Source et copyright à la fin du texte
in Actes du XXe colloque Inter-IREM des professeurs de mathématiques chargés de la formation des maîtres, Grenoble, IREM, 1994, pp. 5-24.

 

 

 

 

Ce que la recherche en éducation
peut apporter à la conception
de la formation des maîtres

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1994

 

Sommaire

I. L’apport de la recherche à la transposition didactique à partir de pratiques professionnelles complexes

II. L’apport de la recherche à la construction des dispositifs de formation

III. L’apport de la recherche au développement de démarches de formation

IV. Un programme pour vingt ans

Références


Parler de la recherche en général n’autorise que des propos assez abstraits sur son statut, ses usages, son fonctionnement dans un dispositif de formation des maîtres : les formateurs doivent-ils ou non faire de la recherche ? une recherche-action, une recherche formation est-elle une recherche scientifique ? faut-il initier les futurs enseignants à la recherche ? la recherche est-elle une démarche utile de formation ? Ces questions sont importantes, mais comment y répondre sans entrer dans le vif du sujet ?

Je traiterai ici de l’apport des sciences de l’éducation, prises au sens large, en y incluant la didactique générale et les didactiques des disciplines, et toutes les sciences humaines qui contribuent à la compréhension des phénomènes éducatifs ; psychologie, pédagogie, psychologie sociale, anthropologie, démographie, histoire, économie, politologie, sociologie. J’exclurai en revanche de mon propos la recherche dans les domaines correspondants aux disciplines enseignées - mathématique, biologie, etc. -, exception faite des articulations avec la recherche en didactique.

Nul ne s’attarderait aujourd’hui à contester les apports de la biologie à la formation des médecins. Les apports des sciences de l’éducation à la formation des maîtres deviennent tout aussi évidents : la recherche en éducation alimente les contenus de la formation des maîtres chaque fois qu’elle éclaire des processus d’enseignement ou d’apprentissage, des fonctionnements didactiques ou institutionnels qu’on juge important de faire connaître aux futurs enseignants. Certes, une formation en sciences de l’éducation ne suffit pas pour penser, et a fortiori pour maîtriser les processus éducatifs, parce que les connaissances théoriques sont encore partielles et fragiles - plus qu’en biologie - mais surtout parce qu’aucune science, aussi achevée soit-elle, ne peut guider complètement l’action dans une situation singulière. Il reste nécessaire que les futurs enseignants se familiarisent durant leur formation, par exemple, avec ce que la recherche peut dire de fondé sur l’apprentissage de la lecture, le rôle des représentations préalables des apprenants en sciences, les conditions du travail de groupe, le rôle de la culture familiale dans l’échec scolaire ou le fonctionnement des établissements. Je traiterai ici d’une question différente : quel est l’apport de la recherche en éducation à la conception de la formation initiale des enseignants ?

Pourquoi parler de l’apport de la recherche plutôt que des sciences de l’éducation, comme ensemble de connaissances consolidées, abstraction faite de leur mode de production ? Parce qu’en sciences humaines, il n’y a guère de connaissances entièrement établies. Ce sont des disciplines en développement, qui produisent plus d’hypothèses que de réponses définitives. Cela dévalorise-t-il leur apport à la conception de la formation des enseignants ? Je ne le crois pas : tout le monde peut comprendre que le développement des sciences de l’homme ne soit pas encore comparable à celui des disciplines scientifiques les plus anciennes ; ce qu’on pardonne mal aux sciences humaines, en revanche, ce sont des promesses qu’elles ne sauraient tenir en l’état actuels de leurs théories et de leurs méthodes. Il est absurde de singer les sciences dures. L’énoncé d’hypothèses plausibles, la vérification de certaines d’entre elles, la construction de problématiques précises et le développement de nouveaux paradigmes de pensée sont déjà des apports majeurs en regard du flou et des contradictions qui émaillent les débats idéologiques sur la formation des maîtres. C’est ainsi qu’une approche psychanalytique de l’éducation et de la relation éducative ne donne pas toutes les réponses, mais désigne et explore une facette de la réalité qu’on ne devrait pas ignorer en formation des maîtres : on enseigne aussi avec son inconscient, avec ses pulsions, en réactivant toutes sortes de conflits de l’enfance. Si on l’oublie, si on le nie, on ne comprend rien à un certain nombre de crises, de pannes, de blocages de la relation pédagogique et de l’apprentissage, qui ne se jouent pas au plan didactique ou cognitif seulement. La simple existence d’un regard est un apport, elle empêche d’oublier une facette importante de la réalité. À l’intérieur d’une approche, il y a des théories plus ou moins fondées et il y a des débats, des dilemmes qui sont eux-mêmes intéressants, même lorsqu’on ne dispose pas encore d’une réponse stable : la simple controverse sur la nature des compétences discursives ou de la créativité sont des éléments importants de construction des curricula de formation des maîtres, parce qu’ils protègent de tout dogmatisme.

Dans les domaines technologiques, on bénéfice des apports de la recherche en électronique ou en chimie sans y participer le moins du monde et sans rien y comprendre, simplement parce que les savoirs sont incorporés à des médicaments ou des appareils qu’on peut utiliser sans rien savoir de leurs fondements scientifiques, encore moins de leur mode d’élaboration. Plus on va vers les sciences humaines, moins ce schéma fonctionne, moins on peut utiliser des connaissances consolidées sans être impliqué, au moins un peu, dans leur processus d’élaboration. Pour tirer parti des apports de la recherche en éducation, il n’est pas nécessaire que les responsables de la formation des maîtres soient chercheurs au CNRS, ni même associés à une recherche appliquée. Il peut suffire d’être actif dans des groupes de recherche-action ou de recherche-formation, de participer à des congrès, de lire des livres et des revues scientifiques, de discuter régulièrement avec des chercheurs. Si on veut vraiment s’approprier les résultats de la recherche, il faut entrer un peu dans ce monde, ne serait-ce que pour saisir de l’intérieur la part des connaissances solides et la part des modes du moment. Par exemple, sur l’apprentissage de la lecture, quiconque ne voudrait s’intéresser qu’aux résultats consolidés de la recherche aurait du mal à identifier " la bonne " parmi les théories en conflit. En revanche, s’il entre dans le débat, se fait une idée de l’histoire des travaux et controverses sur la question de savoir comment on apprend à lire, il construira une forme d’expertise intégrant des incertitudes et des zones d’ombre. Pour utiliser les théories des sciences humaines, mieux vaut être un consommateur actif, voire un petit producteur de savoirs ou d’hypothèses ou en tout cas de connexion entre les hypothèses théoriques, les recherches pointues et les applications didactiques. Peut-être, dans cinquante ans, les produits de la recherche en sciences humaines seront-ils livrés comme des produits finis, qu’il n’y aura plus qu’à transposer. Ce n’est pas la situation aujourd’hui et cela n’a pas que des inconvénients : les praticiens ne sont pas dans la dépendance de la recherche, ils dialoguent avec elle et souvent y contribuent, alors que le seul pouvoir de celui qui avale ses comprimés ou allume sa télévision est de changer de marque…

L’apport des sciences de l’éducation à la conception de la formation des maîtres n’est donc nullement automatique. Il passe par un travail commun. Je ne propose ici qu’un repérage des apports possibles dans trois domaines complémentaires :

  1. La construction des objectifs, du curriculum de formation des maîtres, la transposition didactique à partir d’une pratique professionnelle.
  2. La conception des dispositifs et des démarches de formation.
  3. Les méthodes de formation, en particulier lorsque la recherche devient une modalité de travail avec les étudiants.

Il est impossible d’être complet, il faudrait plusieurs ouvrages et une érudition collective pour arpenter tous les travaux qui, d’une manière ou d’une autre, pourraient alimenter la conception de la formation des enseignants. Je m’en tiendrai dans chaque domaine à quelques exemples, sans pouvoir donner des références bibliographiques complètes.


I. L’apport de la recherche à la transposition didactique
à partir de pratiques professionnelles complexes

Une formation professionnelle cohérente devrait se fonder sur une transposition didactique explicite à partir des pratiques et des compétences professionnelles. Comment donner de ces pratiques et de ces compétences une représentation précise et réaliste ? Tous ceux qui s’engagent dans une telle entreprise se heurtent à des oppositions majeures : les pilotes de lignes ou les contrôleurs aériens, pas plus que les dentistes ou les nettoyeurs, n’ont intérêt à ce qu’on divulgue une image entièrement fidèle de leurs pratiques. Toute mise à plat d’un métier - quel qu’il soit ! - montre la part de l’ingéniosité, de la solidarité, du dévouement, des heures supplémentaires, des prises de risques, des initiatives, mais dévoile aussi des erreurs et des errements professionnels, met en évidence une part d’improvisation, de gaspillage, d’inertie, d’autoritarisme, d’arrivisme, de bureaucratie, de paresse, d’incompétence.

La projection vers l’avenir permet en partie de surmonter la contradiction : quand on forme des informaticiens, on essaie de ne pas les former à l’informatique des années soixante, ni même des années quatre-vingt dix, mais de les préparer à l’évolution des technologies et des logiciels de l’an 2000 ou 2020. Lorsque les sciences, les techniques, la division du travail, les besoins changent, aucune formation professionnelle ne peut se borner à une transposition didactique à partir de ce qui se fait aujourd’hui, elle cherche à anticiper et dans une certaine mesure à orienter l’évolution de la profession. Il s’agit donc de construire une représentation des pratiques professionnelles les plus intéressantes, les plus novatrices, les plus porteuses d’avenir. On peut donc gommer certains aspects peu glorieux des pratiques actuelles. Mais que vaudrait une formation professionnelle fondée sur une simple fiction ?

Faut-il pour autant recourir à la recherche ? Lorsqu’on forme des mécaniciens sur voitures, on ne conduit pas une véritable recherche sur leurs pratiques. Les formateurs pensent connaître le métier de l’intérieur et savoir à peu près où il va. Leur expérience personnelle et collective tient lieu de savoir - plus ou moins diffus - sur les pratiques actuelles et futures, un savoir qui n’est pas forcément écrit, pas forcément explicite, mais contient une image de la profession jugée suffisante pour guider la construction d’un cursus et de dispositifs de formation professionnelle. Peut-être les formateurs de mécaniciens sur voitures auraient-ils intérêt à se donner de meilleurs instruments d’appréhension du contenu effectif des pratiques : un formateur qui a été mécanicien il y a quinze ans sait-il vraiment comment fonctionne un garage aujourd’hui ? Une chose est sûre : plus on va vers les métiers de l’humain, vers les tâches qualifiées et complexes, plus la construction d’une représentation des pratiques devient un travail exigeant et difficile. Peut-être parviendrait-on à décrire en dix phrases, non sans une certaine injustice, en quoi consiste le travail d’un caissier ou d’une caissière dans un supermarché. Il en faut beaucoup plus pour énoncer les différentes facettes du métier d’enseignant.

Ces représentations peuvent être alimentées par la recherche en éducation, lorsqu’elle rend compte des pratiques des enseignants ou du fonctionnement des établissements. Elle peut contribuer à une transposition réaliste à partir des pratiques effectives, aider à rompre avec les fictions angéliques qu’on trouve trop souvent encore dans la littérature professionnelle. La recherche sur les pratiques ose décrire ce que les praticiens eux mêmes ne disent pas volontiers. Prenons quelques exemples.

La place de la peur et du conflit

L’enseignement est un métier qu’on exerce souvent dans une certaine angoisse, parce qu’on est confronté à un autre qui résiste, parce qu’on doit affronter chaque jour un rapport de force inévitable avec une partie des élèves, un rapport de voisinage peu serein avec certains collègues, des rapports pas toujours faciles avec une hiérarchie proche ou lointaine, des rapports parfois tendus avec la communauté locale ou certains parents d’élèves. Exercer un métier de l’humain, c’est nécessairement vivre des conflits, des non dits, des procès d’intention, de la mauvaise foi, de l’injustice (Cifali, 1986). Se destiner à un tel métier, c’est se préparer à des phases d’affrontement ou de déprime, à des périodes où l’on ne croit plus à ce qu’on fait, à des crises, à des moments de burn out (Huberman, 1990). Tout le monde le sait, mais ces thèmes reçoivent encore - en général - une faible attention dans la formation des enseignants. Si on lève peu à peu le voile, c’est en partie parce que la recherche sur les pratiques pédagogiques et le fonctionnement didactique commence à théoriser les ambivalences et les peurs, à traquer les tabous de la profession, à parler ouvertement de ce que les gens de métier renvoient ordinairement au for intérieur de chacun.

Le statut de l’erreur

Dans certaines classes, face à une question, les élèves qui ne sont pas sûrs de connaître la bonne réponse ne songent nullement à se manifester, pour ne pas entendre une fois encore qu’ils font perdre du temps à tout le monde, pour ne pas se voir renvoyer l’image de quelqu’un qui dit n’importe quoi, qui est " à côté de la plaque ", qui parle avant de réfléchir. Dans d’autre classes, au contraire, on a le droit de réfléchir à haute voix, on tient l’argumentation autour des hypothèses, y compris les raisonnements faux et fragiles, pour une source de la construction des connaissances.

C’est à partir du moment où la recherche en didactique a repéré l’importance stratégique du traitement de l’erreur de l’élève qu’on peut commencer à décrire systématiquement les pratiques sous cet angle, à observer qu’elles s’inscrivent dans un contrat qui réglemente implicitement ou explicitement le statut de l’erreur et donc de la vérité, le droit de tâtonner, d’hésiter, de changer d’avis, de dire ses doutes, de se tromper ou de ne pas savoir. Certes, le rôle de l’enseignant est toujours, à terme, de favoriser la construction de réponses justes ou fondées et de décourager les autres. Toute la question est de savoir comme il s’y prend. Or tout ce que l’on sait aujourd’hui des théories de l’apprentissage et de l’interaction didactique montre que l’obsession de prévenir ou de corriger les erreurs empêche de les interpréter et de s’en servir pour aider l’élève à apprendre. Seule la recherche a permis de prendre au sérieux la diversité des traitements de l’erreur chez l’élève et chez l’enseignant et le rôle de leur contrat, de cerner toute la différence qu’il y a entre rectifier l’erreur ou essayer de la comprendre, entre lui accorder un statut légitime ou mettre toute son énergie à censurer les réponses fausses.

Le bricolage et l’emploi du temps

Autre exemple, dans un registre plus anthropologique que psychanalytique : le bricolage constitutif de toute action pédagogique (Perrenoud, 1983). Un enseignant est sans arrêt en train de bricoler à la fois des savoirs, des situations didactiques, de l’évaluation, du sens, des modalités de travail et de contrôle social, des rapports au temps et à l’espace. Où en parle-t-on ? La plupart des méthodologies fonctionnent dans un monde de rêve où il y a toujours la place, le temps, les moyens nécessaires pour enseigner et faire apprendre. En pratique, ces conditions ne sont pas toujours réunies, pas seulement dans le Tiers Monde. Ce n’est pas simplement une question de pauvreté matérielle des écoles, encore que cela puisse jouer un rôle. C’est une question de décalage entre les modèles dont on nantit les maîtres en formation et les conditions effectives de la pratique.

Prenons les horaires : les textes prévoient une répartition précise du temps scolaire entre les disciplines. Quand on regarde les budgets-temps réels des classes, on se rend compte qu’entre 10 % et 25 % du total des heures hebdomadaires est dévolu à des tâches qui n’appartiennent à aucune discipline : faire de l’ordre, gérer des transitions, des interruptions, des événements particuliers, s’accommoder des veilles et les lendemains de fêtes scolaires, civiles ou religieuses. Une fiction bureaucratique énonce par exemple qu’on dispose de quatre heures par semaine pour enseigner la mathématique, alors qu’en réalité, compte tenu de l’ensemble des événements, on en a trois ou trois et demie, pour le même programme ! De plus, durant ces heures, il faut faire la différence entre le temps passé en classe de mathématique et le temps passé à travailler sur une tâche mathématique. Certes, l’écart, parfois considérable, dépend des pédagogies qu’on pratique. Dans une pédagogie frontale, pendant une heure de cours de mathématique, une partie des élèves ne sont actifs que cinq minutes, parce qu’on ne leur a pas posé de questions, parce qu’ils ont fait semblant d’écouter, parce qu’ils sont " passé entre les gouttes ". Même le maître le plus créatif ne peut mettre tous ses élèves au travail tout le temps

La recherche sur les pratiques induit un certain réalisme quant au temps effectivement disponible, amène à voir que les programmes sont démesurés parce qu’ils font comme si l’on disposait, dans le travail quotidien, du temps prévu par les textes, et comme si ce temps était constamment utilisable, alors que chacun sait qu’il y a des temps dont on ne peut rien faire. Tous les enseignants conviennent qu’à partir de trois heures de l’après-midi, il n’est plus temps de faire démarrer une recherche, alors que tout le monde est déjà en train de regarder l’heure, le professeur compris, en se demandant si la journée n’est pas bientôt finie. Le temps ne vaut pas de façon homogène, il y a des temps morts, des temps inutiles, des temps de conflit, des temps de découragement qui font parfois régresser plus que progresser.

Négociation et violence dans l’éducation

On fait toujours comme si l’institution et le professeur avaient le pouvoir de définir le programme ; or c’est loin d’être si simple. Les travaux sur le curriculum et le travail scolaire montrent que les contenus effectifs de l’enseignement sont souvent très éloignés des plans d’études et des programmes. Parmi toutes les raisons, je n’en retiens qu’une : les contenus sont négociés avec les élèves, qui ont une forte prise sur le rythme, le niveau, voire la substance des cours, ne serait-ce qu’en disant ou en laissant entendre " J’aime " ou " Je n’aime pas ", en montrant qu’ils sont on non intéressés. Si le professeur a le choix entre deux chapitres, que l’un " marche bien " alors que l’autre fait tomber un masque sur le visage de tous ses élèves, il choisit, plus ou moins consciemment, ce qui plaît le mieux. La négociation peut passer par des résistances passives, des questions dilatoires, des manœuvres de retardement : tous les lycéens du monde ont réussi à gagner du temps on posant à un professeur des questions dont la réponse leur importait peu mais l’obligeaient, par vanité, conscience professionnelle, passion didactique ou pour toute autre raison à y répondre et donc à différer l’abord du chapitre suivant du programme.

Dans d’autres filières, moins élitistes, la volonté de ne pas apprendre et de ne pas travailler est plus explicite encore. Dans les classes de lycée professionnel et dans nombre d’autres filières dans l’enseignement secondaire, le professeur est obligé de chercher un compromis, sous peine d’être éjecté ou simplement ignoré. La négociation prend de plus en plus de force dans les institutions d’enseignement, à tous les niveaux, pas seulement en formation d’adultes mais en formation d’adolescents, voire d’enfants. Il faut y préparer les futurs enseignants. Il y a des techniques de négociation, de médiation, de règlement des conflits, des façons d’identifier les divergences et les intérêts, de construire des compromis, des contrats, des règles du jeu. Il y a des gens qui pratiquent la négociation dans le monde syndical, dans le monde professionnel. On ne manque pas de modèles. Pourtant, les enseignants ne sont absolument pas préparés à négocier avec leurs élèves, leurs collègues ou la hiérarchie. L’école est un monde où le moindre conflit bloque la communication, se traduit soit par des régressions vers l’isolement ou la décharge d’agressivité, soit vers d’interminables palabres où tout se déverse sur la table, la sélection, les programmes, les horaires, l’évaluation, les parents, les conditions de travail, l’attitude des élèves, les rapports hiérarchiques aussi bien que les petites rognes individuelles : Moi, je n’ai pas eu le local que je voulais, moi j’ai dû prendre une classe chargée. Dans les deux cas, c’est la paralysie du débat. On ne sait pas négocier dans le monde de l’enseignement. La recherche en éducation peut aider les institutions de formation des maîtres à sortir de la naïveté, par exemple lorsqu’elle analyse la réalité du rapport pédagogique ou des accords et désaccords dans les collèges (Derouet, 1988, 1993).

Le travail hors de classe

Pour préparer correctement des enseignants à leur métier, il faudrait les former non seulement de ce qu’ils feront avec leurs élèves, mais à leurs tâches en dehors de la classe. Or la profession jette un assez intense black-out sur ce que font les enseignants lorsqu’ils ne sont pas avec leurs élèves (Ranjard, 1984). Dans certains pays, la recherche elle-même n’arrive pas à lever le voile : les enquêtes sont empêchées par les syndicats. On ne veut pas qu’on sache comment et où travaillent les enseignants lorsqu’ils ne donnent pas cours, parce que cette opacité rend malaisés le contrôle du temps de travail aussi bien que la comparaison avec d’autres métiers. Elle interdit souvent à l’administration d’intégrer à l’horaire formel des enseignants des temps de travail en commun, de peur de paraître attenter à leur vie privée. Les enjeux sont majeurs, tout réalisme se heurte à des intérêts investis dans le statu quo.

Que deviennent la transposition didactique et la construction du curriculum de formation lorsqu’on ne peut décrire publiquement les pratiques effectives ? Comment les responsables des programmes de formation peuvent-ils mettre en place des modules de formation sans pouvoir dire totalement où ils puisent leurs images de la profession ? Le rapport Bancel ou d’autres textes officiels donnent en général du métier d’enseignant une image positive, complètement éthérée, aseptisée. Les formateurs et les responsables de la formation devraient être moins prudents et affronter ces zones d’ombre, sous peine de ne préparer les étudiants qu’à la face visible du métier. Un professeur qui enseigne dix-huit ou vingt-deux périodes de 45 minutes par semaine, que fait-il le reste du temps ? Comment s’organise-t-il ? Avec qui travaille-t-il ? Où ? Ces questions sont légitimes, non dans un but de surveillance policière, mais pour comprendre des aspects essentiels du métier : planification du cours, bricolage de situations didactiques, organisation d’une documentation personnelle, recherche, adaptation ou création de moyens d’enseignement ou d’évaluation, collaboration avec des collègues, réemploi du travail des autres années, mobilisation de ressources technologiques, correction ou exploitation de la production des élèves, préparation technique ou psychologique, renouveau, formation personnelle, lectures. Certes, en formation des maîtres, on visite le centre de documentation, on est confronté à des préparations idéales, on confectionne un matériel exemplaire, parfois sophistiqué. Mais comment fonctionnent, dans la pratique, la plupart des enseignants ? On dit aux étudiants comment il faudrait confectionner une épreuve. Il serait intéressant qu’ils sachent comment, de fait, leurs collègues expérimentés préparent une épreuve écrite, en général beaucoup plus vite, de façon beaucoup plus superficielle qu’on ne le dit dans les manuels, avec des préoccupations qui ne sont pas tant d’acquérir de l’information sur les apprenants que d’être formellement équitables, donc irréprochables du côté des élèves, des parents, de l’administration. Toutes ces choses méritent d’être dites, la recherche peut contribuer à les décrire sans juger.

Penser la pratique pour penser la formation

Pour décrire de telles facettes des fonctionnements didactiques et du métier d’enseignant, il faut aller au delà des images d’Épinal, entrer dans une analyse fine et parfois instrumentée des pratiques, des contrats pédagogiques. Le bon sens et la familiarité ne suffisent plus. Il faut que les formateurs d’enseignants ou les responsables du dispositif aillent regarder les choses de près, ne se contentent pas de se remémorer la façon dont ils pratiquaient lorsqu’ils étaient eux-mêmes professeurs.

On ne peut aujourd’hui concevoir des objectifs et des curricula de formation qu’avec une image précise des pratiques. Pour construire une représentation du métier, la recherche n’est pas la seule voie, mais elle devient une ressource importante si l’on veut décrire les pratiques effectives, comprendre " comment ça marche ", cerner la réalité des processus d’apprentissage, des interactions didactiques, du fonctionnement des établissements et des systèmes éducatifs. Qui pourrait affirmer qu’on dispose d’ores et déjà d’une représentation du métier assez réaliste et précise pour construire sans coup férir des curricula de formation des maîtres ajustés aux conditions de la pratique ? Nous avons devant nous quelques décennies encore de travail intensif sur les facettes du métier d’enseignant, en particulier sur les plus cachées.

À travers ces exemples, une première thèse : la recherche en éducation est une façon irremplaçable de penser les pratiques pour penser la formation (Perrenoud, 1994). Elle ne saurait prétendre au monopole : les représentations du métier viennent aussi de l’expérience des formateurs, et notamment de la pratique actuelle des formateurs de terrain. Les étudiants, s’ils sont impliqués dans une véritable alternance théorie-pratique, peuvent également contribuer à renouveler les images du métier et de ses véritables conditions d’exercice. Les associations professionnelles, les chefs d’établissements, les usagers détiennent aussi une part de vérité sur les pratiques enseignantes et leur évolution probable ou souhaitable. Loin de nier ces représentations, de vouloir y substituer sa vérité, la recherche peut s’en inspirer, valider ou infirmer des hypothèses qui ont cours, affiner, expliciter des intuitions. Elle peut aussi, en prenant les représentations du métier comme objets, montrer leurs biais et leurs limites.


II. L’apport de la recherche à la construction
des dispositifs de formation

Au-delà de la détermination des objectifs et des contenus, de la transposition didactique, la recherche en éducation peut contribuer à la construction des dispositifs de formation. On se situe là à un autre niveau, celui de la mise en œuvre des finalités, de la transformation d’un curriculum formel en curriculum réel, de la résistance des acteurs au projet, tant au niveau des processus de pensée et d’apprentissage que des conduites et des stratégies. La recherche en éducation étudie la construction et la mise en œuvre des curricula, les stratégies des enseignants et des étudiants, les mécanismes de sélection/orientation, les systèmes concrets d’évaluation, la division du travail pédagogique, le fonctionnement des classes et des établissements, autant de savoirs qu’on pourrait réinvestir dans la conception des dispositifs de formation des maîtres.

La dynamique des établissements

Un institut de formation des maîtres n’est ni une école primaire, ni un collège, ni un lycée, mais on peut le considérer comme un établissement, une organisation scolaire dont la recherche en éducation peut contribuer à éclairer le fonctionnement. Sans doute un IUFM est-il un très grand établissement, qui compte beaucoup plus de formateurs et d’étudiants que les établissements secondaires les plus importants. C’est un établissement qui regroupe des sites multiples et souvent éloignés, ce qui complique son fonctionnement. C’est un établissement composé à partir d’établissements autonomes qui conservent une part de leur identité ancienne. Malgré ces différences, les phénomènes de pouvoir, la formation d’une culture commune, les dynamiques de changement ne sont pas radicalement différents.

On sait de mieux en mieux quel type de leadership et de culture professionnelle favorise l’intégration, l’efficacité, l’autorégulation et le renouveau des établissements. Les idées de culture de coopération, de professionnalisation interactive, de projet d’établissement, d’autoévaluation négociée, de communauté éducative, d’autorité négociée qui inspirent les collèges et lycées valent aussi pour les institutions de formation des enseignants (Demailly, 1990 ; Gather Thurler, 1993 a et b, 1994 a et b).

La socialisation professionnelle et l’entrée dans le métier

Lorsque les nouveaux enseignants arrivent dans les établissements, ils s’adaptent aux normes locales. S’opère alors une sorte de déni et de dévalorisation de la formation : C’est bien joli tout ça, c’est ce qu’on t’a dit en formation, mais ici, vois-tu, c’est comme cela que ça marche ! La régression est souvent très longue. Non seulement on n’applique pas durant la première année ce qu’on vient d’apprendre en formation initiale, mais on y renonce définitivement et on se coule dans le moule par gain de paix.

Le risque de régression est d’autant plus fort que l’on n’est préparé ni à faire face aux attentes des collègues plus anciens, ni à mettre en pratique les aspects les plus novateurs de sa formation.

On peut, dans le dispositif de formation, préparer les futurs enseignants à choisir en connaissance de cause une voie médiane entre ce que j’appelle réalisme conservateur et idéalisme béat. Ils doivent mesurer les risques, savoir que s’ils viennent raconter naïvement ce qu’on leur a conseillé durant leur formation initiale en didactique ou en psychopédagogie, ils vont se casser la figure. Aider les futurs enseignants à gérer cette distance peut devenir un objectif de formation et un aspect du parcours ; il s’agit de préparer à la tension entre les générations, au conflit entre les gens installés et les nouveaux, entre les anciens et les modernes, entre les conservateurs et les innovateurs. Quiconque n’est pas prêt à vivre ce conflit est incapable de comprendre ce qui lui arrive. Comme il a envie qu’on l’aime et qu’on l’accepte, il se conforme aux attentes de ses collègues, parce qu’il n’a pas les moyens de maintenir ouvertement - et même intérieurement ! - sa différence et donc son identité. On ne peut résister à la pression d’un groupe qu’en étant prévenu, préparé conceptuellement, mais aussi pourvu d’une identité personnelle, d’une certaine solidité affective et relationnelle. Sans cet effort, les compétences acquises en formation initiale vont se rétrécir comme peau de chagrin, si bien qu’au bout de quelques années ou quelques mois, on ne verra pas forcément la différence entre un jeune enseignant et un praticien formé il y a vingt ans.

Indépendamment des résistances de l’entourage, chaque enseignant fraîchement formé est confronté à la solitude et à la difficulté de s’en tirer seul. Meirieu insiste souvent sur l’importance du désétayage dans la formation. Construire des compétences passe par une prise en charge, un étayage, une pratique assistée, protégée. Si l’on ne prend pas le temps de faire le chemin inverse vers la pleine autonomie, les compétences acquises apparaissent inutilisables en pratique et le jeune enseignant en revient aux vieilles ficelles du métier. Une formation très avancée ne sert pas à grand chose si on ne réfléchit pas immédiatement sur les conditions de sa mise en pratique autonome.

Les stratégies des étudiants

Les études des carrières scolaires, l’analyse des comportements des consommateurs d’école (Ballion, 1982, 1986 ; Berthelot, 1982) montrent que les étudiants détournent constamment les dispositifs de formation à leur profit. Dès que, par exemple, on veut différencier les parcours pour tenir compte des acquis antérieurs et de besoins distincts, on peut difficilement éviter que certains utilisent ces degrés de liberté pour travailler le moins possible : dans la mesure où on lui en demande en général beaucoup trop par rapport à ses forces, l’étudiant adopte une ligne utilitariste et minimaliste. Une bonne partie des bonnes idées, notamment sur l’aménagement des cursus, sur l’individualisation des parcours peuvent être perverties parce qu’on n’a pas pris en compte les stratégies des étudiants et leurs effets pervers. Dans une expérience de pédagogie de maîtrise, s’il suffit de maîtriser 60 % du programme pour progresser dans le cursus, pourquoi l’étudiant se casserait-il la tête pour en maîtriser 85 % ? Même si c’est possible, son objectif est de passer au degré suivant, et non d’accumuler le maximum de compétences. Pour tenter de prévenir ces effets pervers, il faut probablement moduler les parcours, les options, l’encadrement des étudiants, le type d’évaluation, prévoir des garde-fous, des régulations. Les étudiants fonctionnent différemment selon le contrat didactique, selon qu’ils ont un interlocuteur de confiance ou s’en remettent au sens commun. Faute de savoir à qui parler, ils font ce qu’ont toujours fait les étudiants. Les instituts de formation des maîtres pourraient s’appuyer sur la recherche pour concevoir des dispositifs plus interactifs, négocier des contrats plutôt que de s’en remettre aux stratégies anonymes et minimalistes.

On n’apprend pas tout seul

C’est le titre d’un livre du CRESAS (1987), mais c’est aussi la leçon de tous les travaux de psychologie cognitive et sociale, qui montrent que les savoirs se construisent mieux dans l’interaction. A-t-on tiré de cet acquis tous les bénéfices possibles en formation des enseignants, à la fois au niveau du dispositif et de la formation des formateurs ? N’est-on pas, souvent encore, dans des situations de transmission magistrale et de travail solitaire ? Ces travaux de recherche pourraient conduire, beaucoup plus systématiquement, à mettre des groupes de futurs enseignants en situation de résolution de problèmes, en mettant à leur disposition un certain nombre de personnes ressources et de documents. C’est l’idée de l’enseignement par modules, par projets, par réseaux, par groupes de besoins. Le prix à payer en terme de gestion des parcours, des horaires, des salles est si lourd qu’on préfère souvent, dans l’enseignement secondaire, dire que c’est utopique : il est en effet plus simple de dispenser des cours, de remplir des salles sur la base d’un horaire stable et d’une division du travail établie pour l’année ; c’est prévisible, c’est gérable, ça coûte moins cher. C’est aussi moins efficace. Les institutions de formation des enseignants ont l’avantage de travailler avec de jeunes adultes, elles courent moins de risques, elles pourraient donc ouvrir la voie en matière d’enseignement coopératif et modulaire.

Le temps de l’apprentissage

On sait que le temps des apprentissages n’est pas le temps de l’enseignement. Chevallard (1985) montre que temps de la construction des savoirs mathématiques n’est pas celui de l’enseignement mathématique. Il y a dans les processus d’apprentissage des temps morts, des temps faibles, des temps forts, des temps de restructuration accélérée, des temps de latence, des temps de cheminement souterrains dont on ne voit pas immédiatement le résultat, des régressions, des retours en arrière bénéfiques ou maléfiques. L’enseignement traditionnel ignore ces " désordres ", il progresse de chapitre en chapitre, de notion en notion, tout au long de l’année, avec de petits temps d’arrêt, de révision ou de synthèse, sans reconnaître qu’aucun étudiant n’apprend de façon aussi linéaire.

Dérouler le texte du savoir, tout enseignant est capable de le faire avec une bonne connaissance du contenu et quelques bases didactiques. S’adapter aux rythmes des étudiants, à la manière dont ils gèrent le temps de construction des savoirs et des compétences, c’est beaucoup plus complexe, cela appelle une pédagogie différenciée, oblige à s’écarter du texte du savoir pour improviser des réponses, expose à répondre à une question qui n’est pas dans le cours, mais bel et bien dans la tête de l’apprenant, qui renvoie au mieux au programme des degrés antérieurs ou suivants, qui parfois ne peut s’appuyer sur aucune transposition didactique préétablie…

On voit bien pourquoi l’école résiste aux savoirs sur les temps fantasques et inégaux, sur les désordres des apprentissages. Si elle prenait les acquis de la recherche en éducation plus au sérieux, l’école devrait offrir des parcours de formation moins linéaires, des séquences didactiques moins planifiées, faire une place plus grande au désordre, aux retours en arrière, aux parenthèses improvisées dans le texte du savoir, à la négociation en fonction des besoins des étudiants. Les institutions de formation des maîtres pourraient, là encore, être en pointe.

Faites comme je dis…

La recherche sur le curriculum réel pourrait également alimenter la conception des dispositifs de formation. J’écrivais il y a quelques années :

Lorsqu’on forme des maîtres, on leur fait vivre comme élèves un certain type de didactique et de relation pédagogique. Ce qu’ils apprennent tient très largement à ce curriculum implicite, voire caché. D’où l’importance d’une cohérence entre les modèles mis en pratique dans la formation des maîtres et ceux qu’on voudrait leur faire adopter dans leurs classes. On ne peut espérer, en particulier :

Les institutions de formation des maîtres gagneraient à prendre au sérieux l’influence qu’exerce leur propre fonctionnement sur les modèles épistémologiques, didactiques et relationnels qu’intériorisent les futurs professeurs, et donc à s’inspirer de la recherche en didactique et en sociologie du curriculum.


III. L’apport de la recherche au développement
de démarches de formation

Une partie de la recherche en éducation porte sur les démarches de formation des maîtres et peut donc contribuer à leur évolution. Il en va de même, au prix d’une certaine transposition, des recherches sur d’autres formations d’adultes, d’autres formations professionnelles, d’autres formations centrée sur une pratique. Plus globalement, il y dans nombre de recherche sur les processus d’enseignement ou d’apprentissage des éléments dont pourraient s’inspirer les démarches de formation des maîtres : pédagogie individualisée, évaluation formative, modes de régulation, clarification des objectifs, pédagogies de maîtrise, négociation d’un contrat didactique explicite, apprentissage par projets, travail en équipe, méthodes actives, travail à partir des représentations, dimension métacognitives, technologies éducatives : tout cela ne vaut pas seulement pour l’école obligatoire, les fonctionnements des adultes ne sont pas très différents.

Je m’en tiendrai ici aux apports possibles de la recherche comme pratique de formation, comme moyen de favoriser chez de futurs enseignants la construction de certaines compétences. Évidemment, il y a une connexion avec les niveaux précédents. On peut difficilement imaginer qu’il n’y ait aucun apport de la recherche à la transposition didactique qui sous-tend le parcours et à la conception des dispositif de formation, mais que les formateurs soient néanmoins familiers des sciences de l’éducation et fassent de la recherche avec leurs étudiants. Il y a en toile de fond une certaine familiarité, une certaine proximité avec le monde de la recherche qui va se retrouver à tous les niveaux de la formation, des objectifs aux pratiques quotidiennes.

Je vais essayer, à travers divers exemples, de rappeler en quoi participer à une recherche peut être fécond en formation initiale. J’ai distingué trois raisons complémentaires de justifier l’initiation à la recherche (Perrenoud, 1991). La première considère la recherche comme une méthode active de formation. La seconde - la plus classique - vise une initiation à la recherche comme consommateur averti, voire comme enseignant-chercheur. Le troisième s’inspire de la pratique de recherche comme paradigme possible d’une pratique réfléchie.

Apprendre à voir, un rapport actif au réel

Qu’est-ce qu’on apprend de spécifique en faisant de la recherche plutôt que d’écouter des cours ? Quel genre de connaissances ou de compétences produit-on en impliquant les futurs enseignants dans une pratique de recherche ? Prenons l’exemple d’une recherche collective sur un thème précis : Dans sa pratique en classe quelle est la part de sa culture, de son expérience, de ses pratiques extrascolaires que l’enseignant réinvestit ? Autrement dit : où est-ce qu’il va chercher tout ce qu’il enseigne, au delà des programmes et de sa formation professionnelle ? Chaque enseignant puise dans son expérience, sa culture, ses valeurs, ses intérêts, sa vie. Pour en savoir plus, dans un champ encore peu couvert par la recherche, le plus formateur est d’y aller voir soi-même. Le professeur peut envoyer ses étudiants interviewer des enseignants en exercice pour saisir ce qu’ils transposent dans leur pratique en classe, par exemple en situation d’incertitude, de conflit, d’urgence, d’injustice, d’insécurité. Ils voient que la maîtrise de soi, des relations avec les autres, des événements, des savoirs, des émotions mobilise des schèmes construits en dehors de l’école et même en dehors de la socialisation professionnelle. Les étudiants découvrent un certain nombre de mécanismes de transposition qui ne sont pas décrits dans les livres et qui, même s’ils le sont, seront compris tout à fait autrement à travers une démarche personnelle de recherche. On retrouve ici l’inspiration majeure des pédagogies actives : il appartient au sujet de construire ses connaissances à travers une action et une expérience personnelles.

Prenons l’exemple d’un étudiant qui interviewe deux enseignants primaires, l’un peintre à ses heures, l’autre alpiniste. Quelle part de leur hobby réinvestissent-ils dans leur pratique professionnelle ? La démarche permet de découvrir des choses qui touchent personnellement l’étudiant et lui permettent, bien mieux qu’un cours ex cathedra, de comprendre comment il investit lui-même ses valeurs et pratiques extraprofessionnelles dans son métier. Sans être peintre ou alpiniste, il est concerné parce que sa recherche dévoile des mécanismes de transfert plus généraux. Ainsi, avant de devenir peintre - à trente ans - l’un des enseignants interrogés pensait que la marche normale de la pensée est de finir une chose avant de passer à la suivante. Depuis qu’il peint, il a découvert qu’avoir une vingtaine ou une trentaine de toiles en chantier était beaucoup créatif, qu’il pouvait les reprendre ou les abandonner au gré de l’inspiration plutôt que de s’acharner à en achever une avant de s’autoriser à en commencer une nouvelle. Cet enseignant a transposé cette découverte dans sa salle de classe et s’est rendu compte qu’une partie des élèves fonctionnent " comme des peintres " : ils résolvent certains problèmes d’autant mieux qu’on ne fait pas pression sur eux pour qu’ils aillent au bout d’une tâche avant de s’intéresser à autre chose.

On ne saurait évidemment généraliser. Il y a des esprits qui papillonnent sans succès et d’autres qui papillonnent avec efficacité, qui à la limite, trouvent dans la rupture, une source d’inspiration. Piaget écrivait régulièrement, tous les jours, et il avait pour règle de toujours laisser un paragraphe inachevé, voire une phrase interrompue. Il avait compris une chose essentielle, c’est que la machine se remet en marche beaucoup mieux si on l’arrête n’importe où que si on l’arrête à la fin d’un chapitre. De telles découvertes sont essentielles en formation des maîtres. Une petite recherche permet de les faire in vivo, chez quelqu’un de concret auquel on peut se comparer. Ainsi, durant une autre année, mes étudiants ont travaillé sur le curriculum caché, c’est-à-dire tout ce qui est appris à l’école sans qu’on ait voulu l’enseigner, peut-être ce qu’on y apprend de plus solide et de plus durable : vivre sous le regard et le jugement des autres, cacher ses erreurs, être en compétition avec autrui, ne pas demander de l’aide parce que ce sera utilisé contre vous, s’ennuyer, attendre, ruser… Et chacun a découvert qu’il avait appris à l’école des choses qu’on ne met pas ordinairement en devanture, mais qui jouent un rôle important dans la vie.

Une recherche sur le curriculum caché, comme sur n’importe quel sujet didactique, psychopédagogique, psychosociologique, favorise certaines prises de conscience. Elle enseigne à mieux voir, à être sensible à d’autres aspects de la réalité ou de son propre fonctionnement intellectuel, relationnel, affectif. Quand on doit rédiger un protocole d’observation en didactique des mathématiques, on va s’intéresser de près aux consignes écrites, à ce que dit le maître, à ce que comprennent les élèves, à la façon dont ils se mettent au travail, aux règles implicites qui régissent le métier d’élève et le statut du savoir et de l’erreur. On voit alors des choses qu’un enseignant chevronné de mathématique n’a peut-être jamais vues, parce que son regard n’est armé ni des mêmes questions, ni des mêmes concepts que celui du chercheur.

La recherche oblige à regarder et à écouter avec moins de biais : c’est évident puisqu’elle doit avoir une certaine neutralité par rapport aux préjugés. On s’instrumente pour corriger les premières impressions, contrôler la subjectivité. Chacun croit savoir pleins de choses, par exemple sur les difficultés d’intégration d’un enfant immigré. Si on va voir comment cela se passe concrètement, on se rend compte que c’est loin d’être si simple, par exemple qu’il y a des enfants d’immigrés qui ont des capacités d’intégration plus grandes des enfants indigènes, tout simplement parce qu’ils ont un parcours et un habitus d’adaptation beaucoup plus fort, que découvrir une nouvelle classe peut devenir une routine quand on a " roulé sa bosse ".

La recherche incline à mieux voir le caché, le refoulé, le non dit, parce qu’elle s’intéresse à ce que le discours professionnel standard ne dévoile pas. Si l’on analyse les conversations de salle des maîtres, on découvre que, la plupart du temps, les praticiens ne parlent pas du métier ou en parlent sur le mode de l’anecdote ou du défoulement. Le temps de conversation entre enseignants est un temps de recharge des énergies, de sécurisation, de retraite du front plus qu’un temps d’échange constructif sur les pratiques professionnelles. On peut avoir l’impression que si on se voit tous les jours au moins vingt minutes, dans une école primaire, pendant des années, on a l’occasion de se dire plein de choses de ce qu’on fait en classe. Eh bien, pas du tout ! Celui de la classe d’à côté reste souvent un inconnu, on sait si ses élèves font du bruit, s’ils rangent bien leurs chaussures ou leurs manteaux, beaucoup plus que comment le professeur explique en grammaire ou corrige les devoirs de mathématique. Ferait-on un pari sur les pratiques de ses collègues les plus proches qu’on se tromperait une fois sur deux ! La recherche fait prendre conscience de cet isolement et peut, en formation, conduire à s’en préserver.

La recherche oblige également à mieux prendre en compte les différences et les diversités. C’est la question de l’échantillonnage. La plupart du temps, chacun raisonne sur quelques cas particuliers : quelqu’un qui a une voiture de telle marque peut dire sans sourciller que " ces voitures " ont des problèmes d’allumage, mais qu’elles tiennent par contre très bien la route. Quiconque examine mille voitures de la même marque va forcément atténuer ce jugement et voir qu’en réalité, elles ne sont pas si différentes des autres, en tout cas qu’on ne peut généraliser à partir d’une si courte expérience.

La recherche met en question les évidences du sens commun. On pense connaître beaucoup de choses à partir de ce qu’on a dans la tête plutôt qu’à partir d’une observation attentive de la réalité. La démarche scientifique, dans toutes les disciplines, consiste à y aller voir avant de dire. Cela n’interdit pas les hypothèses, mais incline à les vérifier. Hypothèse, vérification, retour à l’hypothèse, voilà qui est loin d’être la norme en pédagogie. On vient d’une tradition pédagogique extrêmement humaniste, discursive, abstraite, qui, pendant des siècles a dit comment l’enfant se développait et apprenait, comment la culture se transmettait. On est sorti de cette phase qu’on peut dire " préscientifique ", mais nous restons tous bourrés de préjugés ou pétris de méconnaissances que nous remplaçons pas des conjectures. Dans le dernier quart d’heure d’un cours de 45 minutes, le professeur fonctionne-t-il autrement que dans le premier ? Certains diront que c’est évident, d’autre que c’est faux, en fonction de pratiques et de croyances personnelles, et de quelques lieux communs. Chacun dira pourquoi et développera une théorie apparemment convaincante à l’appui de sa thèse. L’un dira que, dans le premier quart d’heure, le professeur a tout le temps devant lui, qu’il est moins fatigué, alors que, dans le dernier quart d’heure, il voit le temps passer, précipite les choses, devient plus fermé aux initiatives des élèves, les interpelle autrement, se fait plus bref, plus schématique, plus efficace, etc. Un autre dira qu’un enseignant digne de ce nom planifie son temps, ne se laisse pas prendre et agit en fonction du contenu et de la tâche plutôt que du temps qui reste. Et on se séparera, chacun restant convaincu qu’il a raison. La recherche montrera non seulement que tous les professeurs ne fonctionnent pas de la même façon, mais que le même professeur fonctionne différemment selon l’établissement, la discipline, les enjeux, le moment de l’année et d’une toile de fond constituée par le contrat pédagogique et le climat global de la classe. Le sens commun permet toujours de faire un bout de chemin. Pour aller plus loin dans la prise en compte des différences, faire participer les étudiants à la recherche est un utile détour.

Se familiariser avec les méthodes et les produits de la recherche

Dans le domaine des sciences " dures ", la distinction a tout son sens. De multiples procédés technologiques sont fondés sur les connaissances scientifiques à la construction desquelles les ingénieurs et techniciens n’ont pas participé. En sciences humaines, dans l’état présent de leur développement, il est peu de résultats qu’on puisse détacher de leur genèse. Pour en faire un usage pratique, il ne faut pas nécessairement faire de la recherche, mais il importe de saisir l’histoire des problématiques et des paradigmes, de situer les connaissances dans une dynamique marquée par des doutes, des conflits, de zones d’ombre. Ainsi, pour utiliser les acquis de la recherche sur la production de textes, mieux vaut être quelque peu familier de ceux qui formulent les questions de recherche, élaborent des concepts, des hypothèses ou des méthodes. Les praticiens de la formation ne peuvent s’approprier le contenu des recherches qu’en jouant un rôle actif dans le débat et la diffusion des idées, sinon dans la recherche de terrain elle-même.

Si on veut utiliser des ouvrages de sciences de l’éducation, lire Piaget, Bourdieu, Chevallard, il faut non seulement avoir, été confronté à ces textes en formation, avoir participé à des discussions sur ces lectures, mais peut-être avoir eu l’occasion d’observer personnellement des fragments de réalité illustrant ces théories. Ainsi, si l’on veut comprendre quelque chose à la notion de contrat didactique, il est fécond d’aller observer le fonctionnement de vrais contrats didactiques en participant à de petites recherches. Ces observations personnelles et leur élaboration fourniront de précieuses clés pour lire les travaux des didacticiens. Une définition du contrat didactique donnée dans le cadre d’un cours est une notion abstraite, sans commune mesure avec la formation du concept sur le terrain, pour rendre compte dans les interactions en classe de certaines régularités inintelligibles sans l’existence d’une règle du jeu. Pour se préparer à utiliser les sciences de l’éducation tout au long de son existence, l’enseignant comme le formateur d’enseignants ont besoin de " mettre la main à la pâte ".

Un paradigme pour une pratique réfléchie

La pratique réfléchie - reflective practice - est un terme inventé par Schön (1983, 1987), qui n’a pas travaillé au départ sur l’enseignement, mais avec des artistes, des architectes, d’autres professions et qui a tenté de décrire la façon dont les praticiens réfléchissent dans l’action et sur l’action. Un professionnel est quelqu’un qui essaie toujours, en temps réel ou avec un petit décalage, de comprendre ce qu’il fait fonctionner, de se demander : Qu’est-ce que je fais, qu’est-ce qui se passe, est-ce que je m’y prends bien, est-ce que je pourrais faire mieux dans l’immédiat ou la prochaine fois ? C’est quelqu’un qui, à sa façon, " théorise sa pratique ", pas pour le plaisir d’en parler ou d’écrire des livres, mais parce qu’il réinjecte ses analyses dans la prochaine étape de son travail. Cette régulation peut s’opérer selon des cycles très courts : si je donne une consigne pour un travail de groupe, que je m’aperçois qu’elle n’a pas passé, je peux dans la demi-heure qui suit, rectifier pour la tâche suivante. Il y aussi des régulations à plus longue portée. Mais dans tous les cas, le mécanisme est le même, il consiste à réfléchir sur l’expérience, à comprendre ce qui s’est passé et à en tirer quelques leçons pour l’avenir.

Évidemment, entre une recherche scientifique et une pratique réfléchie, il y a pas mal de différences. Dire que le praticien est un chercheur dans sa classe, sur sa propre pratique, est acceptable si l’on entend recherche dans un sens très vague. Mais par rapport au chercheur professionnel, au chercheur du CNRS, il y a beaucoup de différences. L’enseignant doit respecter un contrat didactique, il obéit à des règles déontologiques, il y a donc des questions qu’il n’a pas le droit de poser aux élèves parce qu’elles touchent à la sphère privée ou déséquilibreraient le rapport pédagogique, alors qu’un chercheur prendra le risque en protégeant l’anonymat des personnes. En situation d’incertitude le chercheur attend et prolonge sa réflexion, l’enseignant lui doit agir, même s’il n’est pas sûr d’avoir raison, car il ne peut s’arrêter le temps voulu pour penser ou observer. La connaissance construite par le praticien est réinvestie en circuit fermé, et ne se soumet pas aux critères de validation de la communauté scientifique : la connaissance locale suffit, pourvu que " ça marche " ici et maintenant, peu importe qu’à cent kilomètres ou dans la classe voisine, ce ne soit pas valable. La recherche doit au contraire se confronter constamment au problème de la généralisation. Pour l’enseignant, les implications pratiques des savoirs doivent être pesées, négociées. Une maîtresse enfantine, sensible à l’absence de sphère privée de ses élèves de cinq ans, crée dans sa classe un espace clos auquel elle n’a pas accès, où elle ne voit pas ce qui se passe. Concrètement, c’est une tente plantée dans un coin de la classe. Elle se rend compte que dans cette tente, il se passe des choses pas faciles à défendre devant des parents ou des collègues si elles venaient à se savoir ; les élèves profitent de cette vie privée pour se battre ou se livrer à des attouchements qui ne sont pas censés être autorisés, encore moins encouragés à l’école maternelle. Cette enseignante a une connaissance précise et fondée des enfants et sait qu’une partie du développement, à cet âge, se fait mieux hors de la vue de l’adulte, qu’il importe que les enfants disposent d’un espace qui leur appartienne. À quoi bon le leur ouvrir si c’est pour en interdire immédiatement l’usage ? Mais comment en convaincre une mère qui vient se plaindre Mon fils m’a raconté que… Il ne suffit pas de savoir que c’est bien, il faut se sentir le droit, la force d’affronter le jugement des autres adultes. Le chercheur peut affirmer des idées générales sans s’exposer au même degré.

Le praticien fait partie de la situation, il y a des choses auxquelles il est aveugle, nécessairement, parce qu’il ne peut ou ne veut pas le savoir. Il ne sait pas toujours pourquoi il crie, " perd les pédales ", met toute la classe en émoi pour un seul élève, de sorte qu’il faut vingt minutes pour que chacun reprenne son calme. Tout simplement parce que c’est son inconscient qui gouverne sa conduite, exprimant toutes sortes d’attitudes archaïques, de rapports à l’autorité et à l’autre qui ne sont pas très faciles à accepter, ni même à percevoir.

Entre pratique réfléchie et recherche, il y donc d’importantes différences. Mais il y a aussi, c’est ce qui nous intéresse, plusieurs points communs. En quoi une pratique de recherche pour les étudiants peut-elle modéliser une pratique réfléchie pour les enseignants en exercice ? Elle habitue à contrôler les biais, à se méfier de ses intuitions et des idées toutes faites ; elle habitue à la complexité : rien n’est jamais aussi simple qu’on ne l’imaginait. Elle oblige à se dégager des impressions subjectives pour confronter sa perception à celle d’autres observateurs. Un praticien réfléchi n’est pas un praticien solitaire, il parle avec des collègues dans une équipe pédagogique, dans l’établissement, au sein de réseaux de formation.

Autre modèle qu’on peut emprunter à la recherche : avoir le souci de valider ce qu’on pense, émettre des hypothèses plus que des jugements catégoriques, engranger un certain nombre d’observations pertinentes, revenir à sa théorie pour la corriger ou la nuancer, amorcer un nouveau cycle d’observation ou d’expérimentation. De tels fonctionnements, familiers aux chercheurs, pourraient définir la pratique réfléchie si l’on en retient l’esprit général plutôt que le détail des procédures.


IV. Un programme pour vingt ans

Pour aller plus loin, il faudrait ne pas considérer la recherche en éducation comme un bloc, mais plutôt poser le problème de ses apports à la conception de la formation des maîtres domaine par domaine. Si l’on inventorie les thèmes de recherches en éducation, on arrive facilement à des centaines ou des milliers. Mieux vaudrait prendre un parti synthétique, par exemple en découpant la recherche en éducation en cinq grands domaines :

  1. Le métier d’enseignant, le fonctionnement des établissements et des systèmes éducatifs.
  2. La scolarisation de pratiques ou de savoirs ayant cours hors de l’école, le curriculum formel, la culture scolaire.
  3. Les pratiques pédagogiques, la relation, le groupe, la gestion de classe, la différenciation.
  4. Les processus de développement et d’apprentissage, la construction des connaissances et des compétences.
  5. Les interactions didactiques, le curriculum réel, le travail scolaire.

Ce ne sont pas des découpages disciplinaires. Il s’agit plutôt de niveaux de fonctionnement des systèmes éducatifs. À l’élucidation de ce qui se passe sur chacun concourent des approches psychologiques, sociologiques, didactiques, historiques, anthropologique, linguistiques, etc.

Je n’ai ici que jeté quelques coups de projecteur dans cet ensemble. Un exercice plus systématique, qui demanderait évidemment des moyens plus lourds, consisterait à inventorier pour chaque niveau les apports possible de la recherche 1. à la transposition didactique et à la construction des curricula, 2. à la conception et à la gestion des dispositifs de formation et 3. aux démarches de travail avec les étudiants. Ce qui amènerait à parcourir les cellules du tableau suivant :

Tableau des apports de la recherche en éducation

Apports

 Domaines

1.
Construction des objectifs et du
2.
Dispositifs et établisse-ments de formation
3.
Démarches de
travail avec les étudiants
1. Le métier d'enseignant, le fonctionnement des établissements et des systèmes éducatifs
.
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2. La scolarisation de pratiques ou de savoirs ayant cours hors de l'école, le curriculum formel, la culture scolaire.
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3. Les pratiques pédagogiques, la relation, le groupe, la gestion de classe, la différenciation.
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4. Les processus de développement et d'apprentissage, la construction des connaissances et des compétences.
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5. Les interactions didactiques, le curriculum réel, le travail scolaire.
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On le voit, le travail n’est qu’esquissé. C’est un programme pour vingt ans. Il ne saurait être réalisé par les chercheurs seulement. Pour que les apports de la recherche en éducation ne restent pas des virtualités, il faut évidemment que les responsables des institutions et les formateurs aient un pied dans le monde de la recherche en éducation. Ils ne pourront s’approprier un certain nombre de ces connaissances sans être en relation de travail avec les chercheurs. Etre dans des réseaux, cela peut vouloir dire aller à l’INRP, travailler avec des gens du CNRS ou des universités, sortir de l’Institut de formation des maîtres pour collaborer à des travaux de recherches, à des publications, à des congrès, etc. Cela peut aussi consister à faire venir des chercheurs dans l’Institut de formation des maîtres pour des conférences, des interventions, des suivis, etc.

On peut aussi s’interroger sur la part de recherche autonome dans les Instituts de formation des maîtres. À ce propos se posent certaines questions sur le statut scientifique de cette recherche par rapport à la recherche académique pure et dure, donc sur sa valeur. Est-ce qu’on peut, dans le même congrès, présenter une recherche faite en IUFM à côté d’une recherche faite en Faculté ou au CNRS ? Certains vous diront qu’on ne doit pas " mélanger les torchons et les serviettes ". Le débat sur la valeur des recherches est un débat sur l’épistémologie, la valeur de la science. Mais ce n’est pas à mon sens le plus important.

Ce qui importe, c’est qu’on ne se trompe pas d’endroit. Il ne sert à rien, dans un IUFM, de faire de la recherche comme si on était au CNRS. Je ne pense pas d’abord à la classique opposition entre recherche appliquée et recherche fondamentale. Dans un IUFM, on se trouve dans un lieu fondamentalement interdisciplinaire, au sens des sciences de l’éducation, des sciences humaines. Même si on est dans le cadre d’une discipline scolaire, on navigue dans l’interdisciplinaire du point de vue psychologie, sociologie, anthropologie, histoire, etc. Le seul intérêt de la recherche en didactique et plus largement en sciences de l’éducation dans les lieux de formation des maîtres, c’est d’être une recherche sur des objets complexes, des systèmes, des pratiques dont l’intelligibilité mobilise toutes sortes de disciplines, de paradigmes, de méthodes.

Laissons aux sociologues de l’éducation, aux psychologues de l’apprentissage, aux psychanalystes le droit de faire des recherches sectorielles pointues sur des microprocessus ou des aspects bien isolés de la réalité. En formation des maîtres, ce qui nous intéresse, c’est une recherche sur la complexité, sur la totalité du métier parce que c’est notre spécificité. Il y a des psychologues, des sociologues, des anthropologues, des historiens dans d’autres facultés, certains font des recherches sur l’éducation. Ce qui réunit les formateurs en sciences de l’éducation, c’est la référence au métier et au système éducatif dans leur globalité, objets de recherches interdisciplinaires sur l’éducation. Ces recherches ont comme dénominateurs communs les pratiques et les fonctionnements du système éducatif. Pas des objets abstraits et théoriques, mais plutôt des objets concrets qu’on ne peut éclairer qu’à partir de plusieurs disciplines, de plusieurs paradigmes, de plusieurs méthodologies qualitatives et quantitatives.

Si je devais dire quelle politique peut donner une spécificité et une épine dorsale à la recherche dans les instituts de formation des maîtres, je dirais donc que c’est une recherche interdisciplinaire sur la complexité, qui tente d’allier savoirs savants et savoirs d’expérience, pratiques et théories.


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Sommaire


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