroît sensiblement et visiblement l’efficacité pédagogique en classe. Dans cette perspective, une initiation à la recherche en formation initiale peut se justifier de trois façons complémentaires :

  1. comme mode d’appropriation active de connaissances de base en sciences humaines ;
  2. comme préparation à utiliser les résultats de la recherche en éducation ou à participer à son développement, tout au long de la carrière ;
  3. comme paradigme transposable dans le cadre d’une pratique réfléchie.

En examinant de plus près ces trois aspects, je risque de donner l’impression qu’en dehors de l’initiation à la recherche, il n’y a pas de salut. Alors que c’est un aspect secondaire de la formation professionnelle des futurs enseignants, même dans le cadre d’institutions universitaires. Ce qui importe, c’est de favoriser un modèle clinique de formation, fondé sur une forte articulation théorie/pratique. Dans cet esprit, une initiation à la recherche n’est qu’une pièce parmi d’autres d’un dispositif de formation globalement orienté vers la maîtrise professionnelle, qui se caractérise par certaines options en matière d’organisation du cursus, d’insertion progressive dans les classes, de contrat didactique, de contenus et de démarches d’apprentissage. Les idées développées ici s’inscrivent donc dans une réflexion d’ensemble, explicitée ailleurs (Huberman & Perrenoud, 1987 ; Perrenoud, 1988), dont je ne rappellerai ici que les orientations principales, en disant qu’il faut :

  1. privilégier une formation de type clinique, autrement dit fondée sur l’articulation entre pratique ET réflexion sur la pratique.
  2. permettre aux enseignants en formation d’acquérir des bases théoriques solides, conçues non comme des savoirs abstraits ou des modèles prescriptifs, mais comme des ressources et des " grilles de lecture " de l’expérience sur le terrain ;
  3. faire en sorte que la mise en responsabilité soit progressive, que l’autonomie se construise à travers expériences et stages gradués ;
  4. former des professionnels disposant d’une gamme étendue de méthodes et de modes d’animation de la classe ;
  5. favoriser une approche intégrée de la didactique, articulant maîtrise des contenus, méthodologie et formation pédagogique ;
  6. veiller à ce que les modalités de formation des maîtres soient cohérentes avec les orientations pédagogiques qu’on leur propose.
  7. prendre en compte toutes les composantes du métier : travail en classe, collaboration avec des adultes, aspects sociaux, relationnels, culturels, institutionnels de la profession aussi bien qu’aspects didactiques au sens large (d’après Huberman & Perrenoud, 1987, p. 2).

Je me référerai ici, plus particulièrement, aux deux premiers principes.


I. La recherche comme mode d’appropriation active
de connaissances de base en sciences humaines

Dans tous les métiers qui font usage de savoirs scientifiques, il faut à la fois :

Faut-il, pour cette raison, les initier à la recherche ? Cela ne va nullement de soi. Tout dépend du modèle qu’on se donne de la construction graduelle des connaissances. La participation à une vraie recherche met en contact avec les zones les plus incertaines du savoir, ce qui n’est pas nécessairement sécurisant et n’a pas en soi de vertu didactique. On le sait fort bien, au moins jusqu’au niveau du baccalauréat et des premiers cycles universitaires, la transposition didactique exige, pour donner aux élèves une occasion d’assimiler des savoirs constitués et relativement cohérents, un certain décalage avec les problématiques et les doutes des chercheurs qui travaillent dans les laboratoires sur les mêmes sujets au même moment. À l’université, dans les formations scientifiques, au second ou au troisième cycle, ce décalage se réduit et au plus haut niveau, la formation devient participation entière, fût-elle subordonnée, à de véritables recherches. Mais justement, on forme alors de futurs producteurs de savoirs. Il est heureux qu’ils soient, dès leur formation initiale, introduits non seulement dans la communauté scientifique, mais confrontés aux savoirs les plus neufs et les plus instables et initiés aux méthodes et à l’épistémologie de la recherche.

Cela ne se justifie pas pour n’importe quelle formation scientifique ou technique, même de haut niveau. L’initiation à la recherche ne s’impose nullement comme mode unique ou même prioritaire d’appropriation des connaissances scientifiques. Se justifie-t-elle pour les enseignants davantage que dans d’autres métiers ? Est-il nécessaire, pour assimiler vraiment des notions de base en psychologie du développement, en didactique ou en sciences sociales, de participer à des recherches fondamentales ou appliquées ? N’est-ce pas, dans cette perspective du moins, un dispositif coûteux ?

Inutile de développer ici une thèse qui sous-tend toutes les pédagogies actives : on apprend en faisant, les connaissances se construisent dans l’action et souvent l’interaction, et ne sont réellement utiles que si elles sont à leur tour mobilisable dans l’action. Reste à savoir si la participation à la recherche est la voie royale d’une pédagogie active, ou du moins une voie défendable.

 

a. L’incorporation des savoirs à l’habitus

Si la formation par la recherche est une bonne stratégie, c’est, paradoxalement, parce que l’enseignement n’est pas encore un métier scientifique.

Il se peut que, dans quelques décennies ou un siècle, les sciences de l’éducation aient tellement avancé, la tertiarisation de l’économie tellement progressé, le niveau de qualification des enseignants tellement augmenté que l’essentiel de la pratique pédagogique soit fondé sur des savoirs scientifiquement établis. Ce serait aller vers ce que certains appellent " ingénierie didactique ". Une ingénierie comparable à celle qu’on connaît déjà dans les secteurs de pointe de la technologie. Avec peut-être de véritables " machines à apprendre ", avec leurs " servants "… On pourrait soutenir qu’alors il ne sera plus nécessaire d’initier les enseignants à la recherche : l’état des connaissances sera tel que leur application n’exigera qu’une formation technique de haut niveau, qui n’est pas en général une formation à la recherche, ni même par la recherche.

Aujourd’hui, il n’existe pas en sciences humaines d’acquis théoriques dont la maîtrise suffirait pour enseigner efficacement. La formation des enseignants n’est donc pas comparable à celle des ingénieurs, qui complètent des bases scientifiques et technologiques très substantielles par une part de " know-how " et de bricolage. Pour quelques décennies encore, le métier d’enseignant se caractérise par le mélange exactement inverse : beaucoup de bricolage, d’intuition de " know-how " et quelques connaissances scientifiques plus ou moins confirmées.

C’est le sous-développement des savoirs scientifiques qui justifie aujourd’hui leur appropriation par la recherche. Au cours des vingt ans qui viennent et probablement plus longtemps encore, on formera des enseignants " condamnés " à fonder une partie de leurs décisions et de leurs pratiques sur un état de l’art, sur l’expérience, sur l’intuition ou des savoirs locaux, à défaut de connaissances scientifiques suffisamment valides et efficaces pour être utilisables à bon escient en temps réel. C’est justement pourquoi il est souhaitable de faire une part à la recherche dans la formation initiale des maîtres. Non pas dans une perspective stratégique, celle du développement et de la légitimation des institutions de formation à forte composante scientifique et universitaire. Mais dans une perspective pédagogique et épistémologique. Parce que la participation à une recherche peut stimuler l’appropriation active des connaissances scientifiques. Or cette appropriation active est d’autant plus nécessaire que l’exercice du métier n’est pas pure mise en œuvre de savoirs constitués. La part de formation scientifique ne sera réellement opérante qu’à condition d’être incorporée à l’habitus professionnel (Bourdieu, 1982, 1980 ; Perrenoud, 1976) et investie pour une part dans l’improvisation réglée, la négociation et les décisions continues en classe, la relecture de l’expérience (Huberman, 1983, 1990 ; Perrenoud, 1983, 1988).

Encore faut-il qu’une telle initiation atteigne ce but mieux que d’autres dispositifs didactiques moins lourds. Pourquoi en irait-il ainsi ? Parce que la recherche induit nécessairement un rapport actif aux savoirs et à la réalité dont ils prétendent rendre compte. Parce que pour conduire une observation structurée, une enquête, une expérience, il faut manier des concepts, des variables, des hypothèses, des " objets théoriques " de façon plus intime et exigeante qu’en s’adonnant à des travaux pratiques d’une autre nature.

b. La recherche comme dispositif de pédagogie active

La recherche n’est ici pertinente qu’au titre de pratique obligeant à prendre des décisions, à manier des concepts et des observables. Exactement dans l’esprit qui inspire les didactiques nouvelles lorsqu’elles proposent, dès l’école obligatoire, d’engager les élèves dans des recherches sur le fonctionnement de la langue, certains phénomènes naturels ou des situations mathématisables.

Recherche signifie alors : volonté de comprendre, d’élucider, de découvrir des mécanismes cachés, des causes, des interdépendances ; tâche ouverte, créative, à l’issue incertaine ; mystère stimulant, aventure intellectuelle ; invention ou adaptation de méthodes d’observation et d’analyse ; confrontation des points de vue, résolution de conflits sociocognitifs.

Avec Piaget et la psychologie génétique, on peut dire qu’un enfant qui se développe et apprend est un " chercheur ", puisqu’il cherche à comprendre le monde et à agir sur lui. Dans ce sens général, la recherche est une suite de déséquilibres et d’équilibrations, de désorganisations et de restructurations, de moments de généralisation, de différenciation, de coordination des connaissances et des schèmes de pensée acquis.

Le petit enfant est " chercheur ", qu’il le veuille ou non, parce qu’il a tout à apprendre. Il en va autrement des élèves plus âgés, et a fortiori des adultes, qui disposent de routines leur permettant de faire face aux situations les plus fréquentes, et donc de consacrer moins d’énergie à comprendre leur environnement et à le maîtriser. C’est pourquoi, pour stimuler de nouveaux apprentissages, les formateurs s’ingénient à bâtir des dispositifs didactiques qui " obligent " les apprenants à résoudre des problèmes inédits, à réaliser des projets ambitieux, à prendre des décisions difficiles. Puisque la curiosité spontanée n’est plus un moteur suffisant, on invente un " projet de recherche ", façon parmi d’autre, dans une pédagogie active, de définir une tâche stimulante. Il y a alors risque de confusion entre la recherche comme mécanisme cognitif à l’œuvre chez tout être humain et la recherche comme pratique sociale dans une communauté scientifique*. Mais c’est parce que les parentés sont réelles et qu’il faut reconnaître à la fois les différences et les ressemblances. En classe ou plus généralement en situation de formation, on emprunte à la recherche pratique sociale certains traits qui donnent du sens, un but, un cadre, des procédures à une activité de recherche comme processus cognitif. Cet emprunt est légitime s’il est lucide !

Pourquoi se priver de tels dispositifs en formation des maîtres alors qu’ils sont préconisés dans toutes les disciplines dès l’école maternelle ? Ils auront au moins une vertu : faire vivre, en position d’apprenant, des pratiques d’école active qu’on invitera ensuite les maîtres débutants à mettre en œuvre avec leurs élèves.

Au-delà de cette cohérence didactique, l’implication dans des activités de recherche paraît une façon d’apprendre tout à fait estimable. Encore faut-il en débattre avec une certaine rigueur :

Reprenons ces deux points.

c. Apprendre à voir : relativisme et décentration

Par définition, une recherche privilégie un champ instable et parcellaire de la connaissance. Même dans le cadre d’une pédagogie active, il est sûrement des moments, dans la construction des connaissances, où une pratique de recherche n’est pas l’activité la plus féconde, ou même présente des risques.

D’une pratique de recherche, on peut attendre en revanche des effets bénéfiques dans les domaines suivants :

1. Un découpage plus analytique et plus fin de la réalité. La recherche oblige à voir de manière précise et différenciée les phénomènes qu’on perçoit d’ordinaire globalement et de façon assez fruste. Par exemple, en se mettant dans une posture de recherche ethnologique, on peut, au cours d’un trajet en ascenseur, découvrir un monde d’interactions, de codes, de stratégies restées jusqu’alors inaperçues, alors même qu’on prend l’ascenseur très souvent. De même, si l’on doit codifier les interactions maître-élèves ou enregistrer les activités successives d’un seul élève, on en vient à découvrir des nuances, des catégories et même des faits qui n’étaient pas vraiment cachés, mais n’étaient pas détectés faute d’un regard suffisamment analytique et fin.

2. La recherche oblige à écouter et à regarder avec moins de biais. Dans beaucoup de domaines, on regarde ou on écoute mal parce qu’on s’attend à ce qu’on va voir ou entendre ; ou parce qu’on a des préjugés, ou qu’on prend ses désirs pour des réalités. La recherche oblige à documenter, par exemple à enregistrer et à transcrire un entretien, à rédiger un protocole, à contrôler les observations. Cette discipline fait découvrir des gestes, des propos, des pratiques qui passent d’ordinaire inaperçus. Tout simplement parce que le mode d’enregistrement du réel qu’impose la recherche empêche nos filtres et nos biais ordinaires de fonctionner aussi efficacement que d’habitude.

3. La recherche incline à mieux voir le caché, le refoulé, le non-dit. En se posant des questions qui n’ont pas cours dans la vie quotidienne, la recherche met en évidence des phénomènes ordinairement masqués, voire censurés. Pour mesurer le poids de l’attirance ou de la répulsion physique dans les rapports maître-élèves, il faut d’abord envisager et accepter que ce facteur puisse avoir une influence, ensuite recueillir des données qui infirment ou confirment cette hypothèse. Pour observer à quel point l’école prive l’élève de sphère privée, ou dans quelle mesure les stratégies d’enseignement sont déterminées par les lacunes et les incertitudes de l’enseignant dans la matière enseignée, il faut qu’une théorie construise ces hypothèses peu acceptables et qu’une méthodologie les valide.

4. La recherche oblige à prendre en compte la différence et la diversité. Lorsqu’on pratique un échantillonnage systématique, on observe des personnes et des pratiques qui échappent à la perception ordinaire, soit parce qu’elles sont très marginales, soit parce qu’on fréquente ordinairement une partie seulement de l’éventail des pratiques et des représentations. Ainsi, dans une recherche sur les attitudes racistes des maîtres ou des élèves, on ne pourra pas occulter des attitudes extrêmes ou très différentes de celles qu’on juge " normales ".

5. La recherche relativise les évidences du sens commun. Chaque acteur a normalement tendance à penser qu’il y a une bonne façon d’exercer le pouvoir, d’exprimer ses sentiments, de négocier, d’évaluer. Les pratiques différentes sont soit méconnues, soit jugées sur le mode normatif : tel autre enseignant n’est pas cohérent, telle famille n’est pas à la hauteur, tel élève manque de culture ou de motivation, etc. La recherche oblige à prendre en compte d’autres cohérences, d’autres évidences et souligne l’arbitraire, mais en même temps la nécessité de chaque culture, de chaque vision du monde.

Décentration, relativisme, conscience de l’arbitraire et de la complexité, multiplicité des points de vue et des interprétations, existence de mécanismes cachés, de processus inconscients, diversité des pratiques et des représentations : ce sont autant de paradigmes qui rendent les théories possibles, autant de ruptures avec le sens commun, avec la psychologie et la sociologie spontanées des acteurs sociaux. Évidemment, dans chaque domaine particulier, une pratique de recherche oblige aussi à travailler un corpus théorique, un vocabulaire, des concepts et des hypothèses. Mais on peut pour cela recourir à d’autres formes de travaux pratiques. Ce que la recherche apporte d’irremplaçable, c’est la confrontation au réel, mais une confrontation instrumentée et détachée du souci de gérer une situation, de faire réussir un projet, sinon celui d’observer et de comprendre.

À partir du moment où on admet l’idée que l’enfant puisse avoir une sexualité, que le maître puisse prendre du plaisir à exercer un pouvoir, voire à terroriser certains élèves, il reste naturellement à assimiler des concepts et des théories psychologiques et psychanalytiques qui vont éclairer les tenants et aboutissants de ces intuitions. Mais la formation théorique n’est possible qu’à partir du moment où un nouveau regard a ouvert des perspectives et rendu acceptable un discours peu banal, parfois scandaleux. La recherche peut changer le regard, aider à reconnaître des niveaux de réalité et des types de phénomènes qu’on ne sait ou qu’on ne veut ordinairement pas prendre en compte.

d. Prédominance d’une logique didactique

Qu’elle soit orientée vers des prises de conscience de ce genre ou vers l’assimilation de concepts et de connaissances définis, la recherche n’atteindra ses buts que si elle est conçue et animée avec rigueur en fonction de tels objectifs. Autant dire qu’il pourra difficilement s’agir d’une " vraie recherche scientifique ", à laquelle on associerait simplement les maîtres en formation. Car alors, compte tenu des échéances, de la division du travail, des rigueurs de la méthode, etc., il y a tout à parier que, comme d’habitude en pareil cas, on ne donne aux étudiants qu’un rôle marginal, qu’on les implique dans le recueil et la codification des données, voire leur exploitation, plutôt que dans la conception des problématiques et des démarches et l’interprétation des observations. Or ce sont évidemment ces dernières activités qui obligent le mieux à s’approprier activement des concepts et des idées. Dans le cadre de la formation méthodologique de futurs chercheurs, la participation à toutes les phases d’une recherche, y compris les plus ingrates et les plus techniques, se justifie pleinement. Lorsqu’on détourne la recherche à des fins didactiques, cette logique même autorise et exige la centration sur les phases les plus conceptuelles, donc les plus qualifiées et les plus risquées du travail scientifique.

Cela ne veut pas dire qu’une recherche à but didactique doit porter sur un problème simple et que les formateurs doivent connaître le résultat de la recherche avant même qu’elle ait débuté. Au contraire, même dans une classe primaire, si la recherche n’est qu’un détour pour amener les élèves à une connaissance déjà construite et maîtrisée par le formateur, l’entreprise sera peu convaincante, donc moins formatrice. Tout en restant animateur de la démarche et garant de sa rigueur, le formateur devrait avoir l’esprit aussi ouvert que les apprenants quant à l’issue de l’entreprise.

En revanche, il faut débarrasser de telles recherches des contraintes et des enjeux qui sont le lot de la recherche scientifique pure et dure : ne pas exiger de financement exceptionnel, faire avec le temps qu’on a, sans brûler les étapes, ne pas viser à tout prix une publication, accepter d’impliquer les maîtres en formation dans toutes les tâches, même s’ils ne sont pas encore compétents, accepter les errements, le flou, les décisions contestables et les retards comme autant de choses normales en situation d’apprentissage. Il est évident qu’un formateur qui a besoin de la collaboration de ses étudiants pour finir sa thèse ou publier une recherche fondamentale n’aura jamais la patience et la tolérance voulues et que le souci d’efficacité dans l’emploi d’une main d’œuvre prendra le pas sur le souci de formation…

En conclusion sur ce point, oui à la recherche en formation initiale des enseignants pour faciliter l’appropriation active de certaines connaissances et surtout de certains points de vue sur la réalité, à condition que le choix d’une démarche de recherche soit dicté par un souci didactique et soit pertinent par rapport aux objectifs de formation, fût-ce au détriment de sa valeur présumée dans le champ scientifique. En acceptant que de telles recherches ne contribuent guère à la reconnaissance des formateurs qui les animent dans la communauté scientifique.


II. Rapport au savoir et usages de la recherche

On pourrait imaginer d’autres dispositifs didactiques et d’autres démarches actives d’appropriation des connaissances de base en sciences humaines, L’initiation à la recherche n’est qu’une façon parmi d’autres d’induire un travail sur le réel et sur soi. En revanche, peut-être est-ce la seule façon efficace de développer l’esprit critique et l’autonomie des enseignants face au discours des sciences humaines, en même temps qu’une attitude active, exigeante et pragmatique à l’endroit des recherches en éducation.

a. Un rapport critique à la connaissance

Lorsqu’un étudiant participe à une recherche d’une certaine envergure, il n’a pas nécessairement les moyens théoriques, méthodologiques, épistémologiques de comprendre exactement de quoi il retourne. En revanche, il voit de ses yeux que la connaissance se construit, qu’elle dépend d’instruments et de procédures dont il mesure d’autant mieux l’arbitraire et les limites qu’il contribue à les concevoir et à les mettre en œuvre.

Participer à une recherche, c’est comprendre que le découpage des objets et la formulation des hypothèses obéissent à des contraintes méthodologiques, parfois techniques ou financières. Donc qu’il faut s’attendre, pour de bonnes et parfois de mauvaises raisons, à ne pas retrouver dans une recherche ou une publication particulière toute la complexité du réel qu’on affronte en classe.

Participer à une recherche, c’est prendre conscience de la fragilité des connaissances, comprendre qu’elles correspondent à un moment de la pensée, qu’elles seront nécessairement complétées, nuancées, réintégrées dans des ensembles plus vastes, ou même parfois invalidées par de nouveaux travaux. C’est donc comprendre que rien n’est sûr et définitif, que c’est normal, que ce n’est pas un signe d’instabilité ou de manque de sérieux, mais la marche naturelle d’une discipline scientifique.

Participer à une recherche, c’est prendre la mesure de tout ce qu’on ignore, des incertitudes, des conflits théoriques. C’est se préparer à accepter que, sur certains sujets, les chercheurs ne soient pas d’accord pour d’excellentes raisons, parce que le temps de l’intégration n’est pas venu, parce que la connaissance progresse par opposition et fragmentation aussi.

Participer à une recherche, c’est constater que la recherche est une pratique sociale, avec des enjeux et des logiques institutionnelles, des conflits de personnes, de ressources et de territoires, des phénomènes de pouvoir et de marché, etc. C’est démystifier le chercheur, c’est comprendre que c’est un être humain comme un autre, pris dans des rapports sociaux, relativement enfermé dans une époque et un culture. C’est comprendre surtout que le savoir qu’il produit est toujours dépendant, si peu que ce soit, de ses attaches personnelles et institutionnelles, de ses valeurs et croyances.

Bien entendu, pour qu’une initiation à la recherche donne vraiment à voir la science en train de se faire, il faut qu’elle soit relativement longue et réaliste. Initier les enseignants en formation à de petites recherches faites sur mesure dans des domaines bien balisés, où il n’y a véritablement rien de très neuf à découvrir, c’est les initier éventuellement à la méthodologie de recherche, aux techniques d’entretien, de fabrication de questionnaires, d’analyse multivariée ou d’observation par exemple. Ce n’est pas sans intérêt, mais les bénéfices épistémologiques décrits plus haut exigent bien davantage.

Il faut aussi que la démystification et la relativisation des savoirs scientifiques ne conduisent pas à la déception, au cynisme, au repli sur l’intuition, la tradition, le bon sens. Pour dépasser ces réactions, probables dans un premier temps, il faut probablement deux conditions :

Une initiation un peu rapide et qui ne donnerait pas le temps d’exprimer ses réactions et d’en discuter ferait plus de mal que de bien et conduirait une fraction des enseignants en formation à considérer qu’en fin de compte faire de la recherche " c’est dépenser beaucoup d’énergie pour pas grand chose ". Pour nuancer cette appréciation, sans doute ne suffit-il pas de discuter avec des chercheurs de pointe, eux qui ont inévitablement le nez collé sur un problème limité. Pour faire le lien entre le travail de recherche quotidien et la construction des connaissances, il faut avoir un minimum d’ouverture vers l’épistémologie et l’histoire des sciences. Pas forcément sous forme de cours. Plutôt sous forme de séminaires permettant de relier le travail quotidien de la recherche et ses produits consolidés, à l’échelle d’une décennie ou d’un siècle par exemple.

b. Faire bon usage de la recherche

Quiconque sait faire la cuisine lira autrement une recette. Quiconque enseigne recevra autrement une leçon. Quiconque a une expérience personnelle de l’art dramatique, de la musique ou du sport suivra différemment un spectacle, un concert, un match. Tout simplement parce que " sous " le produit achevé, le praticien repérera les ficelles du métier, les failles, les incertitudes, les ambiguïtés.

Ce qui arme la critique permet aussi l’usage fécond, créatif, autonome des savoirs : l’appropriation du produit fini est toujours plus forte lorsqu’on peut s’imaginer, deviner, reconstituer au moins en partie le modus operandi. Les enseignants désespérés par " La reproduction " n’avaient pas les moyens de mettre le livre de Bourdieu et Passeron à distance, faute de comprendre sur quoi les thèses étaient étayées et de quelle construction théorique le concept de reproduction était solidaire. Les lecteurs de " Pygmalion in the Classroom ", selon qu’ils comprennent ou non le dispositif expérimental qui sous-tend les données, n’en feront pas le même usage : les plus avertis pourront à la fois mieux accepter et mieux relativiser les résultats.

Il reste évidemment fondamental que les chercheurs en éducation s’appliquent à diffuser le mieux possible les savoirs, notamment en s’engageant dans une interaction forte avec les usagers, sans attendre que la distance " épistémologique " soit devenue infranchissable (cf. notamment Huberman & Gather Thurler, 1991). Il reste que les efforts de dissémination et de communication seront d’autant plus efficaces que les chercheurs s’adresseront à des enseignants disposant non seulement d’un bagage suffisant (maîtrise minimale du langage, des concepts, des paradigmes scientifiques), mais de clés de lecture de ce type même de discours, qui passent notamment par une certaine familiarité avec les pratiques de recherche.

c. Participer à la recherche

Selon les pays et les systèmes scolaires, l’expression enseignant-chercheur correspond à des réalités différentes. On parle parfois d’un statut bien défini, parfois d’une participation passagère à des travaux de recherche au bénéfice d’une décharge, d’un congé de formation ou dans le cadre d’une innovation, d’une recherche-action ou d’une recherche-développement.

Ce qui est sûr, c’est qu’avec l’implantation croissante des sciences de l’éducation dans les systèmes scolaires, il devient à la fois nécessaire, bénéfique et possible d’associer les enseignants aux travaux de recherche selon des modalités nouvelles. Il ne s’agit plus ici d’ouvrir sa classe à un observateur, d’administrer des tests ou des épreuves, de répondre à des questionnaires. Là, l’enseignant joue un rôle de sujet de la recherche ou de médiateur avec le terrain, non pas de chercheur. Ce n’est pas un enseignant-chercheur.

À ce jour, il n’existe guère de formation spécifique au métier d’enseignant-chercheur comme métier à part entière. Peut-être y viendra-t-on. Pour l’instant, la question est plutôt de savoir s’il faut, durant la formation initiale des enseignants, prendre en compte le fait qu’une fraction d’entre eux seront, au cours de leur carrière, appelés à collaborer à la recherche en éducation, voire à sortir temporairement ou durablement de leur classe pour devenir enseignants-chercheurs ?

Aussi longtemps qu’on pense à une minorité, on peut difficilement donner beaucoup d’importance à cette préparation dans la formation initiale. On peut poser le problème autrement, se dire que, une fois au moins dans leur vie professionnelle, les enseignants qui le souhaitent auront l’occasion d’être associés à une recherche, voire détachés de leur classe pour un temps. Si cela devient le destin probable d’une importante fraction de chaque volée de nouveaux enseignants, il est raisonnable de se demander s’il faut les former dans ce sens. De la même façon, dans les pays où la fabrication des moyens d’enseignement et des méthodologies repose sur un système de milice, plutôt que sur des professionnels de l’édition scolaire, il faut se demander s’il ne conviendrait pas de préparer explicitement les enseignants à concevoir et à fabriquer des moyens didactiques. Cette réflexion participe d’une thématique plus vaste : la diversification interne d’une formation professionnelle en fonction de la diversification croissante des profils et des fonctions auxquelles elle donne accès. Aujourd’hui, dans la carrière d’un enseignant, la tenue d’une classe reste la condition commune, mais avec beaucoup plus de possibilités d’en sortir soit en gravissant des échelons dans la hiérarchie des établissements et du système, soit en s’intégrant à la noosphère, au groupe de ceux qui pensent les pratiques pédagogiques et les nantissent de moyens didactiques et matériels.

Dans cette hypothèse, la formation initiale des enseignants devrait aller plus loin qu’une préparation critique à assimiler les connaissances élaborées par les chercheurs. Il serait question de participer, de près ou de loin, à cette élaboration. On retrouve là la problématique classique de la formation des chercheurs, avec cependant des contraintes spécifiques :


III. Un paradigme transposable

Une initiation à la recherche pourrait contribuer à installer chez les enseignants une pratique réfléchie, autrement dit une disposition et une compétence à analyser individuellement ou collectivement leurs pratiques, à se regarder penser, décider et agir pour en tirer des conclusions, et inversement à anticiper les résultats de telle ou telle démarche didactique ou de telle ou telle attitude.

En effet, la recherche empirique offre des modèles concrets d’aller et retour entre la théorie et l’observation ou l’expérience. Dans la recherche plus que partout ailleurs, la théorie est avant tout une grille de lecture qui aide à voir, à anticiper, à analyser, à construire les " faits ".

a. Qu’est-ce qu’une formation clinique ?

Cette notion exigerait de longs développement. Comme ce n’est pas ici mon propos principal, je reprendrai simplement quelques éléments d’un autre texte :

Clinique ? Le terme évoque la médecine ou la psychologie : pathologie, diagnostic, thérapie. Pourquoi utiliser cette notion ? Pour assimiler l’ignorance à une maladie et l’enseignement à une thérapie ? Ou pour transformer les maîtres en psychologues cliniciens ? Nullement ! Ce que nous retenons de la clinique, c’est un modèle de fonctionnement intellectuel : le " clinicien " est celui qui, devant une situation problématique complexe, a l’habitude et les moyens théoriques et pratiques : a. de prendre la mesure de la situation ; b. d’imaginer une intervention supposée efficace ; c. de la mettre en œuvre ; d. d’évaluer son efficacité apparente ; e. de " rectifier le tir ". Enseigner ne consiste ni à appliquer aveuglément une théorie, ni à se conformer à un modèle. C’est avant tout résoudre des problèmes, prendre des décisions, agir en situation d’incertitude et souvent d’urgence. Sans pour autant sombrer dans le pragmatisme absolu et le coup par coup.

Comment se forme-t-on à un tel fonctionnement ? Essentiellement par la pratique. Mais pas n’importe quelle pratique ! Une pratique encadrée, aménagée de façon optimale pour que les problèmes à résoudre soient à la mesure des personnes en formation ! Les enseignants livrés à eux-mêmes lors de leur première expérience pratique disent volontiers qu’ils ont appris par tâtonnements, par une succession d’essais et d’erreurs à partir desquels ils ont constitué un répertoire de " routines " qui leur permettent de " survivre " dans une classe. C’est l’apprentissage que font classiquement, " sur le tas ", les remplaçants sans formation pédagogique. Les routines acquises de la sorte permettent peut-être de survivre dans une classe. Est-ce suffisant ? Une telle adaptation passe nécessairement par l’adoption de nombreuses habitudes malheureuses du point de vue de l’efficacité de l’enseignement ou du climat relationnel. Ces adaptations sauvages sont en particulier sujettes à caution lorsqu’il s’agit d’intervenir à bon escient face à un élève peu coopératif ou en difficulté, ou encore d’ajuster le contenu ou le rythme du travail aux élèves qu’on a devant soi.

Pour que l’expérience pratique débouche sur une véritable maîtrise professionnelle, il faut que le maître puisse analyser sa pratique, comprendre pourquoi et comment telle activité ou telle intervention ont bien ou mal tourné, faire d’autres essais en s’y prenant un peu différemment (Huberman & Perrenoud, 1987, p. 3-4).

On le voit, ce modèle de formation n’incite pas nécessairement à impliquer les enseignants dans des pratiques de recherche. Si la situation permet une forte collaboration entre les formateurs et les écoles, il n’est pas indispensable d’inscrire le va-et-vient dans un projet de recherche.

b. La recherche comme modèle de pratique réfléchie

La recherche présente en effet, dans la perspective adoptée ici, certains inconvénients, parce qu’elle oblige à filtrer les expériences pertinentes beaucoup plus que dans d’autres formes de rapport au terrain, compte tenu d’une construction d’objet plus rigoureuse ; l’important, pour installer une pratique réfléchie, est de partir de ce que les maîtres en formation trouvent significatif, sans se limiter a priori. Or la recherche implique des fermetures, elle exige que les stages alimentent une problématique définie d’avance. Même exploratoire, qualitative, sans prétention scientifique, elle oblige à suivre une logique de construction des connaissances plus que de réflexion sur l’expérience, alors que cette dernière est déterminante pour la formation professionnelle.

Une pratique professionnelle réfléchie, expérimentée et développée dès la formation initiale, exige bien davantage que la participation à quelques recherches. En revanche, la recherche peut offrir un paradigme transposable. D’abord aux formateurs : pour inventer des formes interactives d’encadrement de la réflexion sur la pratique, tous les modèles sont bons, à condition de ne pas s’y enfermer : la clinique, la supervision, l’animation en formation continue, l’intervention, la recherche sont autant de registres à partir desquels on peut inventer une pratique de formation.

Parler de pratique professionnelle réfléchie n’est pas, aujourd’hui, se référer à un modèle bien établi de développement professionnel, dont la signification serait acceptée et partagée au sein du corps enseignant. Il importe que la culture professionnelle fasse progressivement une place et donne une légitimité à ce modèle. Ce n’est pas acquis. Il n’y a pas d’image claire et commune de la façon dont les professionnels évoluent en cours de carrière, non pas en formation, mais au gré de leur expérience en classe. En ce sens, toute réflexion épistémologique est favorable.

Une expérience de recherche peut aider à comprendre ce que pourrait être une pratique réfléchie, aussi bien par différence que par ressemblance :

À l’inverse, l’enseignant qui réfléchit sur sa pratique a des contraintes que le chercheur n’a pas :

La prise de conscience de ces différences peut être formatrice, en particulier lorsqu’elle aide à voir qu’une pratique professionnelle réfléchie ne va pas de soi, qu’elle exige un effort constant d’auto-observation, de décentration, qui n’est possible qu’avec une formation, une certaine sécurité affective et intellectuelle, un environnement favorable ou au moins pas trop hostile.

Mais ici encore, rien ne justifie la participation des maîtres en formation initiale à n’importe quelle recherche en éducation. Pour induire une métaréflexion sur la pratique réfléchie, l’expérience de recherche doit elle-même être analysée, verbalisée, discutée. Elle doit donc s’y prêter doublement : par son contenu et ses échéances d’une part, par les temps et les lieux de réflexion qui l’accompagnent d’autre part.


IV. Et les formateurs ?

Jusqu’ici, je me suis placé du point de vue du curriculum de formation des maîtres, pour tenter de discuter la question : la participation à la recherche en éducation est-elle formatrice ?

Globalement, la réponse est oui, à condition :

Une autre question se pose : les formateurs d’enseignants doivent-ils avoir une formation à la recherche ? une pratique personnelle de recherche antérieure ou parallèle à leur activités de formation ?

Je répondrai par l’affirmative, avec une nuance : pour répondre sérieusement à une telle question, il conviendrait de discuter au préalable de la division du travail au sein du corps des formateurs. Pourquoi faudrait-il que tous les formateurs fassent le même travail et aient le même statut ? Un cursus de formation initiale bien pensé peut mobiliser toutes sortes d’intervenants, différant notamment par leur trajectoire, leur expérience professionnelle, leur niveau de formation académique, leur rapport à la pratique et à la recherche. Une réponse globale serait donc simpliste.

Il est sûr en revanche qu’une partie des formateurs doivent participer, de près ou de loin, à des vraies recherches en sciences humaines. C’est évidemment indispensable pour ceux qui devront utiliser la recherche comme démarche didactique dans l’une des trois orientations esquissées plus haut. Comment pourrait-il animer et encadrer les démarches des apprenants s’ils n’ont personnellement aucune expérience directe de vraies recherches scientifiques ?

Mais l’enjeu est plus vaste, il touche à la formation des formateurs. Il ne me semble pas indispensable que tous les formateurs d’enseignants aient été ou soient des professionnels de la recherche en éducation. Leur métier principal devrait être de former des maîtres. Mais la participation à la recherche pourrait être pour eux :

Le plus difficile, compte tenu de toutes ces raisons d’inscrire une part de recherche dans l’identité et l’emploi du temps des formateurs, c’est de résister une tentation majeure : la tentation de croire qu’une recherche utile aux formateurs sera ipso facto utile aux enseignants en formation initiale.

Il y a de bonnes raisons de penser qu’une recherche orientée par une logique de formation ne permet pas de produire des savoirs acceptables dans la communauté scientifique. Ou alors c’est au prix d’un faux-semblant : dans les universités, des générations d’étudiants ont servi et servent encore de main d’œuvre gratuite ou bon marché aux professeurs, pour recueillir, codifier, traiter des données. Est-ce une activité formatrice ? On peut en douter.

Parfois les choses se conjuguent. L’articulation la plus convaincante se situe certainement dans le contexte de la formation d’hypothèses et de la construction d’objets : là, le souci didactique peut se marier, parfois de façon très féconde, avec l’imagination scientifique. Lorsque, dans un contexte de validation, il s’agit de produire des données, les intérêts des formateurs-chercheurs et des maîtres en formation divergent souvent. De même, la recherche qualitative facilite les convergences, alors que les recherches à forte composante statistique associent les étudiants à des tâches d’exécution plutôt qu’à la conception ou à l’analyse.

Plutôt que de faire comme s’il y avait harmonie préétablie, il serait prudent de prévoir :

$d’une part des activités de recherche centrées sur les besoins des maîtres en formation, sans trop se soucier d’en monnayer les résultats sur le marché scientifique ;

$d’autre part, du temps et des ressources pour favoriser la participation personnelle des formateurs à de véritables recherches scientifiques, sans vouloir nécessairement y associer, si peu que ce soit, les maîtres en formation.


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