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Vol. 9, n° 2, décembre 1995, pp. 6-10. |
Des savoirs aux compétences : les incidences sur le métier denseignant et sur le métier délève*
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1995
Lenseignant
Lapproche par compétence amène le personnel enseignant à travailler sur des situations-problèmes dans le cadre dune pédagogie du projet, en même temps quelle demande aux élèves dêtre actifs et engagés dans leurs apprentissages.
En travaillant par compétences dans le sens proposé ici, on transforme considérablement le métier denseignant. Voyons en quoi.
Travailler par situations-problèmes
On ne pousse un étudiant à construire des compétences quen le confrontant régulièrement, intensivement, à des situations-problèmes relativement complexes, qui mobilisent divers types de ressources cognitives. Sans doute est-il raisonnable de les travailler jusquà un certain point séparément, à la manière dont un athlète entraîne divers gestes isolés avant de les intégrer à une conduite globale. Il demeure quau bout du compte, leur intégration exigera des situations-problèmes complexes et réalistes (Meirieu, 1989).
Pourquoi ne pas parler tout simplement de problèmes ? Pour insister sur le fait que, pour être " réaliste ", un problème doit être en quelque sorte " enkysté " dans une situation pragmatique qui lui donne du sens. Lécole a proposé à tant de générations délèves des problèmes tellement artificiels et décontextualisés (les fameuses histoires de trains ou de robinets) que le terme est usé. Le problème scolaire " à résoudre ", parce que tel est le métier délève, est très loin de ce quon appelle dans certaines facultés de médecine " lapprentissage par problèmes ". La notion de situation rappelle par ailleurs la " révolution copernicienne " opérée par les pédagogies constructivistes et les didactiques des disciplines : le métier denseignant ne consiste plus aujourdhui, si lon suit ces courants de pensée, à enseigner, mais à faire apprendre. Or, pour faire apprendre, on ne peut que créer des situations favorables, accroître la probabilité dun apprentissage quelconque et, dans le meilleur des cas, de lapprentissage visé.
Une situation-problème nest pas une situation didactique quelconque, car elle doit placer lapprenant devant une série de décisions à prendre pour atteindre un objectif quil a lui-même choisi ou quon lui a proposé, voire assigné. Pragmatique ne signifie pas utilitariste : on peut se donner comme projet de comprendre lorigine de la vie autant que de lancer une fusée, dinventer un scénario ou une machine à coudre.
Viser le développement de compétences, cest donc " se creuser la tête " pour créer des situations-problèmes à la fois mobilisatrices et orientées vers des apprentissages spécifiques. Ce qui passe par une transposition didactique plus difficile, qui part des pratiques sociales de référence et non seulement des savoirs savants. On peut enseigner des savoirs biologiques ou chimiques sans avoir une expérience de la recherche et de lexpérimentation. On ne peut enseigner des compétences touchant à de tels domaines sans avoir une certaine familiarité avec les pratiques des chercheurs ou dautres professionnels qui " manient " ces connaissances quotidiennement.
Dautres moyens denseignement
On ne peut attendre dun professeur quil imagine et fabrique à lui seul, à jet continu, des situations-problèmes toutes plus passionnantes et pertinentes les unes que les autres. Il importe donc que les éditeurs ou les services de didactique mettent à sa disposition des idées de situations, des pistes méthodologiques et des matériaux adéquats. Cela existe en partie déjà, à la fois :
Il reste indispensable que les grands producteurs de moyens denseignement réorientent leurs " gammes de produits " ; si un ministère de léducation veut promouvoir lapproche par compétences, il doit stimuler lédition et linformatique scolaires dans ce sens, et donner des garanties quant à la stabilité de sa politique. Il importe aussi que les enseignants les plus avancés et les chercheurs concernés soient associés à la conception des nouveaux moyens. Le pire serait de retrouver à la place des exercices scolaires traditionnels des situations-problèmes aussi stéréotypées, sorte de " prêt-à-enseigner " dun genre nouveau, mais aussi artificielles et souvent dénuées de sens pour les élèves.
Des projets négociés avec des groupes dacteurs
On ne peut imaginer que le professeur définisse seul les situations-problèmes. Sa tâche consiste certes à en proposer, mais en les négociant suffisamment pour quelles deviennent significatives et mobilisatrices pour beaucoup dentre eux. Ce nest pas une question déthique dabord : la relation pédagogique est fondamentalement asymétrique, et le professeur nest pas là pour répondre aux demandes des élèves. La négociation est simplement un détour nécessaire pour " embarquer " le plus grand nombre possible délèves dans des démarches de résolution de problèmes. Cela ne marchera, bien entendu, que si le pouvoir est réellement partagé avec les élèves.
Lapproche par compétences rejoint donc les pédagogies du projet, ce qui appelle non seulement des modifications du contrat didactique, mais une gestion de classe plus ouverte. Elle rejoint aussi les pédagogies coopératives, qui tiennent sur linteraction et linterdépendance entre acteurs pour des facteurs favorables aux apprentissages de haut niveau.
Une planification souple
On ne peut enseigner par compétences en sachant en août ce quon traitera en décembre. Cela dépendra du niveau et de limplication des élèves, des projets qui auront pris corps, de la dynamique du groupe-classe ou de sous-groupes. Cela dépendra surtout des événements précédents, car les situations-problèmes en engendrent dautres. Il est certes possible et sans doute nécessaire de couper court à certaines suites et de repartir dun tout autre point. Mais on ne peut se fermer à léventualité de construire toute lannée scolaire de proche en proche, une question en entraînant une autre, un projet qui sachève suggérant une autre aventure.
Aventure ? Le mot peut sembler trop fort, sagissant dune institution aussi bureaucratisée et obligatoire (socialement, sinon légalement) que lécole. Cest pourtant bien daventures intellectuelles quil est question, dentreprises dont nul ne connaît davance lissue, que nul, même pas le professeur, na jamais vécu exactement dans les mêmes termes.
Un autre contrat didactique
Dans une pédagogie centrées sur les savoirs, le contrat de lélève est découter, de tenter de comprendre, de faire consciencieusement ses exercices et de restituer ses acquis dans le cadre de tests de connaissance papier-crayon, le plus souvent individuels et notés.
Dans une pédagogie des situations-problèmes, le rôle de lélève est de simpliquer, de participer à un effort collectif pour réaliser un projet et construire, par la même occasion, de nouvelles compétences. Il a droit aux essais et aux erreurs. Il est invité à faire part de ses doutes, à expliciter ses raisonnements, à prendre conscience de ses façons de comprendre, de mémoriser, de communiquer. On lui demande en quelque sorte, dans le cadre de son métier délève, de devenir un praticien réflexif (Schön, 1983,1987, 1991). On linvite à un exercice constant de métacognition et de métacommunication. Un tel contrat exige davantage de cohérence et de continuité dune classe à la suivante et un effort incessant dexplicitation et dajustement des règles du jeu. Il passe aussi par une rupture avec la compétition et lindividualisme. Ce qui renvoie à limage de la coopération entre adultes et au contraste possible entre la culture professionnelle individualiste des enseignants et linvitation faite aux élèves de travailler ensemble
Une évaluation différente
Cette transformation du contrat didactique suggère déjà que lévaluation formative sintègre presque " naturellement " à la gestion collective des situations-problèmes. La source du feed-back varie : cest parfois le professeur ou un autre élève, mais cest souvent la réalité elle-même qui résiste et dément les pronostics. Lengagement dans un projet conduit inévitablement à travailler sur des objectifs-obstacles, de préférence de façon différenciée, parce que tous les élèves ne sont pas confrontés aux mêmes tâches, parce que tous ne rencontrent pas les mêmes obstacles.
Quant à lévaluation certificative, elle doit inévitablement sexercer dans le cadre de situations-problèmes de même structure que celles qui sincarnent dans les situations denseignement-apprentissage. Dans la mesure où les formes dévaluation certificatives influencent considérablement le travail scolaire quotidien et les stratégies des élèves, il est clair quune évaluation centrée sur des connaissances décontextualisées ruinerait toute approche par compétences. Jacques Tardif (1992) a montré que cest lun des points faibles même dans certaines formations professionnelles de haut niveau (médecins, ingénieurs). Les seuls " examens de compétences " qui vaillent nont guère de rapport un ensemble détudiants peinant simultanément, mais chacun pour soi, sur une tâche papier-crayon standardisée, optimisée pour faciliter les corrections et la notation. Une évaluation à travers des situations-problèmes ne peut être que lobservation individualisée dune conduite complexe, orientée par un projet.
Un moindre cloisonnement disciplinaire
Il est rare de trouver une situation-problème qui alimente un seul apprentissage. Et presque aussi rare que les apprentissages concernés relèvent dune seule discipline. Cela ne conduit pas à condamner les élèves une tiède soupe interdisciplinaire, servie par des moniteurs de colonies de vacances ou autres " gentils organisateurs ". Il faut un ou plusieurs ancrages disciplinaires et une forte réflexion épistémologique pour conduire des projets daction sans sécarter du projet de formation qui donne son sens à lécole. Lobstacle nest pas dans les disciplines, mais dans lusage paresseux des disciplines, sans réflexion sur la matrice de la discipline (Develay, 1992) ou son histoire, sans travail non plus sur les frontières entre disciplines et leur arbitraire ou sur les mécanismes communs que cherchait à identifier Piaget. Un cloisonnement disciplinaire moins rigide exige, paradoxalement, du moins au secondaire, une formation disciplinaire et épistémologique plus pointue des professeurs.
Des savoirs reconstruits au gré des besoins
Une approche par compétences change la place des savoirs dans lenseignement. Plutôt que doccuper tout le terrain, ils deviennent des ressources pour résoudre des problèmes. Mais, dira-t-on, ne faut-il pas anticiper, donc proposer aux élèves de progresser de façon organisée dans le " texte du savoir " ? Nest-ce pas la seule voie daccès à des savoirs cohérents et complets ? Les professeurs habitués à une approche disciplinaire nimaginent pas, en effet, pouvoir " transmettre leur matière " à propos dun problème, alors que toute leur " tradition pédagogique " les conduit à autonomiser lexposé des savoirs et à concevoir les situations de mise en uvre comme de simples exercices de compréhension ou de mémorisation de savoirs décontextualisés.
On touche là à une forme de " révolution culturelle ". Pour quune situation-problème crée le besoin de savoir et le besoin de savoirs, il faut évidemment la concevoir autrement que comme un exercice scolaire classique. Cest ainsi que les facultés de médecine ayant opté pour lapprentissage par problèmes ont pratiquement renoncé aux cours ex cathedra. Dès la première année, le cursus confronte les étudiants à des problèmes cliniques complexes, qui les obligent à aller chercher des informations et des savoirs. La tâche des professeurs nest pas alors dimproviser un cours. Elle porte sur la régulation du processus et, en amont, sur la construction de problèmes de complexité croissante. Là est linvestissement majeur : on voit bien quil renvoie à une autre épistémologie et à une autre représentation de la construction des savoirs dans lesprit humain. Aujourdhui, malgré plus dun siècle de mouvements décole nouvelle et de pédagogies actives, malgré plusieurs décennies dapproches constructivistes, interactionnistes et systémiques en sciences de léducation, les modèles transmissifs et associationnistes conservent leur légitimité et tiennent encore, ici ou là, le haut du pavé.
Les transformations qui affectent le métier délève appellent une autre analyse. Même sils restent à lécole dix à quinze ans de leur vie, les élèves ne font que passer dans une classe, ils progressent dans le cursus et affrontent de nouveaux apprentissages. Ils ne peuvent guère devenir de véritables partenaires dune réforme globale dun ordre denseignement, qui souvent samorce avant leur venue et se développe après leur départ.
Les élèves peuvent, en revanche, en général sans le savoir, rendre difficile la mise en uvre des réformes qui touchent à leur métier. Doù la nécessité danalyser les transformations de la condition et du métier délève induites par une nouvelle politique de léducation. Les résistances des professeurs sont dailleurs en partie liée à lanticipation des résistances ou des stratégies de fuite des élèves. " Ça ne marchera jamais ! " veut dire souvent : " ils " nentreront pas dans un tel contrat didactique, dans une telle redéfinition de leur métier. Lexpérience prouve le contraire : lorsquils sont confrontés à des enseignants qui tentent réellement daccroître, donc de négocier le sens du travail et des savoirs scolaires, les élèves, après une période de scepticisme, sont en général " preneurs " et ils se mobilisent si on leur propose un contrat didactique vraiment respectueux de leur personne et de leur parole. Ils deviennent alors des partenaires actifs et créatifs, qui coopèrent avec lenseignant pour créer de nouvelles situations-problèmes ou à concevoir de nouveaux projets.
Il reste à affronter cette reconversion des postures et des stratégies des élèves. Pour le faire sereinement, il nest pas inutile de mesurer ce que lapproche par compétences leur demande.
Engagement
On ne construit des compétences quen affrontant de vrais obstacles, dans une démarche de projet ou de résolution de problèmes. Or, comme le dit parfois Philippe Meirieu, chacun voudrait savoir, mais pas forcément apprendre. Pour persévérer face à lobstacle plutôt que de le contourner ou de renoncer au projet, il faut plus que la motivation scolaire traditionnelle, mélange de désir de bien faire, de plaire, de ne pas avoir dennuis
La démarche orientée vers la formation de compétence exige de létudiant une beaucoup plus forte implication dans la tâche. Non seulement une présence physique et mentale effective, requise par les autres élèves autant que par lenseignant, mais un investissement impliquant imagination, ingéniosité, suite dans les idées, etc.
Cela modifie considérablement le contrat didactique et interdit à lélève de se replier aussi facilement dans une prudente passivité.
Transparence
Le travail scolaire traditionnel encourage à ne présenter que des résultats, alors que lapproche par compétences rend visibles les processus, les rythmes et les façons de penser et dagir. Lélève est beaucoup moins protégé et le jugement des autres ne porte pas sur son classement en vertu de normes dexcellence abstraites, mais sur sa contribution concrète à lavancement du travail collectif. Le jeu du chat et de la souris qui se jouent traditionnellement entre maîtres et élèves, notamment au moment de lévaluation, na pas de sens dans le cadre dune tâche collective (Perrenoud, 1984).
Coopération
Une approche par compétences ne permet pas de se retirer sous sa tente, même pour bien travailler. Un projet denvergure ou un problème complexe mobilisent dordinaire un groupe, font appel à diverses habiletés, dans le cadre dune division du travail, mais aussi dune coordination des tâches des uns et des autres. Pour certains élèves, cela représente une rupture avec leur façon de vivre lécole et peut-être de se protéger des autres. Limage que donnent les adultes quils côtoient peut affaiblir la crédibilité de lappel à la coopération : " Faites comme je dis "
Ténacité
Les exercices scolaires traditionnels sont des épisodes sans lendemain. Fais ou inachevés, justes ou faux, ils " passent à la trappe " assez vite, pour être remplacés par dautres. Dans une démarche de projet, linvestissement est à plus long terme, on demande aux élèves de ne pas perdre de vue lobjectif et de différer leurs satisfactions jusquà laboutissement final, parfois plusieurs jours ou plusieurs semaines plus tard.
Responsabilité
Alors que les exercices scolaires sont sans conséquences pour autrui, une approche par compétences sattaque à de vrais problèmes, dans la " vraie vie ", et concerne souvent des gens qui nappartiennent pas à la classe, comme destinataires du projet ou personnes-ressources dont la coopération est essentielle. Les pédagogies du projet vont dans ce sens. Lélève prend donc des responsabilités nouvelles vis-à-vis de tiers.
Il en assume aussi à légard de ses camarades, car si on ne peut pas compter sur lui, sil abandonne le navire en cours de route, sil ne fait pas sa part du travail, cela handicape lensemble du groupe. Alors que lélève qui ne fait pas ses exercices ou ses devoirs à domicile ne nuit quà lui-même, lapproche par compétences linsère dans un tissu de solidarités qui limitent sa liberté.
Lapproche par compétences transforme considérablement le métier denseignant et le métier délève, et sans doute les métiers des cadres et des autres professionnels intervenant au collège. Faut-il sétonner que la perspective de telles transformations se heurtent à des résistances ?
Le pire serait de considérer que ce sont des résistances irrationnelles au changement. Elles sont au contraire plusieurs " raisonnables ", si lon admet que la raison est parfois lenvers de laudace :
1. La justification de la réforme nest pas suffisamment explicite ou convaincante.
2. Lapproche par compétences est comprise très diversement et parfois pas comprise du tout.
3. Lorsque ce quon comprend apparaît très proche, avec dautres mots, de ce quon fait déjà, on se dit " Beaucoup de bruit pour rien ".
4. Lorsquau contraire cela semble une révolution, on demande à voir la preuve que cest plus efficace. Or, cette preuve est souvent discutable et fragile, des expériences à petite échelle nemportent pas ladhésion.
5. Les conditions de faisabilité optimale apparaissent rarement toutes réunies : information, formation, temps, moyens matériels et pédagogiques, bonne volonté des usagers, continuité des politiques publiques.
6. Il est rare que la majorité des enseignants se soit sentie consultée et associée au processus de décision.
En réalité, toute réforme importante est un pari quil vaut mieux prendre et assumer collectivement, en prenant solidairement des risques raisonnables. Ensemble ne signifie pas que tous les enseignants et tous les cadres seront convaincus. Il suffit dune courte majorité, voire dune minorité assez large et dispersée pour entraîner le système. Il est inévitable que tout changement divise lopinion, aussi bien dans le public que dans la communauté professionnelle. Il est très difficile dassocier à la genèse dune réforme cette importante fraction du corps enseignant qui se désintéresse de la politique de léducation aussi longtemps quon nen perçoit pas les incidences sur lexistence quotidienne.
Il est donc normal que le projet soit dabord reçu comme une utopie, une folie, un gadget, une fantaisie ministérielle, un rêve de technocrate, un coup dépée dans leau ou toute autre qualification aussi élogieuse Le véritable travail dinnovation commence à ce moment, Or, la meilleure façon de ne pas lentreprendre est de considérer les résistances comme irrationnelles, soit pour les ignorer, soit pour réexpliquer à linfini que tout va bien, que la réforme est bien pensée et a réponse à tout. Il importe au contraire de collectiviser lincertitude, de reconnaître les limites de toute programmation du changement et dinviter les gens de bonne foi, ceux qui veulent le progrès de lécole, à participer à la régulation du processus. Pour cela, il faut naturellement leur faire une place et accepter de renégocier une partie des orientations, des modalités, du calendrier. Les initiateurs dune réforme doivent alors suivre un chemin de crête : à trop défendre leur premier projet, ils rejettent dans le camp des adversaires des alliés potentiels, daccord sur les grandes lignes mais qui souhaitent sapproprier le projet, y mettre leurs mots et leurs préoccupations ; à trop ouvrir le projet, on court le risque inverse : la réforme obtient une large adhésion, mais perd sa cohérence et sa force
Le plus difficile nest pas de composer avec les idéologies des uns et des autres. Cest de travailler sur les véritables résistances au changement, tout aussi rationnelles, mais moins avouables. La rationalité nest plus alors celle du progrès du système, mais celle de léquilibre de chacun dans le système. Il est difficile de dire tranquillement quon soppose à une réforme parce quelle vous complique la vie, vous donne trop de travail, met en évidence vos zones dincompétence, menace le fragile équilibre construit avec les élèves ou les collègues, vous oblige à des deuils insupportables, vous éloigne de vos raisons denseigner, vous met en défaut ou ranime vos vieilles angoisses des débuts. Cest pourtant ce quil faudrait oser et pouvoir dire, pour travailler à partir de ces réactions très raisonnables. Nul nest assez fou pour contribuer à un changement qui le met en difficulté ?
Il ny a pas de recette pour cette phase dune réforme, sinon le " parler vrai ", le renoncement à utiliser contre lautre tout ce quil dira de sincère, qui lexpose au jugement dautrui. Nier les transformations du métier denseignant, les minimiser ou en appeler simplement au professionnalisme pour les assumer avec le sourire, voilà qui nest pas à la hauteur du défi et renvoie chacun à son for (ou son fort ?) intérieur. Je ne puis ici développer une stratégie de changement convenant spécifiquement à la réforme du collégial au Québec, mais seulement rappeler quelques idées simples, valables plus largement :
a. On ne change pas très vite, il faut prendre le temps nécessaire au changement des attitudes, des représentations, des pratiques.
b. On ne change pas tout seul, il faut entrer dans une démarche collective.
c. On ne change pas sans ambivalences ni conflits.
d. On ne change pas dans la peur ou la souffrance, pas plus que dans lindifférence.
On le voit, toute réforme sappuie sur un état du processus de professionnalisation et peut y contribuer, ou au contraire le faire régresser, selon lattitude des réformateurs.
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