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La division du travail entre les
formateurs denseignants :
quelques enjeux émergents
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1998
I. La valse des théoriciens et des praticiensII. Approches didactiques, approches transversales : clivage tactique ou partage du monde ?
III. Analyser ou fonder les pratiques ?
Tous les formateurs denseignants ne jouent pas le même rôle. Comment la division du travail sorganise-t-elle, entre eux ? Je tenterai danalyser quelques enjeux émergents qui sont autant de signes possibles dun éventuel processus de professionnalisation des formateurs.
Quelques lignes de partage se retrouvent dans presque tous les pays :
Selon chaque dimension, on rencontre des formateurs appartenant à plus dune catégorie ou en transition de lune vers lautre. Ces doubles appartenances ninvalident pas les distinctions, car les intéressés ont conscience de " porter plusieurs casquettes ", souvent au gré de rattachements institutionnels différents.
À ces découpages sajoutent tous ceux qui ne sont pas propres à la formation des enseignants. Les plus universels tiennent à lorigine disciplinaire et au niveau de formation académique. Les plus liés à chaque contexte national portent sur les statuts, les carrières, les revenus, les rattachements institutionnels, les dénominations et les nominations.
Une différence statutaire majeure sépare presque partout :
Toutes ces lignes de partage constituent des enjeux dans le champ de la formation. Elles sont en permanence, interrogées ou jugées évidentes, contestées ou justifiées, affirmées et déniées, sous-estimées ou dramatisées. Elles nourrissent des classifications et même des classements. Bourdieu (1979) présente la société comme le théâtre dune " lutte des classements ", dont résulte une hiérarchie provisoire des pratiques sociales, donc des hiérarchies que chacune permet de fabriquer. On peut entendre la lutte des classements dans un autre sens, tout aussi fondamental dans une vision constructiviste et anthropologique : les classements ordonnent le monde. Or, cet ordre, quel quil soit, profite toujours aux uns - pratiquement ou symboliquement - alors quil défavorise les autres. Lentreprise typologique, en sciences humaines, ne saurait donc être aussi sereine quen zoologie : alors que les animaux sont indifférents à la manière dont on les classe, les êtres humains y attachent une importance considérable et ils nont pas tort.
Sociologue de léducation, observateur de la formation, je chercherai à rendre compte des jeux et enjeux autour de la division du travail. Je ne puis toutefois prétendre à lextériorité : comme acteur de la formation des enseignants, je suis classé par ces classements et concerné par lissue des batailles épistémologiques et institutionnelles.
Sans doute est-ce en partie en raison de mon implication que, faute de pouvoir examiner tous les aspects de la division du travail de formation, je privilégierai les trois lignes de partage suivantes, sur la base à la fois dune observation participante dans mon institution et de nombreux contacts de travail avec le monde de la formation actuellement en transformation dans tous les pays francophones.
Ces trois aspects de la division du travail me paraissent des enjeux identitaires, épistémologiques et sociologiques forts, relativement récents et autour desquels se structure le champ de la formation des enseignants au moment où il bascule vers la pratique réflexive et entend contribuer à la professionnalisation du métier denseignants.
Les enseignants nont été spécifiquement formés à leur métier quassez tardivement et progressivement. Il a paru demblée normal quils maîtrisent les savoirs quils enseignent, même si certains nont quune petite avance sur leurs élèves. Pour quémerge le souci de leur formation pédagogique et didactique, il fallait non seulement quenseigner devienne un métier, mais aussi que lon considère quil ne suffit pas, pour lexercer, de faire preuve de culture, de bon sens et dhabileté à communiquer. On sait la fragilité de cette conviction. Ceux qui estiment quune formation professionnelle est superflue ne se demandent évidemment pas si les enseignants doivent être formés par des enseignants expérimentés ou des théoriciens
Pour les autres, la question se pose. Elle sest posée bien avant le développement des sciences humaines et plus particulièrement des sciences de léducation, car des magistrats, des notables, des ecclésiastiques ou des intellectuels ont toujours joué un certain rôle dans linstitutionnalisation de la formation des enseignants. Elle a demblée impliqué des praticiens, mais est rarement restée une affaire interne aux gens du métier, voire aux gens décole.
Cette coexistence de deux types de formateurs sest transformée au gré du développement de la psychopédagogie, puis des sciences de léducation et des didactiques disciplinaires. Pour quelle reste pacifique, il suffit de juxtaposer dans les programmes :
La formation théorique est donnée pas des universitaires spécialisés en psychologie, philosophie, éthique, didactique, histoire ou sociologie. La " formation pratique " est encadrée par des " responsables de stages " ou confiée directement aux conseillers pédagogiques et aux maîtres de stages qui accueillent des stagiaires dans leur classe.
Une telle division du travail peut perdurer si les formateurs ont le bon goût de ne faire aucune incursion dans le territoire de leurs voisins. Il y a certes des enjeux autour de la dotation horaire des uns et des autres et du leadership de la formation, mais on trouve en général un modus vivendi qui ne menace lexistence daucune catégorie. De façon assez prévisible, les formateurs disciplinaires et les théoriciens de léducation ne cessent de vouloir agrandir leurs territoires, en se spécialisant davantage et en ajoutant des heures aux heures. Ils ne prétendent pas contrôler la " formation pratique ". Au contraire, dans certaines universités, le prestige des formateurs paraît directement proportionnel à leur éloignement des stages. Les réactions des autorités scolaires et du corps enseignant en place tempèrent cet éloignement, en clamant tous les dix ans que la formation devient trop académique, que les nouveaux enseignants sont érudits, mais manchots dans une classe et quil faut redresser la barre !
Même sil se réclame de lalternance, un programme de formation peut saccommoder dun simple voisinage des interventions des divers formateurs et donc dune division du travail stable et peu problématique. Les enjeux ne se transforment véritablement que dans les institutions qui veulent inscrire lalternance dans une forte articulation théorie-pratique, donc rompre avec la juxtaposition denseignements théoriques de sciences de léducation (incluant les didactiques des disciplines) et dune " formation pratique ". Lidée générale qui sous-tend de tels programmes est en effet que les mêmes compétences sont construites, selon des postures différentes, dans le centre de formation initiale et dans les établissements scolaires qui reçoivent les stagiaires. On rompt avec lidée que les uns transmettent des connaissances théoriques ou méthodologiques alors que les autres initient aux " ficelles du métier ", sans quon sache très bien sil y a un rapport entre les unes et les autres.
Cette option a des conséquences pour toutes les catégories de formateurs :
Analysons de plus près les incidences des programmes orientés vers la pratique réflexive et larticulation théorie-pratique pour ces trois catégories de formateurs.
Des enseignants aux formateurs : mutation
Les critiques des programmes de formation professionnelle de niveau universitaire mettent en évidence (Tardif, 1996) la fragmentation du curriculum et la faible intégration des savoirs disciplinaires dans des situations complexes. Le stage est censé " faire lappoint ". Cest, en formation des enseignants, un dispositif plus sommaire que la clinique en médecine ou le laboratoire en ingénierie, dans la mesure où la prise en charge de larticulation théorie-pratique repose entièrement sur les épaules du stagiaire. De tels stages développent des stratégies de survie, plutôt que de favoriser la construction de compétences de haut niveau. Lalternance reste juxtapositive et na dailleurs dalternance que le nom si les stages sont groupés en fin de parcours et confiés à des responsables de la " formation pratique ", conçue comme une " discipline " mineure.
Les programmes actuellement développés ou proposés (Altet, 1998 ; Lessard, 1998, Perrenoud, 1998) respectent mieux le principe énoncé par Gillet (1991) : donner aux compétences un " droit de gérance " sur les disciplines. Il a des implications différentes selon quon le traduit au niveau du plan de formation seulement ou de chaque dispositif.
Peu importe ici le détail du dispositif. Je nen retiendrai que ce qui affecte lorganisation et la division du travail de formation.
Ces quelques éléments, qui sont, dans leur détail, caractéristiques du programme genevois, trouvent des formes équivalentes dans dautres parcours fondés sur une forte articulation théorie-pratique. Mon propos nest pas ici dexposer les bases dune formation en alternance (Perrenoud, 1998 a) et sa mise en uvre, mais de rappeler rapidement que si elle prend le pas sur une logique denseignement, cela aura des conséquences sur lidentité, le mode dintervention et les compétences des formateurs, mais aussi sur leur coopération et la nature de la division du travail entre eux, à lintérieur des unités, et entre elles.
Plus globalement, de tels programmes séloignent des grilles horaires et des découpages centrés sur les savoirs, pour évoluer vers une succession de dispositifs de formation, dont lingénierie (conception de base, évolution au fil des ans et régulation permanente) devient une partie de la tâche des enseignants-chercheurs. Ils se rapprochent du profil du formateur et puisent dans la boîte à outils de la formation des adultes pour dépasser les limites des didactiques universitaires transmissives et linéaires. En transit, entre le rôle denseignant et celui de formateur dadultes (Braun, 1989), les formateurs denseignants perdent leurs repères et les frontières sestompent. Cest pour certains un choix identitaire, pour dautre un pis-aller. On sen doute, cette évolution des programmes de formation, voulue par les pionniers, est vécue sur le mode de lambivalence, voire de lhostilité ouverte, par une partie des enseignants confrontés aux limites de leurs compétences ou qui ont limpression que la formation professionnelle les éloigne de leur projet académique. Ce problème est dautant plus aigu que la rareté des postes limite les choix de carrière. Si bien quen formation des enseignants on trouve des chercheurs qui rêvent dêtre ailleurs et qui, lorsque cette migration nest pas possible, sefforcent de recréer dans un programme de formation professionnelle les territoires habituels de la recherche
La division du travail est donc marquée non seulement par les incertitudes liées à la fragilité et à la mobilité des dispositifs, mais par des conflits épistémologiques, didactiques et institutionnels. Certains sont ouverts et opposent des enseignants-chercheurs également engagés dans la formation des praticiens, mais qui ne la voient pas de la même façon. Dautres sont plus feutrés, car ils prennent la formation des enseignants et sa place dans luniversité pour emblème des rapports entre formation et recherche et terrain des luttes pour orienter le développement des unités universitaires denseignement et de recherche.
Charbonnier nest plus maître chez soi
Dans sa figure traditionnelle, le " maître de stage " pratiquait une forme de compagnonnage quil modulait à sa façon. Il ne choisissait pas son stagiaire, mais il lui assignait un rôle et une place dans la classe, définissait unilatéralement le contrat de stage - variante dun contrat didactique - et fixait les limites du négociable et du " questionnable ".
Les programmes qui visent à accroître larticulation théorie-pratique menacent cette belle tranquillité. Parmi les évolutions qui se dessinent, retenons les suivantes.
Pour ces diverses raisons, la fonction de formateur de terrain nest plus laffaire des seuls intéressés. Le temps est fini dun chèque en blanc. Ils sinscrivent dans une division du travail dans laquelle ils ne peuvent plus tenir leur rôle sans avoir une vue densemble et comprendre la logique du plan et des démarches de formation. Leur tâche nest plus - dans lidéal ! - juxtaposée, mais articulée, à celle des formateurs du centre, ce qui peut accroître son intérêt et son sens, dans le meilleur des cas, mais représente aussi une contrainte nouvelle. On saisit en tout cas que si de réels mécanismes de négociation ne sont pas mis en place et entretenus, on reviendra au " chacun chez soi " dantan.
Des médiateurs entre le marteau et lenclume
On appelle ici médiateurs les formateurs qui ont un pied sur le terrain, lautre à luniversité. Leurs statuts et leurs fonctions varient sensiblement selon les systèmes. Le superviseur de stages québécois na pas déquivalent en Europe. Il existe rarement un statut aussi formalisé que celui des instituteurs maîtres formateur français (IMF). Gervais (1993) a montré la diversité des trajectoires et des postures de ces médiateurs. Jai proposé (Perrenoud, 1998 b) den distinguer de quatre types
Les formateurs de terrain ne sont pas considérés ici comme des médiateurs, quand bien même ils participent de la mise en relation de deux institutions. Leur fonction de formateur reste en effet marginale dans leur travail.
Certains médiateurs sont essentiellement rattachés à un établissement scolaire au titre de professeur et ils interviennent ponctuellement dans les formations, pour apporter un " témoignage de praticien ", présenter des outils, coanimer certaines activités, apporter des cas, donner un éclairage ou participer à un jury. Dautres médiateurs sont rattachés formellement à luniversité, mais leur parcours antérieur de praticien ou leur spécialisation académique les conduisent à aller ou à retourner constamment sur le terrain et à sen faire les porte-parole.
Le développement de programmes darticulation théorie-pratique est souvent porté par les médiateurs. Ils leur confèrent une position moins marginale. Dans une logique darticulation, chaque go-between ou " marginal sécant " incarne les nouvelles orientations et paraît en avance sur linstitution. Cest une forme de reconnaissance. En même temps, ces " métis de lintervalle " (Pelletier, 1995) perdent leur relative tranquillité aussi bien que laura des pionniers mal-aimés. Développer lanalyse de pratique dans un institut de formation voué au " tout disciplinaire " est plus héroïque que danimer le 34e groupe de référence dans un IUFM qui a banalisé lanalyse des pratiques et des problèmes professionnels. Lorsque les pratiques en rupture deviennent la norme, leurs tenants ne les reconnaissent plus et nen tirent plus les mêmes profits, comme le montrent les attitudes des militants de léducation nouvelle et des méthodes actives lorsque leurs thèses et leurs outils sont repris par linstitution.
Par ailleurs, linventivité personnelle ne suffit plus lorsquune pratique de formation devient une référence institutionnelle. Ceux qui lont défendue les premiers sont invités à en expliciter les fondements et à en décrire les démarches, par exemple pour former de nouveaux formateurs. Cest là quon découvre la relative fragilité de certaines pratiques de formation et la difficulté de les décrire pour les reproduire ou évaluer les apprentissages quelles permettent
Il nest donc pas sûr que les formateurs médiateurs soient à tous égards comblés par lévolution actuelle des instituts et des plans de formation, qui leur donne dans la division du travail des responsabilités nouvelles et inconfortables. Alors quils étaient " ailleurs ", en marge, voire " dans lopposition ", plus libres que les autres, travaillant dans une certaine opacité, on leur demande de jouer un rôle central dans larticulation théorie-pratique et donc de vivre la tension entre le terrain et certains enseignants-chercheurs qui restent barricadés dans leurs forteresses théoriques
Une division du travail floue, flexible et négociée
La valse des théoriciens et des praticiens empêche aujourdhui le " chacun pour soi ". La division du travail nest plus un découpage stable minimisant les interactions, cest plutôt un champ de forces imposant des négociations permanentes pour faire évoluer des dispositifs qui susent et se renouvellent de lintérieur. Alors quun enseignement magistral peut se routiniser une fois acquise la maîtrise des contenus et du déroulement, les dispositifs dalternance et darticulation perdent toute efficacité sils ne sont pas régulièrement réinventés, renégociés, métissés. Le splendide enfermement de chaque formateur dans un créneau spécifique paraît donc menacé.
La division du travail dans une institution de formation peut être une structure lourde ; chacun sinsère sans en comprendre nécessairement la logique ; peu lui importe, du moment quà lintérieur de son territoire, il se sent autonome. Le métier évolue lorsque la division du travail devient un enjeu permanent, dont nul ne peut durablement se désintéresser, sous peine dêtre marginalisé ou de se retrouver appelé à faire fonctionner des dispositifs quil ne comprend pas.
Même sils sont saisis par la logique de la formation et du développement de compétences, les enseignants-chercheurs conservent des identités distinctes, en particulier dans les universités, où leur nomination exige une expertise théorique, attestée par des travaux de recherche et des publications, plus quune compétence ou une formation de formateur (même si lon commence à en tenir compte).
La division du travail de formation sancre donc en partie dans une division du travail de recherche, donc dans des découpages théoriques du champ de léducation en objets de savoir. Au fil des décennies, ces découpages évoluent, marqués par des ruptures de paradigme ou lémergence de nouveaux venus. Les évolutions prennent des allures et des tournures assez différentes dun pays à lautre, même dans laire francophone. Parmi les mouvements importants des dernières décennies, on peut noter le triomphe, puis le déclin de la pédagogie expérimentale, lirruption des sciences sociales aux côtés de la psychologie de léducation, le développement de la didactique des disciplines, le clivage entre la psychologie humaniste, qui reste proche de léducation et les neurosciences, qui sallient à la médecine plus quaux sciences sociales. Au plan méthodologique et épistémologique, les sciences de léducation participent de la réhabilitation des méthodes qualitatives, du pluralisme des conceptions du savoir et de la prise en compte du sujet (approches phénoménologiques, socioconstructivistes, ethnométhodologiques), après une période de positivisme, de quantitativisme et de behaviorisme triomphants qui ont tenté dexclure de luniversité toutes les autres postures. Il nest pas exclu que samorce aujourdhui un retour du balancier en faveur de la science dure, pour une part en réponse à luniversitarisation des formations professionnelles (Lessard, 1998)
La formation des enseignants nest véritablement concernée par ces évolutions que lorsquelle devient universitaire et se fonde au moins en partie sur les sciences de léducation. En schématisant, on peut dire que dans une école normale traditionnelle, le savoir savant (psychologique, philosophique) nétait quun élément de culture générale ; on mettait laccent sur des savoir-faire globaux (didactique générale, gestion de classe) ou des méthodologies denseignement (on ne parlait pas alors de didactique des disciplines). Une partie des enseignements de philosophie de léducation, de psychologie de lenfant, de pédagogie ou didactiques générales ou de médecine scolaire étaient assurées par des universitaires, parfois sous formes de cours de service, parfois par des vacataires, dans les deux cas un peu détachés du débat théorique et épistémologique.
Lorsque la formation des enseignants devient universitaire, le paysage se modifie. Encore faut-il faire la part des histoires et des traditions nationales. En France, le sous-développement des unités universitaires de sciences de léducation et leur faible ouverture aux travaux didactiques expliquent la tentation de linsularité des didactiques des disciplines (Chevallard, 1991). Cette dernière, qui procède dun mécanisme de défense, peut devenir une stratégie de développement et même nourrir une tentative hégémonique, lorsquune " anthropologie du didactique " (Chevallard, 1994) prétend reprendre et intégrer toutes les questions que les sciences humaines posent à léducation (Perrenoud, 1996 e).
Paradoxalement, la création des IUFM, qui aurait pu pousser à leur rapprochement, a, dans un premier temps, plutôt aggravé la séparation entre didactiques des disciplines et sciences de léducation. Dans les IUFM, les didactiques des disciplines se taillent la part du lion dans la formation professionnelle proprement dite (deuxième année, après le concours). Les sciences de léducation constituées - implantées dans les universités, se tiennent ou sont tenues à lécart, alors quà lintérieur des IUFM, les sciences de léducation se bornent souvent à des apports psychologiques (dorientation analytique) ou psychopédagogiques (domaine réservé des anciens professeurs de philosophie des Écoles normales). Globalement, les sciences sociales sont peu développées dans les IUFM, où elles sont fondues dans des " formations générales " (communes aux professeurs décole, collège et lycée), qui dailleurs se sont réduites comme peau de chagrin au fil des années.
Au Québec, comme aux États-Unis, la formation des enseignants est assurée en tout ou partie, depuis les années'60, par les facultés de sciences de léducation, qui y importent donc leurs objets et enjeux épistémologiques. Le projet genevois de formation des professeurs décole dans le cadre des sciences de léducation va dans le même sens. Le reste de la Suisse, la Belgique, le Luxembourg sorientent plutôt vers des instituts pédagogiques non universitaires, mais relevant de lenseignement supérieur, qui représentent peut-être une étape de transition entre les écoles normales et une formation entièrement universitaire.
On ne peut donc généraliser. Les enjeux de la division du travail privilégiés ici concernent plutôt les programmes fortement solidaires des sciences de léducation, qui incluent alors les didactiques des disciplines, dans les facultés universitaires, mais aussi dans les hautes écoles qui développent des programmes de forte articulation théorie-pratique et ne se contentent plus de juxtaposer des méthodologies disciplinaires et un cours global de psychopédagogie.
On pourrait avancer le schéma de développement suivant :
Cette schématisation sommaire ne rend pas justice à la diversité des histoires singulières. Les objets complexes qui émergent dans la structuration des sciences de léducation ne sont pas partout les mêmes. Lorsque ce sont des disciplines denseignement reconnues dans le système scolaire (français, mathématique, musique, biologie, etc.), ils dépendent dune construction sociale faire par chaque système éducatif, dont la recherche hérite ; elle bénéficie de la stabilité des disciplines enseignées dans les écoles et de leur reconnaissance par les acteurs. Un didacticien des mathématiques na pas besoin dexpliquer sur quel objet il travaille, alors que les enseignants-chercheurs qui sintéressent à la médiation, aux régulations métacognitives ou au rapport au savoir ne peuvent pas compter sur cette compréhension immédiate et ont donc lair de parler chinois
Les approches plus transversales nétudient pas une tout autre réalité que les didactiques, mais elles portent un autre regard sur les faits éducatifs, mobilisant les mêmes sciences humaines et sociales pour éclairer des processus qui traversent toutes les disciplines scolaires ou nappartiennent à aucune : lévaluation, le traitement des différences, linégalité devant lécole, lintégration ou lexclusion denfants différents, léchec scolaire, les relations entre lécole et les familles, les projets détablissements, linnovation, le métier délève, le métier denseignant, la gestion de classe, la coexistence de plusieurs cultures, les relations intersubjectives, les dynamiques de groupes, les discriminations, les phénomènes de pouvoir, de déviance, de discrimination, de ségrégation ou de communication dans la classe, etc. Certains de ces objets ont une existence institutionnelle ou correspondent à des pratiques sociales (citoyenneté, apprentissage coopératif, conseils de classe), dautres séloignent davantage du sens commun et nont dexistence que comme objets théoriques.
Les approches transversales, sans être indifférentes aux contenus spécifiques des savoirs, insistent sur des mécanismes communs. Elles admettent par exemple que le rapport au savoir est en partie spécifique, différencié selon les disciplines, et même selon leurs diverses composantes (géométrie et algèbre ne sont pas interchangeables), mais quon peut légitimement étudier le rapport au savoir dun point de vue psychologique, sociologique, anthropologique plus global, par exemple sous langle du rapport à labstraction ou à lexpression tel quil est influencé par lhistoire du sujet ou sa culture familiale.
Les modes de découpage du réel sont différents : les didactiques des disciplines ninventent pas les disciplines, elles en reconnaissent lexistence dans linstitution. Elles sont donc en partie dépendantes des émergences, des schismes, des fusions, des alliances qui sopèrent dans le champ des savoirs scolaires : ici on sépare géographie et histoire, là on les réunit ; ici on groupe sciences de la vie et de la terre, là elles nont aucun rapport et font appel à des spécialisations bien distinctes. Les didactiques sont donc en partie prisonnières de leur objet, et courent le risque dune certaine cécité à légard de tout no mans land, de tout ce qui, dans lécole, ne relève daucune discipline ou relève de toutes. Par exemple, la polyvalence des professeurs décole et linjonction qui leur est faite de jeter des ponts entre les disciplines nont guère déchos, actuellement, dans les travaux pointus de didactique des disciplines, et pour cause. Pas plus que les parcours diversifiés ou les démarches de projet au collège.
Les approches transversales sont moins dépendantes de la construction du réel au sein du système éducatif, même si certains objets correspondent à des catégories reconnues et utilisées par les acteurs (évaluation, différenciation, gestion de classe, intégration, relations familles-école) ou susceptibles de lêtre (métier délève, interculturel). Cette indépendance se paie dune plus grande dispersion des forces, dune plus grande instabilité des objets de recherche et des réseaux de communication, didentités interdisciplinaires moins fortes. Alors que les spécialistes des disciplines se construisent facilement une identité de didacticiens, quelles que soient leurs formations dorigine, les chercheurs engagés dans les approches transversales se reconnaissent pour une part dabord comme sociologues, historiens, psychanalystes ou anthropologues, ou encore comme " chercheurs en éducation " à vocation " généraliste ". Alors que les didacticiens se spécialisent dans une " discipline ", et sont extrêmement prudents quant aux emprunts et aux passages dun champ disciplinaire à un autre, les chercheurs " transversaux " sintéressent souvent à plusieurs objets complexes, parallèlement ou successivement.
Les didacticiens partent du champ scolaire et élargissent peu à peu leurs investigations, à la manière dont Brousseau définit la didactique des mathématiques comme " la science des conditions spécifiques de la diffusion des connaissances mathématiques utiles au fonctionnement des institutions humaines " (1994, p 52.). Les transversaux ont des ancrages disciplinaires et des intérêts plus hétérogènes : certains de leurs objets nont aucun équivalent hors du champ scolaire, alors que dautres sont communs à léducation des adultes, par exemple. Autre différence : les didacticiens des disciplines se constituent en communauté épistémique, en groupe de pression, en acteur collectif nouveau dans linstitution universitaire et scolaire. Les " transversaux " se définissent au départ par complément : ce sont ceux qui ne se reconnaissent pas ou ne sont pas reconnus comme didacticiens " pur sucre ". Seuls les enjeux institutionnels, par exemple la création de nouveaux programmes de formation, la constitution de nouveaux publics ou de réseaux de recherche obligent les " transversaux " à se penser comme tels. Cest une identité dailleurs provisoire, sans doute moins forte que la référence à la didactique des disciplines.
Il ny a donc ni parallélisme, ni totale symétrie entre approches transversales et approches didactiques, ni dailleurs accord complet sur la nature épistémologique des sciences de léducation. Les divergences théoriques et épistémologiques entre didacticiens et transversaux sont-elles plus fortes quau sein de chacune de ces familles ? Ce nest pas sûr. Mais il y a des logiques daction collective qui fédèrent des blocs hétérogènes.
La gestion commune dun programme de formation professionnelle, et plus particulièrement dun programme de formation denseignants, transpose ces différences et conflits théoriques dans le champ de la formation. Idéalement, une formation denseignants devrait partir dune analyse du métier, identifier des compétences clés, analyser les savoirs quelles mobilisent et donner la priorité à leur construction. Cette transposition didactique " rationnelle " est constamment court-circuitée par laffrontement des lobbies en place, quils soient statutaires ou disciplinaires (Perrenoud, 1998 d).
La division du travail entre formateurs est rarement une réponse entièrement originale à la question de la formation professionnelle, elle est en partie la traduction, dans un programme spécifique de formation, des rapports de sens et de force entre les acteurs de linstitution, et notamment de la division du travail scientifique qui y prévaut, notamment dans une université. Dans un IUFM ou une haute école pédagogique, en raison de la place moins centrale de la recherche, dautres enjeux investissent les plans de formation, mais le clivage didactique-transversal nest pas absent. Il lest dautant moins que ces institutions coopèrent avec les universités et vont au-delà de la commande de cours de service, pour négocier la place des sciences de léducation et des didactiques dans le plan de formation *.
Dans tous les cas de figures, une partie des acteurs ont à cur de protéger ou de conquérir un territoire, une épistémologie et une posture aussi bien que des plages horaires et des pondérations. Entre approches didactiques et approches transversales, la construction des plans de formations donne lieu à des marchandages, dont se mêlent parfois les approches technologiques, les éclairages éthiques ou philosophiques, les disciplines de référence qui ne trouvent pas leur compte dans les nouveaux découpages ou les spécialistes exclusivement centrés sur les savoirs à enseigner. Aux arrangements qui se développent tentent parfois de sopposer :
Cest à ces derniers que nous allons maintenant nous intéresser.
Tous les formateurs de médecins ne prennent pas la pratique médicale pour objet de savoir. La plupart des enseignements portent soit sur les réalités dont les médecins soccupent, soit sur leurs outils de travail : dune part, les personnes, leur santé, les structures anatomiques et les fonctionnements psychobiologique susceptibles daffecter leur santé ou leurs réactions à un traitement ; dautre part, les outils de la pratique : méthodes et techniques de prévention, de diagnostic ou de soins, technologies, médicaments, ressources humaines. La pratique médicale est censée mobiliser rationnellement ces savoirs et ces outils. La formation clinique est le lieu dexercice de cette mobilisation, aussi bien que dintégration des savoirs acquis. La pratique dans son ensemble fait éventuellement lobjet dun regard historique, de réflexions éthiques ou dun soutien psychologique, mais elle ne fait pas partie des objets étudiés par la recherche médicale.
En sciences de léducation, la situation est différente, car la pratique professionnelle est, en tant que telle, un objet de savoir. Pourquoi ? Sans doute dabord parce que les sciences de léducation, comme leur nom lindique, portent sur des pratiques éducatives. Ce ne sont pas des sciences de la cognition et de lapprentissage, même si ces processus ont pris une importance considérable dans leur développement. Les travaux portant sur lapprenant ont toujours été précédés ou complétés par des travaux sur les pratiques pédagogiques et les systèmes denseignement. Idéalement, il sagit de les articuler. Les travaux sur le triangle pédagogique ou le triangle didactique illustrent cette volonté de ne pas dissocier savoirs, processus dapprentissages et processus denseignement ou de formation.
De plus, dans les métiers de lhumain, la raison ne peut tenir lieu de théorie - prescriptive - de la pratique. Les déterminations psychanalytiques, psychosociologiques et anthropologiques de laction éducative sont complexes, dans la famille comme dans lécole. Ce qui conduit à considérer que le praticien fait souvent partie du problème, en raison de tout ce qui se joue dans la relation, la distance culturelle, les stratégies des acteurs, les contraintes des organisations. On pourrait probablement soutenir le même raisonnement pour la médecine. Le développement des groupes Balint et dune composante psychologique de la formation atteste dune prise de conscience progressive du fait que lenseignant est une personne. La différence est que les savoirs savants de référence ne relèvent pas de la physique, de la chimie, de la biologie, ni même de lanatomie et de la physiologie, mais de sciences humaines incertaines, enseignées dans dautres secteurs de luniversité et pour lesquelles la " science médicale " na quune faible considération.
Les sciences de léducation seraient schizophrènes si elles nenvisageaient pas dintégrer à la formation professionnelle des enseignants, surtout lorsquelles lassument, une part de leur savoir sur les pratiques éducatives et plus globalement sur les organisations scolaires, les systèmes éducatifs et les politiques de formation, leur histoire, leur sociologie, leur économie. Dans cette perspective, un praticien réflexif nest pas seulement un professionnel capable danalyser sa pratique dans le registre du sens commun. Il dispose doutils conceptuels issus des sciences humaines pour se penser comme un acteur et un sujet, produit dune culture et dune histoire de vie, engagé dans des transactions et des solidarités, dépendant en partie de son habitus, de son inconscient, de son insertion dans les rapports sociaux.
La fonction des théories de la pratique dans la formation de praticien reste ambiguë, parce que leur présence a plusieurs justifications : armer la pratique réflexive et la lucidité professionnelle, mais aussi former à la recherche et donner accès à une culture générale en sciences humaines et sociales, voire faire place, dans les programmes de formation, à des domaines dont la pertinence pour le métier importe moins que le poids dans linstitution universitaire
Cette question nest pas sans rapport avec la division du travail entre formateurs, car cette dernière est toujours la résultante dun double marchandage au sein des institutions :
Ces deux marchandages sont imbriqués. Lexclusion de certains domaines peut résulter dune alliance tactique entre des groupes qui saffronteront ensuite pour se partager le terrain. Il arrive aussi que la proposition dinclure une nouvelle discipline soit fondée sur lespoir de renforcer certains secteurs marginaux. Autrement dit, ceux qui participent au partage des temps, des espaces, des pouvoirs qui est inséparable de toute division du travail ne forment pas un cercle défini une fois pour toutes.
Nous nous limiterons ici à un aspect du problème plus lié au second marchandage quau premier : tout programme de formation denseignants fait une part - qui parfois nexcède pas 10 % du temps global de formation - aux apports centrés sur la pratique dans son ensemble et sur lintégration des diverses composantes du métier. Cette dimension de la formation a été longtemps confinée aux stages en responsabilité et à leur accompagnement plus ou moins soutenu, sans quon se demande précisément pourquoi lintégration des acquis sopérerait du seul fait que létudiant stagiaire assumait soudain la pleine responsabilité dune classe.
Les programmes de formation les plus récents se fondent sur une vision moins magique de la construction des compétences. Ils postulent que le transfert, lintégration et la mobilisation des acquis ne peuvent être garantis que sils sont travaillés comme tels, à la faveur à la fois dun entraînement et dune posture réflexive. Sans reprendre ici les arguments de fond, on peut noter quils ont conduit à la création de ce quon a appelé " cours métis et cours méta " dans certaines universités belges, et, en formation des enseignants, à la mise en place dunités dintégration : groupes de référence, séminaire danalyse de la pratique, laboratoires didactiques, ateliers dexplicitation ou déthique, groupes danalyse des problèmes professionnels, groupes de supervision. Ces appellations ne recouvrent pas exactement les mêmes dispositifs. Je les réunis ici en raison dune ambition commune : prendre la pratique pour objet danalyse et de savoir, dans sa globalité, sa complexité, sa multiréférentialité, son ambiguïté, son opacité, y compris ses aspects non réfléchis, non rationnels, non dits. Ces unités sont articulées aux stages en responsabilités ou travaillent sur dautres sources (journal, vidéo) et dautres démarches (jeux de rôle, simulation, études de cas, travail sur des dilemmes). On trouvera ailleurs (Perrenoud, 1996 b et d) une analyse plus détaillée de ces dispositifs, qui ont en commun de porter sur la globalité de la pratique, dans une perspective réflexive et une logique dentraînement plus que pour ajouter des savoirs aux savoirs.
Concevoir et animer de telles unités dintégration, de qui est-ce laffaire ? On peut imaginer quelles attireront assez " naturellement " la catégorie des formateurs médiateurs, même si les uns viennent de la pratique et vont vers la théorie, alors que dautres font le chemin inverse :
Ces formateurs médiateurs, quils viennent du terrain ou de la recherche, plaident pour la présence, dans le curriculum, de plages et dunités de formation qui ne soient ni transversales, ni didactiques, ni technologiques, ni méthodologiques, mais qui articulent ces apports autour de situations complexes et de récits de pratiques. Ces unités visent à la fois à entraîner le savoir-analyser et à exercer la mise en synergie et la mobilisation des savoirs et savoir-faire construits à divers moments et dans divers secteurs de la formation.
Sous langle de la division du travail, il y a là un triple enjeu. Les unités dintégration :
Plus fondamentalement, ces approches sont du côté du sujet et construisent le savoir avec lui plutôt que sur lui. Elles travaillent sur la construction du sens, processus difficile à objectiver. Elles nétablissent ni hiérarchie, ni césure absolues entre le sens commun et le savoir savant, elles attachent plus dimportance à la posture (systémique, dialectique, interactionniste, relativiste) quaux méthodes de traitement des " données " ; elles refusent une spécialisation telle que le sujet disparaîtrait de la scène.
À propos de la formation des enseignants et des unités dintégration se jouent donc des débats épistémologiques fondamentaux, autour de la présence des sciences de léducation dans les programmes de formation dont elles ne sont pas directement responsables et autour de leur identité et de leur développement dans les facultés de sciences de léducation.
Ici encore, la division du travail doit concilier une logique de formation et des enjeux symboliques. Quelques chercheurs, voire certains secteurs des sciences de léducation, senorgueillissent encore de navoir aucune contribution à apporter à la formation des enseignants, ni aucun intérêt intellectuel pour ce " service " rendu à la collectivité. Ils nentrent pas dans le débat, sauf pour détourner les ressources mises à disposition de la formation au profit de travaux qui sen désintéressent.
Une bonne partie des enseignants-chercheurs commencent à comprendre que la juxtaposition de la science et de la formation professionnelle, la seconde subventionnant la première, nest pas nécessairement un bon calcul, quil vaut mieux investir le champ des formations professionnelles de visées théoriques et épistémologiques fortes, sans pour autant revenir aux fantasmes dune pratique appliquant la théorie. Les enseignants-chercheurs qui font ce choix ne sont pas pour autant daccord sur toutes les orientations. Ils retrouvent dans le champ de la formation les débats et enjeux qui traversent les sciences de léducation et luniversité dans leur ensemble à propos de la place des formations professionnelles (Lessard, 1998 ; Lessard et Bourdoncle, 1998 ; Lessard et Lévesque, 1998).
La division du travail est un enjeu dans lévolution des fonctions et métiers de la formation. Les nouveaux paradigmes de la formation des enseignants - démarche clinique, pratique réflexive, orientation vers les compétences, articulation théorie-pratique, partenariats avec le terrain et les établissements - ont des incidences fortes sur les rôles des uns et des autres et la division du travail.
Cela concerne-t-il la professionnalisation du métier de formateur ? Les nouveaux paradigmes de la formation ont partie liée avec le mouvement de professionnalisation du métier denseignant. On pourrait donc esquisser la chaîne causale suivante :
V
V
Réformes de la formation dans le sens de la pratique réflexive
V
V
Évolution des tâches des formateurs et de la division du travail entre eux
Cette dernière évolution est-elle un indice de professionnalisation du métier de formateur ? Tout dépend de la conception de la professionnalisation dont on se réclame. On ne peut modifier la définition du concept selon la pratique sociale de référence. Pourtant, il est difficile damalgamer un métier, celui denseignant, institué, mais dépendant, et une fonction, celle de formateur, assez vague et disparate, peu instituée, mais aussi assez peu prescrite, surtout dans lenseignement supérieur. Alors que la professionnalisation du métier denseignant se fera avant tout - si elle se fait - sur laxe autonomie-responsabilité, celle du " métier de formateur " me paraît plus ambiguë.
Si évolution il y a, elle passera par lémergence directe dune profession plutôt que par la professionnalisation dun métier qui nexiste pas véritablement. Ce qui implique la construction dune expertise en formation dadultes en général et en formation denseignants en particulier, bien au-delà de la maîtrise dun champ théorique (disciplinaire, didactique, transversal ou technologique) ou dune pratique de classe.
Cette expertise reste largement à construire (Perrenoud, 1998 e). Selon la conception de la division du travail de formation, elle peut concerner tous les formateurs denseignants ou une petite minorité dentre eux. Si la plupart de ceux qui forment les enseignants, quel que soit le nom quon leur donne, fonctionnent comme des enseignants, capables de transmettre des savoirs, la profession de formateur denseignants ne sinstitutionnalisera pas. La fonction restera exercée par des gens atypiques, des professeurs qui ont muté vers une identité de formateur au gré dun choix personnel. Les institutions en ont besoin, elles ne peuvent assurer une formation professionnelle convenable sans ce petit nombre de formateurs qui sont aujourdhui en charge des stages, de lanalyse de pratiques, parfois des mémoires professionnels. Sils restent une minorité, on peut envisager quils constituent un réseau dexpertise doublé dun réseau militant, sans accéder au statut de profession.
Le paradoxe est cela ne se verra pas, parce que les intéressés seront, en titre, professeurs dans une haute école et une université. Puisquon paie des gens pour " former des enseignants ", on en conclura quil existe un métier de formateur. Puisque ce métier est qualifié et autonome, on le considérera comme une profession.
En fait, ce tour de passe-passe repose sur lambiguïté de la notion de formateur. Le risque est de réduire la professionnalisation des formateurs à celle des professeurs des hautes écoles et des universités, qui nest elle-même quune déclinaison de la professionnalisation du métier denseignant. Pour quil y ait professionnalisation des formateurs, il faut au préalable que ce métier émerge et se distingue plus clairement du métier denseignant. Or cette évolution est peu probable, pour trois raisons au moins :
Lémergence dune profession de formateur semble moins improbable dans la formation continue, si elle reste un réseau indépendant. Le rattachement des MAFPEN aux IUFM, en France, et le développement de la formation professionnelle continue dans le cadre des universités suggèrent quil y a là une occasion manquée de faire émerger une profession spécifique de formateur denseignants, alors quelle se dessine plus nettement dans le champ de la formation des adultes.
Il se peut donc que la vraie question ne soit pas celle dun métier qui nexiste pas, mais dune fonction de formateur exercée sous couvert du métier de professeur ou denseignant chercheur dans lenseignement supérieur. Ce qui brouille les cartes et oblige à analyser de près les pratiques denseignement et de formation et la division des tâches, pour comprendre qui fait quoi, avec quelle expertise, et discerner déventuelles tendances générales, masquées par la pérennité des statuts.
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