Source et copyright à la fin du texte

 

In Éduquer & Former, Théories et Pratiques, (Bruxelles), juin 1996, n° 5-6, pp. 3-30.

 

 

 

Lorsque le sage montre la lune…
l’imbécile regarde le doigt
De la critique du redoublement à la lutte contre l’échec scolaire

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1996

Sommaire

1. Les critiques des chercheurs

2. Les ambivalences des enseignants

3. L’introuvable consensus sur la définition de l’échec

4. Inégalités réelles et politiques de démocratisation

5. Et le Ministre, dans tout ça ?

Références


Le bien-fondé du redoublement est périodiquement discuté dans les systèmes scolaires qui le pratiquent encore. Chaque fois que le débat reprend, le risque est, à nouveau, de se centrer sur les symptômes plutôt que sur les causes profondes. L’exemple genevois est éloquent. Au cours des années 1960, les travaux de Roller et d’Haramein (1961) et d’Haramein (1985), au Service de la recherche pédagogique, puis ceux du Service de la recherche sociologique (notamment Bartholdi, 1970 ; Petitat, 1971), ont attiré l’attention sur l’importance du retard scolaire dans l’enseignement primaire genevois. Cette prise de conscience a suscité une baisse sensible des taux de redoublement et donné le coup d’envoi d’une politique plus active de lutte contre le redoublement, qui a conduit au développement du soutien pédagogique et à de premières expériences de différenciation de l’enseignement. La Genève pédagogique s’est alors installée dans la douce illusion qu’elle luttait efficacement contre l’inégalité devant l’école. Or, en 1993, Hutmacher, à partir d’une étude des taux de redoublement, montrait 1. qu’ils tendaient, globalement, à croître à nouveau ; 2. que les écarts se creusaient entre favorisés et défavorisés. Ce constat a suscité un vaste débat, qui n’est pas clos et qui a notamment donné lieu à un Forum réunissant plusieurs centaines d’enseignants et de cadres de l’école primaire. Un an plus tard, une rénovation de l’enseignement primaire a été mise en chantier, dans le sens des cycles d’apprentissage, donc à terme d’une suppression du redoublement. Trente ans pour en arriver là, sans être sûr pour autant de faire mieux que d’agir sur les signes extérieurs de l’inégalité.

En luttant contre le redoublement, aura-t-on pour autant lutté contre l’échec ? Hutmacher (1993) le dit très clairement : le redoublement n’est qu’un indicateur - incertain - des inégalités d’apprentissage. Or, jeter le thermomètre n’a jamais fait tomber la fièvre. La suppression du redoublement est une mesure nécessaire, mais pas suffisante, et que toute solution alternative ne vaudra que par sa capacité à atténuer les disparités effectives d’apprentissage. La démocratisation des études se joue sur les acquis réels des générations successives et donc sur les moyens que se donnent les systèmes éducatifs de développer, en lieu et place du redoublement, une véritable individualisation des parcours de formation, fondée sur une organisation scolaire et des didactiques qui permettent une réelle différenciation de l’enseignement, des suivis sur l’ensemble d’un cycle d’étude, une évaluation formative, des méthodes actives dans toutes les classes.

On ne peut cependant escamoter le débat sur le redoublement dans les systèmes scolaires où il paraît encore être la réponse adéquate à l’hétérogénéité des capacités d’apprentissage et des acquis des élèves. De nombreux pédagogues, de nombreux chercheurs en éducation ont plaidé et plaident aujourd’hui avec conviction pour sa suppression pure et simple. Pourquoi ne sont-ils pas entendus, en dépit des travaux comparatifs qui leur donnent raison, en dépit de l’expérience des systèmes éducatifs qui ont renoncé apparemment sans dommages à une telle mesure ? Parce que le débat mobilise des représentations contrastées, ancrées elles-mêmes dans des visions différentes du savoir et de l’inégalité, dans des cultures nationales et régionales qui ne donnent pas le même sens à l’excellence, dans des cultures professionnelles qui préparent diversement à affronter les différences.


1. Les critiques des chercheurs

Dans les pays qui l’ont supprimé depuis longtemps, le redoublement semble aussi archaïque et cruel que les supplices médiévaux ou les remèdes des médecins de Molière et on y a quelque peine à imaginer qu’il existe des pays développés où on le pratique encore… Au contraire, dans ces derniers, le redoublement apparaît, aux yeux de la majorité des enseignants, et d’une bonne partie des parents, des élèves, des responsables scolaires et des leaders d’opinion, une mesure de bon sens, entre mal nécessaire et mesure bénéfique ; certains le défendent même comme un " droit " inaliénable des élèves ou des familles. À l’échelle sociétal, le redoublement est parfois présenté comme un garant du niveau de l’enseignement et de la compétitivité du système éducatif. Le débat porte éventuellement sur l’ampleur du redoublement, ses critères, sa probabilité plus forte dans certains degrés, ses fluctuations au cours du temps, sa fréquence inégale selon le sexe, l’appartenance de classe ou l’origine nationale. Dans son principe, il apparaît globalement légitime, quand bien même il a partout ses détracteurs. Lorsqu’un élève, parvenu au terme d’une année scolaire, ne manifeste pas une maîtrise suffisante du programme, dans notre société, une majorité d’enseignants, de parents, de responsables politiques trouve " normal " de l’inviter ou de le contraindre à redoubler.

Nul ne songe pour autant à nier qu’un redoublement soit, dans la vie d’un élève et de sa famille, un événement singulier, souvent lourd de sens. Comment nier qu’il soit difficile, pour un enfant ou un adolescent, alors que ses camarades plus heureux poursuivent leur progression dans le cursus, de se sentir en échec et, pour cette raison, de quitter son groupe pour se retrouver avec de plus jeunes. C’est dur, disent certains, mais n’est-ce pas la vie même, où chacun paye la rançon d’un manque de maturité, de travail ou d’aptitudes ? Dans une culture qui justifie globalement le redoublement, il ne suffit pas d’insister sur la souffrance des enfants et des familles, sur l’aspect humain. Il faut des arguments moins sentimentaux.

Le temps perdu est-il déterminant ? Chaque année supplémentaire de scolarité coûte cher à la collectivité, ce qui incite parfois les gouvernements à limiter les taux de redoublement pour des raisons purement budgétaires. Ce critère n’est toutefois pas décisif : la dépense pourrait se justifier si elle améliorait en proportion le niveau global d’instruction et les chances des moins favorisés. Ajouter, à une scolarité qui en compte dix ou vingt, un ou deux ans d’études n’est pas déraisonnable, si c’est pour mieux atteindre les objectifs de la formation. D’autant plus que, lorsque le chômage des jeunes s’accroît, les systèmes éducatifs tendent plutôt à les retenir, au besoin en allongeant la scolarité obligatoire ou en créant des formations postobligatoires nouvelles. Pousser les jeunes à se présenter le plus vite possible sur le marché du travail n’est plus une priorité lorsque l’emploi se fait rare.

Qu’en est-il du temps de redoublement dans la vie des élèves eux-mêmes ? Mettre un an de plus ou de moins pour acquérir une formation scolaire de base, est-ce un drame ? Dans toutes les entreprises humaines complexes, on sait qu’il faudra parfois, pour atteindre le but, mettre plus de temps qu’on ne prévoyait, et que certaines opérations devront être recommencées. On peut, certes, insister sur le coût du redoublement pour la personne, mais la vraie question est de savoir si le jeu en vaut la chandelle. Lorsqu’on tourne un film, lorsqu’on conduit une recherche, lorsqu’on construit un édifice, il apparaît en général plus rationnel d’aller jusqu’au bout de l’entreprise, même lorsqu’elle exige plus de temps que prévu, plutôt que d’y renoncer en laissant l’œuvre inachevée et donc largement ou totalement inutile. L’abandon survient lorsque le supplément de temps et de dépenses devient prohibitif en regard des résultats attendus. Durant les études secondaires, les années de réorientation ne sont pas rares, et la pratique d’une année d’interruption &endash; voyage, travail, service militaire &endash; n’est pas exceptionnelle. Lorsque la formation initiale dure quinze ans ou davantage, lorsque les sociétés sont incapables d’offrir du travail à tous, est-ce qu’une année de plus ou de moins fait une grande différence dans la vie des jeunes ?

Enfin, nul ne soutient que tous les enfants sont capables d’apprendre la même chose dans le même temps. Que les parcours scolaires soient de longueur variable n’est donc pas en soi un scandale. Les critiques du redoublement se fondent sur son inefficacité, alors que ceux qui veulent le maintenir le trouvent utile et, surtout, ne voient pas comment s’en passer.

Le redoublement est inutile

Qu’y a-t-il de plus abstrait qu’un " taux de redoublement ", défini comme le pourcentage des élèves d’un degré qui redoublent ? Cette abstraction est néanmoins nécessaire pour suivre l’évolution du redoublement au cours du temps et ses variations d’un degré ou d’une filière à l’autre, ou encore pour comparer les degrés équivalents de systèmes éducatifs différents.

 C’est ainsi que l’on peut comparer quelques pays d’Europe :

Taux de redoublement au primaire dans quelques pays européens

Pays
% au 1er degré
% au 4ème degré

Allemagne
1
1

Italie
1
1

Espagne
1
2

Pologne
2
3

Tchécoslovaquie
3
1

Pays-Bas
4
1

Roumanie
4
1

Bulgarie
4
4

Hongrie
5
3

France
8
4

Portugal
19
11

Source : S. Gajraj, Statistical Issues. Primary Education : Repetition, UNESCO, Division of Statistics, November 1991 (cité par Crahay, 1992).

Dans les pays qui connaissent plusieurs régimes scolaires, un taux national n’a guère de sens. Crahay (1992) montre qu’en Belgique, le redoublement est nettement moins fréquent dans la Communauté flamande. Les travaux des chercheurs belges donnent, pour la Communauté française de Belgique, des chiffres proches de la France, juste avant le Portugal, qui a les taux les plus élevés d’Europe. En Suisse, le taux de redoublement varie selon les cantons. À Genève, pour l’année scolaire 1992-93, il était de 4.4 % en première primaire, de 2.9 % en quatrième primaire (respectivement 5.4 % et 3.6 % si l’on regroupe redoublement et transfert dans l’enseignement spécialisé)*.

Que conclure de tels chiffres ? Au minimum que le redoublement n’est pas une mesure naturelle : dans certains pays il apparaît " normal " de faire redoubler, en moyenne, un à deux élèves sur vingt, d’autres trouvent tout aussi " normal " de maintenir ce taux à hauteur de 1-2 %, alors que dans les pays scandinaves et en Grande-Bretagne, il semble " normal " de ne pas faire redoubler du tout. Lorsque la " normalité " varie aussi spectaculairement, on peut conclure que le redoublement est une construction sociale qui en dit plus long sur le système éducatif et les mentalités que sur le développement et le niveau scolaire " objectifs " des enfants de sept ou onze ans. Qui pourrait croire en effet que les jeunes Portugais, les jeunes Français, les jeunes Belges francophones sont moins capables d’apprendre que les jeunes Italiens, les jeunes Scandinaves ou les jeunes Belges néerlandophones ? Chaque système national ou régional fabrique sa propre norme. Il la protège en ignorant la réalité des autres ou, lorsqu’il ne peut la méconnaître, en prétendant que " comparaison n’est pas raison ". Ainsi, l’expérience des pays qui vivent sans redoublement reste-t-elle peu connue de ceux qui le considèrent comme une nécessité. Chacun trouve facilement quelques arguments pour ne pas se sentir mis en question par la " normalité " des autres : autres mentalités, autres finalités, autres exigences… Les travaux de recherche qui plaident pour la suppression du redoublement ne sont guère mieux entendus.

Ces travaux montrent pourtant &endash; voir la revue de Crahay (1992) &endash; que les effets bénéfiques du redoublement sont très minces, sans commune mesure avec son coût humain et financier. Les enquêtes internationales ne donnent aucune raison de penser que les systèmes scolaire pratiquant massivement le redoublement envoient davantage d’élèves vers les études longues ou assurent globalement un meilleur niveau moyen de formation des générations scolarisées. Ni le niveau moyen d’instruction, ni la formation des élites ne se sont dégradés dans les systèmes qui ne pratiquent pas le redoublement ou ne l’autorisent qu’exceptionnellement, avec des taux inférieurs à 1 %. Les recherches longitudinales montrent également que les élèves qui redoublent au primaire restent des élèves en difficulté et ont moins de chances que les autres d’être admis dans les filières exigeantes du secondaire. Contrairement à ce qu’on entend parfois, le redoublement précoce n’est pas plus efficace (Allal et Schubauer-Leoni, 1991).

Certes, cela ne prouve pas que le redoublement " ne sert à rien ". Les personnes soignées pour une maladie grave restent souvent membres d’un " groupe à hauts risques " ; on ne peut en conclure à l’inutilité du traitement, car sans intervention médicale, leur sort eût sans doute été moins enviable encore. On peut donc soutenir que le redoublement améliore les choses, même s’il ne restaure pas l’égalité. Pour le savoir, il faudrait conduire une expérience simple, mais difficilement généralisable, pour des raisons éthiques évidentes : parmi les élèves que les procédures courantes du système conduiraient normalement à répéter une année, il suffirait de n’en faire redoubler qu’un sur deux, au hasard. On verrait bien alors s’il y a une différence, " toutes choses égales d’ailleurs ", tant dans les acquisitions que dans l’image de soi. Les rares " expériences " disponibles &endash; anciennes &endash; suggèrent qu’il n’y a aucun gain substantiel.

Les données démontrent en tout cas que le redoublement rétablit rarement une situation d’égalité des chances : l’élève qui a redoublé reste souvent plus exposé que les autres à de nouvelles difficultés scolaires. Ce qui n’est pas étonnant : en proposant " plus du même ", on ne s’attaque pas aux causes profondes de l’échec, qui produisent à nouveau les mêmes effets. Même s’il permet une mise à niveau, le redoublement contribue à forger une identité de mauvais élève, " pas fait pour les études ", aussi bien dans l’esprit de l’intéressé qu’aux yeux de son entourage, de ceux qui le conseillent ou décident de son sort. À Genève, l’orientation au seuil du secondaire est dans une très large mesure négociée, le système accorde assez libéralement des dérogations aux élèves dont les notes de sixième primaire ne permettent pas en principe l’accès aux études longues. Le retard scolaire est alors un handicap sérieux, car les quelques dixièmes qui manquent pour accéder " normalement " à une filière n’ont pas le même sens si l’élève est " à l’heure " ou s’il a redoublé (Hutmacher, 1993) : à résultats scolaires égaux, les aptitudes à réussir dans la suite du cursus semblent, toutes choses égales, diminuer en proportion inverse de l’âge de l’élève.

Le redoublement est injuste et démobilisateur

La recherche en éducation montre également que la décision de redoublement est une mesure fort aléatoire lorsqu’elle est prise par chaque enseignant sur la base de ses propres normes d’excellence, sans procédure de modération de son évaluation à l’échelle du système. Le redoublement dépend d’un seuil dont la détermination est largement arbitraire : on pourrait enseigner n’importe quoi à une classe composée de titulaires du prix Nobel et en faire redoubler un ou deux ; il suffirait de mettre la barre assez haut. Les fameuses dictées de Bernard Pivot fabriquent de spectaculaires hiérarchies d’excellence entre des gens qui maîtrisent tous fort bien l’orthographe. C’est ce que j’ai appelé la fabrication de l’excellence scolaire (Perrenoud, 1995 a). En élevant ou abaissant ses exigence, le maître peut choisir de faire redoubler un, trois ou cinq élèves sur vingt ; il lui suffit de manipuler plus ou moins sciemment les normes d’excellence et les barèmes. C’est ainsi que chaque établissement a sa propre politique de sélection et que chaque professeur jouit à son tour d’une certaine latitude pour fixer ses exigences. Il ne se sert pas de cette liberté pour faire n’importe quoi, mais plutôt pour se conformer aux normes non écrites du milieu professionnel ou de l’établissement. La variation des taux de redoublement est en effet beaucoup plus faible que celle qu’on pourrait attendre des variations dans la composition et le niveau réel des classes. Les enseignants s’arrangent pour ne pas faire doubler trop d’élèves. Certains s’arrangent aussi, bon an mal an, ou un an sur deux, pour en faire doubler au moins un, ce qui n’est pas très compliqué, puisque, dans toute classe de vingt élèves, on en trouve toujours qui ont plus de difficultés que les autres. On peut donc, dans une certaine mesure, faire redoubler ou promouvoir les élèves indépendamment de leur niveau réel de connaissance. La décision n’est pas prise en fonction d’un seuil absolu de maîtrise, mais d’un classement. Les travaux de Grisay (1982, 1984, 1986, 1988) montrent que la disparité des niveaux d’exigence produit des décisions de redoublement ou de promotion qui seraient fort différentes si on substituait à l’évaluation de l’enseignant un test national standardisé, en conservant le même taux national.

Si le redoublement provoque la critique des mouvements pédagogiques, des enseignants acquis à la démocratisation et des chercheurs en éducation, c’est aussi parce qu’il engendre, souvent, plus qu’un sentiment passager d’échec ; il inflige à beaucoup, sinon à tous, une profonde blessure narcissique &endash; perte de confiance en soi, sentiment de dévalorisation ou d’impuissance &endash; même lorsque l’école &endash; est-ce toujours le cas ? &endash; s’efforce de le dédramatiser, de l’humaniser. Cet effet va à l’encontre même des capacités d’apprentissage et conduit l’enfant ou l’adolescent à restreindre ses ambitions et à intérioriser durablement le sentiment de ses limites.

Aux yeux de ses détracteurs, le redoublement n’apparaît donc ni efficace, ni équitable, ni humain, alors qu’il coûte cher, puisqu’il multiplie les années de scolarité, et laisse des " bleus à l’âme ". Les chercheurs en éducation soutiennent donc presque tous qu’on peut renoncer au redoublement ou le réduire fortement sans mettre en danger l’efficacité du système. Ce sont eux, d’ailleurs, qui ont pesé dans ce sens dans les pays où il a été supprimé ou drastiquement limité. Comme le souligne Crahay, lorsqu’on a compris, en médecine, que la saignée faisait plus de mal que de bien, on l’a supprimée sans trouver immédiatement un traitement positif de l’anémie. En pédagogie, alors que le redoublement apparaît au mieux inutilement coûteux, au pire destructeur, il reste néanmoins, dans certains systèmes scolaires, une sorte de " vache sacrée ". Pourquoi ?

 


2. Les ambivalences des enseignants

Que disent les enseignants ? Peu d’entre eux s’expriment spontanément sur ce thème et il est difficile de dire s’ils sont représentatifs de la profession. Mieux vaut donc les interroger par sondage. Une recherche de Pini (1991), conduite à Genève auprès d’une centaine d’enseignants primaires, montre que beaucoup pensent que le redoublement est un mal nécessaire, voire une mesure positive, favorable à l’élève.

Un mal nécessaire

Voici dans quelles proportions les enseignants primaires genevois adhèrent aux affirmations suivantes :

Affirmation
Sont d’accord

Certains élèves ont besoin d’une année supplémentaire : cela leur permet de mûrir et de mieux se préparer à affronter les difficultés de leur scolarité future

97 %

Pour l’élève qui redouble, le fait qu’il pourra parcourir une deuxième fois la totalité du programme est en général bénéfique

87 %

Trop souvent, le redoublement a des effets préjudiciables sur la scolarité ultérieure de l’élève

16 %

Il est rare que le redoublement d’une classe soit vraiment profitable pour l’élève

27 %

Une partie seulement des personnes interrogées expriment un sentiment de malaise ou de culpabilité :

Affirmation
Sont d’accord
Je n’ai pas l’impression de vivre le redoublement d’un élève comme un échec de mon enseignement
72 %
La décision de faire doubler un élève me laisse avec un sentiment de culpabilité et de malaise
41 %

On voit que tous ne se sentent pas mis en question par le redoublement, loin de là, et que beaucoup pensent que le redoublement est simple affaire de réalisme :

Affirmation
Sont d’accord
Les moyens proposés par les spécialistes de l’éducation pour éviter le redoublement sont peu réalistes et difficilement applicables
85 %
En s’y prenant de façon adéquate, l’enseignant devrait pouvoir éviter la plupart des redoublements au cours de l’école primaire
35 %

Nombre d’enseignants ne pensent pas que le redoublement est dramatique :

Affirmation
Sont d’accord
Le redoublement ne fait qu’accroître le désavantage des élèves qui sont déjà défavorisés en raison de leur origine sociale ou culturelle
31 %
On a eu tendance à exagérer le rôle négatif du redoublement. Au cours de l’école primaire, le redoublement est rarement vécu par l’élève comme un échec
48 %

Et ils ne pensent pas qu’on pourrait s’en passer :

Affirmation
Sont d’accord
Le redoublement est généralement inutile puisque la plupart des lacunes peuvent être rattrapées au cours de l’année suivante
11 %
Vis-à-vis du collègue qui recevra ma classe l’année suivante, je n’ai pas le droit de promouvoir un élève qui présente des lacunes importantes
71 %

Pini conclut :

En tant que recours ultime face à des situations d’une certaine gravité, le redoublement apparaît aux instituteurs genevois comme une mesure pour le moins acceptable. À cela, trois sortes de raisons.

Sur le plan scolaire et pédagogique, ses effets sont jugés le plus souvent bénéfiques pour l’élève confronté à des difficultés d’apprentissage importantes (mieux se préparer aux difficultés de la scolarité future, parcourir une deuxième fois la totalité du programme). Ensuite, par rapport au fonctionnement actuel (rattrapage impossible au cours de l’année suivante) et face à l’absence d’alternatives réellement crédibles (organisation différente de l’enseignement ou, plus généralement, mesures proposées par les spécialistes de l’éducation), l’enseignant paraît confronté à une situation où la liberté de choix ne lui est pas véritablement donnée. Enfin, acceptable, le redoublement l’est également parce que ses répercussions négatives semblent en définitive d’ampleur limitée : tant sur le plan psychologique (confiance dans ses propres moyens) qu’en ce qui concerne la scolarité ultérieure de l’élève en situation de désavantage social (Pini, 1991, p. 266).

Une telle enquête a été renouvelée auprès d’autres enseignants, dans d’autres systèmes éducatifs pratiquant couramment le redoublement. Les tendances sont les mêmes. Je résisterai cependant à l’idée que la majorité des enseignants adhérent sans hésitation au principe du redoublement. Il constitue clairement, pour une fraction d’entre eux, une source inépuisable de doutes et de culpabilités, un problème qui prend du temps et de l’énergie, qui oblige à peser le pour et le contre, à négocier, à faire ce qu’il faut pour se couvrir une fois la décision prise, à gérer la dissonance entre ce qu’on voudrait et ce qu’on doit faire. Paradoxalement, l’inconfort peut être d’autant plus grand que le redoublement est marginal : lorsqu’il s’agit d’un élève sur vingt, on le traite comme un cas, on réfléchit, on discute. Lorsqu’on fait échouer 50 ou 70 % d’une volée, comme dans certaines années propédeutiques de l’enseignement postobligatoire ou universitaire, une machine impersonnelle assume la décision. Un QCM, un total de points et un barème identifient presque automatiquement ceux qui réussissent et ceux qui échouent à l’examen annuel. C’est encore mieux si l’ordinateur envoie lui-même la lettre annonçant la mauvaise nouvelle ! Entre ces extrêmes, on trouve certains degrés de l’école obligatoire où le taux de redoublement se situe entre 10 et 25 %. Trop pour qu’on se préoccupe de chacun comme d’un cas singulier, trop peu pour qu’on puisse se protéger derrière une machinerie…

À la diversité des situations &endash; selon le niveau du cursus, la filière, les enjeux, les conséquences pratiques du redoublement &endash; il faut ajouter les variations entre enseignants : les uns font redoubler sans états d’âme, alors que d’autres, devant la même situation, vivent à chaque fois un cas de conscience. Au total, l’école et les gens d’école n’en sortent pas indemnes, le redoublement n’est pas bien vécu, on n’a pas facilement la conscience tranquille, surtout en un temps où les parents, l’opinion, la classe politique ne se gênent plus pour mettre en doute l’efficacité de l’école.

Comment expliquer alors que les enseignants ne pensent pas pouvoir se passer du redoublement alors qu’il fait mal à beaucoup d’entre eux ? Comment en arrivent-ils à défendre un droit au redoublement, à le présenter de bonne foi comme une mesure en faveur de celui qui la subit ? Aussi longtemps qu’on n’a pas compris les raisons de cet attachement, on peut bien continuer à dénoncer les taux de redoublement ou leur aggravation. On parle dans le désert. Je vais tenter de montrer que le redoublement paraît un moindre mal aussi longtemps qu’on ne voit pas que mettre à la place ou que les alternatives paraissent trop coûteuses pour le système ou pour les professionnels.

Division du travail pédagogique et justification

Les parents ne sont favorables au redoublement de leur propre enfant que dans deux cas de figures : 1. l’école parvient à les convaincre que c’est dans son intérêt ; 2. ils demandent le redoublement parce qu’ils pensent que cela accroîtra les chances d’une orientation plus favorable en aval. Au plan général, seuls tiennent vraiment au redoublement les parents qui n’ont rien à craindre pour leurs enfants et qui dénoncent le danger d’une " baisse du niveau ".

En marge du dialogue entre les familles et l’école, il y a l’ensemble des enjeux internes au système éducatif. Le cursus divisé en degrés successifs de programme induit une " division verticale " du travail pédagogique : les enseignants se succèdent, en quelque sorte, " au chevet " de l’élève, pour un, deux, parfois trois ans ; chacun promet de " faire sa part " dans la réalisation de l’intention d’instruire. S’il n’y arrive pas, que faire ? La possibilité d’un redoublement ou d’une relégation dans une filière spécialisée ne répond que partiellement au problème. Parmi les élèves qu’on fait progresser dans le cursus, certains sont loin de maîtriser l’essentiel du programme.

Chaque enseignant ou presque se dit " Mes collègues, qui accueilleront mes élèves au degré suivant, s’attendent à pouvoir partir de certains acquis. Leur envoyer des élèves qui ne leur paraîtront pas de niveau suffisant, c’est m’exposer, à travers eux, à être jugé peu efficace. De qui aurais-je l’air s’ils estiment que mes élèves n’ont pas le niveau, qu’ils sont mal préparés, voire qu’ils ne sont pas à leur place ? " Face à cette interrogation, un enseignant très solide (ou au contraire très fragile…) peut se mettre soi-même en cause, reconnaître qu’il aurait pu mieux faire, qu’il s’y est mal pris faute de compétences, d’intelligence, de motivation, d’intuition, d’expérience, de sensibilité, de réalisme dans la planification de l’année… Ou encore faute de sympathie, d’intérêt pour certains élèves, faute d’une certaine connivence sans laquelle le rapport pédagogique reste dénué d’humanité et de sens. Ce discours demanderait un courage et peut-être un masochisme peu communs. Il est extrêmement difficile de prendre constamment sur soi sans perdre peu à peu courage et sans tendre les verges pour se faire battre. Il est donc très humain de chercher, systématiquement ou occasionnellement, à rejeter la responsabilité de l’échec scolaire sur d’autres facteurs ou d’autres personnes :

  1. On incrimine des circonstances exceptionnelles (classe chargée ou " impossible ", événements &endash; crises, conflits, accidents &endash; qui ont empêché de travailler, santé défaillante, déprime, longue absence du titulaire " mal remplacé ").
  2. On accuse des déficiences structurelles du système (formation ou encadrement des maîtres, programmes, moyens d’enseignement, horaires, locaux, degrés, effectifs des classes, disponibilité d’un soutien).
  3. On se plaint soi-même du niveau initial des élèves, donc du travail fait " en amont ", par la famille, par l’école maternelle, puis par les collègues qui sont intervenus " en amont " durant les années précédentes. Ou on met en question les éventuelles procédures de sélection ou d’orientation qui décident de la composition d’une classe.
  4. On rejette la responsabilité sur les élèves (qui ont atteint leurs limites, ne se prennent pas en charge, ne travaillent pas, etc.) ou sur leurs parents (qui démissionnent, ne contrôlent pas les devoirs, ne font pas pression pour que leurs enfants travaillent, donnent des excuses complaisantes, ne s’intéressent pas au travail scolaire, ne viennent pas aux réunions, etc.).

On peut jouer de ces quatre registres. Certes, personne n’est complètement dupe des justifications qu’il donne et elles ne sont pas nécessairement acceptées par autrui. Dans ce domaine, les enseignants savent cependant qu’ils peuvent en général compter sur une certaine solidarité de leurs collègues : les professionnels n’ont pas intérêt à se jeter mutuellement la pierre, ils se mettent donc souvent d’accord pour attribuer l’échec à d’autres acteurs ou facteurs. Même lorsqu’on sait que tel ou tel collègue " fabrique de l’échec ", on censure le fond de sa pensée, on préfère ne pas ouvrir un conflit avec une personne qu’on côtoie tous les jours.

Redoublement et réputation

On a quelque indulgence pour un enseignant qui ne parvient pas à instruire tous ses élèves. On lui pardonne beaucoup moins d’envoyer au degré supérieur des cas " désespérés ". À lui, par conséquent, de recourir au redoublement à bon escient. Tout se passe comme si, devant une impuissance collective, chacun devait prendre sa juste part du " sale boulot ", qui consiste à faire échouer. Celui qui n’assume pas cette tâche ingrate place ses successeurs devant une mission plus impossible encore. C’est pourquoi nul enseignant ne peut prendre régulièrement le risque de faire progresser au degré suivant plusieurs élèves qui n’ont manifestement pas le niveau attendu par ses collègues, du moins sans une négociation avec eux, qui suppose une forme de travail d’équipe. Chacun navigue donc au plus près entre divers écueils : à trop intérioriser les attentes des collègues, on dévalorise son propre travail ; à trop les ignorer, on nuit à sa réputation dans l’école et aux yeux des parents.

71 % des instituteurs genevois interrogés par Pini disent : " Vis-à-vis du collègue qui recevra ma classe l’année suivante, je n’ai pas le droit de promouvoir un élève qui présente des lacunes importantes. " Est-ce le droit ou le courage qui leur manque ? En choisissant de ne pas faire progresser dans le cursus un élève qui n’atteint pas un seuil de maîtrise suffisant, on se retrouve devant un autre dilemme : le remède ne sera-t-il pas pire que le mal ? Entre le risque d’être accusé de laxisme et le risque d’être suspect d’élitisme et de sévérité excessive, comment choisir ? Entre le risque de pénaliser certains élèves en les faisant redoubler et d’en envoyer d’autre à l’échec plus grave en ne les faisant pas redoubler, comment choisir ? Entre le risque de prendre une mauvaise décision pédagogique et celui d’entacher sa réputation professionnelle, comment choisir ?

On pourrait répondre que le seuil est défini " objectivement " par l’impossibilité d’accéder au degré supérieur sans maîtriser ses " prérequis ". Hutmacher (1992) montre que ce facteur n’est pas déterminant : dans l’école primaire genevoise, lorsque l’enseignant " suit ses élèves ", autrement dit garde sa classe l’année suivante, le redoublement disparaît ! C’est donc qu’il n’est pas impossible de travailler avec un ou deux élèves en grande difficulté. D’ailleurs, 64 % des instituteurs genevois pensent que " L’élève qui est promu sans avoir atteint un niveau de maîtrise satisfaisant ne perturbe pas forcément le travail de la classe à laquelle il sera affecté ". Ils n’osent tout simplement pas attendre de leur collègue un tel optimisme.


3. L’introuvable consensus sur la définition de l’échec

Alors que, pour les chercheurs, le redoublement ne sert à rien, les enseignants sont donc, pour des raisons compréhensibles, beaucoup plus hésitants. Les divergences d’intérêts et de stratégies ne sont pas seules en cause. On ne peut concevoir l’échec de la même façon selon qu’on se trouve confronté à des situations singulières ou qu’on raisonne à large échelle. C’est l’une des causes du divorce entre représentations des enseignants et représentations des chercheurs, qui travaillent de façon comparative.

Pini met en cause la légèreté du discours des sciences de l’éducation ou des mouvements pédagogiques qui dénoncent le redoublement en ignorant la situation concrète des praticiens confrontés à des élèves, des parents et collègues en chair et en os. Et il montre que leur scepticisme à l’égard des beaux discours s’ancre dans une forme de réalisme : " A ma place, vous en feriez autant ! "

Le divorce est-il fatal ? Manifestement, il ne suffit pas, pour emporter la conviction des enseignants, d’accumuler les données statistiques démontrant que le redoublement ne sert à rien ou n’est pas équitable. Sans doute parce les raisonnements sont fondées sur des données difficilement comparables et font appel à des méthodes complexes, compte tenu de la disparité des indicateurs, des conventions statistiques nationales, des périodes d’observation. Le poids de l’expérience et des exemples vécus est sans commune mesure avec la force abstraite des statistiques. La loterie et d’autres jeux de hasard péricliteraient si les gens croyaient aux probabilités ! Sans doute serait-il, pour faire changer les représentations et les attitudes, plus efficace d’envoyer les enseignants sceptiques enseigner un an ou deux dans un système scolaire qui a proscrit le redoublement. Même si une telle expérience était possible, et démontrait que les bénéfices du redoublement sont faibles en regard de ses coûts, convaincrait-elle les praticiens ? On peut en douter. La racine du problème est ailleurs : dans une culture donnée, à un moment donné de l’histoire d’un système éducatif, beaucoup d’enseignants ne voient pas comment on pourrait se passer du redoublement, n’imaginent aucune alternative praticable face aux cas d’élèves en grande difficulté dont ils ont la charge, compte tenu des attentes de leurs collègues.

Échec et redoublement

On ne pourra avancer sans prendre le problème à un autre niveau, celui des politiques de démocratisation de l’enseignement et des moyens qu’elles se donnent pour dépasser l’opposition entre maintien et suppression du redoublement, en particulier la mise en place de dispositifs d’individualisation des parcours de formation et de différenciation de l’action pédagogique. Pour aller plus loin, un détour s’impose : on ne peut rien comprendre aux discours sur le redoublement sans analyser plus finement le rapport entre redoublement et échec scolaire. " Lorsque le sage montre la lune… l’imbécile regarde le doigt " : ce " proverbe chinois " illustre fort bien la tentation de prendre le signe pour ce qu’il indique. Nous ne cessons de nous référer au redoublement &endash; dans les pays où on le pratique encore &endash; pour parler de l’échec scolaire. Pourtant, c’est un indicateur bien limité, dont le seul avantage est d’être simple et disponible. C’est donc à travers lui que se mène un débat plus global sur l’efficacité de l’école. Il importe de comprendre les tenants et aboutissants de cette confusion. Pourquoi est-il tentant d’assimiler le redoublement à l’échec scolaire ? Pour au moins deux raisons :

1. Il est difficile de mettre deux personnes d’accord sur la définition de l’échec scolaire : affaire de connaissances ? de compétences ? de motivation ? de développement ? d’image de soi ? d’identité ? Est-ce l’échec de l’élève ou l’échec de l’école ? qui en décide ? Qui le déclare ? Qui en tire des conséquences ?

2. Même si on se met d’accord sur une définition univoque de l’échec, on ne disposera de données correspondant à cette définition qu’au prix d’une enquête originale, avec des instruments de mesure construits dans cette perspective. Cela suppose des mois ou des années de travail, aucune possibilité de comparaison avec d’autres pays ou régions, aucune série chronologique pour étudier les tendances. Et même l’éventualité d’une disparition du consensus au fil des mois ou au vu des premiers résultats…

Il s’ensuit une curieuse contradiction :

On s’en doute : s’il n’y avait aucun rapport entre redoublement et échec scolaire, on sortirait rapidement de la confusion. Le rapport existe, il est juste assez évident pour que la tentation soit forte de prendre le redoublement pour un indicateur de l’échec, un signe fragile, pauvre, ambigu, mais le seul qui soit saisissable à grande échelle. Aussi longtemps que les systèmes éducatifs ne se seront pas donnés d’autres indicateurs de l’échec scolaire, à la fois stables, rigoureux, praticables à large échelle et généralement acceptés, on sera condamné à " faire avec " des indicateurs aussi fallacieux que le retard scolaire ou les taux de redoublement. Pourquoi ne disposons-nous pas aujourd’hui de tels indicateurs, alors que, comme le montre Isambert-Jamati (1984), l’échec scolaire a été reconnu comme problème de société dès le milieu du XXe siècle ? Parce que nos sociétés naviguent à vue entre deux tendances contradictoires : d’une part, une volonté de ne pas savoir quelles compétences et incompétences leurs systèmes éducatifs produisent véritablement ; d’autre part, le besoin de faire comme si on savait, pour affirmer que le niveau baisse ou monte, que l’inégalité devant l’école augmente ou diminue, que les politiques de démocratisation sont efficaces ou, au contraire, sans effets.

Pourquoi nos sociétés se donnent-elles si peu de moyens de savoir quels apprentissages la scolarisation produit effectivement ? Se contenter d’incriminer chercheurs et statisticiens est un peu court ! Il est vrai que des querelles théoriques ou méthodologiques, des luttes de territoires, des scrupules excessifs ou des débats byzantins ont parfois empêché d’en savoir plus. Mais il est sûr aussi que des enquêtes isolées, aussitôt contestées ne servent à rien. Lorsque les enjeux sont aussi forts et aussi idéologiques, la transparence doit être voulue et organisée au plan politique, un peu à la manière dont on organise les élections dans les démocraties, en garantissant la plus grande neutralité possible des procédures, des instruments, des traitements, en n’autorisant aucun camp à faire de l’évaluation de l’école une machine de guerre pour ou contre telle réforme ou telle politique de l’éducation. Il y a des raisons de penser que les sociétés occidentales sortent peu à peu de la cécité organisée, parce qu’elles mesurent progressivement le coût de leur ignorance. Mais ne nous cachons pas le paradoxe démocratique : dans la mesure où les forces politiques jouent leur sort &endash; gouvernement ou opposition &endash; tous les quatre ou cinq ans, il est inévitable que les partis majoritaires tentent de prouver qu’ils ont accompli un parcours sans faute, que l’opposition tente de montrer qu’elle aurait fait beaucoup mieux si elle avait eu le pouvoir.

Dans n’importe quelle domaine, une statistique devient un enjeu politique lorsqu’elle met en évidence des inégalités sociales et surtout, lorsqu’elle démontre qu’elles s’accroissent ou diminuent moins qu’on ne l’avait promis. Entre autosatisfaction et dénonciation sans appel, y a-t-il place pour un peu d’objectivité, pour une analyse patiente des effets et des transformations des systèmes éducatifs ? C’est le programme des sciences sociales et des sciences de l’éducation, mais il n’est soutenu que ponctuellement, alors que c’est à long terme seulement que de tels efforts de recherche portent leurs fruits. En attendant, il faut bien vivre et gérer les systèmes éducatifs. Donc accepter le débat, même si les dés sont pipés.

L’échec, c’est ce que les gens définissent comme tel

Peut-être est-il impossible de parvenir à une définition stable et partagée de l’échec scolaire parce que c’est, par nature, un concept à géométrie variable, dont chacun fait usage à sa façon, pour démontrer ce qui lui importe. Certes, les chercheurs en éducation sont constamment tentés, face à ce flou sémantique, de proposer une définition rigoureuse. Comme sociologue, je pense plus réaliste de soutenir que l’échec scolaire est, en définitive, ce que les gens considèrent comme tel. Il a donc une définition à la fois plurielle et flottante, que nul ne peut remplacer de façon unilatérale par une définition unique et stable. Je mesure bien ce que cette conception relativiste peut avoir d’insatisfaisant pour l’esprit. Chacun &endash; le chercheur comme les autres &endash; voudrait bien que tous se rallient à UNE définition claire et stable, de préférence la sienne ! Et c’est bien pourquoi les ennuis commencent : le seul consensus que chacun soit prêt à accepter facilement, c’est celui qui se construirait autour de sa propre vue des choses. La rigidité des uns et des autres est d’autant plus grande que les enjeux idéologiques et les implications affectives sont plus fortes. La notion d’échec n’est pas neutre, elle sert à juger, à condamner. Autant dire qu’à moins d’exercer un pouvoir totalitaire sur les esprits, toute définition rigoureuse est condamnée à être combattue ou simplement détournée, déformée, appauvrie. Est-ce pur égocentrisme, perversion intellectuelle, refus de la communication ? Nullement. Il se trouve simplement que notre langage n’est pas à la hauteur de la complexité des choses et que toute définition précise est réductrice lorsqu’on dispose d’un seul mot ou d’une seule expression pour désigner des phénomènes connexes, mais distincts.

Que peut alors faire l’observateur ? Plutôt que de pester contre l’imprécision du langage commun, le sociologue y verra plutôt le signe de l’ambiguïté et de la complexité du réel, de notre difficulté à penser et à nommer de façon univoque les inégalités et leurs causes. Dira-t-on que les gens ne savent pas de quoi ils parlent ? Je ne le pense pas : en un moment précis de son discours, chacun sait en général assez bien ce qu’il entend par échec scolaire, même s’il n’est pas en mesure de l’expliquer clairement. La confusion apparente de chacun naît largement du fait de la confrontation avec d’autres définitions : chacun se sent déstabilisé pour un temps lorsqu’on lui dit : " Pour moi, l’échec scolaire, ce n’est pas ce que tu décris ".

Le flottement sémantique n’empêche pas la communication, ce qui suggère que les diverses conceptions de l’échec scolaire ont un noyau sémantique commun. Et parce que les locuteurs ont conscience de la polysémie du langage et ne sont pas naïfs : ils savent que ce qu’ils considèrent comme un échec n’est pas interprété de la même manière par tout le monde. Ils peuvent aussi comprendre la conception d’autrui, sans pour autant la partager : " Tu dis qu’un élève qui apprend dans l’angoisse et a constamment peur qu’on ne l’aime plus est en échec, plus que celui qui a des notes insuffisantes. Je comprends ce que tu dis, mais pour moi, l’échec, c’est autre chose. C’est l’incapacité d’assimiler en un an le contenu du programme Et je sais que pour d’autres, c’est encore autre chose, par exemple la non acquisition de compétences utiles dans la vie. Ou la dévalorisation de soi et le sentiment d’être incapable d’apprendre ".

Nous sommes tous capables de " gérer " une multitude de significations, et souvent de jouer des unes et des autres à notre avantage, parfois avec un certain opportunisme. Serait-il possible d’inventorier ces significations, d’en cerner à la fois les points communs et les divergences ? Une telle entreprise serait vaine si elle prenait la forme d’un sondage, d’une question posée dans la rue, hors de tout contexte : " Pour vous, qu’est-ce que l’échec scolaire ? " Parce que la signification d’une telle expression est essentiellement pragmatique, liée à des enjeux interpersonnels ou institutionnels précis. Le débat n’est jamais purement sémantique : il s’agit soit de constater l’échec, soit de l’attribuer à tel facteur ou à tel acteur. L’échec n’est jamais neutre. On se trouve toujours dans le registre de la dénonciation ou de la dénégation, de l’accusation ou de la disculpation.

Il s’agit d’abord de déterminer s’il y a ou non échec : certains l’affirment, voire dramatisent ; d’autres le contestent ou le minimisent. Le débat va bon train sur la réalité de l’échec, donc aussi sur le réalisme des intentions, des promesses, des projets. Lorsque l’on reconnaît, de bonne ou de mauvaise grâce, la réalité d’un échec, il reste à mesurer son ampleur et surtout à cerner ses causes, donc les responsabilités engagées. En fait, les fonctionnements mentaux sont encore plus complexes : l’attribution possible de la responsabilité commande souvent le constat ; si l’on ne peut attribuer l’échec à autrui, aux circonstances, à " pas de chance ", alors mieux vaut le nier. L’explication précède le constat d’échec, elle l’autorise d’autant mieux qu’on imagine pouvoir le justifier.

Nul ne peut définir unilatéralement l’échec et espérer que les autres vont se rallier à sa définition. Mais il serait tout aussi absurde de se résigner, dans ce domaine, à une culture commune totalement vague ou contradictoire, du moins si l’on veut des politiques de l’éducation aussi claires et efficaces que possible. Il n’y a pas de politique publique sans construction intellectuelle partagée qui soit à la hauteur de la complexité des problèmes et des phénomènes.

En matière d’échec scolaire, comme dans tous les autres champs de la politique sociale, il ne sert à rien d’avoir raison tout seul, il n’y a d’action collective qu’à condition d’avoir une vision partiellement commune des problèmes et des solutions. Il importe que les systèmes éducatifs pensent et repensent explicitement, publiquement et de façon aussi stable et rigoureuse que possible, leurs objectifs et le degré auxquels ils les réalisent, les projets des élèves et des familles et le degré auquel le système permet leur réalisation, autrement dit la réussite et l’échec, les inégalités et les hiérarchies, l’évaluation, la sélection et l’orientation. Pour cela, il importe d’accepter un détour par l’analyse des ambiguïtés de l’intention d’instruire dans les sociétés hyperscolarisées.

Les ambiguïtés de l’intention d’instruire et de s’instruire

Il n’y a pas d’échec sans projet. À l’école, l’échec se mesure à l’aune d’une intention d’instruire, telle qu’Hameline (1971) l’a analysée. L’ambiguïté commence du fait que cette intention s’applique à un sujet capable d’entendement et de volonté, donc susceptible d’avoir l’intention de s’instruire. L’effort constant de tout éducateur est de faire adhérer l’apprenant au projet qui le concerne. Souvent, il y parvient, du moins en partie. Ou il entretient l’illusion qu’il a su communiquer à l’enfant ou l’adolescent le désir et le projet de s’instruire. D’où la difficulté d’attribuer l’échec scolaire à tel ou tel acteur. À quelle intention faut-il le rapporter ? À celle &endash; incertaine &endash; de l’élève ou à celle, pétrie de bonne conscience, des adultes et des institutions (famille, école, État) qui lui veulent du bien ?

Durant la scolarité obligatoire, peut-on véritablement prêter un projet d’apprentissage à chaque élève ? Sans doute certains intériorisent-ils le projet des adultes. D’autres forment des projets personnels, qui ne recouvrent pas, et de loin, l’ensemble du " programme ". D’autres encore apprennent sous la contrainte &endash; lorsqu’ils apprennent &endash; et n’ont pas de raisons de vivre leur non apprentissage comme leur propre échec. Prenons une comparaison qui paraîtra peut-être provocatrice : durant les guerres, les armées d’occupation font souvent travailler de force, à leur profit, techniciens et savants des pays vaincus. Lorsque ces derniers " ne trouvent rien " et ne répondent pas aux injonctions qu’on leur adresse, se sentent-ils en échec ? N’ont-ils pas, au contraire, le sentiment de résister avec succès à une exigence inacceptable ? Une fraction des élèves sont, à leur façon, des résistants. Que les adultes jugent leur attitude " infantile " ou " irresponsable " leur vaut des ennuis et explique que beaucoup finissent pas céder à la pression sociale. Cela n’autorise pas à penser que la faible assimilation des savoirs scolaires est toujours un échec du point de vue des élèves. Pourquoi ceux qui n’ont jamais eu l’intention d’apprendre ou refusent qu’on les instruise, se sentiraient-il en échec ?

Si les formateurs entretiennent l’ambiguïté, c’est probablement qu’ils en tirent un certain profit " moral ". Ce sont eux qui veulent instruire enfants et adolescents, " pour leur bien ". Mais, lorsque l’entreprise n’aboutit pas, plutôt que de se sentir ou de se dire en échec, c’est l’élève qu’ils déclarent en échec, lui faisant porter la plus grande responsabilité, affirmant qu’il n’est pas " capable ", qu’il souffre de n’être pas assez mûr, intelligent, travailleur, sérieux, motivé, docile, ordonné, ponctuel, actif, autonome, organisé ou lucide pour apprendre " correctement ".

Est-ce simple perversion ? Confusion mentale ? Non, l’attribution de l’échec à l’apprenant tient plutôt au statut de l’enfant et de l’adolescent, à l’extrême difficulté qu’éprouvent les adultes à imaginer que les jeunes puissent ne pas se ranger à leurs " évidences ". Notre société ne laisse guère le choix : soit ils intériorisent les valeurs des adultes et les projets de formation qu’on leur propose, et du coup l’échec scolaire devient leur échec ; soit ils refusent cette " projection " et se retrouvent stigmatisés comme déviants, caractériels, mauvais sujets ou personnalités perturbées. En pratique, certains parviennent à naviguer entre ces rives : ils feignent d’intérioriser le projet des adultes, pour éviter une prise en charge lourde et flirtent avec les limites, donnant, au bon moment, juste assez de signes de conformisme pour sauvegarder une relative quiétude.

Division du travail et attribution de l’échec

D’autres raisons tiennent à la logique des organisations et de la division du travail éducatif entre adultes. De gré ou de force, les parents cèdent leurs enfants à l’école vingt à trente heures pas semaine, durant dix à vingt ans. Comment n’attendraient-ils pas de l’institution scolaire qu’elle tienne ses promesses ? Cette dernière sait bien que sa prétention exorbitante l’oblige, soit à réaliser son intention d’instruire, soit à se disculper en attribuant l’échec à l’élève ou à sa famille. À qui la faute, si tel enfant de six ans ne s’intéresse pas aux livres et ne manifeste aucun " prérequis " de la lecture ? " Votre enfant n’est pas tout à fait normal ", laisse-t-on entendre aux parents. " Il est peu développé, lent, pas très motivé, pour tout dire peu doué. Peut-être parviendra-t-on finalement à l’instruire. Mais ne vous étonnez pas s’il doit redoubler, aller dans une classe spécialisée ou achever sa scolarité dans une filière peu exigeante. De l’école, vous ne pouvez attendre de miracle ! "

Tous les enseignants ne tiennent pas ce discours. Paradoxalement, ceux qui le tiennent s’y accrochent d’autant plus qu’ils en pressentent les faiblesses. Certes, à l’impossible, nul n’est tenu. Il reste à savoir qui définit l’impossible ? Que dit exactement l’école ? Qu’elle ne peut rien pour quelques élèves décidément trop " déviants " ou " handicapés " pour relever d’une simple action pédagogique ? Ou qu’elle ne peut rien pour tous ceux qui suivent sans grand profit un enseignement traditionnel, frontal et sélectif, mais pourraient apprendre dans d’autres conditions ?

Le rapport entre échec scolaire et redoublement est difficile à cerner précisément parce qu’il participe de logiques de la dénonciation ou de la justification. Selon ce qu’on veut démontrer, selon la position qu’on occupe et les responsabilités qu’on assume, on construira autrement le rapport entre échec et redoublement. Si le redoublement augmente &endash; ou ne diminue pas, en dépit des promesses &endash;, ceux qui sont comptables de l’efficacité de l’école seront tentés de nier ou de minimiser la relation entre redoublement et échec, surtout s’ils ne peuvent imputer l’accroissement du redoublement à la dégradation des moyens ou à la difficulté accrue de la tâche. À l’inverse, ceux qui critiquent le système éducatif, la sélection, l’absence de démocratisation ont intérêt à voir dans le redoublement un symptôme de l’échec scolaire comme échec de l’école à réaliser son projet éducatif. Comment espérer que ces définitions et reconstructions à des fins tactiques puissent aider à y voir clair ?

Pourtant, il importerait d’y voir clair, notamment pour savoir si, lorsqu’on a supprimé ou fortement atténué le redoublement, on a pour autant supprimé l’échec scolaire. Tout dépend, une fois encore, de la définition qu’on choisit de donner de l’échec. D’un point de vue politique étroit, un gouvernement prêt à supprimer le redoublement pourrait être tenté de l’assimiler à l’échec scolaire, comme il confond nombre officiel de demandeurs d’emploi et ampleur du chômage. Les démocraties nous ont habitués à ces tours de passe-passe : lorsqu’on n’a pas les moyens ou la volonté de s’attaquer aux causes profondes des problèmes, on peut tenter de faire disparaître certains symptômes. Mais quel est l’intérêt de l’opération à long terme ? Les efforts " cosmétiques " diffèrent plutôt le moment de s’attaquer aux vrais obstacles. La fortune des idées simples et miraculeuses fait toujours perdre des années !


4. Inégalités réelles et politiques de démocratisation

Nul ne va à l’école pour gâcher une ou plusieurs années de sa vie en redoublant inutilement. En ce sens, une école qui renonce à faire redoubler met fin à une forme particulière de gaspillage. Il reste l’essentiel : on va en classe pour apprendre, pour accumuler un capital de connaissances et de savoir-faire permettant d’affronter l’existence, dans la sphère professionnelle aussi bien que dans celles de la politique, des loisirs, de la vie privée. C’est donc sur ce projet qu’il faut juger de la réussite ou de l’échec, tant des élèves que de l’école.

Que faire des inégalités réelles d’apprentissage ?

Qui pourrait prétendre qu’en supprimant le redoublement on combat ipso facto les inégalités d’apprentissage ? Sans doute combat-on les inégalités chaque fois que la progression régulière dans le cursus permet à l’élève de conserver le goût d’apprendre, la confiance en soi, des rapports pacifiques avec ses proches. Nul ne saurait affirmer qu’il en va toujours ainsi. On peut même avancer l’hypothèse inverse : si rien d’autre ne change &endash; dans les exigences, la pédagogie, la prise en charge des élèves en difficulté &endash; la promotion automatique peut éloigner plus encore certains élèves de la culture scolaire, les installer définitivement dans la peau de ceux qui, résignés à ne plus rien comprendre, vivent à l’école sans participer aux apprentissages.

Les systèmes qui ont supprimé le redoublement appartiennent souvent à des sociétés plus soucieuses que d’autres, du moins durant la scolarité obligatoire, du développement de la personne, de la socialisation, de l’intégration sociale, du respect des différences. Dans les cultures francophones européennes, l’école reste plutôt le lieu de la performance intellectuelle et de l’appropriation des savoirs, dans une visée élitiste, mais aussi dans une visée républicaine, lorsque la démocratie passe par l’accès à l’autonomie intellectuelle et aux savoirs. Peut-être les cultures méditerranéennes sont-elles aussi beaucoup moins que les cultures nordiques portées à faire confiance aux capacités de développement et de régulation des enfants et des adolescents, et à vouloir assurer aussi bien l’éducation que l’instruction par une prise en charge de chaque instant. C’est pourquoi il serait absurde de proposer le modèle scandinave ou anglo-saxon aux pays francophones sans tenir compte de différences culturelles qui se traduisent par des conceptions différentes des finalités de l’école obligatoire, de la maîtrise des savoirs, du développement des personnes, donc du curriculum. Pour les uns, la scolarité de base propose un parcours éducatif dont les savoirs ne sont qu’une composante, qui met l’accent sur le développement moral, social, physique et intellectuel, qui vise l’acquisition de compétences globales : savoir, raisonner, communiquer, s’exprimer par les arts ou le corps, imaginer, coopérer. Pour les autres, l’essentiel est de parcourir des champs disciplinaires constitués de réseaux denses de savoirs et de concepts. Les uns s’accommodent d’une organisation par cycles d’études de deux ou trois ans orientées par des objectifs généraux et une évaluation large. Les autres insistent sur des découpages annuels et une évaluation sommative omniprésente. Les uns sont ouverts, transdisciplinaires, les autres composés d’une juxtaposition de domaines disciplinaires.

Cette opposition est évidemment caricaturale, car nombre de systèmes éducatifs se situent aujourd’hui dans l’entre deux. Ils ne sont pas figés. L’Italie et l’Espagne ont fortement évolué vers des programmes ouverts, la France et la Belgique ont avancé plus récemment dans ce sens. Mon propos n’est pas de simplifier des phénomènes complexes. Il est de souligner que toutes les sociétés ne vivent pas et n’expriment pas pareillement le souci de maintenir le niveau des classes, ou de ne pas placer certains élèves au-dessous d’un seuil minimal de connaissances au moment où ils abordent de nouveaux apprentissages. La réflexion sur le redoublement, dans une perspective anthropologique et historique, ne peut être détachée d’un contexte institutionnel et culturel qui explique l’obsession du niveau ou au contraire un certain détachement à l’égard de l’excellence. Les études internationales semblent montrer, comme l’indique Crahay (1992), que le niveau global de formation des générations aussi bien que des élites n’est pas plus élevé dans les sociétés qui font redoubler davantage. Il reste que les raisonnements des uns et des autres s’ancrent dans des cultures qui donnent des places différentes à l’obsession immédiate du niveau scolaire. Il est inutile de dire simplement aux francophones : " Vous voyez bien que les Britanniques ou les Scandinaves se débrouillent sans redoublement. Faisons comme eux ! " On ne peut faire comme eux sans devenir comme eux, sans adopter d’autres systèmes de valeurs, d’autres représentations de la culture, de l’excellence, des savoirs, de la sélection scolaire et sociale.

J’en tire une conséquence simple, déjà énoncée : on ne peut, dans de telles sociétés, supprimer purement et simplement le redoublement sans mettre en place d’autres mécanismes capables de " maintenir le niveau ", puisque c’est l’enjeu dominant. Sans doute, une partie du problème se résout-il de lui-même au gré d’une évolution progressive des sociétés, qui les rapproche du modèle scandinave. Une telle évolution culturelle ne se décrète pas. Si l’on veut aller plus vite, et supprimer ou affaiblir rapidement le redoublement, il faut proposer autre chose. Ne pas nier ou banaliser les inégalités d’apprentissage. Ne pas faire comme si elles allaient toutes disparaître comme par miracle du seul fait qu’on ne les sanctionne plus par des redoublements.

De vraies inégalités

Les hiérarchies d’excellence ne sont pas bâties sur rien et les élèves qui redoublent sont, dans leur majorité, ceux qui ont de véritables difficultés d’apprentissage, même si on peut faire la part des erreurs de mesure (attentes diverses selon les classes et les établissements, Grisay, 1988) et des " erreurs judiciaires " (blocages de la communication ou de la relation qui créent des difficultés intellectuelles apparentes alors que le problème est ailleurs).

Le redoublement n’invente pas les difficultés d’apprentissage. Certes, il les stigmatise et les assortit d’une sanction lourde : refaire l’année. Ce faisant, il détourne de l’essentiel : une partie des élèves qui passent beaucoup de temps à l’école n’apprennent pas ce qu’ils sont censés y apprendre. Ou du moins pas assez vite ou solidement pour qu’on puisse affirmer que la scolarité a joué son rôle. Le redoublement est un leurre si on le tient pour autre chose que la partie émergente de l’iceberg : il y a beaucoup plus d’élèves en difficulté grave que d’élèves qui redoublent. Il serait naïf de croire que les 92 ou 95 ou 98 % des élèves qui progressent dans le cursus maîtrisent confortablement les connaissances et les savoir-faire dont l’école prétend favoriser la construction.

Comme le rappelle Hutmacher (1993), comme je l’ai montré en analysant la fabrication des jugements d’excellence (Perrenoud, 1986, 1995 a), le procédé qui déclare un élève en réussite ou en échec, suffisant ou insuffisant, obéit à tant de logiques qu’on ne peut, à partir des taux de redoublement, rien inférer de solide quant au niveau réel des acquis (moyenne et dispersion) d’une cohorte d’élèves. Pas plus qu’on ne peut interpréter les variations du taux de redoublement ou de retard scolaire comme indices d’une hausse ou d’une baisse du niveau réel d’instruction. Le point de coupure relativement arbitraire qu’on fait passer entre les moyens et les mauvais élèves est moins important que ce qu’il nous rappelle : l’existence de fortes inégalités de capital culturel dès le début de la scolarité obligatoire.

La fabrication des inégalités réelles

J’ai distingué ailleurs (Perrenoud, 1992 c) trois mécanismes principaux de fabrication de l’échec scolaire : l’évaluation, le curriculum et le traitement des différences. Je m’attacherai ici surtout au dernier.

L’évaluation n’est certes pas un simple thermomètre, elle participe à la fabrication des inégalités réelles, parce qu’elle les met en lumière et modifie de ce fait l’image de soi de l’élève, le traitement qu’on lui réserve dans sa famille et à l’école. Même lorsqu’elle n’est qu’un simple reflet des inégalités de compétence, l’évaluation change la suite des événements. Elle stimule parfois une régulation dans le sens des objectifs, elle agit parfois en sens inverse, en stigmatisant et en démobilisant les " mauvais élèves ". Même lorsqu’elle n’en rajoute pas, ne dramatise pas d’infimes écarts, ne fabrique pas des inégalités de son cru, l’évaluation n’est jamais innocente. Un bilan " objectif " peut être néanmoins destructeur, parce qu’il induit forcément un jugement et des hiérarchies d’excellence dès lors que la comparaison est possible. Toutefois, conservons aux choses leurs proportions : l’évaluation, aussi normative, sélective, arbitraire soit elle, n’est pas le mécanisme majeur de fabrication des inégalités réelles.

Faut-il s’en prendre aux programmes et aux modèles didactiques ? Il est évident que des choix idéologiques et politiques façonnent la culture scolaire, mais aussi les didactiques et le rapport pédagogique, et sous-tendent aussi bien le curriculum formel et réel que les formes et les normes d’excellence. Ce sont ces choix qui, statistiquement, mettent les enfants issus des classes populaires à une plus grande distance culturelle des programmes et des normes d’excellence scolaires que les enfants issus des classes les plus instruites. Le problème est d’importance, mais les solutions ne sont pas à portée de main : la norme scolaire n’est-elle pas inéluctablement à distance inégale des élèves ? Comment les enfants des adultes qui ont réussi à l’école ne seraient-ils pas, au départ de la scolarité, puis de tout apprentissage scolaire nouveau, favorisés à leur tour, d’une façon ou d’une autre ?

L’important est que ces différences initiales, qui portent sur le " capital culturel scolairement rentable " aussi bien que les attitudes favorables au travail scolaire, ne se transforment pas en inégalités durables de capital scolaire. Bourdieu a, dès 1966, analysé le moteur principal de la fabrication des inégalités d’apprentissage scolaire : l’indifférence aux différences. Il suffit, disait-il, de traiter les élèves comme égaux en droits et en devoirs pour que les différences et inégalités de départ &endash; personnelles, culturelles &endash; se convertissent en inégalités d’apprentissage scolaire. J’ai maintes fois nuancé ce constat : l’indifférence aux différences n’est jamais totale (Perrenoud, 1982 b, 1985 a, 1992 c, 1993 b). Mais elle est assez grande pour produire des effets majeurs.

Le redoublement est, avec la création de filières spécialisées, la tentative la plus ancienne d’homogénéiser les groupes d’élèves, donc de tenir compte de leurs différences de niveau. On sait que cela ne suffit pas. Depuis les années 1960-70, les pédagogies compensatoires, devenues en Europe pédagogies de soutien, ont tenté d’apporter de l’aide individualisée aux élèves en difficulté. Cette forme externe de différenciation n’est pas négligeable, mais elle n’est pas non plus à la hauteur des écarts.

Depuis 1a fin des années 1970, les pédagogies de maîtrise et les pédagogies différenciées ont pris le relais, du moins sur le papier car, contrairement au soutien pédagogique, elles ne sont pas aujourd’hui réalisées à large échelle sur le terrain, même si de nombreux systèmes éducatifs s’en réclament. Il n’est plus temps par conséquent de les " découvrir ". Il importe de comprendre pourquoi une idée aussi simple et séduisante ne se réalise pas. Et si l’on passait à l’acte, suggérait Huberman (1988) à propos des pédagogies de maîtrise. Qu’est-ce qui nous en empêche ?

J’ai développé ailleurs (Perrenoud, 1988 a) l’idée que la pédagogie de maîtrise est une utopie rationaliste et qu’elle suppose, si on ne veut ni ne peut en faire un dispositif livré clés en main, une compétence, une identité, une autonomie et une responsabilité nouvelles des enseignants, bref une autre formation et une réelle professionnalisation du métier. Pour être en mesure d’adapter les situations didactiques à chaque apprenant, d’individualiser les contrats et les parcours, les enseignants ont besoin de qualifications et d’outils nouveaux, qui passent par une transformation globale aussi bien de la formation que des conditions d’exercice du métier, en particulier sous l’angle de la coopération professionnelle. C’est pourquoi c’est un long chemin, même si l’on peut différencier tout de suite (Perrenoud, 1995 c) et favoriser la politique des petits pas. À condition de ne pas se cacher la liste impressionnante des deuils qu’une pédagogie différenciée demande aux enseignants (Perrenoud, 1992 a). Leur évolution personnelle vers la pédagogie différenciée ne saurait être une simple ascèse, elle passe par la découverte et la construction d’autres plaisirs professionnels, qui équilibrent la perte de sécurité, d’énergie, de maîtrise, de narcissisme qu’induit le renoncement au pouvoir et à la place traditionnelle de l’enseignant au centre d’un groupe. La différenciation fait partie du scénario pour un métier nouveau dont parle Meirieu (1989). Mais il serait absurde d’attendre le changement du côté des enseignants seulement.

Différenciation et nouvelles didactiques

Trop souvent encore, la différenciation est attendue " par dessus le marché " : on fait comme si on pouvait conserver les programmes, les procédures d’évaluation, les didactiques, les moyens d’enseignement, les temps et les espaces scolaires traditionnels tout en demandant aux enseignants d’ajuster leur action pédagogique à chaque enfant. Or la tâche ainsi conçue est surhumaine. Elle suppose que les enseignants trichent constamment avec les programmes, les méthodes, les règles d’évaluation. Cela absorbe une énergie considérable et met en porte-à-faux avec l’institution, qui ferme les yeux si tout se passe bien, mais applique les critères traditionnels dans le cas contraire.

Pour différencier, il faut alléger les programmes (Perrenoud, 1990), s’en tenir au noyau dur, aux compétences essentielles. Et avoir le droit de ne consacrer ni temps, ni effort, à des apprentissages qui, hic et nunc, n’ont aucun sens pour tel ou tel élève. Ce qui oblige à l’évidence à rompre avec les programmes annuels et les parcours imposés.

Les méthodes d’évaluation doivent évoluer parallèlement. Non seulement pour substituer une évaluation formative à l’évaluation normative traditionnelle, mais pour autoriser les enseignants à évaluer le développement de compétences essentielles plutôt que d’acquis notionnels moins importants mais plus facile à attester. Il faut donc accorder aux enseignants le droit de prendre des risques calculés, de garder le meilleur de leurs forces pour observer leurs élèves et cerner leurs fonctionnements, leurs attitudes et leurs acquis plutôt que pour " instruire " un perpétuel " procès en ignorance ", avec une débauche de preuves à opposer au scepticisme et aux protestations des élèves et des parents. Ce qui suppose une sélection moins unilatérale, une vraie coopération avec les parents, un pari sur leur lucidité. Aussi longtemps que l’évaluation est une machine de guerre pour exclure de force des élèves de filières exigeantes ou imposer leur redoublement, elle ne peut être formative. Elle ne peut même pas se concentrer sur l’essentiel. Peut-être l’essentiel n’est-il pas, comme chez Saint-Exupéry, " invisible pour les yeux ", mais il échappe à l’évaluation aussi longtemps que sa logique principale est de n’être jamais prise en défaut, du fait qu’elle s’oppose aux espoirs et aux projets de certains usagers.

Ces thèmes sont connus. Peut-être faut-il insister davantage sur les méthodes et les moyens d’enseignement. Dans nombre de systèmes scolaires, on pense encore qu’il y a un bon manuel et une bonne méthode pour tous les élèves et toutes les classes. Tout s’est passé longtemps comme si la différenciation commençait au delà de la didactique. Les pédagogies de maîtrise, dans leur conception originale, ajoutaient un étage à un édifice didactique pour l’essentiel inchangé, l’étage de la remédiation différenciée pour les élèves n’ayant pas atteint le seuil de maîtrise visé. Ce premier progrès, décisif, en appelle un autre : l’élargissement de la pédagogie de maîtrise dans le sens de modèles de régulation moins sommaires (Allal, 1988) et plus généralement en direction des didactiques disciplinaires ; ce qui suppose, dans le même temps, l’ouverture de ces didactiques à la problématique de la différenciation comme axe principal plutôt que corollaire facultatif et mineur (Perrenoud, 1993 c).

Les chercheurs qui s’intéressent à l’évaluation formative ont ouvert la voie : depuis 1986, l’Association pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation (ADMEE), au fil de ses congrès, approfondit les relations entre évaluation formative et didactiques disciplinaires (Allal, 1988 b ; Bain, 1988). La tentative est plus avancée en français (Allal, Bain et Perrenoud, 1993). Il reste à l’étendre à d’autres disciplines et surtout à situer encore plus explicitement l’évaluation formative dans ce qui lui donne son sens : un dispositif de pédagogie différenciée. Actuellement, de tels dispositifs sont souvent ajoutés aux propositions des didacticiens, au gré d’un bricolage hasardeux. Mieux vaudrait ne mettre en circulation que des modèles didactiques intégrant dès le départ la problématique de la gestion des différences, de la diversité des cultures, de l’hétérogénéité des publics, de la diversification des parcours d’apprentissage. Non pas seulement pour reconnaître l’existence du problème et inviter les praticiens à y être sensibles, à la manière dont les modes d’emploi des médicaments attirent l’attention sur les effets secondaires. Il s’agit de donner des outils de gestion des différences, de concevoir une didactique plurielle, " tout terrain " (Perrenoud, 1993 c). Les travaux de Meirieu (1989, 1990) y contribuent, comme ceux de Develay (1992), d’Astolfi (1992), de Clerc (1992), des Cahiers pédagogiques, du Groupe français d’éducation nouvelle, du mouvement Freinet. On ne part donc pas de zéro, mais on est très loin d’une large diffusion de ces idées dans les établissements.

Si l’on va dans ce sens, il faudra assumer la contradiction entre deux injonctions faites au corps enseignant : d’une part différencier, d’autre part pratiquer une pédagogie du sens, de la communication, de la recherche, du projet, de l’occasion, une pédagogie interactive et constructiviste. La contradiction n’est ni théorique ni politique : sur le plan des idées, rien n’oppose le souci de différenciation aux méthodes actives. La contradiction est pratique : la différenciation suppose une grande rigueur dans la définition des objectifs, dans l’observation des apprenants, dans la régulation des apprentissages, dans la gestion des parcours. Les pédagogies du projet, interactives et constructivistes, sont au contraire du côté de la négociation, de l’improvisation, de dynamiques collectives complexes qui empêchent de s’intéresser constamment à chacun si l’on veut préserver l’ensemble. Il appartient aux mouvements pédagogiques et aux didacticiens et autres chercheurs de ne pas laisser chaque enseignant " se débrouiller " avec ces contradictions. Elles doivent être reconnues et dans la mesure du possible dépassées dès la conception des programmes, des méthodes, des moyens d’enseignement, des procédures d’évaluation.

 Individualisation des parcours et cycles pédagogiques

On peut différencier tout seul, entre les quatre murs de la classe et dans le temps d’une année scolaire. Toutefois, dans de telles conditions, il est difficile de différencier suffisamment pour faire face à l’ampleur des écarts. Il semble donc indispensable de faire éclater le carcan des degrés et les cloisonnements induits par l’actuelle division du travail pédagogique. Sur la base de cette analyse, en France, en Belgique, à Genève, l’école primaire introduit des cycles d’apprentissage qui insistent sur la construction continue de compétences clés, à travers des activités disciplinaires, mais aussi des situations didactiques développant des compétences transversales. Dans une telle organisation, le redoublement n’a plus guère de raison d’être, chaque enfant progresse à son rythme, le cas échéant en parcourant un cycle un peu plus vite ou un peu moins vite, de préférence en suivant un parcours individualisé lui permettant de progresser diversement selon les domaines.

Il est pertinent d’aller résolument dans ce sens, à condition de reconnaître que les cycles pédagogiques n’offrent qu’une structure qui permet l’individualisation des parcours d’apprentissage, mais ne la garantit pas. Pourquoi ? Parce qu’il ne suffit pas de décréter le décloisonnement dans les structures pour qu’il s’opère dans les esprits. Parce que la gestion sur trois ans d’itinéraires diversifiés est d’une extrême complexité et fait peur aux inspecteurs, aux chefs d’établissements et aux enseignants : les uns deviennent responsables d’une organisation dont les fonctionnements se diversifient, se recomposent et changent avant même d’avoir été documentés. Les autres doivent renégocier constamment une division équitable du travail, des territoires, des zones d’autonomie et des modalités de travail en équipe (Perrenoud, 1993 d, 1993 f, 1994 c). L’ouvrage édité par Bauthier, Berbaum et Meirieu (1993) donne une idée de cette complexité. Je la résumerai en reprenant le tableau des peurs à dépasser et des maîtrises à construire que j’avais proposé alors (Perrenoud, 1993 b) :

Sans doute devrait-on en ajouter quelques autres, par exemple la peur de l’autonomie et de l’imprévu au troisième niveau, et la peur de ne pas savoir articuler les trois niveaux. Les cycles pédagogiques ne confrontent pas à tous ces problèmes au même degré, parce qu’ils limitent les possibilités de groupement des élèves, parce qu’ils portent sur la scolarité élémentaire et primaire &endash; tronc commun &endash; et mobilisent des enseignants généralistes, parce que les compétences transversales sont à cet âge moins difficiles à développer, en raison du moindre poids des savoirs disciplinaires. Il reste bien assez de peurs à dépasser et de maîtrises à construire pour " y perdre son latin ".

Les idées de cycles pédagogiques et d’individualisation des parcours de formation, loin d’être des solutions magiques, ouvrent d’immenses chantiers dont ne sortiront des résultats convaincants que si l’on ne fait pas peser sur la bonne volonté des enseignants tout le travail d’invention d’une nouvelle façon d’enseigner, d’évaluer, de décider, de coopérer avec ses collègues (Perrenoud, 1994 a). 

Vue d’ensemble des peurs et des maîtrises, à trois niveaux

Niveaux
  • Peurs à dépasser
  • Maîtrises à construire


  • Système
    d’enseignement
    • Peur de l’égalité
    • Peur de perdre des
      avantages acquis
    • Peur de perdre la maîtrise
      du système
    • Peur de miner l’unité républicaine
    • Maîtrise des phénomènes de concurrence
    • Maîtrise des rationalités inégalitaires
    • Maîtrise des dérives de l’autonomie
    • Maîtrise de la diversification des formes d’excellence



    Établissements
    • Peur de la complexité
    • Peur des différences
    • Peur des conflits
    • Peur du pouvoir et des responsabilités
    • Maîtrise de la régulation continue des dispositifs
    • Maîtrise des pressions externes
    • Maîtrise des dynamiques de collaboration entre enseignants
    • Maîtrise des stratégies des acteurs de l’organisation

    Interactions
    didactiques entre enseignants et élèves
    • Peur de perdre son innocence
    • Peur de perdre son plaisir
    • Peur de perdre sa liberté
    • Peur de perdre ses certitudes
    • Peur de perdre sa tranquillité
    • Peur de perdre son pouvoir
    • Maîtrise du contrat didactique et des stratégies des usagers
    • Maîtrise de la régulation des apprentissages
    • Maîtrise des contradictions entre pédagogies actives et différenciation


    5. Et le Ministre, dans tout ça ?

    Le Ministre n’est évidemment que l’emblème du politique. Mais peut-être n’est-ce pas par hasard que l’expression surgit : les politiques de l’éducation sont très souvent faites d’une suite d’initiatives ou de réformes prises par des ministres successifs. Certes, les textes sont préparés par des administrations plus stables, les problèmes et les solutions possibles ne changent pas du jour au lendemain, les faits sont têtus et devraient interdire de dire ou de faire n’importe quoi. On assiste cependant à des alternances peu favorables à une action à long terme.

    La continuité des politiques publiques

    C’est l’un des problèmes majeurs des démocraties, en particulier en matière d’éducation. On ne peut espérer, en une législature, venir à bout de l’inégalité devant l’école, pas plus que du chômage ou de la pollution. Ceux qui prennent des décisions essentielles pour l’avenir n’en voient en général pas les effets ; on ne leur en saura gré que bien plus tard. Or, en politique, il faut montrer qu’on agit en moins d’une législature. Il est donc tentant de prendre des décisions spectaculaires, même si elles sont sans véritable portée et risquent de casser les efforts patients des professionnels et de l’administration.

    Peut-être, sur le modèle du Conseil national des programmes &endash; créé en France par le gouvernement socialiste, immédiatement mis en sommeil par le gouvernement qui lui a succédé, puis ranimé &endash; devrait-on instituer dans chaque système national ou régional une instance indépendante du gouvernement, assurant la continuité sinon de la politique de lutte contre les inégalités et l’échec scolaire, du moins de la recherche et de la doctrine de base, par delà les changements politiques et les fluctuations de la conjoncture. Hormis quelques spécialistes, qui travaillent régulièrement sur le thème de l’échec scolaire et de la démocratisation de l’enseignement, les systèmes éducatifs et les sociétés semblent en effet frappés d’inconstance : on passe par des phases de prise de conscience et des phases d’oubli, des temps d’activisme et des temps d’attentisme, des humeurs défaitistes et des humeurs optimistes. On redécouvre tous les cinq à dix ans l’ampleur du problème, on pousse de hauts cris, on lance de grandes idées, et le soufflé retombe… jusqu’à la prochaine fois.

    Ce que le Ministre pourrait faire de plus utile, c’est de garantir la continuité, de ne pas tout recommencer à zéro lorsqu’il arrive au pouvoir, de bâtir ou de poursuivre une politique à long terme, de chercher un large consensus plutôt que de renforcer les clivages. Cela ne veut pas dire que certaines réformes de structures sont inutiles. Mais elles n’ont de sens que sur une toile de fond faite d’incitations concrètes au changement décentralisé, encadré et stimulé par des perspectives claires et souvent réaffirmées à l’échelle du système dans son ensemble. Souvent, il suffirait d’encourager, de renforcer les maîtres et les établissements qui sont prêts à s’engager dans la lutte contre l’échec scolaire. Plutôt que de donner un nouveau mot d’ordre, pourquoi ne pas reconnaître qu’une partie des professionnels attendent simplement qu’on leur donne le droit d’innover, et parfois quelques moyens, par exemple la possibilité de s’assurer le concours d’intervenants externes capables d’accompagner un projet d’établissement.

    Quant aux maîtres et aux établissements qui se satisfont du statu quo, il n’est pas nécessairement inutile de leur donner de claires injonctions. Mais l’essentiel consisterait à examiner, avec les formateurs, les chercheurs, les inspecteurs et les chefs d’établissements, ce qui empêche telle école ou groupe d’enseignants de prendre des risques.

    En bref, les " grandes politiques ", qui transforment les structures et fixent des objectifs, mériteraient d’être prolongées de façon différenciée. Pour les uns, elles ne font que confirmer un mouvement déjà engagé, pour d’autres, elles sont un point de départ. Il peut paraître ingrat, pour un responsable politique, de n’être qu’une personne-ressource au service d’innombrables processus d’innovation décentralisés qui se sont pour une part amorcés avant son arrivée et se poursuivront après son départ. Mais n’est-ce pas exactement ce qu’on attend aujourd’hui des enseignants, face aux processus de développement et d’apprentissage de leurs élèves ?

    Que faire ?

    Mon propos insiste sur la complexité. Je ne voudrais pas cependant que le sens des nuances contribue à " noyer le poisson ". J’aboutis je crois à une conclusion assez claire : il faut supprimer le redoublement tout en développant d’autres formes de traitement des différences.

    Reste à savoir comment faire évoluer vers moins de redoublements un système éducatif qui est encore fortement attaché à cette formule ? Deux voies se présentent :

    Selon les systèmes scolaires, l’une ou l’autre peut se révéler plus praticable, plus défendable. La stratégie douce est nécessairement lente : rompre avec l’individualisme et aller dans le sens d’une culture de coopération (Gather Thurler, 1993) prendra beaucoup de temps et passera par une professionnalisation accrue du métier d’enseignant (Perrenoud, 1993 e et f). Faut-il attendre encore quelques décennies, espérer que le redoublement disparaîtra comme tombe un fruit mûr, une fois que les esprits seront préparés à des fonctionnements alternatifs ? Ou faut-il brusquer les événements ?

    Je le crois. Si l’on n’a pas le courage de supprimer purement et simplement le redoublement, ou si les conditions politiques ne le permettent pas, on pourrait au moins tendre à en faire une décision exceptionnelle, prise de façon concertée, en faisant la preuve qu’elle est une bonne solution compte tenu de tous les facteurs connus et de la volonté des acteurs concernés, y compris l’élève et ses parents. Il ne suffit pas de l’annoncer. Il faut ensuite vérifier que les acteurs, dans un premier temps dociles, ne reviennent pas progressivement à des redoublements plus nombreux. Ce qui est inéluctable si l’on compte uniquement sur des décisions autoritaires, sans que changent les esprits. Et si l’on pense s’être de la sorte débarrassé du problème de l’échec scolaire et de l’inégalité.

    Les acteurs joueront mieux le jeu, parfois contre leurs convictions intimes, si l’on prend dans le même temps un ensemble de mesures favorables à l’individualisation des parcours de formation et à la différenciation de l’enseignement.


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