Source et copyright à la fin du texte
In Pelletier, G. (dir.) L ’évaluation institutionnelle de l’éducation, Montréal, Éditions de l'AFIDES, 1998, pp. 11-47. Publié auparavant in Mesure et Évaluation en Éducation, 1996, vol. 19, n° 2, pp. 53-98.

 

 

 

 

Évaluer les réformes scolaires,
est-ce bien raisonnable ?

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève

1998

Sommaire

1. La question des finalités

2. La rationalité limitée des réformes scolaires

3. Le bilan final des réformes scolaires, une autopsie menée dans l’indifférence

4. En quête d’un modèle réaliste : pour une observation formative des processus de réforme

Références


En 1968, le Directeur du Cycle d’Orientation genevois instituait une commission de réforme permanente. Il avait compris, parmi les premiers, que le changement de l’école devenait son rocher de Sisyphe (Hari, 1982), que le projet d’éduquer et d’instruire était condamné à être constamment remis sur le métier, bref, qu’on s’installait dans la réforme comme mode de vie, qu’elle n’était plus une exception dans le fonctionnement des institutions, mais presque une routine (Perrenoud, 1993 b). Les enseignants actifs depuis les années soixante ne savent plus à combien de réformes ils ont " survécu " et ils attendent la suivante avec philosophie…

La réforme n’est jamais permanente, stricto sensu. Toutefois, les systèmes éducatifs, comme les autres organisations, ont appris qu’aucune réforme ne réglera durablement les problèmes auxquels elle prétend répondre. On pressent désormais qu’au moment où l’on met une réforme en œuvre, on jette déjà les bases de la suivante qui, quelques années plus tard, la corrigera ou la prolongera, à moins qu’elle n’en prenne le contre-pied, si la volonté politique ou la conjoncture ont radicalement changé. Le rythme des réformes s’est accéléré, les systèmes les enchaînent désormais à la manière dont un grand fumeur allume une nouvelle cigarette, avec les derniers rougeoiements de celle qu’il va jeter… Si bien qu’il y a toujours " une réforme dans l’air ", la précédente, dont l’actualité s’efface progressivement au profit de la suivante, dont la possibilité et l’opportunité captent peu à peu les énergies.

Philippe Meirieu observe volontiers que la médecine fait des progrès, alors que l’école adopte, met en œuvre, puis abandonne des réformes. Il souligne de la sorte le contraste entre la pratique médicale, fondée sur l’extension continue des savoirs et des technologies, et la pratique pédagogique, plus dépendante des croyances, des effets de mode et des conjonctures. Le contraste apparaît cependant moins vif si l’on considère les institutions : on réforme aussi l’hôpital, la justice ou le système monétaire. Les organisations humaines fonctionnent selon des structures formelles dont le " jeu " permet des changements limités, mais qu’il faut modifier ouvertement pour autoriser des transformations plus importantes. Ces structures ne sont pas " au-dessus des acteurs ", elles résultent de leurs efforts permanents pour construire et contrôler l’action collective (Friedberg, 1993).

La structure formelle et les finalités déclarées ne changent qu’au gré de décisions explicites, consignées dans des textes, auxquels les acteurs reconnaissent une certaine légitimité et dont ils vont se réclamer jusqu’à la prochaine réforme. Lorsque le changement dépend de telles décisions, il apparaît comme un temps fort dans la vie de l’institution, celui qui précède et suit immédiatement l’adoption d’une réforme. Entre ces temps forts - qui sont de plus en plus rapprochés - on fonctionne, en principe, dans le respect des finalités et des structures formelles en vigueur, ce qui n’empêche pas les changements graduels de représentations et de pratiques. Ces derniers, lorsqu’ils butent sur des obstacles impossibles à surmonter dans le cadre institué, préparent et hâtent une nouvelle réforme.

À l’accélération du rythme des réformes s’ajoute un souci de rationalisation qui passe par une évaluation plus rigoureuse et explicite, tant des institutions et des politiques publiques que des effets de leurs réorientations périodiques. Dans les démocraties, un débat public s’organise de façon quasi permanente autour du système éducatif, d’autres autour du système de santé, du système fiscal, du système pénitentiaire, du système de transports, du système électoral, etc. Les projets de réformes nouvelles et l’échec, proclamé ou dénié, des réformes engagées, alimentent ces débats et offrent un terrain à l’affrontement des groupes de pression (employeurs, usagers, mouvements idéologiques), des partis et des syndicats de professionnels autour des politiques, des lois, des structures.

Dans tous les domaines, l’évaluation des politiques publiques mobilise de plus en plus d’experts, armés de méthodes " scientifiques ". Pour faciliter leur travail, ils se font les défenseurs d’une forme de rationalité selon laquelle une organisation moderne : 1. affiche des objectifs clairs ; 2. mesure l’écart entre eux et les résultats obtenus ; 3. apporte sur cette base des régulations adéquates. Qui ne souscrirait à une démarche aussi logique ? Ne codifie-t-elle pas les principes de base de toute action finalisée ? Développer ce qu’on appelle aujourd’hui une " culture de l’évaluation " consiste précisément à ériger certaines méthodes de bon sens en canons de l’action collective. Ce mouvement appelle, en tant que tel, une analyse sociologique, orientée par une question simple, mais toujours féconde : à qui profitent la culture de l’évaluation et la rationalisation des systèmes qu’elle favorise ?

Il apparaît assez vite que la culture de l’évaluation donne du pouvoir à ceux qui détiennent les outils, les compétences et les positions qui permettent, au nom de la raison, de la science, de la méthode, de formuler des objectifs, de mesurer des performances, de constater des écarts, de proposer des régulations. Définir la raison est une construction idéologique singulière, parce qu’elle ne se présente pas comme telle : qu’y a-t-il de plus neutre, de plus objectif, en apparence, que la raison ? Il suffit, disent les experts, de " regarder la réalité en face ", de la confronter aux objectifs affirmés et d’en tirer les conséquences logiques : quiconque, utilisant les mêmes outils, à partir des mêmes informations, devrait aboutir aux mêmes conclusions, détecter les mêmes défauts, proposer les mêmes réformes.

C’est pourquoi, dans notre société, légiférer sur ce qui est raisonnable ou rationnel donne un très grand pouvoir, d’autant plus difficile à contester que ceux qui l’exercent prétendent se faire les simples interprètes du réel et de ses lois. Contre cette évidence, nous devrions nous souvenir que tous les totalitarismes modernes se sont réclamés de la raison. L’holocauste, comme le Goulag, l’internement psychiatrique, les épurations intégristes ou les " purifications ethniques ", toutes ces horreurs ont été ou sont encore justifiées comme des conséquences parfaitement rationnelles de prémisses présentées comme évidentes. Au nom de la pureté de la race, de l’avenir radieux du communisme ou d’une religion, on évalue " scientifiquement " les progrès de l’extermination des Juifs, des dissidents, des incroyants… La " culture de l’évaluation " n’est qu’un avatar de la méthode. Or, la rationalité des méthodes n’est jamais garante de l’humanité des finalités qu’elles servent.

La " culture de l’évaluation " peut être tentée de se définir au mépris, ou dans l’ignorance, de la complexité des systèmes et des organisations, en niant les contradictions, les ambiguïtés des finalités et des politiques, les ambivalences des acteurs, les conflits irréductibles qui les opposent, ou en espérant confiner ces " désordres " dans la sphère de l’idéologie. Pourquoi ne pas reconnaître que l’évaluation des réformes et des politiques est une dimension de l’action collective, et participe donc de ses contradictions ? Les experts, qu’ils soient gestionnaires ou chercheurs, auraient intérêt à intégrer à leur vision du réel le fait que la rationalité des organisations humaines est limitée, qu’elle est un enjeu et une émanation des rapports sociaux plutôt qu’un arbitre ou une norme au-dessus de la mêlée. " L’efficacité des établissements ne se mesure pas : elle se construit, se négocie, se pratique et se vit ", écrit Monica Gather Thurler (1994 b). On peut en dire autant de l’efficacité du système éducatif dans son ensemble.

L’évaluation est une pratique sociale, elle s’inscrit dans la logique du système, elle modifie les rapports de force, ne serait-ce qu’en explicitant des intentions et en donnant à voir des fonctionnements. Nul n’est au-dessus de la mêlée, la pensée et l’analyse ne sont pas neutres et dans l’état des sciences sociales, la naïveté en ce domaine ne peut être qu’une tactique douteuse ou une ignorance coupable.

Cela ne signifie pas qu’il faut renoncer à évaluer les systèmes et les réformes. Il est temps, toutefois, de rompre avec une forme d’angélisme et de simplisme. L’évaluation des réformes scolaires n’est pas une affaire purement logique et technique, des experts " neutres " demandant au politique d’expliciter ses finalités, pour ne s’intéresser qu’aux moyens mis en œuvre et aux résultats obtenus.

Je développerai trois aspects du problème :

  1. Aucune évaluation du système éducatif ou des effets d’une réforme ne peut se référer à une définition à la fois précise et consensuelle des finalités anciennes ou nouvelles de l’enseignement, donc à une appréciation unanime et fiable de son efficacité.
  2. Les réformes sont décidées selon une rationalité limitée, qui tient compte de multiples logiques, toutes intelligibles, sinon avouables, mais dans lesquelles la qualité et l’efficacité du système ne sont pas les seuls critères.
  3. L’évaluation des effets d’une réforme éducative devrait, en dernière instance, se faire sur la base des acquis des élèves ; or, lorsque les données pertinentes deviennent disponibles, nul ne se soucie plus de la réforme dont elles sont censées permettre d’évaluer les effets…

Je plaiderai donc, avec d’autres, dans une quatrième partie, pour une évaluation impliquée, formative et interactive des réformes scolaires, fondée en priorité sur l’analyse des conditions d’apprentissage, des pratiques pédagogiques et des fonctionnements didactiques.

Ces réflexions ont été développées dans un contexte régional et national spécifique, la Suisse et plus particulièrement le canton de Genève. Les rapports entre l’éducation, l’évaluation, la recherche et la politique prennent des figures variées selon les contextes ou les époques. Il me semble toutefois sage de considérer comme des exceptions les démocraties où les finalités de l’école sont limpides, les réformes du système éducatif décidées sur des bases parfaitement rationnelles et leur évaluation utilisée comme source majeure de régulation. Dans cette perspective, les mécanismes analysés ici ne me paraissent pas limités à une société particulière.


1. La question des finalités

Certaines réformes portent sur les finalités mêmes de l’école, alors que d’autres prétendent " simplement " accroître l’efficacité du système éducatif, à finalités constantes. La distinction, aussi simple soit-elle conceptuellement, est plus difficile à faire en pratique :

  1. Certaines réformes visent à la fois de nouvelles finalités et une plus grande efficacité par rapport à des finalités établies.
  2. Toute réforme visant initialement à atteindre plus efficacement des finalités connues peut induire un débat à leur propos ; une réforme peut donc en amorcer une autre, parce que la recherche d’efficacité fait surgir des doutes et des débats sur les objectifs de l’école.
  3. Une réforme peut aussi en cacher une autre : de nouvelles structures, de nouvelles façons d’enseigner ou d’évaluer peuvent infléchir sensiblement les finalités effectivement poursuivies dans les classes, parfois à l’insu des acteurs.

Les choses sont d’autant moins claires que les réformes sont des entreprises humaines, qui ne s’embarrassent pas toujours d’apporter une réponse nette à la question de savoir si elles portent sur des fins ou des moyens. Dans le débat public, les deux enjeux sont souvent mêlés, voire confondus, sciemment ou involontairement : il est " de bonne guerre " de s’en prendre à l’efficacité de l’école pour critiquer indirectement ses finalités et en proposer de nouvelles. À l’inverse, il est parfois judicieux de proposer de nouvelles finalités pour que l’école se remobilise et remplisse mieux ses missions classiques. C’est une façon de répondre à l’usure des objectifs et des programmes en vigueur, qui s’accompagne d’un rétrécissement progressif de leur sens : on assimile les objectifs aux programmes et ces derniers aux routines du travail scolaire quotidien. L’expérience d’un programme accoutume à une forme de réalisme, la proportion de ceux qui ont des chances de l’assimiler et donc de réussir se stabilise, on fait son deuil de l’espoir qu’a suscité sa mise en place. Une réforme est toujours une cure d’idéalisme !

Sans ignorer cette complexité, je limiterai mon analyse aux réformes qui se bornent à promettre une école plus efficace dans le cadre de ses finalités déclarées. Améliorer l’efficacité de l’école est une intention simple, que chacun peut comprendre. Elle soulève cependant trois questions difficiles :

a. La question des finalités : à quelles intentions faut-il rapporter le fonctionnement effectif de l’école ?

b. La question des seuils de maîtrise : pour chaque forme d’excellence scolaire reconnue, quel niveau de compétence vise-t-on au juste ?

c. La question des inégalités : une école efficace, oui, mais pour quels élèves ?

Reprenons ces trois problèmes.

1.1 De la difficulté d’expliciter les finalités de l’école

Lorsqu’une réforme promet de mieux former un plus grand nombre d’élèves, il faut, pour savoir si elle tient ses promesses, se référer à des finalités définies, qui se traduisent en objectifs spécifiques de développement, d’apprentissage ou de socialisation, dont on sait l’histoire tourmentée (Hameline, 1979). Ce qui semble élémentaire - identifier les finalités de l’école pour savoir si elles sont mieux atteintes - n’est en réalité pas si simple.

Des textes qui prêtent à interprétation

Les finalités de l’école sont en général formulées dans des textes qui ont force de loi. Dans un canton suisse, par exemple, ce sont : la constitution (issue d’une assemblée constituante ou de votations populaires), la loi sur l’instruction publique (votée par le parlement, soumise à référendum populaire), les règlements des divers ordres d’enseignement (adoptés par le gouvernement, qui peuvent faire l’objet d’interpellation par le parlement), les programmes (soumis à des concordats intercantonaux approuvés par les parlements). Ces textes, de types différents, ont été adoptés à des moments différents, par des instances différentes. Les uns tiennent en quelques feuillets, comme la loi, d’autres s’étalent sur des centaines de pages, comme les plans d’études. Parfois, le problème se complique du fait de réécritures partielles et de commentaires qui, sans annuler les textes commentés, les complètent ou en infléchissent le sens. Les divers niveaux du système ajoutent souvent des directives de leur cru aux textes officiels, pour les préciser, les alléger, les compléter ou en fixer l’interprétation. Nulle instance n’est véritablement responsable de la cohérence de l’ensemble des textes censés prescrire ce qui doit être enseigné ou évalué. Leurs contradictions et leurs flous sont l’expression des divergences et des décalages idéologiques dans la vie d’un système éducatif.

Quiconque consulte ces textes sera fondé à dire " Tout cela est un peu vague et prête à interprétation. Pour savoir si l’efficacité du système progresse, il faudrait disposer, émanant d’une source autorisée, de formulations plus explicites et actualisées des finalités de l’école, avec des priorités sans équivoque ; c’est une condition pour définir des indicateurs observables ". Cette demande, en apparence raisonnable, se heurte au fait que nul n’est habilité à y répondre sans être immédiatement suspect de solliciter les textes dans un sens partisan. Toute relecture des textes fondateurs est nécessairement influencée par les nouveaux enjeux de l’époque. Toute exégèse accentue une interprétation parmi d’autres et contient, au moins en germe, une mise à jour possible.

D’un point de vue juridique, en cas de divergences, les pouvoirs organisateurs définissent en principe l’interprétation la plus légitime des textes. Cela peut suffire à régler des contentieux particuliers, par exemple avec des groupes d’usagers, sous réserve d’éventuels recours à des tribunaux administratifs. L’évaluation du système éducatif n’est pas une question de droit, mais de représentations sociales. Elle n’aura d’effets que si elle ne se réfère pas à des finalités largement reconnues. Or, ne peuvent l’être que des finalités assez vagues pour permettre un relatif consensus. Tel est le drame des experts : tout ce qu’ils gagnent en précision, ils le perdent en représentativité. Sans doute peuvent-ils faire dire à certains détenteurs de l’autorité - les moins prudents… - ce qu’ils attendent exactement de l’école, par exemple en matière d’esprit critique, de respect des institutions et des valeurs humaines, de maîtrise des langues étrangère ou de formation à l’esprit scientifique, puis conduire l’évaluation en conséquence. Ses résultats n’auront aucune signification pour ceux qui interprètent tout autrement ces objectifs. Plutôt que de permettre de juger de l’efficacité du système éducatif, l’évaluation rouvrira le débat sur ses finalités.

Les fonctions du flou

Si les finalités officielles de l’école permettent des interprétations diverses, ce n’est ni par hasard, ni par goût des approximations (Perrenoud, 1995 a). Le flou a des fonctions vitales : il permet de vivre ensemble. Dans une démocratie pluraliste, traversée de contradictions, où coexistent des modèles différents de société et d’humanité, l’école ne peut être commune qu’au prix d’une certaine ambiguïté de ses finalités. Si l’on veut tout expliciter, pour lever cette ambiguïté, on exclut certaines sensibilités, certaines cultures, certaines croyances et l’on pousse les communautés exclues à constituer leur propre école, pour préserver leur identité. Ou l’on favorise une guerre scolaire permanente, une résistance, ouverte ou sourde, de tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’école qu’on impose à leurs enfants.

Une société totalitaire nie sa propre diversité : afficher une dissidence ou douter ouvertement du bien fondé de la " pensée unique " met une personne en danger. La sagesse des démocraties est de ne pas prescrire jusqu’au bout les objectifs et les contenus de l’éducation scolaire, et de faire confiance à la fois à l’honnêteté des acteurs et au potentiel de régulation que contient la diversité en elle-même. Les finalités déclarées résultent donc d’un compromis qui ne satisfait véritablement personne. De plus, il semble dépassé sitôt publié, car les procédures de négociation des finalités officielles de l’école sont généralement longues : lorsqu’elles aboutissent, la société a déjà bougé, les sensibilités et le langage ont évolué, des thèmes nouveaux ont surgi, d’autres se sont affaiblis, de nouveaux débats se sont développés, de nouveaux acteurs sont entrés en scène… et tout est à recommencer, à la prochaine occasion.

Il y a certes des moments, dans l’histoire, où il devient cependant pertinent de réexaminer les finalités de l’école elle-même et de les clarifier autant que possible. Dans une société démocratique, cela peut prendre des années, sans certitude d’aboutir, parce que la question déclenche des passions, qu’elle est investie de tous les enjeux majeurs. Comment assigner des finalités à l’école sans affronter la question du progrès technologique, de la protection de l’environnement, de la construction d’entités supranationales, du partage et de l’évolution du travail, de la croissance, de l’exclusion, de la démocratie, de la violence, et bien d’autres encore ? Bref, sans mettre sur la table tous les problèmes de société ?

Dans toute conjoncture, qu’on le veuille ou non, le travail d’explicitation des finalités et d’évaluation de l’efficacité de l’école réveille de vieux débats et déstabilise des compromis fragiles. La sagesse politique pousse à ne pas rouvrir constamment cette " boîte de Pandore ". L’école vit donc en partie sur des textes qu’une partie des citoyens - et, parmi eux, des enseignantes et des enseignants - jugent faibles, flous, inacceptables ou archaïques. En dépit ou à cause de ce flou, ces textes incarnent la référence commune, celle qui fait foi, en démocratie, jusqu’à ce qu’on l’ait changée en suivant les procédures légales. C’est leur force.

Cela ne veut pas dire qu’il faut prendre son parti du flou ou contribuer à l’accroître. Acceptons seulement que la logique des planificateurs ou des évaluateurs soucieux d’évaluer l’efficacité du système éducatif se heurte à de bonnes raisons - même si on ne les crie pas sur les toits - de ne pas clarifier les finalités au-delà de ce qui rend possible la coexistence pacifique d’idéologies et d’intérêts contradictoires au sein du même système éducatif. " L’école ou la guerre civile ", affirment Meirieu et Guiraud (1997), montrant qu’une société incapable de se donne une école unique va vers l’éclatement et favorise l’affrontement de communautés coexistant sur le même territoire sans avoir le sentiment d’appartenir à un ensemble qui transcende leurs différences. L’unité du système justifie d’immenses concessions quant à ce qui réunit les uns et les autres. L’explicitation des finalités n’est pas une question méthodologique, mais politique.

1.2 L’ambiguïté des programmes

Lorsqu’on ne trouve pas, dans les textes législatifs de réponses claires à la question des finalités de l’école, on espérer les découvrir, " en creux ", dans les programmes censés les mettre en œuvre. La conception et le degré de précision des plans d’études varient selon les systèmes. La tendance est à la réécriture progressive des programmes scolaires, en termes non plus de contenus à enseigner, mais d’objectifs de maîtrise et de socles de compétences (Perrenoud, 1997 d). L’entreprise est difficile, en raison de la multiplicité des objectifs, de l’investissement intellectuel requis pour spécifier un seuil de maîtrise, le formuler, proposer des indicateurs observables et des instruments. On peut cependant se référer aux contenus et objectifs spécifiques consignés dans les programmes, et aux manuels et moyens d’enseignement qui les traduisent en leçons et exercices, pour tenter d’en évaluer le degré de maîtrise par les élèves.

Même si les formes d’excellence visées sont alors identifiables, deux questions demeurent en suspens : 1. Quel niveau de maîtrise vise-t-on en fin de cycle ou de scolarité ? 2. Comment apprécier des acquis hétérogènes ?

L’inaccessible étoile

Une forme d’excellence définit une pratique valorisée, par exemple savoir lire, savoir utiliser une langue étrangère, calculer de tête, faire des hypothèses, présenter une argumentation, expliquer un phénomène scientifique, chanter. Selon chacune de ces formes, l’excellence absolue est, par définition, inatteignable, ou réservée à une mince élite. Un élève ne peut que s’en approcher. Il reste à dire jusqu’à quel point, en se référant à la fin d’un cycle d’études ou de la scolarité de base.

La lecture est une forme de maîtrise dont la pertinence n’est nulle part contestée. Pourtant, les objectifs des systèmes éducatifs ne sont pas vraiment limpides, même dans ce domaine. Admettons qu’on obtienne un consensus clair sur l’idée que lire n’est pas déchiffrer, mais construire du sens, en fonction d’une intention qui justifie et guide la lecture : information globale, recherche de renseignements précis, formation, saisie d’un raisonnement, vérification, suivi d’une procédure, quête d’une définition, recherche d’émotions diverses, divertissement, lecture à voix haute, mémorisation, traduction, contraction, comparaison avec un autre texte, correction du texte d’autrui, relecture de son propre texte, analyse, commentaire ou explication de texte. Quel est le niveau visé à la fin de l’école primaire ? en fin de scolarité obligatoire ? ou encore au niveau de la maturité suisse, du baccalauréat français ou du diplôme collégial québécois ?

Il existe une réponse pragmatique : le niveau visé serait celui qu’atteignent ceux qui réussissent devant l’évaluation correspondante. Ajoutons : dans les filières les plus exigeantes. Même alors, on serait bien en peine d’identifier des niveaux pour chaque type d’objectif visé, dans la mesure où l’évaluation porte toujours sur divers objectifs. La lecture n’est évaluée, pour elle-même, que dans les premiers degrés de la scolarité obligatoire. Par la suite, elle devient un outil pour toutes les disciplines, et participe de nombreuses évaluations, mais n’est plus une forme d’excellence distincte. Lorsque les enquêtes sur l’illettrisme démontrent qu’au sortir de la scolarité obligatoire, dix pour cent au moins des élèves ne savent pas lire (Bentolila 1996), cela n’étonne pas les professeurs en charge des classes où ces jeunes ont achevé leur études, dans les filières les moins exigeantes. Mais le système éducatif " tombe des nues ", parce qu’il s’arrange, en temps ordinaire, pour ne pas savoir si les élèves qu’il a accompagnés durant dix ans de leur vie ont atteints les maîtrises de base visées pas la scolarité obligatoire.

On comprend, à partir de cet exemple, l’ambivalence des systèmes scolaires : mieux on définira les seuils de maîtrise, plus il sera facile de procéder à une évaluation critériée à divers niveaux du cursus et donc d’identifier les élèves pour lesquels les objectifs ne sont pas atteints. Plus on spécifiera ce que tous les élèves devraient maîtriser, plus on devra rendre compte de l’échec avéré de l’intention d’instruire, échec, indissociablement, du système et des acteurs, enseignants, chercheurs, auteurs de manuels ou de programmes, formateurs et gestionnaires… Si les indicateurs d’acquis scolaires se développent de nos jours, notamment dans le cadre de l’OCDE, c’est peut-être parce que le coût social de l’opacité est, par moments, plus élevé que celui de la transparence…

Réussite globale et multiplicité des formes d’excellence

Il existe une hiérarchie des disciplines, qu’on peut repérer en fonction de leur image dans l’esprit des acteurs, de leur dotation horaire, de leur poids dans la sélection (traduit par un coefficient ou le caractère de branche principale). Tout le monde sait que la réussite en français, mathématiques ou langues étrangères importe plus qu’en musique ou arts plastiques, en dépit des dénégations vertueuses du système éducatif. De là à identifier une pondération stable et acceptable, applicable à chaque génération, il y a un pas difficile à franchir.

Qu’à cela ne tienne, se disent en général les experts, il suffit d’évaluer l’efficacité du système éducatif dans chaque discipline, en laissant à chacun le souci d’apprécier si un niveau élevé en éducation physique compense un niveau moyen médiocre en biologie, par exemple.

Le problème n’est pas aussi simple, parce qu’il se pose à nouveau à l’intérieur de chaque discipline. Que dit-on d’un élève lorsqu’on affirme qu’il " sait lire " ? Qu’il lit vite ? Qu’il comprend tout ce qu’il lit ? Qu’il identifie les informations pertinentes ? Qu’il décode les intentions de l’auteur ? Qu’il saisit l’essentiel du message ? L’unité du savoir lire est mise en cause par l’analyse des pratiques de lecture. Il existe divers registres et types de lecture, et chacun n’atteint pas un même niveau d’excellence dans tous ces registres.

Il n’y a pas de raison de s’attendre à ce que tous les élèves acquièrent des maîtrises homogènes selon les diverses formes d’excellence valorisées par chaque discipline scolaire. Pour juger de l’efficacité globale de l’école, il faut donc trouver une forme de combinaison des évaluations partielles : personne ne peut faire intuitivement la synthèse de centaines ou de milliers de variables. Si l’on peut distinguer dix à vingt formes de lecture, et si chaque grande catégorie est analysée finement, avec un traitement équivalent de toutes les disciplines, on perdra toute vue d’ensemble, les arbres cacheront la forêt.

Les enquêtes sur les connaissances et les compétences des élèves disent combien savent accorder le verbe avec le sujet, identifier la capitale du Brésil, résumer un texte narratif, résoudre une équation du second degré, relier la température à la pression, construire un triangle rectangle, formuler une hypothèse ou conjuguer un verbe au conditionnel. Qui dira, à partir de ces innombrables constats, si l’école est efficace ?

1.3 Une école efficace, mais pour qui ?

Supposons que l’on parvienne à expliciter les finalités et les formes d’excellence valorisées par l’école, puis à associer chacune à un seuil de maîtrise minimal visé à telle ou telle étape de la scolarité. Il resterait à savoir alors si le système éducatif veut atteindre ces objectifs pour tous les élèves ou seulement pour une fraction plus ou moins large.

La question peut paraître saugrenue : tels qu’ils sont formulés sur le papier, les objectifs de la scolarité de base valent apparemment pour chacun. L’efficacité serait de les atteindre pour tous les élèves, l’efficience d’y parvenir en aussi peu de temps que possible, avec la plus grande économie de moyens matériels et de ressources humaines.

En réalité, les chances de réussite scolaire sont très inégales et varient fortement selon la classe sociale d’origine. L’école est efficace, très efficace pour la plupart des enfants issus de milieux favorisés, et faiblement efficace pour une grande partie des enfants de classes populaires. Améliorer l’efficacité de l’école, est-ce favoriser un peu plus les favorisés ou rétablir un peu plus d’égalité ? La plupart des systèmes éducatifs se gardent, ici encore, de dire clairement où ils vont. L’école est-elle en échec si un seul élève n’atteint pas les apprentissages visés ? Ou s’acquitte-t-elle honorablement de sa mission si elle permet d’apprendre à un nombre " raisonnable " d’enfants et d’adolescent ? Si 10 % des jeunes Français sortant de l’école obligatoire sont illettrés, est-ce un signe d’inefficacité de l’école ?

Pour certains élèves, les finalités de l’école sont pleinement atteintes, pour d’autres, très faiblement, avec toutes les situations intermédiaires. Le constat d’efficacité de l’école est donc toujours d’ordre statistique. Mais quelle est la norme ?

Le tabou autour de l’échec scolaire et des inégalités devant l’école

L’école ressemble a une agence spatiale qui saurait mettre un satellite en orbite, dans des conditions optimales, mais devrait en lancer des dizaines de milliers chaque année, sans maîtriser tous les paramètres. On la jugerait alors, au-delà de sa maîtrise de la technique de base, sur son aptitude à la mobiliser à un rythme intensif et avec succès dans la presque totalité des cas, en admettant un nombre " raisonnable " d’échecs.

Dans l’industrie, on admet que tous les produits pourraient répondre aux standards à condition d’y mettre le prix. Si on renonce au " zéro défaut ", ce n’est parce qu’il est impossible de le garantir, mais parce que ce serait trop coûteux. On ne peut transposer ce raisonnement à l’école, pour au moins deux raisons :

1. Comme la santé, " l’éducation n’a pas de prix ", du moins en doctrine. Nul responsable politique ne peut donc dire cyniquement, par exemple, qu’enseigner à lire aux 10 % d’élèves qui n’apprennent pas dans chaque génération coûterait plus cher que de vivre avec 10 % d’illettrés (ce qui est d’ailleurs probablement faux). De ce point de vue, les finalités de l’éducation de base paraissent valoir pour tous et nul ne peut se contenter ouvertement d’une bonne moyenne ou d’une marge " acceptable " d’échecs.

2. En revanche, beaucoup s’accommodent de facto de l’inégalité en affirmant que ce qui est souhaitable pour tous n’est pas humainement réalisable, parce que l’éducation n’est pas une technique entièrement maîtrisée, parce qu’une partie des apprenants résistent à l’action éducative, parce qu’il faut faire avec une diversité de prédispositions qui défient la pédagogie.

Alors qu’on peut, dans d’autres secteurs de l’activité humaine, poser explicitement la question de la marge acceptable d’échecs, on s’en garde dans le champ scolaire, où s’affrontent des valeurs et des croyances contradictoires. Certains adhèrent au principe d’éducabilité, à l’idée que tous sont capables d’apprendre, alors que d’autres partagent une idéologie du don ou du " handicap socioculturel " comme obstacles insurmontables à l’éducation de base. Certains aspirent à un niveau d’éducation très élevé pour tous, alors que d’autres estiment qu’il n’est pas nécessaire, ni même souhaitable, que tous soient très instruits et compétents. Dès qu’on cherche à préciser la marge de progrès possible de l’école, on relance de vieux débats, qui divisent les parents, les enseignants, la société. Dire qu’on veut lutter contre l’échec scolaire est déjà un acte politique qui suscite des réactions, parce qu’il affirme : 1. que l’échec existe, 2. qu’il n’est pas une fatalité, qu’on peut au moins tenter d’y remédier.

Une école à plusieurs vitesses

La plupart des systèmes éducatifs introduisent une diversification des filières dès le début du secondaire et ménagent des temps de scolarisation de base très inégaux, qui vont du minimum légal à plus du double, pour ceux qui font des études longues. Curieusement, l’énoncé général des finalités de l’école ignore que tous les élèves n’auront pas le même destin scolaire et qu’à partir de dix ou douze ans, on ne visera plus les mêmes objectifs pour tous.

Qui est privé de quoi ? " : à cette question capitale (Isambert-Jamati, 1990), le système éducatif donne une réponse dans les faits, à travers la faible différenciation de l’enseignement et la sélection à l’entrée du secondaire, mais cet aspect n’apparaît pas au moment de formuler les objectifs du système éducatif. Dans leur majorité, les textes officiels ne traitent de la question de l’inégalité que de façon indirecte, en organisant la sélection et les filières, reconnaissant alors implicitement que tous les élèves n’atteindront pas les objectifs du cycle d’étude précédent. Parfois, ils en traitent plus ouvertement, en donnant des bases légales ou réglementaires à l’appui pédagogique, à la différenciation ou aux zones d’éducation prioritaire, par exemple. Même alors, les intentions restent vagues. La loi genevoise, qui a l’audace de ne pas éluder le problème, se borne à dire que l’école a pour but " de tendre à corriger les inégalités de chance de réussite scolaire des élèves dès les premiers degrés de l’école ". On est bien loin, par exemple, des ambitions affichées de Bloom (1979, 1988), qui affirmait dès 1966 que, grâce à la pédagogie de maîtrise, 80 % des élèves au moins pourraient maîtriser 80 % des acquis visés par un programme. Il allait beaucoup plus loin que la plupart des systèmes éducatifs.

Sans doute, une loi scolaire ne peut-elle imposer une obligation de résultats dans un domaine aussi difficile à maîtriser, de la même façon qu’aucune loi ne peut garantir la sécurité, la paix, la justice, l’emploi ou la santé. Peut-être revient-il aux politiques de l’éducation de s’engager davantage. Alors que les gouvernements ont le courage - ou la folie - de faire des promesses chiffrées en matière d’emploi, d’inflation ou d’équilibre budgétaire, ils sont d’une prudence infinie quant aux inégalités devant l’éducation. Si bien que les réformes promettent des progrès, mais ne disent jamais pour qui, ni quelle ambition on se fixe quant à la structure des inégalités au sein de chaque génération.

À qui profite une réforme ?

Une entreprise peut dire : notre chiffre d’affaire et notre profit sont connus, la restructuration a pour ambition d’accroître le premier de 25 % et le second de 8 %. Rien de tel dans le système éducatif. Une réforme visant ouvertement une meilleure efficacité de l’enseignement peut difficilement promettre un accroissement précis de la proportion d’une génération qu’on veut amener à tel niveau de maîtrise, puisque la proportion dont on part n’est, elle-même, pas établie. Du coup, on promet un " progrès sensible ", d’autant plus facilement que, ne connaissant pas l’état initial, il sera impossible de le mesurer…

Sans s’enfermer dans des chiffres dénués de sens, une politique de l’éducation pourrait situer ses ambitions en regard de trois publics distincts :

  1. Ceux qui atteignent déjà confortablement les objectifs, voire les dépassent.
  2. Ceux qui sont très loin de s’en approcher et se trouvent du ce fait en échec ou en difficultés chroniques.
  3. Ceux qui se trouvent entre ces extrêmes.

En caricaturant, on pourrait dire qu’une politique scolaire " de gauche " se distingue, aujourd’hui, d’une politique " de droite " par sa réponse à cette question plus que par le type de dispositifs proposés :

1.4 Faire de nécessité vertu

Il importe de ne pas escamoter ces questions, mais il suffit de les poser pour se rendre compte de la difficulté extrême de les résoudre dans la transparence et dans un consensus suffisant. La rationalité des systèmes politico-administratifs ne peut être celle des entreprises privées, d’ailleurs moins rigoureuse qu’on ne le croit, alors qu’elles n’ont pas à faire coexister autant de points de vue légitimes et peuvent mettre fin aux divergences en se séparant de certains salariés.

Les évaluateurs doivent abandonner le rêve que le système éducatif soit plus clair, à leur intention, qu’il ne peut l’être vis-à-vis de ses usagers et de ses mandants. Les finalités de l’école, comme les objectifs d’une réforme, sont des représentations sociales qui ont des enjeux et font l’objet de transactions entre les acteurs. Les observateurs d’une réforme peuvent évidemment poser la question de ses objectifs, à condition de n’être pas naïfs, de savoir qu’il y aura autant de réponses que d’acteurs interrogés, que l’autorité scolaire est un acteur situé, qui n’exprime pas toutes les visions, et qu’aucun acteur, même le plus influent, ne détient LA réponse. À partir de là, il devient possible de reconstituer les moteurs du changement et d’identifier les acteurs qui en sont porteurs.

En lieu et place d’une quête rationaliste de finalités univoques, il serait plus intéressant de concevoir une réforme comme une confrontation entre différentes visions des finalités, tant de l’école que du changement. En période de croisière, ces visions coexistent plus ou moins pacifiquement dans le système, voire dans chaque établissement. Une réforme menace cette paix, parce qu’elle pousse à clarifier les points de vue, pour justifier le changement, puis l’évaluer. Cela peut conduire le système à progresser vers " le maximum de consensus sociologiquement possible ", ce qui constitue un progrès, même si le résultat risque de rester peu satisfaisant pour l’esprit et trop vague pour répondre au souci des observateurs qui voudraient savoir exactement ce qu’on vise. Cette confrontation présente aussi des risques. Parmi ses effets pervers possibles, mentionnons l’engagement des acteurs dans des conflits idéologiques sans issue, dont ils sortent exsangues, sans y voir plus clair.

Dans une entreprise privée, la nature faiblement démocratique du pouvoir devrait favoriser, plus que dans l’administration publique, un consensus sur les objectifs et les structures. Pourtant, on y fait plus facilement la part du désordre, de la diversité et de l’affrontement entre des visions différentes (Alter, 1990, 1996), alors que, lorsqu’on s’intéresse au système éducatif, pourtant au coeur de toutes les contradictions d’une société, on exige des finalités explicites et cohérentes…

Les observateurs des réformes scolaires devraient également tenir compte de la négociation, voire du conflit, sur les finalités de l’école et les stratégies de changement. Plutôt que de demander au pouvoir organisateur une clarification préalable des finalités, ils pourraient interroger divers acteurs sur leurs représentations des finalités du système et sur leur propre projet, ce qui leur permettrait d’inclure la problématique des objectifs dans l’état des lieux. Plutôt que d’être entièrement résolue en amont du travail d’évaluation, la question serait en partie traitée dans le cadre du processus. Ce qui permettrait de renvoyer au système un dilemme qu’on pourrait formuler en ces termes : il est impossible d’entretenir le flou pour faire adhérer le plus grand nombre à une réforme, puis de le dissiper au moment de l’évaluation…


2. La rationalité limitée des réformes scolaires

En bonne logique, on ne devrait restructurer une organisation que sur la base d’une évaluation de son efficacité, avec la certitude de pouvoir l’accroître sensiblement au prix d’un changement planifié. Entre la conviction de ceux qui souhaitent que ça change et la résistance au changement de ceux qui pensent que tout va bien, le dialogue de sourds sur l’état du système ne peut être dépassé qu’au prix d’un certain consensus quant aux progrès souhaitables et possibles.

Lorsqu’une réforme prétend améliorer l’efficacité du système éducatif. ceux qui la proposent ou la soutiennent sont censés, par conséquent, dire clairement :

D’une vision partagée du progrès, il faut jusqu’à un certain point faire le deuil, puisqu’elle supposerait une vision commune des finalités de l’école, dont on vient de voir les limites… Le flou relatif des finalités empêche à lui seul un diagnostic unanime sur l’efficacité du système : tous ne le jugent pas en référence aux mêmes attentes. C’est loin, cependant, d’être la seule raison qui empêche d’engager une réforme scolaire dans une totale clarté.

2.1 La fragile conviction qu’il faut changer l’école

Décider d’une réforme scolaire, c’est affirmer soit que l’école ne remplit pas ses missions, soit qu’elle peut et doit faire mieux encore. Sans un minimum de consensus sur ces points, un projet de réforme ira rejoindre dans les oubliettes les mille utopies qui n’ont même pas suscité un véritable débat.

Or, il n’est pas facile de dire et encore moins de démontrer qu’il faut changer l’école. Il faut affronter la peur de reconnaître un échec relatif, la valse-hésitation des innovateurs patentés, la difficulté de dresser l’état des lieux, la faible adhésion des enseignants aux orientations du système. Examinons ces obstacles de plus près.

La peur de reconnaître un échec relatif

Comment justifier un changement sans dévaloriser ce que chacun faisait auparavant ? " Si l’on réforme, c’est donc que nous nous y prenons mal ", disent une partie des enseignants, qui se sentent accusés d’être incompétents ou de manquer de conscience professionnelle. Tout projet de réforme contient, en creux, une critique du système en place. Nul ne peut espérer y échapper entièrement, ni les dirigeants politiques ou administratifs, ni les cadres intermédiaires, ni les enseignants, ni les formateurs d’enseignants, ni les chercheurs, ni même les parents, dont les ambivalences et les angoisses ne sont pas sans effets sur les contradictions des systèmes éducatifs. Les finalités d’une réforme doivent donc réussir un tour de force : inciter au changement sans désavouer les acteurs en place.

Comment faire ? On peut :

Tout cela se justifie tactiquement et paraît équitable sur le fond. Il reste que le souci de rassurer a un prix : un certain flou dans le diagnostic, une forme d’euphémisation du constat. On navigue entre deux écueils : si ceux qui proposent un changement " appellent un chat un chat ", ils choquent une partie des enseignants et des parents et sont accusés d’être négatifs, de démobiliser des professionnels déjà aux limites de leurs forces ; s’ils emploient des formules plus neutres, plus personne ne comprend pourquoi une réforme se justifie…

La valse-hésitation des innovateurs patentés

Une réforme d’envergure n’est possible que si elle s’ancre dans des innovations multiples, officielles ou sauvages, menées d’abord à l’échelle locale. Les enseignants et les cadres innovateurs sont donc en général les inspirateurs, plus ou moins reconnus, des réformes à large échelle. Pourtant, il n’est pas rare qu’ils les combattent, pour diverses raisons :

On sous-estime souvent ces dynamiques, qui conduisent les enseignants a priori les plus proches de la réforme proposée à la bouder, à lui chercher mille défauts pour justifier leur position ambiguë.

La faible adhésion des enseignants aux orientations du système

À supposer que les instances de décision soient convaincues de la nécessité d’une réforme et que les militants de toujours, s’y rallient, il leur reste à faire partager plus largement cette opinion. Une telle conviction n’est pas facile à transmettre sur une base purement rationnelle : pour entrer dans les convictions de l’autre, il faut partager une forme de sensibilité philosophique et une vision du monde, parfois liées à un engagement politique, au sens large.

Dans une administration publique, chacun n’est pas censé agir selon ses convictions. Si les enseignants se voyaient comme les simples agents d’une volonté politique de l’organisation qui les emploie, ils n’auraient besoin - dans l’exercice de leur fonction - que d’une seule conviction : que cette volonté est légitime et que leur travail est de la mettre en œuvre. Même lorsqu’il existe une volonté politique claire et constante, on observe que, dans le monde scolaire, à tort ou à raison, presque chacun, quel que soit son statut, se sent aussi compétent que le gouvernement pour dire à quoi sert l’école, donc libre d’adhérer ou non aux orientations de la politique de l’éducation. Nul n’est prêt à renoncer à son point de vue et à servir, sans états d’âme, la politique du ministre ou de la direction. Il compose donc un compromis entre son mandat, la politique officielle et ses propres projets et convictions. Si bien que les prémisses d’une réforme ne sont pas nécessairement partagées par la majorité des enseignants. L’écart à un idéal, qui justifie le changement, ne mobilise que ceux qui y souscrivent…

La difficulté de dresser l’état des lieux

Si on cherche une argumentation rationnelle pour étayer la conviction qu’il faut changer l’école, on tentera évidemment d’établir un constat d’écart entre ce qu’elle est et ce qu’elle devrait être, idéalement. Certes, si l’idéal n’est pas partagé, le " diagnostic " ne saurait l’être, mais ce n’est qu’une partie du problème. Il faut aussi faire la part des divergences de diagnostic entre ceux qui partagent les mêmes finalités. Pour les uns, le verre est à moitié vide, alors que les autres le voient à moitié plein. Tout dépend de ce qu’on veut démontrer. Tous les acteurs ne sont pas également responsables de l’état présent du système, tous n’ont pas également intérêt à mettre en évidence ses vertus ou ses défauts.

La précision et la rigueur des constats pourraient aider à circonscrire les divergences. Tout constat donne des armes à l’un des camps en présence. Il se trouve donc immédiatement mis en question, à la manière d’un sondage politique. Toutefois, même lorsqu’elles dérangent, il est difficile de faire entièrement abstraction des données recueillies par des observateurs professionnels et relativement indépendants du système éducatif concerné. Hélas, les systèmes éducatifs manquent souvent de données précises et incontestables. Les données fines sur ce que savent vraiment les élèves sortant de l’école font encore fréquemment défaut ou ne sont pas agrégées à large échelle. Ceux qui pensent que beaucoup d’élèves pourraient apprendre mieux et davantage, comme ceux qui estiment qu’on peut difficilement faire mieux, ancrent leurs convictions dans des constats très intuitifs et subjectifs, avec peu de références communes et selon des méthodes assez anarchiques. On dispose rarement d’un état des lieux qui permettrait de décrire de façon précise et irréfutable les performances actuelles du système éducatif.

Nombre de systèmes éducatifs ne se dotent que lentement d’indicateurs fiables et standardisés des acquis des élèves, indépendants des notes et des taux de redoublement. On doit trop souvent s’en remettre à des enquêtes ponctuelles ou à des épreuves administrées par le système, qui sont l’objet de controverses, parce qu’elles ne sont pas des outils d’observation, mais interviennent dans la sélection des élèves et le contrôle de l’enseignement. On ne dispose que rarement de données assez pertinentes et fiables pour éclairer le débat sur l’opportunité d’une réforme. Les pays développés se dotent progressivement d’indicateurs plus consistants (Thélot, 1993), mais les débats d’aujourd’hui ne sont pas encore alimentés par des données suffisantes pour mettre d’accord les acteurs sur quelques points décisifs.

La recherche et la statistique scolaires portent une part de responsabilité, car elles se sont souvent divisées sur des querelles de méthode ou de territoire, mais on peut difficilement, pour une entreprise aussi lourde et qui demande autant de continuité sur dix ou vingt ans, aller au delà de la " volonté de savoir " du système éducatif. Or, cette volonté est à la fois récente et fluctuante, ce qu’on peut comprendre : ne pas savoir protège de la désillusion. Aussi longtemps qu’on ignore ce que maîtrisent vraiment les élèves sortant de la scolarité de base, l’idée qu’il faut changer l’école repose sur des bases fragiles et ne convainc que les convaincus.

2.2 Une réforme est-elle jamais décidée et conduite
de façon entièrement rationnelle ?

Le paradoxe de la rationalité est qu’un système éducatif qui, avant de décider d’une réforme, s’organiserait pour expliciter ses finalités et évaluer méthodiquement son degré d’efficacité, aurait toutes les chances de ne jamais aboutir à une décision. Du jour où cette double tâche devient légitime et mobilise des forces de travail, plusieurs années s’écoulent avant qu’elle soit menée à bien. Ses conclusions surviennent donc, inévitablement, dans une conjoncture différente, parfois avec un nouveau parlement et un nouveau ministre aux commandes. La réforme scolaire s’apparente à certains égard à une " guerre-éclair " : il faut saisir une occasion et agir sans avoir toutes les certitudes. Attendre, vérifier, négocier, c’est souvent s’enliser, dans un système complexe où de nombreux acteurs ont le pouvoir de neutraliser les initiatives des autres s’ils ne sont pas " pris de vitesse ".

L’observation du changement dans les systèmes éducatifs (Bonami et Garant, 1996 ; Husti, 1996 ; Legrand, 1994 ; OCDE, 1996 ; Robert, 1993) montre que les réformes ne sont pas, en général, des réponses mûrement réfléchies, construites sur la base d’un état des lieux circonstancié et cherchant les meilleurs moyens, dans la transparence et la concertation, d’atteindre des objectifs bien définis. On peut le déplorer, mais force est de constater que les acteurs ont d’autres enjeux et engagent parfois le changement avant de pouvoir le justifier de façon rigoureuse. La dynamique de changement résulte d’un rapport de forces, d’alliances conjoncturelles et d’un état éphémère de l’opinion bien plus que d’un calcul rationnel.

Les raisons avouables… et les autres

Une réforme n’est pas une fin en soi, c’est un détour, une stratégie au service d’une visée qui la dépasse. Ses finalités déclarées - moderniser, démocratiser, accroître l’équité ou l’efficacité, décentraliser - masquent parfois d’autres mobiles. Comme Nouvelot (1988) le suggère, l’innovation peut être " garante de l’équilibre ". Ce qui est vrai à l’échelle d’un établissement peut valoir parfois pour l’ensemble d’un système éducatif : une réforme peut être un moyen de créer une dynamique, de restaurer un climat, de donner une image positive, de dépasser des conflits ou des blocages, de favoriser une évolution vers la décentralisation, la professionnalisation, mais aussi la marginalisation ou la neutralisation de certaines catégories d’acteurs. De telles finalités sont parfaitement rationnelles dans une stratégie globale de pilotage d’un système, mais on ne peut, sans les affaiblir immédiatement, les annoncer comme telles. Il faut donc déclarer des finalités plus avouables qui, sans être de véritables prétextes, ne sont pas les seules raisons du changement.

Le souci de relancer la dynamique du système, sans être le principal moteur d’une réforme, n’est jamais absent : l’école est, de façon endémique, en proie à des critiques, auxquelles un projet de réforme prétend apporter une réponse au moins partielle et provisoire. Chaque nouvelle équipe dirigeante a la tentation de se démarquer et de proposer la réforme que tout le monde attendait, mais que l’équipe précédente n’osait pas entreprendre…

Par ailleurs, la crise budgétaire incline partout à la morosité et au repli. Tout responsable un peu lucide pressent qu’il faut une nouvelle dynamique pour porter les acteurs au-delà de la défense des acquis. Cela explique notamment pourquoi on lance des réformes scolaires au moment où les finances publiques sont en crise, ce que les acteurs du terrain ont du mal à comprendre : " On nous demande d’innover alors qu’on amenuise les moyens de faire le travail quotidien ". Sans être une fuite en avant dénuée de fondement, une réforme est souvent une façon de remobiliser un système, c’est une réponse au désenchantement, à l’anomie, aux tactiques de protection des acquis.

Enfin, une réforme s’inscrit en général dans un mouvement général observable dans divers pays comparables, qui s’imitent les uns les autres. C’est ainsi que l’introduction de cycles d’apprentissage se dessine dans les systèmes éducatifs européens comparables, les thèmes de la coopération professionnelle, des projets d’établissement, de la culture de l’évaluation ou de l’individualisation des parcours de formation sont " dans l’air ", presque partout.

Cela ne signifie pas que n’importe quelle réforme pourrait " faire l’affaire ". Elle doit répondre à une partie des préoccupations réelles des acteurs, mais la complexité du champ éducatif autorise toujours plusieurs réformes différentes. Le politique dispose d’une certaine autonomie quant à la façon de construire le problème et d’orienter les solutions. Une réforme naît de la rencontre entre des insatisfactions et une volonté politique d’y répondre. Entre les deux, il y a place pour un important travail de construction, entre le nécessaire et le possible.

Les ambiguïtés des acteurs

Une réforme, une fois esquissée, devient un enjeu dans les rapports sociaux et les stratégies des uns et des autres. Le débat continue. La conviction favorable au changement qui, à un certain moment, a emporté la décision, peut être à chaque étape contestée. La question de savoir " Pourquoi changer ? " ne peut être réglée une fois pour toutes, elle se pose à nouveau chaque fois que les acteurs, y compris ceux qui ont soutenu la réforme, mesurent de plus près le coût et les risques du changement.

Ces évolutions sont normales : les conjonctures évoluent, le travail même du changement met à jour des résistances et des obstacles jusqu’alors sous-estimés, la réforme devient l’enjeu et parfois l’otage, des affrontements entre partenaires sociaux. Bref, la vie continue et n’est pas ordonnée au seul souci d’améliorer l’école. Les représentations qui permettent le changement ne peuvent qu’être constamment remises sur le métier et aboutir à de nouvelles stratégies des uns et des autres.

On peut observer divers mécanismes récurrents :

Tout cela n’a rien d’étonnant, ce sont les fonctionnements ordinaires d’une société démocratique, pluraliste, complexe, en crise et qui laisse assez de jeu pour que chaque acteur important puisse mener plusieurs stratégies et tenir plusieurs discours. On mesure mal à quel point ce retour rapide aux jeux de pouvoir et aux affrontements rituels compromet le changement cohérent de l’école. Tout se passe comme si l’émergence d’un projet de réforme n’était qu’une parenthèse éphémère dans la logique habituelle des acteurs, plus soucieux de défendre leurs intérêts que le bien public.

2.3 Des réformes comme entreprises humaines

Une société pluraliste, complexe et en constante transformation engage toujours l’avenir de son école sans certitudes absolues, sans véritable consensus, parfois à la faveur d’alliances éphémères. En acceptant cette réalité et en renonçant à trouver un coupable, on éviterait de mythifier des exigences de rationalité et de prévisibilité que nul ne peut honorer en l’état des savoirs et des représentations de l’éducation scolaire. On se contenterait alors de proportionner l’évaluation des réformes à la rationalité limitée des systèmes éducatifs et sociaux dont elles émanent.

Ce qui veut dire, notamment, qu’il est inutile, aux seules fins de faciliter une évaluation " scientifique ", de prêter aux réformes du systèmes éducatifs - comme aux autres - plus de cohérence et de clarté qu’elles ne peuvent avoir dans une société où coexistent tant de valeurs et de logiques d’action différentes. Ici encore, faire de nécessité vertu conduirait à ne pas interpréter la complexité comme du bruit, mais comme l’essence même du système éducatif. Évaluer une réforme n’est pas la réduire à une épure pour l’étudier plus confortablement, c’est " faire avec " ses ambiguïtés.


3. Le bilan final des réformes scolaires,
une autopsie menée dans l’indifférence

L’évaluation des réformes pose la question de leurs mobiles et des finalités du système éducatif. Sans reprendre ces thèmes explorés plus haut, je vais examiner ici un autre problème : comment évaluer les effets d’une réforme alors qu’ils se manifesteront lorsqu’elle sera presque oubliée, cinq ou dix ans plus tard ?

On ne peut en effet attendre d’aucune réforme de grande envergure un accroissement des acquis des élèves à court terme. Pour plusieurs raisons :

Il n’y a donc aucune raison de se focaliser immédiatement sur les acquis des élèves. Il importe de distinguer deux niveaux de réflexion :

Cela ne signifie pas qu’il convient de se désintéresser des apprentissages au point de ne pas les mesurer. Commencer ce travail immédiatement permettra d’avoir des points de repère pour la suite, de développer une méthodologie stable, d’associer les enseignants et les écoles à la démarche.

En revanche, toute obsession de gains immédiats et spectaculaires serait vaine. Il y a des dizaines d’années que des équipes, des établissements ou certains systèmes éducatifs luttent contre l’échec scolaire et les difficultés d’apprentissage. Si l’on pouvait faire rapidement des progrès, ils seraient déjà accomplis. Analysant les données genevoises sur le redoublement, Hutmacher (1993) choisissait pour titre " Quand la réalité résiste à la lutte contre l’échec scolaire ". Elle résiste toujours, notamment pour ce qui concerne les acquis cognitifs les plus exigeants. On peut sans doute espérer des résultats plus rapides quant aux attitudes des élèves, à leur implication dans le travail scolaire, à leur participation à la vie de la classe et de l’école. Si cela se traduit très vite par quelques gains sur les apprentissages fondamentaux, fort bien. Mais il n’y a pas de raisons de s’attendre à de spectaculaires progrès : les conditions d’apprentissage ne changent que lentement et les réformes pédagogiques et didactiques ne portent leurs fruits que plusieurs années plus tard.

Or, les sociétés ont la mémoire courte, les parlements se renouvellent, de nouvelles crises et de nouveaux événements modifient le paysage, les ministères se succèdent les uns aux autres et abordent généralement les problèmes dans une autre perspective, pour annoncer une nouvelle réforme, alors même que la précédente est en cours.

Si bien qu’aucune société n’a la patience, la continuité et la mémoire requises pour attendre qu’une réforme porte ses fruits, ce qui peut prendre une génération, ou au minimum dix à quinze ans si l’ensemble du système éducatif est concerné. Bien entendu, tout dépend de l’ampleur et des ambitions de la réforme. Si elle ne touche qu’un cycle d’études, on peut en mesurer les premiers effets, au mieux, trois ou cinq ans plus tard. S’il s’agit d’une réforme fondamentale de curriculum ou de structure, il faut attendre qu’une ou plusieurs générations aient traversé le système rénové pour commencer à mesurer les effets. Même s’il y avait un dispositif de suivi et d’évaluation aussi durable, il aurait alors du mal à faire la différence entre les effets spécifiques d’une réforme et les évolutions globales des publics scolaires, des pratiques et des fonctionnements.

Une réforme scolaire ressemble à ces fusées qui, dans les romans de science-fiction, emportent des astronautes aux confins de l’univers. Les explorateurs ne savent pas si la Terre existera toujours lorsqu’ils reviendront, et dans l’affirmative, dans quel état ils la retrouveront et moins encore si quiconque se souviendra de l’expédition envoyée, des décennies auparavant, dans d’autres galaxies. Les réformes scolaires, comme d’autres, sont ainsi faites qu’elles naissent dans les fanfares et s’éteignent en silence. Seuls quelques chroniqueurs atrabilaires auront alors le mauvais goût de remarquer cette triste fin et de rappeler les promesses et les espoirs des commencements.

En éducation, les changements à large échelle prennent si longtemps que, si l’on attendrait, pour réviser les dispositifs, de pouvoir juger leurs effets sur pièces, avec le recul nécessaire, les boucles de régulation deviendraient si longues qu’elles supposeraient une extraordinaire continuité des instances de décision. En réalité, sur dix ou quinze ans, cette continuité est assez rare. Tout change, les acteurs, les politiques, les programmes, les budgets, les enseignants, les élèves, les attentes des familles ou de la société à l’égard du système éducatif. Il s’ensuit que l’évaluation finale des réformes est une source improbable et peu efficace de régulation et que ses apports valent plutôt pour les réformes à venir, à la manière d’une autopsie, qui ne ranime pas la victime, mais permet éventuellement de mieux comprendre les causes du décès et donc de mieux fonder les stratégies de prévention.

Heureusement, les réformes successives s’attaquent souvent aux mêmes problèmes ou poursuivent les mêmes chimères, ce qui permet une certaine continuité. Si bien qu’aujourd’hui, toute évaluation des effets d’une réforme particulière mesure, indirectement, les effets cumulés des réformes successives qui ont émaillé trente à quarante ans de politiques de l’éducation. Dans cette perspective, il n’est jamais inutile d’en savoir plus sur les fonctionnements et les effets du système.

Toutefois, si l’on souhaite une régulation spécifique d’une réforme, opérant en temps utile, il faut accepter que l’évaluation correspondante porte surtout sur l’évolution des pratiques et des conditions d’apprentissage. Elle est alors condamnée à partager la rationalité limitée et les paris du système éducatif…


4. En quête d’un modèle réaliste : pour
une observation formative des processus de réforme

J’ai analysé ailleurs (Perrenoud, 1993 b) et plus haut les illusions rationalistes à propos de l’efficacité des systèmes éducatifs. Ce n’est pas une raison de ne pas tenter d’évaluer l’école et ses réformes, mais tentons au moins de construire un modèle réaliste, qui tienne compte de la complexité et de la diversité des représentations sociales des finalités, de l’efficacité et de l’équité en matière d’éducation. Ce qui, sans renoncer à l’observation permanente des acquis des élèves, de préférence sur de longues périodes, amène à investir en priorité dans le repérage, la réalisation et le suivi des conditions optimales d’apprentissage et de fonctionnement.

On ne peut améliorer l’école sans consentir un détour par l’organisation du travail.

4.1 La stratégie du détour

La stratégie du détour accepte une tension entre deux postulats :

Il y a peu à dire sur le premier point, sinon que l’intérêt des élèves est double : l’école prépare leur avenir, mais ne peut se désintéresser de leur présent. Toute réforme centrée sur les élèves devrait donc avoir, à moyen terme, un double objectif :

1. Assurer une meilleure formation des élèves, en particulier de ceux qui, aujourd’hui, sortent de leur scolarité sans disposer des connaissances, des compétences, des attitudes et des outils nécessaires à la suite des études et, au-delà, à la vie dans une société complexe.

2. Faire en sorte que leur condition d’élèves et le travail quotidien en classe contribue à donner plus de sens et de plénitude à leur vie d’enfant ou d’adolescent, hic et nunc, indépendamment des effets de formation.

Il reste à faire en sorte que ces deux logiques se renforcent plutôt que de se neutraliser mutuellement. C’est l’ambition de tous les courants d’école nouvelle et d’école active, mais cela ne va pas de soi.

Pour transformer la vie et les apprentissages des élèves, il faut transformer leurs conditions d’existence, de développement et d’apprentissage en milieu scolaire. Or, ces conditions sont largement sous le contrôle des pratiques professionnelles des enseignants et de l’organisation de l’école et du travail dans l’école.

Il y a donc détour stratégique, parce qu’il faut, pour modifier la vie et les acquis des élèves, viser d’abord des changements de compétences, de représentations et de pratiques chez les professionnels qui les forment.

Les usagers et les professionnels

Nul ne doute que la médecine ne doive, en fin de compte, servir la santé et le bien-être des gens, à titre préventif ou curatif. Pour atteindre un tel objectif, il faut construire des dispositifs complexes, développer la recherche, mettre en place une division du travail, des structures hospitalières, des infrastructures qui sont autant d’enjeux (identité, pouvoir, territoire, sécurité, revenu, etc.) pour des corps de métier, des catégories d’acteurs. Or, transformer les dispositifs de formation pour améliorer les apprentissages des élèves, c’est viser des changements de représentations et de pratiques chez les adultes, si possible sans perdre de vue l’enjeu final.

Il est facile d’accuser ceux qui travaillent à la réforme de l’hôpital ou de la sécurité sociale de " perdre de vue l’intérêt des patients ". On peut tout aussi aisément soupçonner les gens d’école de perdre de vue l’intérêt des élèves. C’est même l’une des tactiques rhétoriques consacrées : laisser entendre que ses interlocuteurs semblent fort peu se soucier des usagers, voire se faire le porte-parole privilégié de ces derniers. La réalité est plus complexe : les adultes qui veillent à l’éducation sont toujours pris entre le souci des apprenants et d’autres enjeux qui, pour être moins admirables, n’en sont pas moins légitimes. Les conditions de travail, le revenu, la considération qu’on vous porte, l’autonomie qu’on vous reconnaît sont autant de " conditions des conditions ". On ne peut pas imaginer une école favorable au développement et aux apprentissages des élèves dans laquelle les enseignants seraient en majorité aigris, mal dans leur peau, fâchés de n’être pas bien traités. " L’enseignant est une personne ", et dans un métier de l’humain, en sus des droits de toute personne, l’identité et l’éthique personnelles du professionnel, son adhésion à son cahier des charges et son engagement au-delà sont déterminantes. Il faut y croire, ne pas se décourager, tenir la distance, faire avec les contradictions du système, les demandes des uns et des autres, trouver chaque jour l’énergie et la foi sans laquelle on se contente de " faire ses heures ". Pour le dire simplement : des enseignants malheureux ne peuvent rendre les élèves heureux, des enseignants qui ne voient pas le sens de leur métier ne peuvent aider les élèves à donner du sens à leur travail, les enseignants qui n’apprennent pas et ne se développent pas ne peuvent aider les élèves à apprendre et à se développer.

Les dérives sont certes possibles, toute organisation peut prendre sa survie et sa croissance comme finalités, et ses salariés, à divers niveaux hiérarchiques, peuvent se servir de l’organisation plutôt que de la servir. Ce n’est pas une raison pour opposer les intérêts des élèves à tout argument portant sur l’organisation.

L’optimisation des conditions d’apprentissage ne se joue pas seulement au niveau de la salle de classe et ne concerne pas uniquement les enseignants. Tous les choix du système contribuent à cette optimisation, par exemple la formation initiale et continue, les modalités d’entrée dans le métier et de gestion des ressources humaines, le mode d’organisation des établissements, le degré de décentralisation des décisions, la façon de rendre compte, l’étendue des négociations entre partenaires sociaux, les standards de coopération professionnelle, le climat, et bien entendu les programmes et les méthodes.

Le détour par la professionnalisation

Le détour systémique n’est pas un détournement, c’est la seule stratégie pour faire face à la complexité. En résumé, on peut proposer le raisonnement suivant :

Prenons un exemple : les objectifs d’apprentissage qui justifient une activité conduite en classe ne sont pas toujours explicites dans l’esprit des enseignants. Cela empêche des régulations fines. Nombre d’activités et de dispositifs - groupes multiâges, décloisonnements par exemple - sont mis en place sans analyse précise de ce qu’on en attend, ni évaluation méthodique de leurs effets. Suffit-il d’appeler les enseignants à préciser leurs objectifs ou expliciter les vertus attendues de tel ou tel dispositif didactique ? Comment ne pas voir qu’on se heurte à une culture professionnelle, à des traditions, à des systèmes de valeurs qui ne changeront que progressivement, parce qu’on aura modifié la formation, mais aussi la façon de rendre compte, d’analyser les pratiques ?

Le sens d’une réforme à large échelle, c’est d’amplifier le processus de professionnalisation et le mouvement vers des pratiques réflexives et coopératives. Je dis amplifier, parce que le mouvement est amorcé, autour de la différenciation, des méthodes actives, de l’évaluation formative. Nous ne partons pas de zéro, mais il reste un important chemin à parcourir pour aller vers ce métier nouveau dont parle Meirieu (1990 b). C’est le seul enjeu véritable d’une réforme et cela ne peut se faire que si les enseignants se mobilisent dans ce sens.

C’est l’une des raisons pour lesquelles les enseignants, individuellement et collectivement, sont les acteurs décisifs de toute réforme, dès lors qu’elle ne se borne pas à modifier superficiellement les programmes et les structures et touche aux pratiques d’enseignement et d’évaluation.

4.2 Aménager et évaluer les conditions
et les dispositifs d’apprentissage

Cardinet (1983, 1986) a plaidé pour une évaluation moins obsessionnelle des acquis des élèves en classe, une attention plus grande portée aux conditions d’apprentissage. Le propos est toujours d’actualité. Il est vrai que les acquis sont les véritables enjeux et que pour être sûr que les élèves ont progressé, il faut, tôt ou tard, mesurer les apprentissages. Cela demande d’autant plus de moyens et de temps qu’on vise des objectifs de haut niveau taxonomique et des compétences, qui ne se construisent qu’en plusieurs années, à travers une multiplicité d’activités et de situations. Cardinet proposait donc d’infléchir l’évaluation formative vers une observation des activités et des attitudes des élèves, d’en faire le moyen d’une régulation pédagogique orientée vers le maintien ou le développement de situations d’apprentissage stimulantes.

Il parlait de l’évaluation pratiquée en classe par les enseignants. On peut transposer l’analyse à l’échelle du système : plutôt que de se fixer d’emblée sur une lointaine évaluation des acquis, l’évaluation formative d’un système éducatif pourrait s’intéresser immédiatement aux pratiques pédagogiques et aux conditions d’apprentissage.

Cela pose deux questions :

1. Connaît-on les pratiques efficaces et les conditions optimales d’apprentissage ?

2. Suffit-il de vérifier les conditions pour avoir la garantie des apprentissages ?

Les deux questions sont liées : plus on dispose de modèles théoriques fondés des conditions optimales de l’apprentissage, plus on peut prédire les acquis à partir de l’analyse des pratiques et des conditions. Je doute qu’on puisse, en l’état des savoirs pédagogiques et didactiques, se dispenser de vérifier que les promesses d’acquisition sont effectivement tenues. Cependant, il me semblerait fécond, surtout durant les premières années, de centrer l’observation sur les conditions d’apprentissage.

En utilisant les travaux disponibles, on peut énoncer un certain nombre de conditions nécessaires de l’apprentissage. Les ressources sont diverses et l’un des problèmes est d’articuler :

L’effort d’intégration entre ces diverses traditions de recherche est à peine ébauché. Il n’est pas assez avancé pour qu’on dispose d’une batterie unifiée d’indicateurs des pratiques fécondes et des conditions optimales d’apprentissage. Cependant, la situation n’est pas désespérée. Les ressources de la recherche permettent de dégager rapidement de telles conditions, si on fait la part des incertitudes théoriques et qu’on ne vise pas la perfection.

Les écoles efficaces

La première série de travaux, fondés sur des méthodes multivariées, dégage une liste de variables qu’on retrouve dans de nombreuses études sur les écoles efficaces. On peut les présenter comme des principes, tels que Louise Stoll (1996, p. 63) les rapporte :

On peut aussi retenir les facteurs identifiés par Monica Gather Thurler (1993) au niveau des établissements :

  1. Le corps enseignant ne se constitue pas de l’habituelle multitude de " combattants solitaires ". Les enseignants parviennent à se consulter, de manière continue, sur les problèmes d’enseignement, et ont atteint un consensus en ce qui concerne certaines valeurs, certains objectifs, certaines " règles de conduite générales ", telles que par ex. la discipline. Ce type d’écoles se distingue par une meilleure communication et coopération des enseignants.
  2. Les directeurs sont des initiateurs optimistes ; ils définissent clairement les objectifs, organisent les échanges et veillent à l’exécution des décisions prises, sont ouverts à de nouvelles idées, maintiennent un contact étroit avec les enseignants, les encouragent, ouvrent l’école vers l’extérieur, collaborent étroitement avec les parents.
  3. La relation entre enseignants et élèves est positive, caractérisée par l’engagement pédagogique et la responsabilité de l’enseignant face à la réussite de tous les élèves, et avant tout des élèves les plus faibles.
  4. L’enseignement est orienté selon les besoins des élèves. Dans ce type d’écoles, les enseignants prennent les élèves au sérieux, leur font confiance, tiennent compte de leurs besoins et intérêts personnels, sont prêts aux entretiens personnels et encouragent les élèves à agir de manière coopérative et autonome.
  5. L’enseignement vise l’activation de l’élève. Ce dernier est responsable de son propre apprentissage, participe à la définition des objectifs, du matériel, des situations, des méthodes, et planifie même le rythme de son apprentissage. L’enseignant, pour sa part, joue le rôle de personne-ressource, il est moins centré sur l’enseignement que sur les élèves et leur construction des savoirs, savoir-faire et savoir-être. Dans ces écoles, il y a moins d’enseignement et plus d’apprentissages.
  6. L’orientation selon les besoins des élèves ne signifie cependant pas abaissement des exigences et moindres performances, bien au contraire : dans ce type d’école, on défend des standards de performance élevés, clairs et explicites. Ces derniers ne sont toutefois pas imposés de manière rigide, mais au contraire négociés, reconnus et acceptés par tous.
  7. Le style d’enseignement vise à prendre en compte les potentialités de chaque élève, à donner des renforcements positifs, à créer la transparence (objectifs à atteindre, contenus et modes de travail, critères de réussite, etc.)
  8. On pratique une évaluation diagnostique et formative. Le statut de l’erreur est différent, celle-ci est utilisée pour aider les élèves à progresser dans leurs apprentissages. L’évaluation est essentiellement utilisée pour guider l’instruction et réguler les apprentissages. À cette fin, on utilise peu de tests conventionnels, toute observation, toute production d’élève est prétexte d’évaluation.
  9. Outre la discipline et l’ordre, on trouve deux autres caractéristiques importantes : confiance et bien-être. Tant les élèves, que les enseignants et les parents s’identifient à leur école.
  10. Les enseignants établissent des rapports étroits avec les parents, qui sont impliqués dans l’organisation de la vie scolaire.
  11. Il a été établi un juste équilibre entre autogestion et pouvoir central, entre l’autonomie de l’établissement et le soutien de ses efforts pédagogiques par les autorités scolaires.

De quelques conditions optimales d’apprentissage

Les conclusions des travaux plus classiques en didactique et sciences de l’éducation sont à la fois plus sophistiquées et plus fragiles. Elles complètent les caractéristiques standards des écoles efficaces (voir par exemple Astolfi, 1992, 1996, 1997 ; Chevallard, 1991 ; Crahay, 1996 ; De Vecchi, 1992 ; De Vecchi et Carmona-Magnaldi, 1996 ; Develay, 1992, 1995, 1996 ; Charlot, Bautier et Rochex, 1992 ; Huberman, 1988 ; Meirieu, 1990 a et b, 1995, 1996 a et b ; Perrenoud, 1996 a, 1997 a, b, c, d ; Rochex, 1995 ; Vellas, 1996 ; Vergnaud, 1994).

Je ne puis proposer ici une synthèse, seulement une démarche heuristique. On pourrait, à partir de ces travaux et de bien d’autres, constituer une liste ouverte d’énoncés du type " Il y de fortes chances pour que les enfants apprennent mieux si… ". Ce serait une façon de définir des conditions nécessaires. Si elles sont réunies, il n’est pas certain que les apprentissages auront lieu. En revanche, si plusieurs font défaut, il paraît très improbable que les enfants apprennent. C’est ainsi qu’il y a de fortes chances que les enfants apprennent mieux :

On peut discuter cette liste et surtout l’allonger. Je ne la propose ici que pour donner une idée du type d’items susceptibles d’être observés immédiatement, bien avant que les apprentissages aient progressé de façon décisive et observable.

Les fonctionnements de l’établissement et du système

À ces listes, centrées sur les interactions maîtres-élèves, il faudrait en ajouter d’autres, équivalentes, sur le fonctionnement de l’établissement et le fonctionnement du système. En effet, les conditions d’un apprentissage optimal au niveau des pratiques quotidiennes des maîtres et des élèves ont elles-mêmes des conditions à l’échelle de l’école, qui renvoie à leur tour à des conditions à l’échelle du système.

Pour esquisser l’analyse, distinguons quelques composantes majeures du système, qui ont leur traduction à l’échelle des établissements :

A. Les méthodes d’enseignement et de gestion de classe, qui doivent évoluer vers des pédagogies plus actives, plus différenciées, plus centrées sur les apprenants, plus porteuses de sens et de régulation, donc plus efficaces.

B. L’organisation des études, qui doit évoluer dans le sens d’une plus grande cohérence et continuité de la prise en charge éducative tout au long du cursus.

C. Les programmes et les objectifs d’apprentissage et de développement de l’enseignement primaire, qui doivent évoluer vers la construction des connaissances, des outils, des compétences et des attitudes dont chaque personne a désormais besoin.

D. Le métier d’enseignant, qui doit évoluer vers plus d’autonomie et de responsabilité dans le cadre d’une politique fixant des objectifs communs.

E. Le fonctionnement des établissements, qui doit évoluer vers une gestion collective par projets et des évaluations régulières à tous les niveaux.

F. Le fonctionnement d’ensemble de l’enseignement primaire, qui doit évoluer vers plus de participation et de décentralisation.

G. La formation initiale et continue des enseignants, qui doit favoriser la professionnalisation et développer les compétences requises à tous les niveaux précédents.

4.3 Une observation formative intégrée au processus de réforme

Il est utile que les réformes soient évaluées de façon formative, par les acteurs directement concernés, mais aussi par des observateurs externes. La tâche de ces derniers est inconfortable : à trop comprendre les flous et les ambiguïtés des acteurs, ils se fondent dans le décor et participent à un discours qui n’introduit aucune rupture. À trop exiger que la réalité du système observé se coule dans les canons de la raison et de l’explicitation, les évaluateurs risquent, à l’inverse, d’aboutir à des conclusions sans effets, parce que leurs prémisses ne sont pas partagées. C’est donc sur le fil du rasoir qu’ils doivent progresser, entre connivence et pureté méthodologique…

Si l’on savait exactement ce qu’il faut faire pour atteindre des objectifs pédagogiques, il suffirait d’observer les pratiques et les conditions et de dire si elles correspondent aux standards dictés par la recherche ou les expériences les plus avancées. En l’état des savoirs, nous souffrons d’un double handicap :

Ce second handicap peut paraître plus étonnant : alors qu’on peut comprendre qu’un corps de professionnels ne soit pas en mesure de résoudre magiquement tous les problèmes, qu’il soit limité par l’état de l’art, de la science et des technologies, il est moins explicable qu’il n’applique pas avec rigueur et détermination tout ce qui paraît un gage d’efficacité de l’action pédagogique ou de la gestion du système.

Trois raisons différentes se conjuguent pour expliquer l’écart entre l’état des savoirs et les pratiques pédagogiques :

1. Le poids des opinions personnelles et de l’expérience subjective reste un déterminant majeur des croyances professionnelles des enseignants et des cadres scolaires. Contrairement aux médecins ou aux ingénieurs, qui se rallient sans réticence à l’état le plus avancé de la recherche et des technologies, un grand nombre d’enseignants se donnent le droit d’avoir raison tout seuls, en n’accordant pas aux résultats de recherche plus de poids qu’à une opinion fondée sur une expérience personnelle.

2. Ce splendide isolement est, reconnaissons-le, favorisé par la fragilité des connaissances acquises en sciences de l’éducation et plus globalement en sciences humaines. Qui voudrait fonder entièrement son action sur des certitudes scientifiques serait bien en peine d’en trouver de pertinentes pour chaque geste professionnel.

3. Entre obligation de résultats, obligation de moyens, obligation de compétences ou pas d’obligation du tout, la façon de rendre et de demander des comptes sur l’action professionnelle est plus que flottante dans le champ de l’enseignement (Perrenoud, 1996 f, g, h et i).

Prenons un exemple : lorsqu’un enfant n’apprend pas à lire, nul ne songerait à reprocher à l’enseignant de ne rien connaître aux travaux de recherche sur la lecture, de n’avoir aucune idée des mécanismes en cause, de n’avoir lu aucun livre, aucun article, de n’avoir de sa vie participé à aucun colloque et suivi aucune formation dans ce domaine. En médecine, autant de fermeture à la recherche serait une faute professionnelle grave, surtout si on peut montrer qu’elle a empêché une décision optimale. Dans le domaine de l’enseignement, c’est une manière d’être parmi d’autres, qu’on justifiera volontiers en disant que " tant que les chercheurs ne se mettent pas d’accord sur ces questions, inutile d’aller perdre son temps en lectures stériles ". Une telle justification signifie tout simplement que la professionnalisation est encore faible ou qu’elle se développe à l’écart d’une culture scientifique de base, comme simple identité corporative sans savoirs de référence. Dans les domaines où les professionnels ont une formation scientifique décente, ils savent que tous les problèmes ne peuvent être résolus, qu’il faudra encore des années ou des décennies pour comprendre certains processus, mais que ce n’est pas une raison de bouder la formation ou l’échange. On peut, en effet, très bien imaginer qu’en l’absence de réponses théoriques stables, les colloques et la formation continue soient des lieux de confrontation de savoirs professionnels construits à partir de l’expérience.

Toute régulation formative, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur du système éducatif, aura donc peu d’effets si l’on ne travaille pas en parallèle à une transformation de l’identité et des compétences des enseignants et des autres professionnels, sans laquelle l’énoncé de conditions optimales ne saurait convaincre et entraîner leur mise en œuvre, avec l’adhésion, l’autonomie, la coopération et la créativité intellectuelle et pratique indispensables.

C’est pourquoi l’observation formative des réformes scolaires est un exercice de haute voltige, la recherche d’une voie médiane entre une extériorité sans effet et une implication sans vertus. Cette perspective, ouverte par Scriven (1967), a des conséquences que nous n’apercevons que progressivement. Pour les systèmes, comme pour les élèves, l’évaluation formative n’est pas une simple transposition de l’évaluation certificative, qui deviendrait plus continue, moins formelle. C’est une autre pratique sociale, inscrite dans une logique de régulation, donc de forte interaction avec le système observé. C’est pourquoi je préfère parler d’observation formative. Nous n’en finissons pas de nous débarrasser de la " folie des méthodes ", dénoncée par Nadeau (1991) à propos de l’évaluation des programmes. Convenons avec lui que l’urgence est de combattre le dogmatisme, de favoriser le partage des responsabilités et d’inviter les évaluateurs à faire partie du problème… Une culture de l’évaluation qui se développerait en niant les contradictions ou en les déplorant, comme des atteintes regrettables à la rationalité, ne peut devenir la culture des gens d’école. Ici, comme ailleurs, si les spécialistes de l’évaluation n’assument pas la complexité des systèmes éducatifs, il apparaîtra, tôt ou tard, qu’on peut vivre sans eux.

Les réformes relèvent d’un " rêve toujours recommencé ", selon l’expression de Grant et Riesman (1978), le rêve de mettre les gens d’accord sur les finalités de l’école et leurs conséquences logiques. Si la culture de l’évaluation reste entièrement du côté de la raison et de la méthode, comment pourrait-elle comprendre les utopies et les passions qui, autant que les besoins de l’économie, sous-tendent les réformes du système éducatif ?


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Sommaire

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© Philippe Perrenoud, Université de Genève.

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