Source et copyright à la fin du texte

 

Paru dans Pédagogie collégiale (Québec), Vol. 10, n° 3, mars 1997, pp. 5-16 (repris dans Perrenoud, Ph., Pédagogie différenciée : des intentions à l'action, Paris, ESF, 1997, chapitre 3, pp. 53-71).
 

 

 

 

 

Vers des pratiques pédagogiques favorisant
le transfert des acquis scolaires hors de l’école

 

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1997

Sommaire

Le transfert comme réinvestissement des acquis

Transfert des apprentissage ou apprentissage du transfert ?

Reconstruire et négocier les objectifs et les contenus

Construire et diversifier les tâches et les situations de sorte à " exercer " le transfert

Adopter et induire chez les apprenants un rapport constructiviste et non déférent aux savoirs

Faire place à l'histoire et au projet personnel de l'élève

Travailler sur le sens des objectifs, des savoirs, des activités

Engager les élèves dans des démarches de projet

Transfert et construction de compétences

Références


Peut-on identifier des pratiques pédagogiques favorisant le transfert des connaissances ? La question met en partie la charrue devant les bœufs, puisque :

En bonne logique, aussi longtemps que ces questions de fond ne sont pas tranchées, il peut sembler prématuré de chercher à identifier des pratiques pédagogiques favorables au transfert. Toutefois, les urgences de l’action - et notamment de la formation des enseignants - interdisent d’attendre que tous les concepts soient construits et toutes les hypothèses validées. La question du transfert est au cœur des problèmes de conceptualisation de l’apprentissage, des connaissances, des compétences : comment pourrait-on imaginer un consensus et une totale clarté pour demain ? Le développement des sciences cognitives et des neurosciences suggère au contraire que nous sommes tous, pour longtemps encore, engagés dans un processus de théorisation qui connaîtra encore maints rebondissements et quelques ruptures de paradigme.

Faute d’attendre que tout soit clair, pourquoi, plutôt que de se fonder sur la tradition, l’idéologie ou des intuitions encore moins fiables, ne pas tenter d’avancer en présentant chaque option pour ce qu’elle est : un choix raisonné fondé sur des hypothèses ou des certitudes provisoires ?

Je préciserai dans un premier temps ce que j’entends ici par " transfert ", détour indispensable pour s’interroger sur d’éventuelles mécanismes favorisant le transfert des acquis. Je passerai alors en revue quelques pratiques pédagogiques " transférogènes ", pour risquer un néologisme barbare.


Le transfert comme réinvestissement des acquis

Le transfert est en général défini comme la capacité d’un sujet de réinvestir ses acquis cognitifs - au sens large - dans de nouvelles situations. Qu’est-ce au juste qu’une situation nouvelle ? Ne le sont-elles pas toutes, puisqu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ? Sans un minimum de transfert, tout apprentissage serait donc totalement inutile, puisqu’il ne répondrait qu’à une situation passée et non reproductible dans sa singularité.

On pourrait distinguer un transfert banal et quasi automatique, qui relève des mécanismes élémentaires de l’assimilation/accommodation piagétienne, donc de variations mineures, d’un transfert problématique, qui exige un effort, un travail cognitif, parce qu’il mobilise des acquis construits dans des situations nettement différentes de celles qu’on affronte hic et nunc, non seulement parce qu’elles appartiennent à un autre temps ou à un autre lieu, à un autre contexte, mais parce que l’analogie n’est ni totale, ni immédiatement perceptible. Ajoutons immédiatement qu’une analogie évidente pour les uns peut être inexistante ou invisible pour les autres, compte tenu de leur degré d’expertise. L’expert se distingue en effet par sa capacité de relier des situations que le novice juge sans commune mesure.

La " question du transfert " renvoie donc à une problématique complexe : comment le sujet parvient-il à penser à la fois les différences et les similitudes entre situations ? Mendelsohn (1996) donne l’exemple de l’apprentissage d’un clavier de machine à écrire ou d’ordinateur : toute personne qui maîtrise un clavier de type AZERTY s’adaptera rapidement à des claviers de même structure, alors que les touches n’ont, d’une machine à l’autre, ni la même consistance, ni la même forme, ni la même sensibilité, ni le même graphisme. L’usager fait abstraction de ces différences. L’important pour lui est qu’elles respectent une configuration familière. Le même sujet aura plus de mal à s’adapter à un clavier QWERTY ou à tout autre clavier en usage dans un autre pays, quand bien même ses autres aspects physiques seraient identiques. On voit ici qu’il faut distinguer analogies superficielles et parentés de structures, mais que cette distinction n’a de sens que si elle est faite, consciemment ou non, par le sujet. Au premier abord, deux claviers paraissent d’autant plus semblables qu’ils ont le même design. Cette analogie de surface peut cacher une différence de structure, qui ne surgit que lorsqu’on veut dactylographier quelques lignes. Il faut donc non seulement adopter le point de vue du sujet, mais du sujet en action, mû par une intention qui induit un rapport pragmatique au monde et la situation. Comme le montrent Vermersch (1994) et Vergnaud (1990, 1996), après Piaget, la connaissance a partie liée avec l’action, notre représentation du monde dépend de nos intentions.

La question du transfert pourrait dévaloriser indûment des apprentissages fortement situés et dont le potentiel de généralisation. La valeur d’usage d’un acquis ne dépend pas nécessairement de son potentiel de réinvestissement dans des situations très différentes. La difficulté de passer d’une structure de clavier à une autre n’est un handicap que pour qui change de pays. La sociologie et l’anthropologie montrent qu’une partie des apprentissages humains, dans diverses sociétés, sont pertinents même lorsque leur validité reste étroitement confinée à des situations très proches des situations d’apprentissage, tout simplement parce que les individus continuent à affronter de telles situations, dans des conditions d’existence qui changent peu. Chacun apprend en priorité ce qui lui est utile là où il vit et continuera vraisemblablement à vivre, il se l’incorpore comme une seconde nature, ce que Bourdieu (1972, 1980) a nommé un habitus.

De fait, la problématique du transfert des acquis vers des situations très différentes est dans une large mesure indissociable de l’émergence de la forme scolaire d’éducation (Berthelot, 1983 ; Vincent, 1994) et du marché du travail. En effet, contrairement à l’éducation traditionnelle, qui prépare à vivre là où l’on a été éduqué, la prétention de toute scolarisation est de préparer les élèves à réinvestir leurs acquis dans des contextes variés, hors de l’école, dans des situations de la vie quotidienne, professionnelle, politique, familiale, personnelle. Plus globalement, l’importance accordée au transfert de connaissances est lié à la mobilité des personnes et au rythme de transformation des sociétés. C’est pourquoi elle est une préoccupation majeure aujourd’hui, alors que l’éducation traditionnelle s’en soucie moins.

Ne schématisons pas : même aujourd’hui, les formes traditionnelles d’apprentissage n’ont nullement disparu : tout acquis n’a pas besoin d’être transférable à des situations bien différentes. En famille, on apprend largement à vivre en famille. De même, en entrant à l’école, l’enfant devient l’indigène d’une société particulière, dans laquelle une partie de ses acquis importent indépendamment de tout transfert, car ils sont valorisés ou utilisés immédiatement, dans le cadre de la classe et de l’année scolaire. Le phénomène se répète pour chaque classe, pour chaque discipline, pour chaque établissement : une partie des apprentissages scolaires permettent simplement aux enfants, puis aux adolescents, de s’intégrer à l’univers scolaire et d’accomplir ce que j’ai appelé leur métier d’élève (Perrenoud, 1996 a).

Lorsqu’on rompt ce circuit fermé, la problématique du transfert des acquis se développe d’abord à l’intérieur du système scolaire, dans la mesure où il y a division du travail d’enseignement, tout au long du cursus. Chaque professeur est en situation de juger le travail de ceux qui l’ont précédé à travers les acquis des élèves qu’il accueille année après année. Il espère qu’une partie de ces acquis seront réinvestis dans sa classe, à titre de prérequis, d’outils, de méthodes ou de fondements. Cette attente est souvent déçue, sans que nul ne soit vraiment étonné : les professeurs ont fait leur deuil de pouvoir construire sur des acquis aussi homogènes et solides que ceux qu’on leur promet (Perrenoud, 1995 a). Le réinvestissement des acquis antérieurs dans de nouveaux apprentissages scolaires est néanmoins un enjeu permanent dans les systèmes scolaires, notamment à l’articulation des cycles d’études, là où changent fortement le métier d’élève, le rapport au savoir, le découpage disciplinaire, les objectifs, le rythme de travail, les modalités d’évaluation, etc.

Ces débats internes ne devraient pas faire oublier qu’on ne va pas à l’école exclusivement pour apprendre à exercer le métier d’élève, ni même pour se préparer à assimiler le programme des degrés suivants. La scolarité n’a, en fin de compte, de sens que si l’essentiel de ce qu’on y apprend peut être investi ailleurs, en parallèle ou plus tard dans la vie, au travail ou en dehors. Or, chacun le sait, ce réinvestissement ne va pas de soi, au point qu’on se demande, pour une fraction au moins de chaque génération d’élèves, pourquoi ils ont passé d’aussi longues années à l’école pour y apprendre tant de choses dont ils ne se serviront jamais, alors que des connaissances élémentaires leur font défaut. On peut songer par exemple à l’apprentissage des langues étrangères aussi bien qu’au faible apport de l’enseignement scientifique à la préservation de la santé ou de l’environnement.

Le problème du transfert se pose surtout pour les individus qui ont réussi leur scolarité : ils ont des connaissances, qu’ils ont manifestées durant les épreuves et examens scolaires, mais tout se passe comme si ces acquis perdaient une part de leur validité hors de l’enceinte de l’école. Pourquoi, lorsqu’ils se retrouvent " au pied du mur ", une fraction des élèves ayant réussi à l’école ne parviennent-ils pas à réinvestir ce que pourtant, d’une certaine façon, ils " savent " ? Sans doute parce le transfert n’était pas au programme !

Pour les autres, ceux qui n’ont pas même construits assez d’acquis solides pour que la question de leur transfert se pose, le bilan est encore plus critique. On verra qu’on ne peut totalement dissocier les deux problèmes et que les pratiques pédagogiques favorables au transfert des acquis sont aussi celles que commande la lutte contre l’échec scolaire par une pédagogie active et différenciée (Meirieu, 1990 ; Perrenoud, 1996 f et g). 


Transfert des apprentissage ou
apprentissage du transfert ?

Définissant le transfert de connaissances comme le mécanisme qui permet à un sujet d’utiliser dans un nouveau contexte des connaissances acquises antérieurement, Mendelsohn souligne qu’il " n’est en tout cas pas un processus spontané " (1996, p. 15). Or, ni l’école, ni même les formations professionnelles (Tardif, 1996 ; Perrenoud, 1994 a et b ; 1996 c) ne tirent jamais toutes les conséquences de cette évidence, peut-être faute de reconnaître que le transfert ne s’opère que si l’individu y a été préparé.

Selon Tardif et Meirieu (1996), la capacité de transfert n’est jamais donnée au départ : les apprentissages s’ancrent dans un contexte qui, s’il est contingent pour l’enseignant, est mentalement inséparable de la connaissance aux yeux de l’apprenant, du moins dans un premier temps (" situated learning "). La connaissance décontextualisée, donc prête à l’emploi pour des contextes divers, n’est pas un état natif, mais le produit d’un processus d’abstraction progressif, qui n’est nullement spontané, mais suppose au contraire de multiples recontextualisations et décontextualisations. Une connaissance ne se détache des situations où elle a pris naissance - pour un sujet donné - que par un travail qui n’est en réalité jamais achevé, qui se poursuit au gré de l’expérience. Ce qui amène une première observation : la façon dont les connaissances sont énoncées par la communauté scientifique de référence, avec un maximum de décontextualisation et de formalisation apparentes, n’est jamais qu’une épure de ce que les gens ont vraiment dans la tête, chercheurs et professeurs compris. Tardif et Meirieu rappellent également qu’une connaissance se détache d’autant mieux de son contexte d’acquisition qu’elle s’intègre à un ensemble. Comme s’il fallait, en quelque sorte, troquer une dépendance à l’égard d’un contexte d’action contre une intégration à un réseau organisé de connaissances.

Le transfert, loin d’être une simple transposition automatique, passe par un travail mental qui suppose, chez le sujet confronté à une situation nouvelle :

Il ne suffit pas de disposer de tous les ingrédients pour réussir une recette, ni de suivre à la lettre une procédure pour agir efficacement, sauf pour des actions assez simples. Dans des actions complexes, la capacité d’intégrer, d’assembler des ressources diverses est décisive.

Est-ce à dire qu’on pourrait enseigner le transfert à la manière d’une compétence supplémentaire, indépendante des savoirs et des situations en jeu ? Dit de façon aussi radicale, cela semble absurde. Mais pourquoi ne pas imaginer qu’on puisse entraîner et exercer le transfert ? Les travaux de didacticiens sur la contextualisation et la décontextualisation des savoirs vont dans ce sens, de même que les propositions de Meirieu (1990) sur l’importance, dans la construction des connaissances, d’étayer les apprentissages, puis de désétayer. Le transfert ne va pas de soi parce qu’il mobilise des schèmes d’inférence, de généralisation, de résolution de problèmes, de raisonnement par analogie, schèmes qui constituent eux-mêmes des acquis et sont très inégalement construits selon les sujets. On n’acquiert pas une " compétence universelle de transfert ", mais on développe, au gré de l’expérience et de la réflexion sur l’expérience, des outils, des schèmes ou des postures mentales qui peuvent le faciliter :

Les associations entre contextes ou entre domaines, qui sont à la base du transfert des connaissances, font partie intégrante des connaissances à transmettre. Si l’enseignant ne les contrôle pas, le contexte implicite de l’école et de ses us et coutumes s’en charge pour lui implicitement. Ces associations ne doivent pas être non plus considérées comme des sous-produits qui émergeraient spontanément de notre enseignement par la simple vertu d’une hypothétique compétence à généraliser tout ce que l’on nous enseigne (Mendelsohn, 1996, p. 18).

Tout cela ne va pas sans une forme de prise de conscience du problème, tant chez l’enseignant que chez l’enseigné, voire sans exercices de métacognition permettant de thématiser ce qui se joue lorsqu’on affronte une situation nouvelle en tentant de réinvestir des acquis. Il y a donc des raisons de penser que la probabilité du transfert est en partie sous le contrôle du curriculum et de l’action pédagogique. Ce peut être à l’insu des professeurs, mais il est sûr que l’enseignement favorisera d’autant mieux le transfert qu’il est pensé et organisé dans ce sens. Il importe donc d’identifier des pratiques pédagogiques, qui, non contentes de garantir des acquis, favorisent leur réinvestissement au delà de la situation d’apprentissage initiale.

Peut-être est-ce simplement une façon de redéfinir à la hausse le niveau de formation visé : plus est forte la maîtrise d’un champ conceptuel et d’un domaine de connaissances, plus elle facilite le transfert, en garantissant la compréhension des structures profondes de la réalité et de l’action, ce qui accroît la capacité de transposer des méthodes ou des solutions d’une situation à une autre. Travailler le transfert ne consiste donc pas nécessairement à multiplier les exercices d’application dans des contextes variés. Cela peut aussi bien passer par un approfondissement théorique. La compétence d’un expert se fonde toujours, à la fois, sur la richesse de son expérience et sa maîtrise de la théorie. Ensemble, elles lui permettent :

1. D’identifier des isomorphismes là où quelqu’un de moins formé ne voit aucune parenté des situations.

2. De puiser dans une mémoire qui contient un large éventail de cas partiellement semblables aussi bien qu’un ensemble de concepts et de fragments de théories qui sont autant de clés pour rendre le réel intelligible.

3. De construire une solution originale à partir de ces ressources.

Dans la pratique de l’accordeur de piano, du réparateur d’appareils électroniques, de l’avocat ou du médecin ayant atteint une forme avancée d’expertise, est-il encore pertinent de parler de transfert ? Peut-être la notion n’a-t-elle de sens que par rapport à la relative pauvreté de l’expérience de l’élève ou du débutant. Lorsqu’on a affronté trois situations de même type, la quatrième n’est pas immédiatement reconnue comme analogue et le transfert n’a rien d’automatique. Lorsqu’on a traité mille ou dix mille situations analogues, le transfert est si immédiat qu’il disparaît comme moment spécifique de l’action et comme problème. Peut-être la préparation au transfert n’est-elle, en ce sens, qu’un " substitut ", à la fois, de l’expérience et d’une maîtrise théorique complète, une préoccupation qui vaut surtout pour des débutants, qui doivent maîtriser beaucoup de connaissances et de compétences en peu de temps, et ne deviendront experts dans certaines d’entre elles que bien plus tard. Mais n’est-ce pas justement ce qui caractérise l’école et les formations initiales ?

Je ne me réfère ici ni à une discipline, ni à un niveau d’enseignement particuliers. Sans doute, le problème devrait-il être repris par la didactique de chaque discipline à propos de savoirs plus délimités. Je m’en tiendrai dans ce cadre à des mécanismes assez généraux. L’ensemble des propositions qui suivent me paraissent transposables à la formation des adultes, qui dispose par ailleurs d’autres atouts, par exemple l’analyse de pratiques.

Je diviserai les pratiques " transférogènes " en six catégories complémentaires, dont on verra qu’elles retrouvent de vieilles utopies pédagogiques et didactiques, autant de façons de lutter contre les " vieux démons " de l’école (Perrenoud, 1996, e) :

1. Reconstruire et négocier les objectifs, les contenus et l’évaluation pour naviguer au plus près entre critères formels de certification et compétences utilisables.

2. Construire et diversifier les tâches et les situations de sorte à préparer, modéliser, exercer le transfert.

3. Adopter et induire chez les apprenants un rapport constructiviste, contextuel, épistémologique, pragmatique, non magique, non déférent aux savoirs.

4. Faire place à l’histoire et au projet personnel de l’élève (histoire et projets de formation, mais aussi histoire et projets de vie) dans le travail en classe.

5. Travailler sur le sens des objectifs, des savoirs, des activités, le négocier, prendre le temps de métacommuniquer autour du travail scolaire, de ses buts, du métier d’élève.

6. Engager le groupe-classe ou des sous-groupes, voire plusieurs classes ou l’établissement dans des démarches de projet qui constituent explicitement les savoirs et les compétences en ressources pour atteindre un but concret et proche.

Reprenons ces points un à un. 


Reconstruire et négocier les objectifs et les contenus

Idéalement, toute certification finale d’une formation devrait garantir le transfert et donc porter sur des situations nouvelles, dont l’élève n’est pas familier. À quoi bon une formation si l’on ne sait s’en servir que pour en faire étalage aux examens ? Ceux qui engagent des diplômés pensent qu’ils ont une formation, mais ils savent cependant qu’il faudra leur laisser le temps non seulement de s’adapter à des conditions de travail spécifiques, ce qui est normal, mais de construire les liens et de faire les expériences qui permettront un transfert de leurs acquis.

Pourquoi la certification finale n’exige-t-elle pas une capacité attestée de transfert ? Parce qu’elle ne saurait évaluer de tout autres acquis que ceux que valorise le contrôle continu en cours de scolarité. En changeant de critères au milieu du gué, on risquerait de fabriquer de tout autres hiérarchies et de créer des écarts inexplicables et inacceptables entre la valeur scolaire ordinaire d’un élève et sa valeur à l’examen final. Ce qui déplace la question : pourquoi l’école n’évalue-t-elle pas constamment et continûment les capacités de transfert ? Parce qu’elle devrait alors les développer. D’où une nouvelle question : qu’est-ce qui en empêche l’école d’intégrer la préparation du transfert à son projet ? On peut avancer plusieurs hypothèses :

a. Cela exigerait un allégement spectaculaire des programmes (Perret et Perrenoud, 1990) et leur reconstruction en termes de champs et de noyaux conceptuels, autour de matrices disciplinaires ou de compétences clés (Develay, 1992). L’école ne peut enseigner tant de choses aussi rapidement que parce qu’elle ne s’attend pas à ce que tous les élèves atteignent la maîtrise et parce qu’elle se garde plus encore de travailler le transfert.

b. L’accent mis sur le transfert des connaissances rendrait encore plus visible l’écart entre le projet d’instruire et sa réalisation. Il est plus prudent d’évaluer les acquis des élèves dans des situations très proches des situations d’exercice, c’est-à-dire avec le minimum de transfert. L’excellence scolaire est d’abord une monnaie interne (Perrenoud, 1995 a), même si l’école sait moduler l’écart entre situations d’apprentissage et situations d’évaluation en fonction de la sélection à opérer, voire du message à adresser aux élèves (Chevallard, 1986).

c. Cela menacerait l’équité apparente de l’évaluation formelle, parce qu’il est difficile de standardiser des situations de transfert, sous peine d’en faire assez vite des routines repérées par les élèves et " bachotées " comme le reste.

d. Cela demanderait du temps, de l’énergie, de l’imagination, du renouvellement, toutes choses qui dépendent fortement du rapport des enseignants à leur métier.

e. Cela supposerait qu’on ait une idée claire de ce qu’est le transfert de connaissances, et de la façon de l’observer, donc une qualification didactique et psychopédagogique au-dessus de la moyenne.

On voit que la transformation des pratiques d’évaluation est inséparable d’une reconstruction des objectifs, des contenus et des démarches de l’enseignement. On ne peut se contenter de prendre le programme, de l’élaguer un peu et d’ajouter à ce qui reste un " supplément de transfert ", sans autres aménagements.


Construire et diversifier les tâches et les situations
de sorte à " exercer " le transfert

Le pire serait que l’on prépare, sur chaque point du programme, une série de " situations de transfert " qui succéderaient aux situations de sensibilisation ou de consolidation. Aucun enseignement ne s’en tient à une situation stéréotypée, il y toujours une part de variation. Travailler le transfert ne consiste pas à élargir indéfiniment la gamme, en familiarisant avec des situations nombreuses et diverses, mais dont chacune serait maîtrisée à force d’exercices scolaires. Il n’y a véritablement transfert que lorsqu’on s’en tire convenablement dans une situation inconnue, qui constitue " une première ", du moins pour l’apprenant, une surprise, un problème inédit. Exercer le transfert est en ce sens une expression paradoxale, dans la mesure où la notion d’exercice évoque la répétition, la ressemblance. La seule vraie similitude, dans des situations de transfert, c’est que, pour le sujet, c’est toujours " la première fois ". La nouveauté n’appelle un travail de transfert que si les " programmes de traitement " et les schèmes du sujet ne peuvent fonctionner immédiatement. S’exercer au transfert, c’est s’habituer à la nouveauté, faire le deuil du côté sécurisant des exercices traditionnels, avec leurs variations mineures, pour leur substituer des situations-problèmes, face auxquelles chacun est au départ démuni, parce que le problème est encore à identifier et à construire et parce que, même alors, les solutions ne s’imposent pas à l’oeil nu.

On ne l’a jamais fait ", protestent rituellement les élèves mis en échec par une tâche inédite. Ils se réclament alors d’un contrat didactique traditionnel largement implicite, selon lequel le maître " n’a pas le droit de leur faire ça ", parce que " ce n’est pas de jeu ", mais surtout parce que cela réduit à néant, à leurs yeux, le sens de leurs efforts et leurs espoirs d’excellence. Le transfert est vécu comme une régression : je croyais savoir et je constate que, mis devant une situation inhabituelle, " il ne me reste plus rien ". Les élèves sont alors comme ces petits épargnants qui découvrent que leurs obligations ne valent plus rien.

Préparer les formés au transfert, c’est donc négocier un nouveau contrat didactique avec les élèves, les inviter à admettre qu’affronter l’inconnu, l’incertitude, le désarroi fait partie du métier d’élève, du métier de tous et pas seulement de ceux qui souffrent d’être toujours dépassés par ce qu’on leur demande. Ce n’est concevable qu’à la condition d’expliquer aux élèves ce qu’est le transfert et pourquoi il exige qu’on s’aventure hors des sentiers battus.

Apprend-on pour autant le transfert ? On apprend plutôt trois choses qui en paraissent solidaires :

a. On apprend à maîtriser ses angoisses, son premier sentiment de découragement, à travers des expériences qui démontrent qu’on en sait plus qu’on ne croyait, mais qu’il faut un temps et un travail de mise en relation des savoirs et de la situation.

b. On acquiert " sur le tas ", mais aussi par un enseignement explicite, d’ordre métacognitif, des stratégies générales de résolution de problèmes, et notamment du problème suivant : que faire quand je ne sais que faire ? comment mobiliser mes ressources pour venir à bout du problème alors même qu’aucune solution toute faite ne me vient à l’esprit ?

c. On élargit ses connaissances, ses compétences, ses schèmes, par ces mécanismes que Piaget appelle différenciation, coordination et généralisation, si bien que se stabilisent des " ressources cognitives " de plus haut niveau.

Pour le professeur, cela représente une nouvelle forme de transposition didactique. Pour proposer des situations appelant le transfert, il doit pouvoir puiser des " idées de situations " dans une réserve constituée par lui ou par d’autres. Il importe qu’il sache aussi en créer, voire en bricoler ou improviser à partir des occasions qui se présentent et des propositions des élèves (Perrenoud, 1994). Cela suppose une forme d’ouverture sur la vie, l’événement, l’insolite, l’inattendu qui n’est développée, en général, ni par les études universitaires, ni par la formation des enseignants. Le rapport au savoir du maître est aussi déterminant que son inventivité didactique. On peut imaginer des enseignants intellectuellement capables de créer à jets continus de magnifiques situations d’enseignement-apprentissage, mais incapables de sortir du cadre scolaire, par esprit de sérieux, manque de curiosité ou souci de bien faire, et qui ramènent sans cesse les élèves au programme. Transférer, c’est sortir du cadre et prendre des risques (Charlot et Stech, 1996) !


Adopter et induire chez les apprenants un rapport
constructiviste et non déférent aux savoirs

Un rapport déférent au savoir fait obstacle au transfert, parce qu’il pousse à interpréter son impuissance face à une situation nouvelle comme un défaut de savoir. Or, le transfert ne s’opère que si, devant la difficulté, on ne renonce pas immédiatement en se disant " Je ne sais pas, inutile de m’obstiner, mieux vaut que je retourne apprendre dans mon livre ". Le transfert passe par un apprentissage dans la situation, une " réflexion dans l’action ", un travail d’élargissement, de recombinaison, de généralisation, d’extrapolation, de mise en relation ou d’invention à partir de ce que l’individu sait déjà. Pour s’y engager, il faut s’en croire capable, ce qui suppose, au-delà de la confiance en soi, une forme d’épistémologie, de représentation " réaliste " du savoir et de la façon dont il se construit. On prépare au transfert en démythifiant le savoir, en le présentant :

Comme le rappellent Dubet et Martucelli à propos du projet de l’école, le sujet qu’elle prétend former " doit se gouverner lui-même selon l’idéal de la modernité issu de la Réforme et des Lumières ; il ne peut conquérir son autonomie qu’en faisant sienne la loi commune, qu’en l’acceptant librement, en cessant de la vivre comme une contrainte extérieure. Cette éducation est le prix de la formation d’un individu moderne véritable " (1996, p. 29). En principe, l’école n’est donc pas faite pour produire un rapport déférent au savoir et aux règles, puisque la raison y pourvoira. De fait, l’excellence scolaire reste assez souvent définie par un conformisme intellectuel.


Faire place à l’histoire et au projet personnel de l’élève

Pour transférer, il faut relier savoir et expérience. L’école le fait dans son discours, souvent pour la forme et en référence à un avenir abstrait : " Quand tu seras plus grand, tu comprendras à quel point tout ce que tu apprends est indispensable ". Ce rapport indirect et désincarné ne suffit pas à favoriser le transfert, fût-ce par anticipation.

Pour exercer le transfert, l’idéal serait de reconstituer, durant la scolarité, des situations proches de celles du monde du travail, de la vie hors de l’école, que ce soit celle des enfants, des adolescents ou des adultes qu’ils deviendront. De telles situations ne sont pas plus " réelles " que les situations scolaires classiques, mais elles ne sont pas créées et contrôlées par l’école, ce qui fait toute la différence. La vie appartient à tout le monde et surtout, elle ne ménage pas les individus, ne leur propose pas des situations " sur mesure " en milieu protégé, dans le cadre d’un contrat didactique qui doserait la difficulté. Dans la vie, une fois sortis de l’école, les individus, prennent la complexité du réel " en pleine figure ", ce sont des funambules sans filet…

Comment aller dans ce sens durant la scolarité ? Certainement en favorisant les stages, les échanges, l’invitation de gens étrangers au monde scolaire, les enquêtes sur le terrain et toutes sortes de projets qui mettent en contact soit avec l’extérieur, soit, simplement, avec des contraintes proches de celles qu’on rencontre dans la vie, notamment dans le monde associatif, le monde du travail, le monde politique. J’y reviendrai à propos des pédagogies du projet. On peut d’ores et déjà souligner que ces démarches ont des limites, sauf dans les formations en alternance, qui sont en général des formations professionnelles ou des formations d’adultes. Durant la scolarité obligatoire, la réalité du métier d’élève aussi bien que du métier d’enseignant est de s’exercer dans un monde clos, à l’écart des autres pratiques sociales. On peut le déplorer, mais c’est toute la forme scolaire qui est alors en question, et non une simple conception de l’enseignement.

On peut se dire qu’une façon de relier l’apprentissage à l’expérience, et donc de préparer le transfert, sans sortir des murs de l’école, sauf par la pensée, c’est de faire confiance à la capacité de représentation et d’imagination des êtres humains. Encore faut-il créer des espaces et des temps, des règles du jeu qui autorisent les élèves à évoquer ce que signifie pour eux, dans leur propre itinéraire et dans ce qu’ils perçoivent de celui de leurs proches, les apprentissages qu’on leur propose à l’école. Tous les élèves ne trouveront pas, dans leur histoire et leur projet personnels, des clés pour imaginer des situations où ils pourraient mobiliser ce qu’ils apprennent aujourd’hui. Ils peuvent cependant, du moins en partie, entrer dans l’histoire et les projets des autres élèves ou de l’enseignant. Ce dernier ne devrait pas s’interdire, bien au contraire, de relier les savoirs travaillés en classe à ses propres pratiques d’adulte. La plupart des professeurs élèvent au contraire un écran opaque entre leur enseignement et leur vie, ou n’en laissent entrevoir que des fragments, presque par inadvertance, alors que ce sont leurs passions et leurs investissements personnels - s’ils en ont - qui donnent à la culture qu’ils enseignent son sens et sa crédibilité. Mécanismes de protection de la vie privée et volonté de neutralité idéologique privent hélas trop souvent le savoir de ce qui le rend vivant. On rejoint là le problème plus global du sens du travail et des apprentissages scolaires. 


Travailler sur le sens des objectifs,
des savoirs, des activités

Pour apprendre, il n’est jamais superflu de comprendre le sens de ce qu’on apprend. Pour cela, il ne suffit pas que le savoir soit intelligible, assimilable. Il faut qu’il soit relié à d’autres activités humaines, que l’on comprenne pourquoi il a été développé, transmis, pourquoi il est bon de se l’approprier. Le sens n’est pas nécessairement utilitariste, il peut relever de l’esthétique, de l’éthique, du désir philosophique de comprendre le monde ou de partager une culture (Boudinet, 1996 ; Charlot, Bautier, et Rochex, 1992 ; Charlot et Stech, 1996 ; Perrenoud, 1996 a ; Rochex, 1995).

Quiconque peut jusqu’à un certain point apprendre dans le non sens : il suffit d’y mettre suffisamment de bonne volonté ou de pression, mais le transfert est alors improbable. D’abord parce que des connaissances privées de sens vont rapidement disparaître de la mémoire, une fois l’examen passé. Mais surtout parce que, même si elles subsistent, elles ne sont accompagnées d’aucune des représentations qui rendent leur usage imaginable et pertinent hors de leur contexte d’acquisition. On aurait tort de croire que le transfert est une activité solitaire, il est fortement favorisé ou inhibé par la culture, et notamment par les représentations sociales qui situent une connaissance dans un univers de sens et de pratiques.

Cet travail d’élargissement peut paraître superflu pour qui vise des effets à court terme, mais il est vital si l’on veut que les connaissances s’installent et s’intègrent au regard global qu’un sujet porte sur le monde. Avant d’être une opération, le transfert est une intuition, une hypothèse, une possibilité, une intention (Rey, 1996) qui ne tiennent pas seulement à l’imagination et à l’audace personnelle de la personne, mais sont nourries de sa culture et des suggestions implicites ou explicites qu’elle contient à propos de l’usage des savoirs dans l’action. 


Engager les élèves dans des démarches de projet

D’une démarche de projet, on attend souvent qu’elle soit le moteur d’une activité, voire d’un apprentissage parce que, comme l’expression l’indique, le sujet est mobilisé par un but à réaliser et consent donc des efforts, sinon pour apprendre, du moins pour réussir. Tout l’art est évidemment d’engager les élèves dans des projets où la réussite dépend d’un apprentissage. L’engagement dans un projet de moyenne ou longue portée offre aussi un cadre intégrateur à des activités plus limitées qui, prises isolément, sont reçues comme des exercices sans grand intérêt, ou même privé de tout sens.

Au-delà de ces vertus " psychodynamiques ", le projet est favorable au transfert parce qu’il confronte à des situations plus imprévisibles et complexes que les exercices scolaires. Tous les enseignants qui pratiquent une pédagogie du projet constatent d’ailleurs qu’il met en échec certains bons élèves et révèle les talents de quelques autres, qui apparaissent médiocres devant les tâches scolaires ordinaires. Le projet exerce une " pression au transfert ", à la fois affective, relationnelle et cognitive, tout simplement parce qu’on ne maîtrise jamais au départ tout ce qu’il faudrait savoir pour mener l’entreprise à son terme.

La notion de projet évoque souvent des activités complexes et de longue haleine. En fait, il y a projet dès qu’il y a représentation d’un état désirable et désiré, qui n’adviendra qu’au prix d’une action volontariste et efficace. Les projets intéressants pour l’enseignement sont évidemment ceux pour lesquels ils ne suffit pas, pour réussir, de mobiliser des routines en y mettant l’énergie et la rigueur voulues. Un projet n’est formateur que s’il oblige à se confronter à des situations dans lesquelles le cours optimal de l’action n’apparaît pas immédiatement, parce qu’il faut, pour avancer, construire une stratégie et résoudre une série de problèmes, dont chacun fait appel à des ressources cognitives diverses, parfois détenues par des personnes différentes. Selon le mode de gestion des ressources humaines dans le groupe, cette dimension coopérative peut permettre à chacun d’apprendre ou au contraire confier chaque tâche à celui qui s’en tire le mieux. C’est dire qu’il ne suffit pas de " mettre les élèves en projet ". La démarche ne vaut que par les obstacles qu’elle rencontre et par le dispositif qui interdit de les contourner, qui les transforme en objectifs-obstacles (Astolfi, 1992, 1997 ; Astolfi et Develay, 1996 ; Martinand, 1986), donc en sources d’apprentissage ou du moins en occasions de transfert.


Transfert et construction de compétences

Selon le rapport Fauroux, " L’institution est habile à définir des programmes et à faire passer des examens ; elle est apparemment peu soucieuse de définir ce qu’il faudra toujours savoir quand les savoirs des programmes seront depuis longtemps - dans la plupart des cas - oubliés " (Fauroux et Chacornac, 1996 p. 59).

Cette formule confirme l’importance du transfert et le constat de relatif échec de l’école à cet égard. Cependant, elle introduit une ambiguïté qui situe bien l’état de la réflexion : comment se représente-t-on " ce qu’il faudra toujours savoir quand les savoirs des programmes seront depuis longtemps oubliés " ? Si on pense que ce sont encore des " savoirs ", la tentation sera forte de les ajouter aux programmes. Mais pourquoi ne seraient-ils pas alors, comme les autres, condamnés à l’oubli ? S’il reste " quelque chose " quand on a tout oublié, n’est-ce pas parce que ce quelque chose n’est pas de l’ordre de la connaissance ou de l’information, mais de la capacité de retrouver, d’assembler, de reconstruire, de relire, voire de réapprendre ? C’est ce qui constitue une compétence au-delà des connaissances et savoirs qu’elle mobilise, actualise, extrapole ou produit. On se heurte ici à un problème de vocabulaire : qu’on les distingue ou qu’on les confonde, les vocables de " savoir " ou de " connaissance " ont un sens large et un sens strict. Au sens large, ils désignent toutes sortes d’acquis cognitifs ; au sens étroit, ils ne visent que des représentations du réel, des " lois " qui le régissent (connaissances dites déclaratives) et des procédés censés agir à coup sûr sur lui (connaissances dites procédurales).

Avec Rey (1996), je lierai indissociablement transfert et compétence, au point de dire que toute compétence est transversale, au sens où elle traverse diverses situations, et ne s’enferme pas dans la situation initiale. Même une compétence strictement disciplinaire est à cet égard transversale. Elle est en quelque sorte une " promesse de transfert ". La compétence est indissociable de la capacité d’affronter du neuf à condition qu’on puisse le ramener à du connu au prix de certaines opérations complexes. Comme le rappelle Le Boterf (1994) " le potentiel de compétence ne réside pas dans un stock initial de connaissances ou de capacités qu’il s’agit d’actualiser jusqu’à une situation limite (" il a donné tout son potentiel ") mais dans une capacité d’inférence susceptible de produire des informations nouvelles à partir de représentations existantes et en fonction d’un contexte particulier qui en conditionne la possibilité ". La compétence est une capacité de produire des hypothèses, voire des savoirs locaux qui, s’ils ne sont pas " déjà constitués ", sont " constituables " à partir des ressources du sujet.

Travailler le transfert revient donc à former à des compétences plutôt qu’à des connaissances seulement. Or, le savoir-mobiliser qui est à la racine de toute compétence n’est pas une représentation, donc un savoir au sens strict. C’est un acquis incorporé, ce qu’avec Piaget on peut appeler un schème, avec Bourdieu (1980) un habitus, avec Vergnaud (1990, 1996) une " connaissance-en-acte ". La mise en œuvre de ces schèmes produit, sans se confondre avec elles, des " représentations opératoires " (Le Boterf, 1994) de la situation et des possibilités d’action, qui sont des représentations disponibles en mémoire de travail, orientées vers l’action, qui peuvent être elles-mêmes construites à partir de représentations préalables disponibles en mémoire à long terme (connaissances stricto sensu et informations). Toute compétence de haut niveau joue constamment avec des représentations, mais n’est pas en elle-même une représentation ou une connaissance au sens strict (Perrenoud, 1996 c).

Dans divers pays, l’école s’oriente vers une " approche par compétences ", y compris lorsqu’on s’approche de l’université (Goulet, 1995), ce qui ne va pas sans effets de mode (Ropé et Tanguy, 1994 ; Ropé, 1996), conduisant à des changements superficiels. Ni sans la tentation de se perdre dans l’élaboration, à l’infini, de référentiels ou de " socles " de compétences. Lorsqu’on attaque le problème de front, on s’en prend à la nature du curriculum, aux bastions disciplinaires, aux habitudes didactiques, au traitement des différences, aux pesanteurs de l’évaluation, aux formes et aux normes d’excellence, au métier d’élève (Perrenoud, 1988 a et b ; 1995 a, b, c et d ; 1996 a et b). Les confusions conceptuelles à lever et les résistances à surmonter sont nombreuses. Cela exige un immense travail sur les objectifs et les programmes, notamment au second degré. Il faut aussi accepter de repenser les didactiques dans ce sens, en affrontant les contradictions du système et de chacun, maîtres, parents, élèves. Tardif (1996) montre que l’approche par compétences est difficile même en formation professionnelle, alors que sa légitimité n’y fait aucun doute…

Il reste enfin à lier le problème du transfert et l’approche par compétences à une réflexion globale sur l’échec scolaire : il ne suffit pas, dans ce registre d’individualiser les parcours, de permettre à chacun d’exister comme personne, dans sa différence, de travailler avec l’hétérogénéité comme ressource plutôt que comme pure contrainte (Meirieu, 1990 ; Perrenoud, 1996 b et g). L’entrée par les dispositifs ne devrait pas être détachée de la réflexion didactique sur les objectifs et les contenus, le rapport au savoir, le sens du travail scolaire (Astolfi, 1992 ; Develay, 1992).

Au regard de l’échec scolaire, poser le problème du transfert pourrait apparaître comme un luxe, puisqu’il ne surgit que lorsqu’il y a des acquis. Avant de s’inquiéter du faible transfert de certains acquis, mieux vaudrait s’interroger sur leur simple existence. Parfois, il n’y a rien à transférer, faute d’un enseignement consistant, parce que l’école court trop de lièvres et fait plus de promesses qu’elle n’en peut tenir. Si une partie des jeunes adultes issus de la scolarité obligatoire lisent très difficilement, si certains sont menacés de devenir des analphabètes fonctionnels, ce n’est pas faute de transférer un savoir-faire acquis, c’est tout simplement faute de l’avoir véritablement construit durant leur scolarité. La possibilité même de songer à un transfert semble donc dépendre de l’étendue et de la solidité des apprentissages de base : à quoi bon s’interroger sur leur réinvestissement si les acquis sont fragiles, peu intégrés, incomplets ? La première priorité n’est-elle pas de faire apprendre, de lutter contre l’échec scolaire au sens le plus banal, comme défaut d’acquisition ?

Il est vrai que le débat sur le transfert n’épuise pas le débat sur l’échec scolaire. Ne faut-il pas cependant intégrer ces problématiques ? La tentation de les séparer est certes compréhensible : le transfert pourrait paraître un objectif hors de portée pour des élèves qui ont déjà bien du mal à réussir des tâches scolaires contextualisées. Vouloir agir en même temps sur tous les fronts peut paraître une ambition démesurée. On sait en même temps que l’école souffre et finira peut-être par crever de la fragmentation des problèmes : une partie des élèves en échec résistent aux apprentissages scolaires parce qu’ils n’en voient pas le sens. Travailler sur le transfert n’appartient donc pas la toiture de l’édifice, mais participe de chaque étage. Viser le transfert d’emblée pourrait permettre d’apprendre à ceux auxquels le contexte scolaire ne convient pas, ou pour lesquels est tout simplement dépourvu de sens.

Michel Develay disait à Lyon en 1994 :

En début de colloque, les didacticiens semblaient considérer le transfert comme la capacité à réutiliser dans un autre contexte ce qui avait été découvert dans un premier environnement. Ils venaient échanger sur les conditions de réemploi, de décontextualisation et de contextualisation des savoirs de leurs disciplines de référence.

À travers les échanges qui se sont installés, j’ai le sentiment que les didacticiens découvrent que le transfert ne constitue pas seulement la phase terminale de l’apprentissage, mais qu’il est présent tout au long de l’apprentissage. Pour apprendre, se former, il convient de transférer en permanence. Toute activité intellectuelle est capacité à rapprocher deux contextes afin d’en apprécier les similitudes et les différences. Les raisonnements inductif, déductif et analogique, la disposition à construire une habileté, à relier cette habileté à d’autres habiletés, la possibilité de trouver du sens dans une situation, proviennent de la capacité à transférer. Il y a du transfert au cours d’un apprentissage depuis l’expression des représentations des élèves jusqu’à la réutilisation dans un autre contexte d’une habileté acquise. Le transfert n’est pas terminal, il est permanent. Conséquence, entre autres : le souci de faire exister des activités métacognitives ne devrait pas être présent seulement à la fin d’un apprentissage, mais tout au long de ce dernier (in Meirieu et. al., 1996, p. 20).

On ne saurait mieux dire qu’il ne faut pas attendre de maîtriser un savoir pour se demander ce qu’on pourrait bien en faire ! Il reste à assumer les implications pour le fonctionnement de l’école :

Mais peut-on transférer lorsque les programmes sont cycliques, de sorte que l’école est vécue comme le lieu de l’éternelle reprise des mêmes choses ? Peut-on transférer si les élèves, continuellement pressés, bousculés, emportés dans une temporalité émiettée, n’ont pas le temps d’essayer (et de s’essayer), de mettre à l’épreuve (et de se mettre à l’épreuve), de vérifier, d’hésiter, de tâtonner ? Enfin, peut-on transférer lorsque les enseignants eux-mêmes ne s’autorisent pas à pénétrer sur le territoire d’une autre discipline, lorsque la culture dominante de l’institution n’autorise guère la pratique du transfert ? L’école invoque le transfert comme s’il devait se produire de façon innée chez l’élève, reproche volontiers à celui-ci de ne pas avoir transféré, mais le place en fait dans une situation de double injonction contradictoire (double bind) : transférer et satisfaire aux normes et surnormes posées par des enseignants qui se pensent avant tout, en tout cas dans l’enseignement secondaire, comme représentants d’un corps de savoirs disciplinaires. Bref, peut-on transférer sans repenser radicalement l’économie des savoirs dans l’institution scolaire - et donc aussi la formation des maîtres ? (Charlot et Stech, 1996, p. 27).

La question de la formation des enseignants est inévitablement posée. À son propos, on peut risquer au moins une hypothèses : si elle ne maîtrise pas, dans ses propres dispositifs, la préparation au transfert, comment pourrait-elle prétendre favoriser chez les futurs enseignants des pratiques pédagogiques " tranférogènes " ?


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