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Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et de sciences de
léducation
Université de Genève
1993
I. Léquipe pédagogique entre coordination des pratiques et team teachingII. Les enjeux pour les établissements et le système éducatif : une nouvelle culture professionnelle
III. Les enjeux pour les personnes ou comment partager sa part de folie ?
Quest-ce quune équipe pédagogique ? Peut-on parler déquipe dès quil y a vague association entre enseignants pour partager quelques ressources ? Ou faut-il réserver ce statut à un groupe de professionnels qui coordonnent leurs pratiques, voire collaborent de façon intensive dans laction pédagogique quotidienne ? Je tenterai dans un premier temps de distinguer pseudoéquipe, équipe lato sensu et équipe stricto sensu.
Dans un second temps, janalyserai les enjeux pour le système éducatif et les établissements.
Dans un troisième temps, je décrirai les enjeux pour les personnes, en identifiant notamment certaines résistances au travail en équipe et en essayant de montrer quelles ne sont pas " irrationnelles ".
Voici donc les trois volets de cette réflexion :
Équipe : " Groupe de personnes qui agissent ensemble " (Petit Robert) ou " Groupe de personnes collaborant à un même travail " (Dictionnaire Hachette de la langue française). Qui pourrait être pour ou contre le travail en équipe si lon en reste à une définition aussi abstraite, sinon quelques individualistes ou collectivistes inconditionnels ? Les autres acteurs se situent en fonction du mode de formation dune équipe particulière, et notamment de la liberté quon leur reconnaît ou quon leur dénie dy entrer ou den sortir à leur guise, de donner aux autres une large prise ou une influence plus limitée sur leurs idées et leurs pratiques. Ce qui importe en fin de compte, cest ce que chacun croit perdre ou gagner en fonction dun mode de travail, de décision, de réunion, de partage des ressources et des responsabilités, de division des tâches, de renouvellement du groupe. Les enjeux et des résistances se structurent en fonction dun fonctionnement spécifique, réel ou fantasmé, plutôt que dune idée générale.
Dans le travail salarié, deux extrêmes
Alors que les équipes sportives, les orchestres amateurs, les groupes de touristes, les clubs de jeu se constituent en général sur une base volontaire, dans les milieux de travail, les équipes de salariés se situent entre deux pôles :
Les situations intermédiaires sont multiples : certaines organisations, sans imposer formellement le travail en équipe, pénalisent ou marginalisent de façon plus ou moins subtile ceux qui tiennent à travailler seuls, les écartant par exemple de lieux de concertation ou de possibilités de promotion. Quant à la composition des groupes, il existe toutes sortes de cas de figure entre le libre choix de chacun par chacun et la " mise en équipe " autoritaire de gens qui se connaissent à peine. Souvent, les choix sont à demi contraints par la prise en compte des exigences du travail, des compétences, des horaires, des vux des uns et des autres, de certaines pressions ou incitations de lautorité.
On ne saurait avancer les mêmes hypothèses quant aux résistances et enjeux lorsque léquipe est constituée den haut ou résulte au contraire dun contrat entre égaux. Une sociologie du travail en équipe devrait également rendre compte des variations en fonction de la structure et du mode de gestion des organisations, aussi bien que du niveau de qualification des salariés. Ainsi, on peut supposer que les équipes constituées de façon autoritaire regroupent avant tout des salariés peu qualifiés et que les degrés de liberté sont dautant plus restreints que le travail se trouve fortement soumis à des exigences de productivité, à des règles très strictes et à des technologies contraignantes. A linverse, on peut imaginer que les métiers les plus qualifiés, en particulier sils sont orientés vers les relations et la prise en charge de personnes, laissent aux professionnels davantage de choix quant aux modalités et au principe même du travail en équipe.
Et dans lécole ?
Les établissements scolaires ne sont pas des usines. Peut-on dire cependant quune équipe pédagogique est toujours formée denseignants qui ont adopté volontairement ce mode de travail et se sont choisis mutuellement ? Non, parce que, dans certains systèmes éducatifs, ladministration scolaire a cru bon de considérer comme une équipe, quels que soient les rapports entre les gens, le corps enseignant dune école ou le groupe des professeurs enseignant dans la même classe. Lappellation nest pas protégée, on ne peut empêcher des abus de langage ! On peut cependant soutenir que de telles équipes sont des artefacts administratifs qui peuvent décourager plus quencourager la collaboration et qui suscitent diverses stratégies de fuite, comme chaque fois quune organisation impose une coopération contre le gré des salariés.
On peut parfaitement concevoir quau nom de lefficacité, compte tenu de la nature des tâches à accomplir, une organisation impose à son personnel de travailler en équipe. Ce qui est absurde, cest quune administration institue formellement le travail en équipe sans être capable dinfléchir les attitudes et les comportements. Ce nest pas la décision de principe qui fait problème, cest son irréalisme, le fait quon espère imposer par décret une coopération et un dialogue qui, dans ce métier, et compte tenu du fonctionnement des établissements et de lautorité scolaire, resteront en général lettre morte si les intéressés ny adhèrent pas librement, parce quils ont largement les moyens de faire illusion, voire de narguer ouvertement les règlements. Cest une variante de ce que Hargreaves (1989) appelle contrived collegiality, collégialité forcée. Cette fiction de travail en commun peut prendre ses sources dans des textes qui simposent à tous les établissements. Elle peut aussi naître dune décision plus locale du chef détablissement. Dans les deux cas, on parle déquipe sans se soucier de savoir ce quen pensent les intéressés.
Pour schématiser, je distinguerai trois situations-types, selon la nature des contraintes :
On voit bien que ces trois situations produiront des dynamiques assez différentes : la première et la dernière induisent un combat contre le système et brouillent les cartes. Dans le premier cas, ce nest pas au travail en équipe quon résiste dabord ou seulement, cest à un mode autoritaire de gestion des relations entre professeurs. Dans le troisième cas, les résistances personnelles peuvent être provisoirement mises entre parenthèses : il sagit de convaincre ladministration de reconnaître léquipe et de lui faciliter la tâche, bonne raison de taire les divergences internes et les doutes de chacun.
Entre ces trois situations-types, sans doute trouve-t-on certains points communs. Je ne tenterai pas cependant de les amalgamer. Je concentrerai mon analyse sur la seconde formule, léquipe autorisée/encouragée, sans être imposée, ni par des règles générales, ni par une décision du chef détablissement. Pourquoi ce choix ? Il a trois raisons bien distinctes : a. je nai pas observé de près les autres situations ; b. elles mettent laccent sur le système de règles administratives et de pouvoir plus que sur la coopération proprement dite ; c. seule la voie médiane me semble porteuse davenir.
Je vais donc désormais me situer dans le champ limité de la coopération volontaire, pour montrer quon y découvre encore de nombreuses ambiguïtés.
Coopérer oui, mais jusquoù ?
Certaines agences de voyage traitent comme des " groupes ", pour bénéficier des tarifs ad hoc, des ensemble de gens qui se rencontrent pour la première fois de leur vie dans lavion et nont quun intérêt matériel à feindre de voyager ensemble. Certaines " équipes pédagogiques " se constituent pour les mêmes raisons : se partager un crédit ou des espaces supplémentaires, les forces dun maître dappui ou dun spécialiste, etc. Ce ne sont que des arrangements, léquipe est une devanture sans substance. Je parlerai alors de pseudoéquipe.
Certaines équipes pédagogiques vont au-delà de cette association intéressée, mais sen tiennent à des échanges sur les idées ou les pratiques des uns et des autres. Elles ne nimposent rien à leurs membres. Par rapport à lisolement total, ce type de communication est déjà un grand pas ; mais on ne saurait parler dun " groupe de personnes qui agissent ensemble ", ni dun " groupe de personnes collaborant à un même travail ". Ce sont des groupes de réflexion et déchanges. Je parlerai alors déquipe lato sensu. Le groupe nest pour chacun de ses membres quun écosystème, un environnement stimulant, qui donne des idées, du courage, des envies, des pistes concrètes, de laide. Tout cela nest pas rien, mais laisse chacun seul devant ses responsabilités et ses tâches concrètes (Perrenoud, 1993 g).
Je limiterai ici mon propos aux équipes pédagogiques stricto sensu, celles qui, au-delà des arrangements matériels ou des pratiques déchanges, sont formées de personnes qui agissent véritablement ensemble, collaborent à un même travail, bref, se constituent en un système daction collective, chacun renonçant volontairement (sinon sans ambivalence) à une part de son autonomie.
La question est alors de savoir quelle est la part de laction pédagogique assumée en équipe. On pourrait - en spécifiant le niveau denseignement, le type détablissement et la discipline - dresser une liste de tâches constitutives du métier denseignant et établir, pour chaque équipe pédagogique, un profil, distinguant les tâches qui relèvent du groupe et celles dans lesquelles chacun conserve son autonomie. Encore faudrait-il distinguer divers degrés de concertation : certaines tâches sont décidées, planifiées et réalisées en commun, dans leur détail, alors que dautres sont discutées en équipe au plan des principes, chacun retrouvant sa liberté de manuvre dans la planification et la réalisation.
Je men tiendrai ici à une dichotomie simplificatrice entre :
Le critère déterminant est ici la responsabilité dun groupe délèves. Aussi longtemps quelle reste individuelle, une équipe ne coordonne que les pratiques, même si elle va très loin dans ce sens. Lorsque la responsabilité devient collective, on change de registre, car les élèves ont alors affaire à un acteur collectif.
Évitons à ce propos une confusion : dans lenseignement secondaire, plusieurs professeurs interviennent dans la même classe, et semblent donc se partager des élèves. Il ny a pas pour autant véritable coresponsabilité : chacun dispose tour à tour du groupe-classe, selon une grille horaire immuable pour lannée ; il ny a, statutairement, pas grand chose à négocier avec les collègues, sauf en cas de fortes difficultés ou au moment des conseils de classe, pour décider de la sélection et de lorientation. Et chaque professeur nest responsable que des conduites et des apprentissages qui surviennent durant " ses " heures. Un " maître de classe " assure en général une harmonisation minimale, souvent au gré de conversations bilatérales avec tous les professeurs intervenant dans la même classe, plus rarement en les réunissant pour une brève concertation. Cette organisation du travail ne favorise pas a priori le passage au partage des responsabilités ; elle peut aussi bien y inviter quen protéger définitivement
Coordonner des pratiques
Ce modèle ne remet pas en cause la division classique du travail : chacun travaille dans sa classe avec ses élèves. Il reste " maître chez soi ", personne ninterfère directement dans la relation quil construit avec ses élèves. Autrement dit, il conserve une marge de manuvre dans linteraction et une marge dinterprétation des décisions de léquipe.
On peut envisager une coordination des pratiques qui se diversifie selon deux axes : le nombre daspects de la pratique sur lesquels portent la coordination et le degré de cohérence visé.
Extension Intensité |
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Faible |
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réalisation. |
Forte |
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On sen doute, une coordination extensive est dautant plus facile à vivre quelle laisse une large autonomie dans linterprétation et la réalisation. De même, une faible autonomie est plus facilement supportable si la coordination ne touche quà des domaines limités de la pratique, chacun retrouvant sa liberté dans les autres.
Chaque équipe pédagogique navigue à vue entre deux excès :
Lautorité du groupe sur ses membres est un phénomène dautant plus complexe que léquipe réunit des égaux, quil ny a pas de chef pour incarner le pouvoir. Chacun est donc partagé entre deux logiques : sidentifier au groupe, et donc adhérer aux décisions communes, fût-ce au prix de certains sacrifices ; ou suivre ses propres préférences et se désolidariser, au risque davoir mauvaise conscience ou de subir les griefs des autres. Tous les membres de léquipe nexercent pas le même leadership, tous nont pas les mêmes ressources pour concilier allégeance et indépendance, tous ne font pas la même balance entre influence et autonomie, action collective et action individuelle. Si bien quil sen trouvera toujours pour incarner plus volontiers lorthodoxie doctrinale, le projet, linstitution interne, la mémoire collective, la fidélité aux décisions prises, alors que dautres joueront les individualistes, en rupture avec un collectif quils ont pourtant aidé à construire ou rejoint de leur plein gré Tels sont les paradoxes de laction collective.
Ces contradictions feraient exploser maintes équipes si chacun, dans lenseignement, ne restait dans une large mesure maître de limage que se font les autres de son travail. Certes, à travers ses propos, ses contributions, les rumeurs, les aveux volontaires ou involontaires, les aperçus accidentels, les collaborations épisodiques en classe, chaque membre dune équipe peut " se faire une petite idée " de la façon dont ses coéquipiers agissent face à leurs élèves. Mais cela reste parcellaire, incertain, et il nest guère légitime den faire état dans le travail collectif. Cette protection seffondre lorsquon pratique un véritable team teaching.
Assumer ensemble la responsabilité dun groupe délèves
On va alors au-delà de la coordination des pratiques ; il ne sagit plus seulement de se parler, de prendre des décisions, de les consigner, délaborer en commun du matériel, des situations didactiques, des instruments dévaluation, des règles de vie et de fonctionnement. Il sagit de gérer collectivement un groupe délèves. Certes, tous les enseignants vivant dans le même bâtiment scolaire gèrent à leur façon un groupe délèves, dans la mesure où ils organisent la vie en commun. Mais du point de vue didactique, cest " chacun pour soi ", nul ne se sent comptable des élèves des autres professeurs, nul ne souhaite que les autres interviennent dans la relation pédagogique quil entretient avec ses élèves.
Une véritable gestion collective impose une certaine coordination des pratiques et lon retrouve donc, dans ce cas de figure, la dialectique de lindividu et du groupe évoquée plus haut. Sy ajoutent des éléments supplémentaires :
La coordination des pratiques nest plus alors protégée par une distance bienvenue entre les principes et leur mise en uvre : les divergences, les incohérences, les failles entre membres de léquipe se voient. Dans la mesure où léquipe existe publiquement comme acteur collectif et prétend à plus de cohérence que nimporte quel groupe denseignants formé au hasard, les élèves et leurs parents se sentent en droit de lui demander des comptes, de prier au besoin les membres de léquipe de " se mettre daccord ". Lorsque de telles injonctions sont adressées à des enseignants qui ne font partie daucune équipe, ils ont beau jeu de dire quils sen tiennent au respect de leur cahier des charges. Les membres dune équipe pédagogique sont au contraire pris au piège de leur propre volonté de rompre avec le " chacun pour soi ".
Pour approfondir lanalyse, il faudrait à ce stade en dire davantage sur les structures qui permettent dassumer collectivement la responsabilité dun groupe délèves. Du décloisonnement désormais presque banal entre classes parallèles aux écoles à aire ouverte, de la coanimation entre égaux à la division du travail entre un maître de classe et un intervenant dappoint (maître de soutien ou maître spécialiste, à lécole primaire), des bricolages locaux aux modules ou cycles institués à large échelle, des équipes de quatre à six personnes dune petite école primaire aux équipes interdisciplinaires plus étoffées du secondaire, la coresponsabilité des élèves prend des significations, des intensités, des formes variées. Nous nous intéressons ici surtout aux formules où la coresponsabilité est réelle et se manifeste par un contrat pédagogique entre un groupe délèves et un groupe denseignants. Les simulacres de partage doivent cependant retenir aussi notre attention si nous voulons comprendre les enjeux et les résistances.
Nous écartons ici les pseudoéquipes. Restent :
Faut-il, pour chaque catégorie, proposer une analyse distincte des enjeux et des résistances ? Pour aller vite, je ferai plutôt comme si enjeux et résistances étaient grosso modo du même ordre, allant simplement en augmentant lorsquon passe de léquipe lato sensu à léquipe stricto sensu, et, pour cette dernière, de la coordination des pratiques au partage délèves.
Parlons dabord des enjeux pour les établissements et le système éducatif. Le travail déquipe ne concerne pas seulement les professeurs. Les établissements et notamment les chefs détablissement sont fortement concernés, parce que le travail en équipe modifie le fonctionnement de lensemble et les rapports de pouvoir. Dans quel sens ? Dans des sens contradictoires, car les établissements ont à la fois à gagner et à perdre ! Ou plus justement : ceux qui veulent que rien ne change ont beaucoup à perdre, ceux qui souhaitent revitaliser lécole ont beaucoup à gagner. Mais est-ce si simple ?
Ce que les établissements ont à perdre
Pour les gestionnaires bon teint, notamment à léchelle de létablissement, les équipes pédagogiques sont des sources de problèmes :
Pour ces diverses raisons, on peut comprendre que les équipes pédagogiques ne soient pas toujours encouragées par lautorité scolaire ou les autres enseignants.
Ce que les établissements ont à gagner
A linverse, les équipes pédagogiques sont des sources de renouvellement et de dynamisme :
On peut donc également comprendre que certains chefs détablissements favorisent systématiquement la création ou le maintien déquipes pédagogiques.
Un autre fonctionnement des écoles
Cet inventaire pouvait être fait dès lapparition spontanée des premières équipes pédagogiques dans certains établissements. Mais les gains et les pertes prennent aujourdhui un sens nouveau, dans la mesure où les systèmes éducatifs tendent à la fois à donner aux établissements davantage dautonomie et à leur demander en contrepartie de résoudre localement des problèmes trop spécifiques ou complexes pour être justiciables dune solution générale. La capacité de résolution de problème des établissements est désormais un enjeu pour le système éducatif dans son ensemble.
Il en va de même lorsque, dans divers lieux (associations denseignants ou de cadres, centres de diffusion des innovations ou de formation continue par exemple) on raisonne en termes dautonomie des écoles (Koumrouyan & Perrin, 1992), de projets détablissement (Broch & Cros, 1990 ; Obin, 1992), dinnovation et de renouveau pédagogique à léchelle locale (Gather Thurler, 1990, 1992 ; Perrenoud, 1993). Le travail en équipe pédagogique devient une nécessité, un mode de fonctionnement sans lequel le changement nest pas possible. Et il sintègre à une notion plus large, celle de culture de coopération, qui ne concerne pas seulement la collaboration avec des collègues proches, mais la gestion participative (Demailly, 1990), lautorité négociée (Perrin, 1991), lautoévaluation des établissements (Gather Thurler, 1991).
Une nouvelle culture professionnelle
Au cours des dernières décennies, le travail en équipe est resté laffaire des personnes. Certes, certains systèmes éducatifs ont empêché ou compliqué la naissance et la vie des équipes pédagogiques, alors que dautres, croyant sans doute bien faire, ont institué des équipes sur le papier, sans comprendre quune équipe efficace procède dun contrat librement négocié entre les membres.
Ce qui se passe aujourdhui est dun autre ordre : il y a affrontement entre deux tendances. Lune va dans le sens de la professionnalisation du métier denseignant, autrement dit dune évolution de plus en plus marquée vers des pratiques orientées par des objectifs généraux et une éthique plutôt que par des directives étroites. Lautre tendance va dans le sens dune certaine " prolétarisation " du métier denseignant, de plus en plus enserré dans un corset de stratégies didactiques et de moyens denseignement et dévaluation pensés par des spécialistes et livrés " clés en main ".
Rien nest joué, chacune de ces tendances se manifeste à divers niveaux du système, dans le débats sur la formation des maîtres (Vonk, 1992 ; Perrenoud, 1993 b & c), la conception des curricula, le fonctionnement des établissements (Gather Thurler, 1993 ; Perrenoud, 1993 d & e). Elles nont pas les mêmes implications pour le travail en équipe. Dans le cadre de la prolétarisation/rationalisation dun métier pensé par les spécialistes en didactique, en technologie éducative ou en évaluation, le travail en équipe nest pas indispensable ; il peut même affaiblir le pouvoir des experts, en donnant des capacités de résistance collective aux enseignants. En revanche, la professionnalisation du métier exige non seulement de chacun des compétences de haut niveau, orientées vers lidentification et la résolution de problèmes, mais encore des capacités de coopération : quelle que soit la qualité de sa formation, il est rare quune personne seule puisse faire face à la complexité et à la diversité des problèmes. Coopérer, cest alors démultiplier les forces, faire en sorte que le tout soit plus que la somme des parties.
Dans cette perspective, le travail en équipe nest plus une conquête individuelle dune fraction des enseignants. Cest une dimension essentielle dune nouvelle culture professionnelle, une culture de coopération (Gather Thurler, 1993) ou collaborative culture selon Hargreaves (1992).
On pourrait penser quil est prématuré de se poser la question, en suggérant quelle ne deviendra pertinente que si la tendance à la professionnalisation lemporte. Ce serait imaginer à tort que ces tendances se confrontent dans le monde des idées ou dans la sphère politico-administrative seulement. Elles sont à luvre sur le terrain et sopposent à travers des acteurs. Il ny a pas de camps bien nets : une partie des chercheurs rêvent denseignants autonomes et partenaires, une autre partie dexécutants intelligents mais dociles. Du côté des associations professionnelles, mêmes contradictions : les unes luttent pour la professionnalisation, dautres favorisent la logique bureaucratique et la prolétarisation en échange davantages matériels. Dans les ministères, ceux qui ont peur de perdre le contrôle sopposent à ceux qui veulent moderniser le système éducatif et savent que les réformes ne viennent pas ou pas seulement den haut.
Or les résistances des professeurs au travail en équipe vont peser lourd dans cette bataille. Sils adhèrent à une culture de coopération, ils renforcent leur autonomie statutaire et les tendances à la professionnalisation. Sils défendent avant tout leur droit à lindividualisme, ils donnent des armes à ceux qui travaillent à une rationalisation bureaucratique de lenseignement. Cest pourquoi il importe de mieux comprendre les résistances des personnes au travail en équipe.
Pourquoi un enseignant refuserait-il de travailler en équipe ? Nest-ce pas une façon de mettre en commun des idées, des hypothèses, des solutions, de tirer parti des différences de points de vue et de compétences, de favoriser une division optimale du travail, de renforcer lidentité de chacun ? En première analyse, les résistances au travail en équipe peuvent paraître traduire un individualisme forcené, une peur maladive de la confrontation ou du partage, bref mobiliser des mécanismes de défense peu rationnels ou du moins peu " professionnels ".
Une telle vue des choses est un peu courte. Elle méconnaît la nature particulière du métier denseignant et de la relation pédagogique, la difficulté objective de coordonner des pratiques qui font aussi largement appel à la personnalité, au style de bricolage, à larbitraire culturel de chacun. Bien entendu, une part des résistances émanent de personnes qui auraient la même attitude dans dautres métiers et qui nont ni lenvie ni les moyens de travailler en équipe. Mais il existe aussi de bonnes raisons de préserver son autonomie. Jen retiendrai trois :
Reprenons ces trois thèmes. Non pour suggérer que les sceptiques ont raison en dernière instance, mais pour souligner que seule lanalyse lucide des résistances permettra de les affaiblir.
Une efficacité mythique ?
Pour les personnes, lenjeu le plus constant est clair : elles souhaitent que la balance entre les profits et les pertes leur soit favorable, que le travail en équipe leur apporte assez de stimulations et de satisfactions pour équilibrer, aussi largement que possible, les peurs, les déceptions, des difficultés, les incertitudes inéluctables. Or cette balance nest pas fatalement favorable.
Les enseignants qui ont expérimenté le travail en équipe savent que la coopération est un combat : contre soi-même, contre ses propres ambivalences ; contre les autres, lorsque ce sont eux qui se découragent ou alimentent les tendances centrifuges ; contre le système éducatif ou létablissement (collègues aussi bien que direction) lorsquils font preuve de peu de compréhension. Certains enseignants qui abandonnent le travail en équipe le disent clairement : il ne veulent plus investir autant pour daussi aléatoires résultats. Et il est vrai que la création et le fonctionnement dune équipe requièrent souvent une foi et une énergie démesurées en regard des avantages visibles, tant pour les adultes que pour les élèves. Foi et énergie pour maintenir la communication sans tomber dans le bavardage ou les discussions sans fin, pour respecter les différences sans renoncer à une certain cohérence, pour surmonter les conflits sans nier les divergences, pour permettre un renouvellement régulier de léquipe sans perdre toute continuité.
On peut associer ces difficultés à tout fonctionnement collectif, à linévitable tension entre les acteurs et le système social, même lorsquils en sont les créateurs et les garants. On peut aussi faire la part, à mon sens très importante, dune période de transition qui durera encore longtemps. La plupart des enseignants en exercice ont été formés dans une perspective individualiste, ils ont peut-être choisi ce métier pour ne pas travailler avec dautres adultes, ou du moins pour être " maîtres chez eux " une fois refermée la porte de la classe. Certes, ceux qui optent pour le travail en équipe ont fait un long chemin vers une autre conception du métier. Mais ils sont souvent au milieu du gué, tiraillés entre une idéologie favorable à la collaboration et un habitus individualiste. Ce nest pas une aventure solitaire : la culture professionnelle commune à beaucoup denseignants les porte à ne pas croire que le tout est plus que la somme des parties, que le temps voué à la négociation nest pas gaspillé en pure perte, que la discussion nest pas toujours lexpression de conflits de personnes ou de pouvoir. Ceux qui sengagent dans le travail en équipe voudraient être optimistes, mais lobservation attentive de plusieurs équipes suggère que cet optimisme est fragile, quil est facilement " miné " par quelques expériences défavorables, que le retour au " chacun pour soi " nest jamais bien loin dès lors quon peut dire avec une certaine bonne conscience " Vous voyez bien, ça ne marchera jamais ". Et ce pronostic est souvent fondé. Ce quon oublie de percevoir, cest que la tolérance, la patience, la décentration, la résistance aux conflits, la capacité découter ne sont pas des vertus personnelles, que ce pourraient être des compétences professionnelles. Si les enseignants, même ceux qui sont attirés par le travail en équipe, se retirent aussi facilement sous leur tente au moindre orage, cest parce quils nont pas les savoir-faire et les représentations qui leur permettraient danticiper les moments difficiles, de ne pas chercher un bouc émissaire, de ne pas se décourager prématurément, de ne pas se sentir intimement mis en cause par le moindre désaccord, de ne pas se sentir fondamentalement menacés dès quon touche à leurs zones dincertitudes.
Ceux qui surmontent ces mécanismes de protection découvrent " sur le tas " quun groupe ne devient efficace que si ces membres apprennent à fonctionner ensemble et mobilisent des savoir-faire élémentaires : animation, mémoire collective, moments de régulation, clarification des enjeux et des statuts de chacun, expression des peurs et des attentes de chacun, médiation en cas de conflits graves, etc. Il y a chez les militants de lécole active, des projets détablissement, de diverses causes une expérience considérable, hélas peu mise en forme, peu transmissible, peu incorporée à la culture professionnelle la plus courante.
On ne peut surmonter cet obstacle dun coup de baguette magique. Mais le temps, à lui seul, ne fera guère avancer. Ce qui fait le plus défaut, cest, dans les établissements comme dans les lieux de formation, une pratique plus soutenue dexplicitation et de légitimation des difficultés. Il est irresponsable dinviter les enseignants à travailler en équipe sans leur dire 1) à quel point ce sera difficile ; 2) quil existe des méthodes, des acquis, quils nont pas à réinventer entièrement la poudre, comme le montre par exemple louvrage de Pierre Mahieu (1992).
Je ne prends quun exemple : une fois constituée, une équipe a son propre enjeu, qui est de durer, sans sombrer dans la routine ou le conflit endémique, lenfermement ou le " faire semblant ", la prétention ou la conscience malheureuse. Sil est impossible de durer, lenjeu est de dissoudre élégamment le groupe, sans vivre cette fin comme un échec, une source damertume, de cynisme, dimmobilisme. Or ce bon sens est fort mal partagé. Ceux qui sengagent dans une équipe ont à coeur de se prouver quils en sont capables, deffacer les sourires narquois des sceptiques. Ils pratiquent une sorte dacharnement qui laisse des blessures béantes et conduit au " Jamais plus ! " Pourquoi une équipe devrait-elle réussir à coup sûr ? Cest toujours un pari, on peut le perdre sans nécessairement rechercher un coupable ou en conclure que cest impossible. Mais cette sérénité ne se conquiert pas en situation. Si léchec nest pas anticipé, banalisé, dédramatisé au moment où rien nest joué, il est normal quon se le jette à la tête ou quon le nie contre tout évidence lorsque les choses tournent mal. Les représentations, les schèmes danalyse ne préviennent pas tous les échecs, ils aident à leur donner un sens en leur conservant de justes proportions et en aidant à en tirer les leçons.
Des équilibres fragiles
Enseigner est un métier difficile, où rien nest jamais acquis : chaque nouvelle volée est une inconnue, chaque élève en difficulté une énigme, chaque année scolaire une aventure qui nest jouée quau seuil des grandes vacances. Cest vrai même dans les pédagogies frontales les plus traditionnelles. La routine didactique ne garantit pas la définition et le respect dun contrat pédagogique de tout repos. Certes, les enseignants expérimentés ne sont pas constamment au bord du gouffre. Combien peuvent se vanter dêtre constamment tranquilles ? De savoir davance que rien ne se produira ou quils feront face à toutes les situations ?
Dans la scolarité obligatoire, le rapport pédagogique est fondé sur une contrainte légale et une violence symbolique que tous les élèves ne perçoivent pas comme telles. Parmi ceux qui la perçoivent, tous nont pas la force, le courage, les moyens de se rebeller. Mais chaque enseignant sait quil est, bon an mal an, confronté à des enfants ou adolescents qui naiment pas lécole, ou qui, plus simplement, ne le trouvent pas sympathique ou détestent la discipline quil enseigne, ou encore sa façon de faire la classe ou dévaluer. Les jeunes qui sennuient, qui se révoltent, qui ne savent pas pourquoi ils sont là se tiennent " à carreau " aussi longtemps quon les contrôle, mais ils peuvent se déchaîner sils entrevoient une faille dans le système de travail et de répression. Fantasme ou risque réel ? Peu importe en fin de compte, puisque ce sont les représentations du professeur qui comptent, quelles soient fondées ou non. Or dans limaginaire de beaucoup denseignants, il importe que la faille ne se produise quexceptionnellement. Pour éviter dêtre mis en difficulté, le professeur a besoin dêtre un peu manipulateur, de séduire, de faire rire, dêtre complice, dêtre craint ou adoré, ou tout cela à la fois. Le rapport pédagogique ne peut se construire que sur des stratégies partiellement inavouables. Ces non-dits préservent limage de soi et la respectabilité du professeur lorsquil cherche à asseoir son pouvoir et sa maîtrise de la situation.
Comment imaginer que daussi fragiles équilibres puissent se reconstruire facilement entre un groupe délèves et un groupe denseignants ? Sil sagit seulement déchanges, voire de coordination des pratiques, chacun a sa façon personnelle de " sen sortir ", quil na pas besoin de légitimer, ni même de donner à voir : au sein dune équipe dont les membres ne sont pas collectivement responsables dun groupe délèves, les échanges ne portent quexceptionnellement sur le pouvoir, sur la manière dont chacun lexerce, le vit, le justifie, sur le rôle de la peur, de la séduction, de lamour, de la haine, de la culpabilité dans la relation pédagogique.
Cette protection seffondre lorsque des enseignants se trouvent confrontés ensemble aux mêmes élèves. Alors, la maîtresse décole maternelle qui distribue des bonbons pour obtenir le silence, qui oblige les enfants à rester des heures immobiles pour " les calmer ", qui promet des punitions terrifiantes aux rebelles, cette maîtresse travaille sous le regard de ses collègues de léquipe, quelle sait ou quelle imagine inévitablement critique dans un monde professionnel où chacun a ses propres trucs, mais dénigre volontiers ceux des autres. De même, dans lenseignement secondaire : le professeur qui raille les élèves en difficulté, qui fait des commentaires sexistes ou racistes, qui met à bon marché les rieurs de son côté, qui rend sadiquement les épreuves, qui met les élèves sur le gril lors des interrogations orales, qui perd son sang-froid dès quon le conteste, qui explose de colère ou est pris de panique dès quil perd pied, ce professeur na plus pour uniques témoins des élèves dont la crédibilité est suspecte
Je force un peu le trait, pour aller vite. Beaucoup de routines sont moins pendables. Elles offrent cependant prise au jugement des autres membres de léquipe. Comment ne pas se sentir facilement ridicule sous le regard dun collègue qui vous observe au travail ? Ridicule de réagir trop vivement à une petite incartade ou au contraire de laisser faire nimporte quoi ; ridicule détablir des barèmes trop sévères ou au contraire dêtre " trop gentil " ; ridicule dêtre trop rigide ou au contraire trop flexible, de trop planifier ou de trop improviser ; ridicule de simpliquer personnellement ou au contraire de paraître distant et froid ; de trop bouger ou de rester immobile. Quelle est la norme ? Comment bien faire là où chacun fait ce quil peut ?
Dune certaine façon, pour collaborer face aux mêmes élèves, il faut soit être " irréprochable ", soit élaborer une culture commune à partir des non-dits de la profession, de ce que chacun cache de peur dêtre jugé, parce quil a honte ou nest pas très sûr dêtre " dans la ligne " ou " à la hauteur ". Ce qui nest pas impossible, mais suppose des rapports de confiance qui vont bien au-delà de la simple coopération professionnelle.
Même si cet obstacle est surmonté, il reste à reconstruire des routines déquipes fonctionnant au jour le jour face aux stratégies individuelles et collectives des élèves. Car les " trucs " des uns et des autres ne sont pas simplement transposables à un contrat pédagogique entre un groupe denseignants et un grand groupe délèves. Ce qui fonctionne dans une relation singulière doit être réinventé à plus large échelle.
Des satisfactions très personnelles
Les plaidoyers en faveur du travail en équipe souffrent souvent dun biais rationaliste. On feint de croire que ce qui importe à chacun dans le métier denseignant, cest prioritairement et constamment damener un maximum délèves à la plus grande maîtrise possible. Dans cette perspective, chacun devrait adhérer au principe du travail en équipe dès lors quil est supposé accroître lefficacité de laction didactique.
La réalité est plus complexe (Perrenoud, 1993 f). Nous parlons dun métier où les résultats sont assez incertains à long terme : qui pourrait dire ce qui va " rester " de toutes ces heures détudes ? Et même à court terme : tout enseignant est une fois ou lautre " tombé de haut " en constatant que, de notions dûment travaillées et en principe acquises, il ne restait pas grand chose de solide quelques semaines plus tard ou dans une situation exigeant un transfert. On ne saurait donc, en pédagogie, construire le sens de son travail à partir des acquis visibles des apprenants résultats, qui sont soit difficiles à cerner, soit décevants, voire désespérants si lon sort des exercices familiers. La satisfaction professionnelle se fonde donc assez largement sur des impressions liées au climat, à la participation des élèves, à la bonne marche des activités. Une " bonne journée " est une journée dont on sort avec le sentiment de navoir pas perdu son temps, ni commis trop derreurs ou dinjustice, une journée heureuse, paisible, ou au moins pas trop pesante, pas trop ennuyeuse, pas trop agitée. Le bilan exprime la balance entre tous les moments réussis, dans lesquels on a limpression de maîtriser la situation, davoir du plaisir, dêtre utile, aimé, apprécié, efficace, et tous les moments contraires. Le travail en équipe peut menacer ces satisfactions. Capter lattention, impressionner, amuser, séduire, créer du suspense, mettre une bonne ambiance, faire rêver, être au centre des événements, contrôler la conversation, jouer au deus ex machina, autant de plaisirs difficiles à partager et à reconstruire à plusieurs.
Certes, travailler en équipe permet une division du travail. Est-ce un motif de satisfaction lorsquon aime " toucher à tout " ? Elle permet en principe de se concentrer plus efficacement sur certaines tâches, mais il faut compter avec ce que jai appelé livresse de la dispersion (Perrenoud, 1985) : il est moins ennuyeux ou moins angoissant davoir mille choses à faire, lorsquon a tout son temps pour aider un élève en difficulté ou construire une grille dévaluation, on risque de sapercevoir quon ne sait pas trop comment sy prendre Les informaticiens ont cru délivrer les infirmières de montagnes de travail administratif. Ils ont eu quelque mal à comprendre que certaines aient vécu ce progrès comme une dépossession, parce quil les privait dune raison de sisoler et leur donnait la possibilité de passer plus de temps au chevet des patients Toute rationalisation de lenseignement produit les mêmes effets inattendus. Ainsi, lun des plaisirs de beaucoup denseignants est de bricoler des fiches, des objets, des situations didactiques. Cest la partie la plus créative, la moins routinière du métier pour qui veut se renouveler (Perrenoud, 1983). A la faveur dune division rationnelle du travail, chacun peut se trouver invité à utiliser du matériel pédagogique produit par tel ou tel de ses collègues. Sil a la liberté de sen servir lorsquil convient, de lignorer lorsquil veut réinventer la poudre, fort bien. Mais au sein dune équipe, la réciprocité des échanges et la - relative - visibilité des pratiques des uns et des autres sopposent à une telle désinvolture. On se doit de tenir compte du travail des coéquipiers et de lutiliser, même lorsquon nest pas convaincu de sa pertinence ou quon est simplement frustré de ne pas lavoir conçu ou réalisé soi-même. Comme la différenciation de lenseignement, le travail en équipe impose un nombre respectable de deuils (Perrenoud, 1992).
Ces trois exemples népuisent pas la question. Je ne puis ici analyser toutes les facettes du métier denseignant comme métier impossible (Cifali, 1986), en tout cas comme métier complexe, métier de lhumain et de la relation, métier de la subjectivité et de limaginaire, métier difficile à partager. Je voulais seulement montrer que les injonctions rationalistes à travailler en équipe font preuve de beaucoup de naïveté. Jai analysé ailleurs bien dautres ambivalences (Perrenoud, 1993 g ; voir aussi Vieke, 1987 ; Hadorn, 1987)
La chance et la malchance des temps qui viennent, cest quon ne peut laisser aux seuls enseignants le soin de savoir sil est opportun ou non de travailler en équipe. Cest une chance parce que les systèmes éducatifs vont peut-être enfin comprendre quils ont intérêt à favoriser la coopération professionnelle autrement que par de vagues mots dordre démentis par les pratiques administratives, en aménageant concrètement les modes de gestion du personnel, les statuts et les cahiers des charges des personnes et des équipes, lattribution des ressources, la composition des horaires et des classes, autant de paramètres qui favorisent ou empêchent la collaboration. Cest une malchance aussi parce que les administrations ont un mal fou à ne pas saboter les bonnes idées en créant une nouvelle règle bureaucratique simposant à tous. Inciter sans obliger, telle est la voie étroite. Elle passe par une autre gestion des établissements, une pratique dencouragement et de suivi des équipes enseignantes qui suppose une grande tolérance du système éducatif et des établissements quant à leur taille, leur fonctionnement, leur statut. Normaliser le travail déquipe, cest souvent le vider de son sens et aussi créer des structures fragiles dans des terrains où il faut constamment composer avec la démographie, les mouvements des personnes, lévolution des affinités et des inimitiés au sein du corps enseignant, les phases de doute ou dengagement dans le cycle de vie professionnel. Inciter au travail en équipe sans y obliger, cest admettre un certain désordre, des hauts et des bas, des disparités, des dérogations, une négociation permanente. Que de dangers si lon confie lécole à de purs gestionnaires !
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