Source et copyright à la fin du texte

 

Contribution au programme DeSeCo de l'OCDE " Définition et sélection de compétences ". Le texte défintif a paru en anglais : Perrenoud, Ph. (1999)The Key to Social Fields : Essay on the Competences of an Autonomous Actor, OFS, Neuchâtel et OCDE, Paris.

 

 

 

 

 

La clé des champs : essai sur
les compétences d’un acteur autonome

Ou comment ne pas être abusé, aliéné, dominé ou exploité lorsqu’on n’est ni riche, ni puissant

 

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1999

Sommaire

Questionner la question ou comment résister à la tentation du " politiquement correct " ?

Des compétences transversales ?

Quelques compétences pour être autonome

Former à une pratique réflexive

Références

 

A qui appartient-il de définir les compétences-clés nécessaires à tous pour vivre au XXIe siècle ? Un expert ne peut se limiter à poser un cadre conceptuel et méthodologique. La question est éthique et politique. Aucune liste de compétences-clés ne surgit spontanément de l’observation des pratiques sociales et de l’évolution des sociétés. Quelle est la légitimité, quelles sont les prémisses de ceux qui construiront la liste ? Pourront-ils, sauront-ils, voudront-ils se prémunir contre la tentation de projeter sur le monde leurs propres valeurs ? Suffit-il qu’ils soient plusieurs pour être représentatifs ?

L’enjeu serait de taille si le référentiel qui résulte de ces travaux devait orienter l’éducation de base dans les pays développés. Aujourd’hui, les systèmes éducatifs investissent encore des ressources immenses pour former une minorité à un très haut niveau d’instruction, alors qu’une autre minorité n’accède pas aux compétences de base. Lorsqu’un pays développé produit 10 % d’illettrés et beaucoup plus de jeunes dont les compétences langagières sont faibles, il ne travaille pas à consolider la démocratie et la justice sociale (Bentolila, 1997). Former des élites scientifiques et technologiques pour tenir son rang dans la compétition économique mondiale n’est pas le seul enjeu des démocraties !

A quoi bon définir des compétence de base si ce n’est pour mobiliser toutes les forces requises pour permettre à chacun de les construire, et d’abord à ceux qui ne les construisent pas de toute manière ? Ceux qui sont riches, instruits, beaux et intelligents n’ont pas besoin d’une évolution du système éducatif, car ils construisent dans leur famille, à l’école ou ailleurs toutes les compétences qui assurent leur réussite et leur pouvoir.

Définir les compétences de base n’est donc pas un jeu intellectuel dès lors qu’un référentiel pourrait infléchir, si peu que ce soit, les politiques éducatives et les finalités des systèmes scolaires. C’est pourquoi on ne peut s’engager dans cette entreprise sans questionner la question !

 


Questionn
er la question ou comment résister
à la tentation du " politiquement correct " ?

Le sous-titre de cette contribution évoquera sans doute le marxisme des années 1950. Il est choisi délibérément pour marquer d’emblée que la question des compétences-clés n’est pas idéologiquement neutre. Y répondre, c’est défendre, implicitement ou explicitement, une vision de l’être humain et de la société.

C’est aussi répondre, ouvertement ou de facto, à la question posée en 1966 aux chercheurs en sciences sociales par Howard S. Beckers : du côté de qui sommes-nous ? Il ne voulait pas dire que la recherche devait se mettre au service d’une idéologie, mais que le choix de ses objets, de ses problématiques et de ses démarches ne pouvait que renforcer certaines visions du monde et en affaiblir d’autres. Les acteurs ont besoin d’expliquer le changement, le pouvoir, les inégalités, la violence, la crise économique, le chômage, l’échec scolaire ou la toxicomanie, par exemple. Ils n’ont pas attendu que les sciences sociales et humaines proposent des " théories " et lorsqu’elles le font, il n’hésitent pas à s’en servir sélectivement, lorsqu’elles les arrangent, pour conforter leur propre vision du monde. La connaissance de la société est rarement désintéressée, elle aide à maintenir ou à modifier le statu quo, à légitimer ou à contester les législations et les politiques publiques à l’échelle sociétale, aussi bien que les structures et les stratégies des entreprises, des hôpitaux, des partis, des syndicats, des administrations et de toutes les institutions dont dépend la vie des gens.

Le concept de compétence, tel qu’il est construit par la psychologie, la linguistique, la sociologie ou l’anthropologie cognitives, n’échappe pas à cette règle. Selon la façon dont on conçoit les compétences, on renforce ou on affaiblit certaines visions de l’être humain et du monde social.

On peut rappeler au moins trois controverses classiques :

Ces enjeux idéologiques sont constamment présents dès que l’on débat des compétences. Ils s’accentuent lorsqu’on se risque à dire quelles sont les compétences essentielles dans une société contemporaine et devraient donc être développées en priorité par les systèmes de formation. On s’avance alors sur un terrain dont il faut souligner d’emblée qu’il est politique, philosophique et éthique autant que scientifique. Les compétences-clés ne se donnent pas à voir. Elles sont construites à partir d’un point de vue théorique, mais aussi idéologique. Il y a donc matière à débat, voire à conflit.

C’est vrai même lorsqu’on s’en tient à un métier et à la formation professionnelle correspondante. En dépit de la référence à une pratique identifiée, des représentations contradictoires s’affrontent, comme le montre par exemple Raisky (1996) à propos du métier de viticulteur œnologue. Tous les métiers évoluent, tous font l’objet de débats, qui portent notamment sur leur dépendance à l’égard d’autres métiers, sur leur place dans la division du travail, sur le degré de professionnalisation ou de qualification réel ou souhaitable des praticiens. Tout référentiel de compétences est une façon de prendre position sur ces questions.

Lorsqu’on prétend faire le même exercice à propos de la vie en général et des compétences de base qu’elle met en jeu, on se trouve sur un terrain encore plus miné, car c’est de la conception de l'être humain et de la société qu’il est question.

On peut tenter de trouver un consensus en se limitant au politiquement correct. Dans une société dite démocratique, composée de femmes et d’hommes dits libres et égaux, unis par un contrat social supposé librement consenti, censé donner à chacun les mêmes devoirs et les mêmes droits, la question des compétences peut être abordée dans un éclairage doublement optimiste. On dira volontiers :

En fonction de cette vision " angélique " de la société, on pourrait sans peine proposer des compétences telles que :

Les conditions de telles pratiques sont partiellement réalisées dans les pays les plus démocratiques et les plus développés, en particulier dans les classes supérieures et une partie des classes moyennes. De là à considérer qu’il s’agit de la condition humaine " ordinaire ", il y a un pas à ne pas franchir :

En énonçant des compétences prétendues " universelles ", on privilégie une partie de la planète et un mode de vie dans les sociétés nanties. Même si l’on s’en tient aux sociétés les plus développées, par exemple les pays membres de l’OCDE, le problème est double :

A ces deux catégories, les citoyens intégrés et en accord avec la société apportent en général des réponses différentes :

Vues du centre de la société, les compétences prioritaires se limitent alors à celles qu’exige une " vie sociale normale ", en admettant qu’il faut aider ceux qui veulent à y accéder, mais en sont empêchés (par leur santé, leur instruction, leur situation économique). Les êtres épris de normalité se désintéressent ou ont peur de ceux qui choisissent délibérément de vivre en marge ou en dissidence.

Une organisation intergouvernementale, regroupant les pays les plus développés, peut-elle échapper à cette vision étroite de la normalité ? Lorsqu’elle demande à des experts de divers pays et de diverses disciplines d’identifier les compétences-clés qui seront nécessaires dans les sociétés développées au début du XXIe siècle, leur demande-t-elle, au moins implicitement, d’adopter un point de vue " politiquement correct " ? Cela n’aurait rien de surprenant, dans la mesure où une telle organisation exprime nécessairement la vision des classes dirigeantes et des classes moyennes des nations développées, fondamentalement en accord avec le système politique et économique des pays membres.

Un sociologue radicalement critique pourrait avancer l’hypothèse que sous couvert de définir des compétences-clés, on veut réaffirmer, dans un langage moderne et apparemment non normatif, une vision de la normalité. Il en conclurait qu’il vaut mieux ne pas s’associer à une entreprise purement idéologique. Peut-être serait-ce sans compter avec les soubresauts, les contradictions et les changements culturels et technologiques qui caractérisent le monde d’aujourd’hui (Morin, 1977 ; Dubet et Martucelli, 1998).

Grâce à cette complexité, il existe peut-être une place pour un débat et une chance de définir les compétences-clés de façon assez large, en prenant en compte la pluralité des valeurs et des modes de vie et en élargissant la " normalité " de sorte à y inclure toutes sortes de rapports au travail, à l’ordre social, à la sexualité, à la famille, à la consommation, à la culture et à prendre en compte l’immense majorité des conditions, des positions et des projets qui coexistent dans les sociétés développées.

La question est très difficile. Une démocratie ne peut tout légitimer. Il faut des compétences pour gérer un camp de concentration, persécuter les minorités, organiser un hold-up, frauder le fisc, torturer des dissidents, organiser l’exploitation sexuelle des enfants, préparer un coup d’État, développer de nouveaux toxiques biochimiques ou créer un parti fasciste. De telles compétences ne font à l’évidence pas partie des compétences légitimes qu’un État démocratique pourrait se proposer de développer.

La question est de savoir où l’on fixe les limites du pluralisme. Dire que la Terre tournait autour du Soleil était mortel au temps de Galilée. Organiser une grève était illégal au XIXe siècle, pratiquer l’avortement était ou reste exclu dans les sociétés conservatrices du XXe siècle. Les limites de la légalité et de la normalité psychique se redéfinissent au gré des changements culturels. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Quel degré de dissidence, de désordre, de différence, de résistance, de contradictions, de conflit ouvert, tolère-t-on dans les sociétés développées ? Quelles sont les pratiques sociales défendables ? Où commencent celles qui ne sont pas compatibles avec la vision actuelle d’une vie " normale " ? Bref, à quelle image de la " condition humaine " se référer pour bâtir un référentiel " universel " de compétences de base ?

Face à d’aussi difficiles questions, mieux vaudrait, pour préserver son innocence, se garder de répondre et se contenter d’analyser la part d’idéologie qu’il y a dans tout inventaire, aussi neutre soit-il en apparence. Je prendrai le risque d’une position moins confortable, parce que le travail sur les compétences de base, aussi ambigu soit-il, concerne aussi ceux qui, comme les sociologues, font profession d’interroger la norme et suggèrent de considérer divers rapports au monde et à la société comme également dignes d’être pris en compte et associés à des compétences relevant de l’éducation scolaire de base.

Il faut certainement des compétences rares pour diriger le monde ou les organisations et occuper des positions exceptionnelles. J’ai choisi pourtant de me centrer :

C’est en effet de l’homme et de la femme " de la rue " que doit se préoccuper la politique de l’éducation. Adoptant cette perspective, je ne prétends nullement épuiser l’inventaire des compétences nécessaires à l’acteur ordinaire. D’autres voix, à partir d’autres ancrages idéologiques ou disciplinaires, feront d’autre propositions.

Je ne prétends pas ici présenter un point de vue objectif. Décrire objectivement des pratiques sociales et les compétences qu’elles mettent en œuvre est possible. Cela ne dicte pas encore des priorités. Une approche statistique ne saurait mettre tout le monde d’accord : à supposer qu’on constate qu’un très grand nombre d’êtres humains mentent, trichent ou s’arrangent pour ne pas voir ce qui les dérange, faut-il pour autant ériger l’art du mensonge, de la fraude ou de la mauvaise foi en compétences de base ? Refuser radicalement cette question, c’est œuvrer à une vision angélique de la société et du pouvoir. L’accepter entièrement, c’est ajouter l’art de voler, de torture et de tuer aux compétences de base…

Le choix que je fais ici ne permet pas de dépasser ce dilemme. Certes, se placer du côté de ceux qui ne sont ni dominants, ni nantis peut donner bonne conscience. Mais la vertu n’est pas l’apanage des pauvres et des exploités. En outre, comment se défendre sans recourir à la ruse, parfois à la violence ? Qui pourrait se vanter d’avoir tranché ce dilemme ? Mieux vaut vivre avec et le thématiser que feindre de l’avoir résolu.

Autre hésitation : faut-il limiter le raisonnement aux pays développés, au risque d’énoncer des compétences dont les conditions même de possibilité s’appuient sur les rapports Nord-Sud et un développement économique opéré au détriment du Tiers Monde ? Faut-il étendre le raisonnement à toute la planète, en succombant à une forme d’ethnocentrisme culturel et en pratiquant un exercice surréaliste pour tous les pays qui sont encore très loin d’une vie démocratique et n’ont pas atteint un niveau de vie décent ?

Au risque de paraître afficher une indifférence coupable à la misère du Tiers Monde, je m’en tiendrai ici aux sociétés dites développées, parce que la tâche devient impossible si on prend en compte une immense diversité de contextes politiques, culturels et économiques. En contrepartie, efforçons-nous de ne pas oublier que définir des compétences de base pour le XXIe siècle est un privilège de pays fortement scolarisés, assez riches pour avoir les moyens de formuler et de mettre en œuvre une politique des compétences et dont la simple survie n’est plus l’enjeu essentiel…

 


Des compétences transversales ?

Même à s’en tenir aux pays développés, il reste un question majeure : peut-on identifier des compétences transversales, qui valent pour les divers secteurs de la vie sociale, famille, travail, santé, éducation, politique, médias, etc. ? Pour le savoir, il conviendrait de conduire des analyses comparatives et interdisciplinaires.

Puisque l’option a été prise d’identifier un petit nombre de compétences transversales sans se fonder sur des travaux comparatifs conçus et menés cette fin, on ne peut qu’avancer des hypothèses.

Il est évident que coexistent dans une société des pratiques spécifiques, appuyées sur des savoirs théoriques, des savoirs experts et des savoirs d’action propres à un champ social ou à une organisation. Ainsi, se mouvoir dans le monde du droit fiscal, de la santé et de l’immobilier fait appel à des compétences très différentes. Cela n’exclut pas les analogies superficielles : chercher une astuce pour payer moins d’impôts, un médicament pour lutter contre une maladie ou un terrain pour construire, c’est toujours chercher, mais à un niveau d’abstraction où l’identité des mots masque la diversité des processus mentaux et des contenus de savoir.

Je pense toutefois que les sciences humaines et sociales peuvent identifier certains " invariants fonctionnels " et tenter d’y rapporter des compétences transversales, pour au moins deux raisons :

Anthropologue et sociologue, je privilégierai le second registre, l’entrée par la théorie des champs sociaux. J’imagine que mes collègues des autres disciplines, confrontés à une tâche semblable, choisiront d’autres transversalités, spécifiques de leur discipline, en termes d’identité, de personnalité, de mode relationnel. Cela ne conduira pas nécessairement à se référer à d’autres pratiques sociales. Il s’agit plutôt de regards complémentaires portés sur les mêmes réalités.

Au risque d’ajouter à la confusion, je prendrai ici la transversalité dans un sens particulier. Dans le champ scolaire, les compétences transversales (Rey, 1996) sont celles qui traversent les diverses disciplines. Ici, les compétences transversales sont celles qui traversent divers secteurs de l’existence humaine, sans référence aux disciplines scientifiques ou scolaires.

Je ne prétends donc pas exprimer le point de vue de la sociologie, mais celui d’un sociologue interactionniste, constructiviste, spécialiste des pratiques et de l’éducation et dont les références théoriques se sont construites au gré d’un itinéraire intellectuel spécifique. Je me servirai ici de façon assez libre de la notion de champ social développée par Pierre Bourdieu (1980, 1982, 1983, 1997 ; Lafaye, 1996 ; Pinto, 1998), parce qu’elle me semble particulièrement pertinente pour identifier l’une des transversalités intéressantes : tous les acteurs agissent dans des champs sociaux, dont les lois de fonctionnement présentent des similitudes sociologiques importantes. C’est pourquoi trouver ou construire la clé des champs pourrait constituer une compétence de base de l’acteur social ordinaire.

 

Agir dans un champ social

Même lorsqu’il agit seul, nul ne se meut dans un vide social. Le sens commun et les sciences de l’homme parlent souvent d’un milieu, d’un entourage, d’un environnement social ou socioculturel. Le concept de champ social permet de faire un pas de plus : cet environnement est structuré en champs sociaux multiples, caractérisés par des enjeux spécifiques. La transversalité ne réside pas dans la nature des enjeux, mais dans leur existence même et les pratiques, les interactions, les alliances et les combats qu’ils engendrent.

Lafaye résume ainsi la notion de champ dans la sociologie de Bourdieu :

 

On saisit déjà l’existence de mécanismes communs, qui fondent celle de compétences transversales à tous les champs ou à plusieurs. Il ne suffit pas cependant d’associer une compétence à chacune des caractéristiques d’un champ ! Nous aurons donc à recomposer un référentiel de compétences à la lumière de l’ensemble des fonctionnement ainsi décrits.

Lorsqu’il avance en âge, l’individu participe fréquemment à plusieurs champs :

L’important n’est pas de figer cette liste. Elle n’est présentée qu’à titre d’illustration et ne prétend pas être exhaustive. Elle se limite aux champs dans lesquels il est difficile, dans une société développée, de ne pas être impliqué, dès l’âge adulte, parfois dès l’enfance. Nombre de personnes sont en outre impliquées dans tel ou tel champ sportif ou artistique. Certains sont acteurs dans le champ militaire, par choix ou comme conscrits. Tous les métiers, toutes les pratiques spécifiques constituent des champs sociaux partiellement autonomes, de même que chaque organisation (entreprise, hôpital, prison, école, etc.), chaque discipline, chaque confession, chaque communauté spécifique.

Dans chaque champ, être acteur exige une forme de familiarité avec les savoirs, les valeurs, les règles, les rites, les codes, les concepts, le langage, le droit, les institutions et les objets propres au champ considéré. C’est pourquoi l’entrée dans un champ nouveau passe par un processus de socialisation, plus ou moins rapide, parfois fortement organisé, parfois sauvage, et en général connecté à une position spécifique dans le champ : pénétrer dans le champ hospitalier comme patient, visiteur ou soignant n’exige pas la même socialisation.

Ce qui m’intéresse ici, ce sont les compétences et les savoirs transversaux, au sens où ils traversent les divers champs sociaux et ne sont propres à aucun. Pour attester de leur réalité, il faudrait mener des recherches comparatives de vaste envergure. J’avance, sur la base de multiples observations personnelles aussi bien que des recherches en sciences sociales, l’hypothèse que dans tous les champs sociaux il est utile, voire indispensable de disposer des compétences suivantes pour ne pas être le jouet des stratégies et des décisions des autres acteurs :

  1.  
  2. Savoir identifier, évaluer et faire valoir ses ressources, ses droits, ses limites et ses besoins.
  3. Savoir, individuellement ou en groupe, former et conduire des projets, développer des stratégies.
  4. Savoir analyser des situations, des relations, des champs de force de façon systémique.
  5. Savoir coopérer, agir en synergie, participer à un collectif, partager un leadership.
  6. Savoir construire et animer des organisations et des systèmes d’action collective de type démocratique.
  7. Savoir gérer et dépasser les conflits.
  8. Savoir jouer avec les règles, s’en servir, en élaborer.
  9. Savoir construire des ordres négociés par-delà les différences culturelles.

Des recherches comparatives fondées sur l’observation des pratiques sociales et l’identification des compétences qu’elles mettent en œuvre produiraient certainement un inventaire plus riche et détaillé et permettraient de mieux cerner, dans chaque cas, la part transversale et ce qui est propre à chaque champ. Ainsi, savoir " identifier, évaluer et faire valoir ses ressources, ses limites et ses besoins " vaut pour un membre d’une famille, un écolier, un patient hospitalisé, un prévenu devant une cour de justice, un salarié dans une entreprise ou un boxeur sur le ring. La ressemblance des problèmes rencontrés et des réponses apportées n’atteste pas encore de l’identité des mécanismes cognitifs en jeu. L’observation des acteurs qui passent d’un champ social à un autre atteste d’une part de transfert, d’autant plus importante qu’on s’intéresse aux processus psychosociologiques. La prudence exige qu’on ne saute pas sans examen de l’identification de compétences semblables à une stratégie de formation faisant abstraction des champs dans lesquelles elles s’inscrivent. J’y reviendrai en conclusion.

 

Défendre ses droits et ses intérêts, une compétence ?

Ne pas être abusé, aliéné, dominé, exploité ou victime impuissante de la misère du monde, individuellement ou collectivement, n’est-ce pas tout simplement avoir des droits et les moyens de les faire respecter et de défendre ses droits et ses intérêts ? Pourquoi exiger des compétences pour obtenir ce qui relève de la démocratie et de la loi ? Parce que le droit n’est qu’une ressource pour les acteurs, qui modifie les rapports de force, mais en est aussi la traduction :

Ma réflexion ne porte pas sur les compétences juridiques seulement, même si l’acteur social, pour devenir ou rester autonome dans une société développée, a besoin d’une bonne culture juridique. C’est n’est qu’une ressource parmi d’autres.

S’il fallait qualifier les compétences de l’acteur social autonome énumérées plus haut, je dirai qu’elles sont tactiques et stratégiques et qu’elles se fondent, au-delà du droit, sur des savoirs psychologiques, sociologiques, économiques, parfois techniques, scientifiques, informatiques ou administratifs, qu’ils soient savants ou issus de l’expérience. Chacune fait en outre appel à des capacités telles que savoir s’informer, réfléchir, analyser, communiquer, anticiper, négocier, réguler, décider, etc. Ces ressources ne suffisent pas, toutefois, à constituer à elles seules les compétences. Ces dernières naissent de la faculté de mobiliser ces ressources à bon escient et de les orchestrer en temps utile, dans une situation complexe (Le Boterf, 1994, 1997).

Tentons maintenant de reprendre une à une ces compétences, en vue de préciser dans quelles familles de situations chacune est pertinente et de décrire certaines ressources spécifiques qu’elles mobilisent.

 


Quelques compétences pour être autonome

L’autonomie exige des compétences, mais ne s’y réduit pas. Nul ne deviendra autonome s’il ne le souhaite. Cette valeur n’est pas universelle. Elle est indissociable de la modernité, de la démocratie et de l’individualisme. Il serait donc abusif d’en faire une norme à toute époque, dans toute société. En revanche, dans les sociétés développées, le système de valeurs privilégie l’autonomie comme aspiration et base d’une identité individuelle. On se situe ici dans ce contexte culturel, donc aux antipodes des visions du monde qui invitent chacun à se fondre dans la collectivité et l’ordre établi. Souvenons-nous cependant que la quête d’une forte autonomie individuelle n’est pas la seule source possible d’identité. La réflexion menée ici n’a de pertinence qu’en regard d’un type de société qui valorise l’autonomie de l’acteur, sa capacité de se définir et de réaliser ses projets, de défendre ses intérêts et ses droits. Qu’un tel modèle s’impose progressivement sur toute la planète ne fait pas, d’un point de vue anthropologique, disparaître son arbitraire (Bourdieu et Passeron, 1970).

Dans ce cadre, on se trouve confronté à un paradoxe : former le projet de devenir un être autonome est déjà une manifestation d’autonomie. L’aliénation totale est de ne pas se penser comme sujet capable d’autonomie, de ne pas s’accorder assez de valeur pour penser et agir par soi-même. Ce qui signifie qu’on ne peut poser l’identité comme première et les compétences correspondantes comme ses " conséquences logiques ". C’est en conquérant les moyens d’une première autonomie qu’on forge un début d’identité, qui nourrit à son tour le développement de nouvelles compétences.

Identité et compétences ont des rapports dialectiques et s’alimentent réciproquement. C’est pourquoi développer les compétences analysées plus loin n’est possible qu’à partir d’une aspiration à l’autonomie, solidaire d’une identité. En même temps, ce développement va transformer cette aspiration et l’identité qui la fonde, à la faveur d’un cercle " vertueux " qui fait le pendant du cercle vicieux de l’aliénation.

Dans chacune des compétences ou familles de compétences évoquées, il y a donc des composantes identitaires qui relèvent de rapports au monde qu’on ne peut réduire à des savoirs ou des savoir-faire, qui supposent une intention et des valeurs, qui comportent une face lumineuse et des zones d’ombre. C’est plus clair lorsqu’on propose une formation non obligatoire : ceux qui choissent de la suivre ne le font que s’ils adhèrent aux pratiques et aux postures qui en sont solidaires. Lorsqu’on réfléchit sur des compétences de base et qu’on assigne à l’éducation la mission de les développer, on lui confie aussi une tâche de socialisation, qu’il vaut mieux expliciter également.

 

Savoir identifier, évaluer et faire valoir
ses ressources, ses droits, ses limites et ses besoins

Dans la vie sociale, comme dans tout système vivant, rien ne se conserve par inertie. Les choses se reconstruisent en permanence, nul n’est assuré de retrouver sa place, son emploi, son pouvoir s’il s’éloigne ou cesse simplement de " veiller au grain ", à la manière d’un marin qui ne dort jamais que d’un oeil. On connaît des organisations ou des sociétés politiques dont les dirigeants n’osent pas prendre de vacances, ni partir en voyage, de peur qu’une révolution de palais fomentée en leur absence leur fasse perdre le pouvoir. Il ne suffit pas d’être là, il faut constamment faire valoir ses ressources, ses droits, ses limites et ses besoins :

Dans tous les cas, il s’agit de trouver la force de dire non, d’exiger des égards, d’affirmer ses droits et ses besoins, de se poser en sujet dont il faut tenir compte. Cela requiert de l’estime de soi, du courage, de la persévérance aussi, car les régulations ont rarement des effets durables. Dire non, s’affirmer, faire valoir des droits est aussi une affaire de compétence :

Tout cela renvoie à une partie des compétences décrites plus loin, notamment " Savoir analyser des situations, des relations, des champs de force de façon systémique " et " Savoir négocier et construire des accords ".

 

Savoir, individuellement ou en groupe,
former et conduire des projets, développer des stratégies

Dans une " société à projets " (Boutinet, 1993, 1995), quiconque n’a pas de projet devient l’instrument des projets d’autrui. Au-delà des droits élémentaires et de l’aide minimale aux plus démunis qui, dans le Welfare State, sont garantis à chacun, la participation aux ressources et au pouvoir passe par l’adhésion à un projet collectif ou la poursuite d’un projet personnel.

Savoir former et conduire des projets n’oblige pas à vivre en permanence sur ce mode. Mais le retrait est alors un choix plutôt que la résultante d’un manque de compétences. Les conséquences de ce choix sont assumées lucidement : sans projet, l’acteur individuel ou collectif est victime d’une certaine marginalisation, parce qu’il subit les décisions et les compromis de ceux dont les projets s’affrontent. Dans le monde des entreprises, sauf à bénéficier d’une rente de situation, vivre sans projet conduit assez vite à la faillite. Dans d’autres domaines, moins régis pas la concurrence, les effets sont moins spectaculaires, on ne cesse pas d’exister, mais dans un deuxième cercle, celui des spectateurs, en quelque sorte. On observe ce phénomène à l’échelle sociétale, mais aussi dans les organisations, tant pour les individus que les unités. Cela fonctionne même dans la famille.

Savoir former des projets n’est pas une compétence mineure. C’est certes d’abord un rapport à la vie et au monde, qui suppose une forme d’identité, de volonté, d’énergie et d’estime de soi qui sont aux antipodes de la honte (De Gaulejac, 1996) et de la dépression. Il n’y a pas de projet sans mobilisation de la personne ou du collectif. Il faut donc que former un projet ait un sens et rencontre une force.

La mobilisation, toutefois, n’est pas une impulsion initiale. Elle soutient la genèse du projet, mais aussi sa mise en œuvre. Et elle n’est pas indépendante de la résistance du réel. Chacun est capable de former des projets irréalistes, qu’il abandonnera à la moindre raillerie ou au premier obstacle.

Savoir former des projets, c’est s’avancer sur le fil du rasoir, sur la crête qui sépare l’inertie de l’utopie, c’est se projeter vers un avenir possible, mais qui n’adviendra que si l’on y travaille en mettant toutes les chances de son côté. Pour que le Soleil se lève, il n’est pas nécessaire de former un projet. Pour aller sur la Lune, il en faut un. Mais un tel projet a été utopique jusqu’au milieu de ce siècle, parce que l’état de la sciences et de la technologie ne donnait aucune chance d’y parvenir. Un projet doit rester dans l’ordre du faisable, comporter une part de rêve, d’optimisme, mais donner l’impression qu’il n’est pas hors de portée.

On voit qu’intervient ici le regard d’autrui. Chacun peut, en son for antérieur, forger des projets délirants, que les psychanalystes placeront dans le registre du fantasme. Dès lors qu’on fait mine de vouloir réaliser un projet, les autres le perçoivent et le jugent. Il doit parfois être clairement énoncé pour avoir la moindre chance d’obtenir les moyens, les informations, la coopération ou les autorisations nécessaires ( Amadieu, 1993 ; Strauss, 1992). Une première facette de la compétence consiste donc à former des projets d’apparence raisonnable, que les autres jugeront éventuellement audacieux, risqués, mais pas irréalistes. Lorsque Alain Bombard se lança dans la traversée de l’Océan sur un radeau, sans aucune subsistance, il voulait prouver qu’on peut survivre grâce aux éléments nutritifs de l’eau de mer, notamment le plancton : On ne le pris pas pour un fou, parce qu’il était biologiste et connaissait bien la mer. Lorsque les premiers navigateurs ont tenté le tour du monde à la voile en solitaire, les risques étaient importants, mais ils étaient pris par des sportifs entraînés, qui mettaient toutes les chances de leur côté. Lorsque la NASA décida que l’espèce humaine marcherait sur la Lune, on était loin des rêveries de Jules Vernes.

Pour former un projet d’apparence raisonnable, il faut donc deux types de ressources :

Ce sont les ressources indispensables pour former de grands projets collectifs, projets sportifs (par exemple organiser les Jeux Olympiques), artistiques (bâtir une cathédrale), culturels (créer un musée de la civilisation), scientifiques (combattre le SIDA), technologiques (développer les énergies renouvelables), écologiques (lutter contre la désertification), militaires (déclarer et gagner la guerre du Golfe), politiques (réunifier l’Allemagne, créer une monnaie unique en Europe) ou économiques (sortir une région du sous-développement, maîtriser le chômage). Ce sont là des projets qui intéressent l’ensemble d’une société, voire toute la planète. On trouve des entreprises équivalentes, aussi ambitieuses et complexes, à l’échelle de certaines organisations, par exemple lorsqu’une entreprise, une administration ou un hôpital veulent réaliser une décentralisation, une mutation technologique, une réforme, lorsqu’un parti, un syndicat ou une association veulent conquérir le pouvoir, renégocier une convention collective ou faire passer une législation plus favorable. Des groupes plus restreints peuvent, eux aussi, former des projets audacieux. Une équipe de football peut projeter de gagner le championnat, un groupe de rock de faire son premier disque, une famille d’immigrer vers des cieux plus cléments, un couple d’adopter un enfant.

De tels projets collectifs reposent toujours, en fin de compte, sur des individus, ce sont eux qui rêvent, pensent, calculent, régulent, décident, négocient. Ils le font cependant, de façon générale, à titre de membres de groupes, d’organisations et de sociétés. On pourrait donc se dire qu’il n’est pas indispensable que tous les membres d’un groupe aient les compétences requises pour former et conduire des projets, qu’il suffit qu’elles soient présentes dans le groupe, chez ses dirigeants, ses experts ou tel membre inspiré.

La nécessité de compétences chez chacun est plus évidente lorsqu’on s’intéresse aux projets de personnes prise individuellement : projets de voyage, de carrière, de reconversion, de formation, de thérapie, d’épargne, d’investissement, de création, de recherche (d’un logement ou de la pierre philosophale, selon les cas). L’enjeu est alors que tout individu sache former et conduire des projets personnels et participer de façon active à former et conduire des projets collectifs.

Savoir développer des stratégies est rattaché ici au projet, parce qu’on n’a pas besoin de stratégie si l’on vit sans projet, au jour le jour. La stratégie est l’art du détour, du calcul, du maintien d’un cap pour atteindre un objectif à moyen terme en tenant compte des obstacles qui surgissent, par toujours prévisibles. Un projet peut viser la transformation de la situation, mais aussi son maintien : tous les projets ne sont pas novateurs.

Les compétences stratégiques diffèrent en partie selon le champ social dans lequel on agit et le type de projet. Mais les racines de la pensée stratégique sont les mêmes : savoir prévoir le pire, envisager toutes sortes de cours possibles des événements, anticiper les obstacles matériels et les réactions des partenaires et adversaires, imaginer des solutions originales sur le vif, maîtriser les effets indirects et les effets pervers de l’action (Boudon, 1977), évaluer au plus juste le temps que prennent les choses, les ressources nécessaires, les appuis sur lesquels on peut compter, planifier toute ce qui peut l’être et s’écarter du plan à bon escient, faire le point en permanence, réajuster les prévisions et les plans d’action au fur et à mesure (Suchman, 1990).

 

Savoir analyser des situations, des relations,
des champs de force de façon systémique

Une partie des gens démunis le restent parce qu’ils ne tentent rien. D’autres parce qu’ils font des efforts désordonnés qui n’aboutissent à rien et parfois aggravent leur cas. Dörner (1997) montre que même lorsqu’il n’y a pas conflit, toute action qui ne prend pas correctement en compte les interdépendances systémiques peut conduire à des catastrophes à moyen terme, même si, à court terme, on enregistre un progrès. Ralentir ou détourner la circulation dans une ville pour accroître la sécurité et la tranquillité, c’est bien ; mais si cela paralyse le commerce urbain au profit des centres commerciaux externes, la perte d’emploi et de vie sociale en ville peut être un effet indésirable très fâcheux. Souvent, le remède est plus grave que le mal si on ignore les régulations à l’œuvre et qu’on ne traite que les symptômes.

Cet exemple montre que le problème est rarement purement technique, que les groupes qui pensent y gagner défendent une solution, alors que s’y opposent les groupes qui pensent y perdre. Les stratégies des acteurs font partie du champ de force et du système.

Ces compétences d’analyse systémique sont à l’évidence nécessaires à un leader politique ou syndical, à un chef d’entreprise, à quiconque veut mobiliser ou transformer un système social complexe et agir, par exemple, sur la natalité, la prévention des maladies, la protection de l’environnement, la consommation ou le vote.

Je soutiens qu’à son échelle, l’acteur autonome a besoin des mêmes compétences. Non pour conduire des politiques publiques, mais pour construire et tenir une ligne d’action cohérente. Les parents qui veulent assurer la réussite scolaire de leurs enfants sont souvent d’une grande maladresse faute d’une bonne compréhension du système d’action dans lequel ils se meuvent. Le mieux est l’ennemi du bien, ils font preuve d’acharnement et suscitent des résistances ou des conduites de fuite proportionnées à leur insistance (Perrenoud, 1998 a).

Une partie des personnes victimes d’injustices ou d’abus de pouvoir détériorent leur situation en se débattant inconsidérément, comme des bêtes prises au piège. Une personne que l’on veut interner sous prétexte qu’elle perd la raison peut réagir si impulsivement qu’elle semble donner raison, a posteriori, à ceux qui veulent l’enfermer et peut leur gagner la sympathie des témoins. Une personne victime d’une injustice (punition ou licenciement arbitraires) peut avoir des réactions si violentes qu’elle se met hors la loi et passe du statut de victime à celui d’agresseur. Ces réactions qui vont à l’encontre des intérêts tactiques de l’acteur témoignent d’abord d’une absence de sang-froid. Le sang-froid, est-ce une compétence ou une manière d’être au monde ? Les deux, sans doute. Au-delà de la maîtrise de soi, la capacité d’analyser les rapports de force, si elle est présente, peut être l’un des rares atouts des dominés. Elle seule peut les inciter à attendre patiemment le moment où leur réaction aura le plus de chance d’avoir un effet et les inviter à construire des stratégies plus complexes, à ruser le temps de trouver des alliances ou des ressources pour retourner la situation en leur faveur ou au moins préserver leurs intérêts élémentaires.

Les dirigeants/dominants ont besoin de maîtriser toutes les " tactiques du pouvoir " pour prendre ou conserver le contrôle de l’organisation ou d’un système plus vaste. Les acteurs ordinaires n’ont pas de telles ambitions. Ils ont simplement besoin, pour préserver leurs intérêts ou réaliser leurs " petits projets ", de savoir identifier les déterminismes, les contraintes, les marges d’action, les possibles. Pour cela, ils doivent construire une représentation schématique, mais aussi juste que possible, du fonctionnement du champ et de leur propre position. Un acteur " sociologiquement lucide " sait s’il a intérêt à s’indigner vertueusement, à faire un scandale, à se plaindre ou au contraire attendre son heure en prenant la position basse. Il sait s’il doit exposer honnêtement ses besoins, ses limites, ses zones de doute ou d’incompétence, ou au contraire jouer la " comédie de la maîtrise " (Perrenoud, 1996 a). Il a en tête un modèle du système d’action et de ses zones d’incertitude (Friedberg, 1992, 1993) qui lui permet d’anticiper et de contrôler les conduites des autres et de prévoir ce qui risque d’arriver s’il prend lui-même telle ou telle initiative.

Une formation en sciences sociales n’est pas inutile, mais ce n’est pas de théorie générale dont l’acteur ordinaire a besoin, mais d’un modèle, d’une carte conceptuelle du système d’action qui le concerne, ici et maintenant. Une partie des acteurs qui défendent bien leur autonomie, voire exercent du pouvoir, construisent un tel modèle de façon intuitive, sans concepts savants, à la manière d’un savoir d’expérience et en partie par essais et erreurs, ce qui renvoie au bon usage de l’expérience et à la pratique réflexive.

 

Savoir coopérer, agir en synergie,
participer à un collectif, partager un leadership

Dans une société complexe, il est rare qu’on arrive à ses fins tout seul. Les partis politiques, les syndicats, les groupes de pression sont des dispositifs qui permettent à ceux qui partagent les mêmes intérêts ou les mêmes convictions d’allier leurs forces.

Défendre son autonomie, c’est parfois savoir limiter sa liberté de manœuvre, pour se fondre dans un ensemble plus vaste de gens qui défendent des causes semblables ou une cause commune. C’est le principe de tout système d’action collective. La première compétence d’un acteur autonome consiste à identifier les groupes, partis, associations ou autres mouvements déjà constitués susceptibles de l’aider à atteindre ses buts ou à défendre ses intérêts. Le choix n’est pas toujours facile, car il y a compétition entre organisations concurrentes. De plus, une fois inscrit dans une organisation, chacun est soumis à des disciplines et une forme d’orthodoxie que tous ne sont pas prêts à supporter.

Lorsque l’acteur entre dans une organisation existante, une seconde compétence lui devient indispensable : savoir s’intégrer sans être utilisé, en restant fidèle à ses principes et à son projet initial. Les militants des organisations syndicales et politiques apprennent à leurs dépens que ce n’est pas facile, qu’ils deviennent les rouages d’une machine de guerre où la raison stratégique prévaut souvent sur les états d’âme et les valeurs des personnes. C’est l’un de dilemmes permanents de l’acteur : rester seul, donc impuissant, mais libre ; où s’affilier à un collectif et se trouver conduit à faire des compromis pour atteindre les objectifs de l’action collective. C’est ici encore une question de personnalité, de courage, de détermination, mais aussi de compétence : faire valoir son point de vue au moment où un collectif construit sa position et sa stratégie exige une grande habileté à comprendre la dynamique du débat et les tendances en présence, pour ne pas se retrouver isolé, voire réduit au silence. En dehors des habiletés argumentatives et manœuvrières, il en est d’autres, tout aussi fondamentales, par exemple savoir discerner les limites de la solidarité et savoir comment construire des alliances tactiques ou plus durables.

Même dans une société hyper organisée, il reste à construire des systèmes d’action collective, aussi bien au sein des grandes organisations qu’en dehors, par exemple dans les domaines où il n’existe encore aucun acteur collectif, parce que le problème est neuf ou parce qu’un pays sort d’une période de répression policière ou de crise économique qui empêchait toute action collective. La vie sociale ne cesse de faire émerger des catégories nouvelles de personnes qui se découvrent des intérêts communs. C’est ainsi que divers types de victimes (prises d’otage, actes de terrorisme, erreurs médicales, transplantations sanguines responsables du SIDA, accidents aériens, nuisances diverses) se liguent pour défendre des droits nouveaux. De même, autour de maladies, de handicaps, des greffes d’organes ou d’équipements médicaux rares, les patients ou leurs familles s’organisent. On voit les chômeurs constituer des groupes de pression indépendants des syndicats de salariés et qui entrent en partie en conflit avec ceux qui ont encore du travail. Diverses causes humanitaires mobilisent des gens révoltés. Des mouvements écologiques naissent autour d’une centrale ou de déchets nucléaires, d’une réserve naturelle menacée par des promoteurs, de l’extermination des phoques ou des baleines.

Les compétences de l’acteur autonome ne se limitent donc pas à choisir une organisation existante, pour y adhérer et y jouer un rôle actif. Il devrait aussi, avec d’autres, savoir construire des collectifs nouveaux, associations d’usagers, groupements de quartiers, mouvements écologistes, etc.

La multiplication de mouvements sociaux suggère que de telles compétences existent déjà. L’observation de leur fragilité et de leurs querelles intestines indique qu’on est encore loin du compte, en partie parce que les savoir-faire les plus courants ne permettent pas de concilier facilement efficacité et démocratie. Si bien qu’on voit des associations démocratiques qui s’épuisent en débats internes sans avoir prise sur le réel et d’autres placées sous la coupe de quelque tyran, qui se retrouve isols, une fois les menaces éloignées.

 

Savoir construire et animer des organisations
et des systèmes d’action collective de type démocratique

On peut faire le rapprochement avec le thème de la citoyenneté, à condition d’accepter que l’éducation à la citoyenneté ne soit pas uniquement une question de valeur et d’adhésion au modèle démocratique. Ce sont des conditions préalables, mais sans compétences spécifiques et pointues, toutes les associations dérivent vers la paralysie ou la prise de pouvoir de quelques uns.

Ici à nouveau, les compétences n’ont de sens que si elles s’ancrent dans une identité et des convictions démocratiques. Elles permettent de mettre en œuvre une partie des idéaux relatifs par exemple à la transparence des décisions, au strict respect des procédures, à l’égalité des chances, à la justice.

N’importe quelle cause urgente peut mobiliser des gens hors de tout fonctionnement démocratique. Ils obéiront à un leader autoritaire s’il apparaît capable de les tirer d’affaire au moment où le navire sombre. En vitesse de croisière, c’est différent. La mobilisation n’est maintenue que si les gens se sentent considérés et parties prenantes des décisions. C’est vrai même dans les entreprises, où se mettent en place diverses structures de participation.

Si la démocratie reste limitée, dans les entreprises, par le droit des propriétaires à disposer de leurs biens, dans les administrations par les décisions du gouvernement, du parlement et parfois des électeurs, dans les églises par la référence à une volonté divine et aux textes sacrés interprétés par le clergé, elle n’a aucune raison d’être bornée de la sorte dans les associations de tous genres dont on devient membre non au gré d’un contrat de travail ou d’un baptême, mais en vertu d’un choix personnel, raisonné, volontaire et réversible.

Le spectacle des partis politiques montre qu’il existe toujours des formations, souvent extrémistes, aux ordres d’un leader charismatique ou d’une oligarchie. La plupart des grands partis gouvernementaux ne retiennent leur militants et leurs électeurs qu’en leur accordant une part de pouvoir, souvent le strict minimum. Dans des associations de moindre envergure nationale, qui disposent de moins de moyens et de compétence, la démocratie est mise à mal plus souvent, ou moins subtilement. C’est sans doute parce que ceux qui travaillent le plus et sollicitent des mandats n’ont pas l’intention de suivre docilement leur base. La plupart des dirigeants d’organisations oscillent entre un respect inconditionnel de la base et une manipulation suffisante pour sauver les apparences de la démocratie. Cette oscillation tient à l’ambivalence des dirigeants, pris entre goût du pouvoir et convictions démocratiques. Mais elle tient aussi à un dilemme : forger une décision démocratique prend du temps et aboutit souvent à un consensus mou, à une stratégie peu cohérente, en outre dévoilée publiquement avant même d’être mise en œuvre. C’est pourquoi démocratie et efficacité sont en conflit.

Pour surmonter la tension, il faut construire une culture commune, des méthodes de travail, des formes de délégation réversibles, des procédures de consultation et de décision réalistes en regard des échéances et des contraintes tactiques. Ce travail repose dans une large mesure sur les épaules des dirigeants, qui conçoivent les structures, les statuts, les canaux d’information, les procédures de travail et de décision. Cependant, plus la conception du fonctionnement démocratique est largement partagée, plus les membres sont capables de prendre des responsabilités et des initiatives dans le même esprit, plus ils sont vigilants et en mesure de prévenir les dérives autoritaires, plus l’organisation dans son ensemble sera démocratique. C’est vrai aussi dans les entreprises et administrations qui souhaitent une participation des salariés.

Les compétences correspondantes sont en partie fondées sur une connaissance du droit civil et des principes démocratiques. Leur mise en œuvre dépend cependant de multiples savoir-faire plus pratiques, par exemple construire une véritable alternative, animer un débat, restructurer une problématique pour sortir d’une impasse ou permettre à la minorité de sauver la face, donner la parole aux dissidents sans les laisser prendre le groupe en otage, construire des compromis en intégrant des logiques contraires, fractionner les décisions pour éviter de radicaliser les oppositions ou au contraire faire adopter une politique d’ensemble dont découleront des décisions particulières, décentraliser à bon escient, mettre en place des mécanismes de recours ou de régulation.

On peut considérer que ce sont des compétences politiques, au sens large du fonctionnement d’une cité régie par la recherche du bien commun. Plus largement, il s’agit de savoir négocier, construire des accords, décider dans le respect de toutes les tendances.

 

Savoir gérer et dépasser les conflits

C’est évidemment hors d’une commune appartenance que les conflits se développement de la façon la plus légitime, donc ouvertement et parfois violemment. Entre nations, ils ne sont modérés par aucune instance forte, même si l’ONU essaie de jouer ce rôle. De même en cas de guerre civile, lorsque la justice et les institutions sont-elles mêmes en crise ou écartelées entre des tendances antagonistes.

La commune appartenance à un ensemble ne fait pas disparaître les conflits. Il n’y a " union sacrée " que dans les moments les plus dramatiques de la vie d’une nation ou d’une organisation. En période moins mouvementée, elle se défait. A l’intérieur d’une société démocratique, l’État, le droit, les conventions collectives et un système de valeurs partagées offrent un cadre légal et moral largement accepté par les adversaires au règlement de leurs conflits. Il en va de même au sein des organisations, où les instance dirigeantes jouent le rôle de l’État. Cela n’empêche pas les sociétés et les organisations d’être le théâtre de grèves, manifestations, occupations et autres affrontements verbaux et parfois physiques entre des groupes ou entre eux et les forces de l’ordre.

Bref, une société démocratique ne bannit pas le conflit, elle lui propose un cadre juridique, au sens large, incluant les procédures civiles, pénales ou administratives, mais aussi les tribunaux de prud’hommes, diverses instances de médiation, les négociations et conventions collectives et toutes les institutions qui, à un titre ou un autre, formellement ou informellement, favorisent l’expression pacifique des différents et la recherche d’un compromis équitable. On peut euphémiser les conflits en parlant de divergences de vues ou de " débats démocratiques ", mais il y parfois des intérêts ou des opinions aussi contrastés qu’entre de véritables adversaires, ne serait-ce que pour prendre le leadership de l’organisation ou emporter la majorité sur telle ou telle décision.

Si l’on en arrive à la violence nue, que ce soit dans une ville, un immeuble, un quartier, une prison ou une entreprise, c’est évidemment parce que les mécanismes de résolution pacifique des conflits n’ont pas suffi. Cela ne signifie pas qu’ils n’existent pas ou sont inefficaces. Ils permettent au contraire, dans la plupart des cas, d’éviter l’escalade, Hélas, leurs limites sont plus spectaculaires que les médiations réussies.

Aujourd’hui, la crise économique, les mouvements de population, les mélanges multiculturels, l’insécurité et la désorganisation urbaine, le rythme des changements technologiques, l’accroissement du chômage, de la précarité et des inégalités sont autant de sources nouvelles d’affrontements. Il est probable que la capacité de règlement pacifique des conflits s’est accrue au fil des siècles, en valeur absolue, mais qu’elle est toujours insuffisante en regard de la complexité croissante du monde contemporain.

Les compétences requises sont en partie des compétences d’experts : magistrats, médiateurs, conciliateurs professionnels. Ils ne devraient intervenir qu’en bout de parcours, lorsque des médiations plus proches des parties ont échoué. Felder (1985) analyse le fonctionnement des community boards à San Francisco et montre que dans des zones défavorisées, où les conflits de voisinage sont vifs et nombreux, des instances locales, faites de bénévoles volontaires et élus, peuvent faire un excellent travail de médiation. En dehors de structures organisées, un important travail de médiation informelle se fait tous les jours, dans toutes sortes de champs sociaux, par des tiers qui ne sont pas directement impliqués dans le conflit, par des acteurs solidaires de l’une ou l’autre partie mais qui plaident pour une solution négociée ou par les acteurs eux-mêmes lorsqu’ils ne veulent pas se laisser entraîner dans une escalade et cherchent un règlement pacifique.

Pour identifier des compétences nécessaires, il n’est pas utile de prétendre qu’elles font totalement défaut. Il s’agit plutôt de les renforcer, de permettre à un nombre encore plus grand d’acteurs de les développer. Il reste nécessaire de recourir à des médiateurs experts dans les cas les plus difficiles, mais il est souhaitable que les professionnels demeurent un ultime recours et que le traitement des conflits soit en priorité l’affaire des intéressés ou de leurs proches.

Parmi les compétences requises, il y a d’abord un rapport serein au conflit comme mode normal, acceptable, non pervers, de relation entre êtres humains, comme contrepartie de la liberté et du pluralisme. Ce qui suppose une culture psychosociologique permettant de ne pas diaboliser le conflit et de ne pas tenter de le résoudre en le niant ou en le stigmatisant comme une pathologie.

Ensuite, il faut des savoir-faire plus pointus, par exemple :

Selon la nature du conflit, il est souhaitable, si la médiation est assurée par un tiers, qu’il possède quelques connaissances techniques pour comprendre la nature du différent. Ce n’est pas l’essentiel. Un médiateur peut saisir les enjeux sans se substituer aux acteurs, encore moins sans être capable de faire le travail des gens en conflit. Derrière les oppositions techniques se cachent souvent des enjeux de pouvoir, de territoire, de préséance, de droits d’auteur, de reconnaissance des mérites, de liberté et de contrôle, de division du travail, d’équité. Les mécanismes concernés sont transversaux. L’expertise du médiateur porte sur leur fonctionnement. Si le dénouement du conflit passe par des solutions techniques, son rôle n’est pas de les amener, mais d’inviter les acteurs à les construire ensemble.

 

Jouer avec les règles, s’en servir, en élaborer

L’instauration de règles peut servir aussi bien que desservir l’autonomie de chacun. Dans une société totalitaire, une organisation ou une famille autoritaire, le pouvoir impose des règles qui privent les acteurs d’autonomie. Une société démocratique édicte au contraire des règles qui préservent l’autonomie des sujets, de la déclaration universelle des Droits de l’homme au règlement intérieur d’une l’école, d’une l’entreprise ou d’un immeuble.

  • Pour optimiser son autonomie, un acteur a donc besoin de savoir :
  • Ces formulations évoquent sans doute d’abord des règles de droit, mais par analogie, elle s’appliquent à n’importe quel système de normes explicites, voire implicites. Un adolescent doit trouver une réponse à ces questions pour savoir combien de fois par semaine ou par mois il peut rentrer tard la nuit, jusqu’à quelle heure sa rentrée tardive est tolérée ou provoque des réactions désagréables. De la même façon, une patient hospitalisé doit découvrir les limites de son autonomie et, pour les repousser, apprendre à jouer avec les règles en vigueur dans le service.

    Lorsque les règles sont proprement juridiques, il faut évidemment une connaissance du langage et des concepts du droit formel. Dans ce cas et dans tous les autres, il faut des compétences " psychosociologiques " pour identifier la règle et le jeu qu’elle laisse, par essais et erreurs, en posant des questions anodines, en écoutant des anecdotes, en analysant les mécanismes de repérage et de répression de la déviance, en repérant les côtés vulnérables de ceux qui ont la charge de faire appliquer les normes. En amont, il faut sans doute liquider son rapport infantile à l’autorité, se débarrasser de quelque Surmoi encombrant ou cesser d’imaginer que le Ciel va tomber sur la tête de ceux qui s’écartent de la norme. Cette compétence d’analyse du statut humain, négociable et changeable de la norme, de son arbitraire, des intérêts qu’elle sert, du fait qu’elle n’a rien de sacré et que la répression de la déviance n’a rien d’automatique ni de standardisé, accroît la liberté intérieure du sujet et l’autorise à construire un rapport stratégique aux règles qui limitent sa liberté.

    En contrepartie, cela suppose une éducation éthique permettant de faire bon usage de l’autonomie conquise en substituant le jugement au respect inconditionnel d’une norme parce que c’est la norme.

     

    Savoir construire des ordres négociés par-delà les différences culturelles

    On ne peut vivre dans le désordre, sauf à titre transitoire. En même temps, dans une société pluraliste, démocratique et en perpétuel changement, il n’y a pas d’ordre traditionnel, immuable ou du moins stable, proposant une réponse à chaque situation, mais surtout limitant de façon drastique les situations qui peuvent se présenter. L’ordre social est fragile, constamment contesté ou mis en crise, régulièrement remanié, renégocié (Padioleau, 1986). Seuls ceux qui savent participer à cette négociation parviennent à tirer leur épingle du jeu. Les autres perdent le peu qu’ils avaient acquis lorsque les règles du jeu changent. C’est ainsi que le passage aux économies structurellement inflationnistes a dépossédé les épargnants qui ont vu, en spectateurs, se construire une nouvelle donne.

    Dans notre société, du fait des mutations technologiques, des restructurations de l’appareil de production, des recompositions de sociétés ou d’organisations entières, des fusions, des déplacements de populations d’un pays ou d’un continent à un autre, un nombre croissant de personnes se trouvent dans un environnement nouveau, entourées d’inconnus et plongées dans des interactions dont elles ne comprennent pas les règles ou qui n’en ont pas encore.

    Pour éviter Mad Max aussi bien que le repli de chacun sur soi et sa famille, il importe donc qu’un maximum d’acteurs sachent (re)construire de façon négociée et artisanale des ordres microsociaux provisoires, qui permettent de vivre ensemble. Dans les cas extrêmes, par exemple dans certains bidonvilles, certaines cités d’urgence, certaines zones frontières, camps ou quartiers déshérités, la coexistence doit s’organiser entre communautés qui ne parlent pas la même langue, n’ont pas la même culture et doivent se partager des ressources rares et des espaces limités. Pour que la coexistence soit pacifique, il faudrait que les acteurs en présence aient les moyens d’inventer un ordre, et pour cela de communiquer, d’exprimer des besoins, d’articuler des points de vue et des intérêts. Ce qui est improbable dans des conditions aussi extrêmes est un peu plus facile dans les zones où la vie est moins menacée, désorganisée ou précaire. Même alors, il faut des compétences pour organiser la coexistence, sinon une nouvelle communauté. Même lorsque les différences culturelles sont internes à la même société globale, faire des concessions pour construire un ordre vivable n’est pas facile. On s’en rend compte lorsque des personnes instruites, civilisées et partageant les mêmes valeurs se retrouvent dans une chaloupe, sur une île déserte ou isolée loin de tout recours. En Suisse, la protection civile a, durant des années, prévu qu’en cas de conflit nucléaire, une partie de la population trouverait un abri durable dans des caves spécialement aménagées, protégées des radiations et isolées de l’air extérieur. Pour anticiper les problèmes de coexistence dans ces espaces exigus, des expériences ont été faites dans certains immeubles, avec des habitants volontaires et pour une courte période. Elles ont montré l’extrême difficulté que rencontre un groupe réuni par l’infortune à construire des règles permettant la vie en commun, notamment des procédures de décision démocratique et des règles de justice quant aux tâches, aux espaces et aux privilèges de chacun en fonction de son âge, ses besoins, son statut.

    Dans des circonstances moins confinées ou moins dramatiques, le manque de compétences n’a pas d’effets aussi visibles, mais il contribue à " miner " les groupes et les organisations de l’intérieur et à favoriser soit les dérives autoritaires, soit une forme d’anomie et de désorganisation des communautés qui doivent leur survie à la négociation plutôt qu’à une commune dépendance à l’égard d’un gourou ou d’un dogme assez fort pour les mettre d’accord.

     


    Former à une pratique réflexive

    Ces diverses compétences mériteraient évidemment d’être analysées en composantes plus spécifiques. De même, les ressources qu’elles mobilisent devraient être méthodiquement identifiées. C’est à cette condition qu’on pourrait commencer à construire des programmes de formation de telles compétences.

    On peut supposer qu’un sujet extrêmement érudit et intelligent serait capable de construire de telles compétences par ses propres moyens, en apprenant très vite de l’expérience. Chez des sujets plus ordinaires, dont les ressources seront moins impressionnantes, la construction de compétences définies passe par un entraînement organisé, dès l’école élémentaire. La scolarisation n’exclut pas, au contraire, qu’on mise aussi sur le développement de telles compétences au gré de l’expérience de vie et d’une pratique réflexive. Une véritable formation articulerait d’ailleurs ces dimensions.

     

    Une autonomie bridée

    Au moment où un acteur entre, pour la première fois, dans un champ social défini, il est normal qu’il ne sache pas grand-chose et ne soit pas très compétent. Sauf bien entendu s’il a été dûment formé, mais alors on peut considérer que la formation fait partie du champ : être séminariste, c’est déjà faire partie du champ ecclésiastique. La plupart des champs organisés prévoient un statut spécial pour les nouveaux arrivants, qui leur permet justement d’apprendre ce qu’ils doivent savoir et leur donne le droit à l’erreur et au tâtonnement, pour une période d’initiation plus ou moins codifiée. Lorsqu’elle est organisée, la socialisation privilégie souvent une sorte de conformisme. Elle est régie par les acteurs dominants du champ et ne vise pas nécessairement leur autonomie, soit parce que ce n’est pas une valeur importante (par exemple dans une armée, un ordre religieux, certaines entreprises), soit parce qu'elle entre en contradiction avec d’autres valeurs (obéissance, humilité, efficacité, uniformité), soit encore parce qu’elle n’est pas associée au statut de nouveau venu. Devenir un acteur autonome n’est donc pas nécessairement " au programme ". Dans nombre de champs sociaux, les compétences et l’autonomie d’un acteur sont limitées à ce que sa position autorise et exige. Qu’il en sache plus menacerait l’ordre établi !

    Il existe certes des organisations dont le travail de socialisation vise l’autonomie des acteurs qui y entrent. Si c’était la règle, il ne serait pas nécessaire de se soucier de développer l’autonomie de l’acteur et les compétences correspondantes dans la formation de base. En réalité, la socialisation interne à un champ social est presque toujours une entreprise paradoxale, qui privilégie une certaine forme d’autonomie sans laquelle le champ ne saurait fonctionner et qui la limite en même temps, pour qu’elle serve l’unité, les buts et les intérêts des acteurs dominants dans le champs, ceux qui contrôlent les processus de socialisation, parfois d’admission.

    C’est évident dans une organisation, champ spécifique fortement structuré par un pouvoir organisateur et auquel on appartient en vertu d’une décision formelle et au gré d’une socialisation prise clairement en charge. Dans un champ social, les processus de socialisation ne sont en général pas organisés de manière aussi délibérée, mais on retrouve la même tension, avec un double seuil : en deçà d’un premier seuil, le manque d’autonomie empêche le champ de fonctionner, au-delà du second seuil, elle en menace l’existence ou simplement la configuration établie des pouvoirs.

    Le développement de l’autonomie des sujets, si on ne les réduit pas à l’addition de leurs appartenances, se construit donc nécessairement, au moins en partie, contre la logique de chaque champ. C’est pourquoi il importe que le système éducatif ne soit pas dans une totale dépendance à l’égard des autres organisations et des autres champs sociaux, mais travaille en partie dans l’intérêt des acteurs individuels, voire collectifs, au-delà de leur appartenance, à la formation d’acteurs réflexifs et critiques.

     

    Agir en praticien réflexif

    La notion de praticien réflexif à été popularisée par les travaux de Schön (1983, 1987, 1991) dans le contexte de la recherche sur les professions et les formations correspondantes. Je l’extrais ici de ce contexte parce qu’elle me paraît étroitement connectée à la problématique de la genèse des compétences d’un acteur social autonome, définie indépendamment de leur normalisation dans telle organisation ou dans tel champ social. Il s’agit, pour être plus clair, de rendre les acteurs aussi indépendants que possible des limites que chaque organisation ou chaque champ fixe à leur autonomie.

    Ou encore, pour le dire autrement, l’enjeu est de rendre autonome même par rapport aux normes sociales qui régissent l’autonomie dans les divers champs constitutifs d’une société moderne. Ce qui revient à affirmer qu’un acteur n’est pas la simple addition des rôles qu’on lui assigne dans les divers champs dont il fait partie, de gré ou de force.

    Cette posture est sans doute, à certains égards, très optimiste quant à la démocratie et quant à l’autonomie relative du système éducatif par rapport à la demande ou à la commande sociales. Si cet optimisme n’était pas de mise, il suffirait, pour orienter les programmes, d’interroger les porte-parole autorisés de chaque champ sur leurs attentes à l’égard de l’école et de faire la synthèse de ces attentes pour définir les programme scolaire. Si l’école n’est pas l’addition de telles demandes, mais participe d’un projet centré sur la personne et la citoyenneté, réfléchir à des compétences et à une autonomie transversales a un certain sens.

    La pratique réflexive est alors un moyen de les conquérir, de les conserver, de les développer, indépendamment de et parfois contre les programmes de socialisation et de formation propres à chaque champ ou organisation. Une posture et une démarche réflexives permettent à l’acteur d’apprendre de l’expérience et de réfléchir par lui-même sans être prisonnier de la pensée unique ou des attentes de son environnement. C’est une attitude et une " métacompétence " dont dépendent toutes les autres.

     

    Deux principes de base

    Soulignons deux principes de base d’une formation à l’autonomie dès l’école obligatoire :

    1. Comme on apprend à marcher en marchant, on apprend à construire son autonomie en l’exerçant. Plutôt que d’organiser des travaux pratiques de 14 à 16 heures le vendredi, mieux vaudrait évidemment que l’ensemble de la situation de formation (scolarisation, éducation d’adultes, voire travail) constitue un curriculum formateur des compétences reliées à l’autonomie.

    2. Chaque compétence suppose un développement global de la pensée critique et de la pratique réflexive qui ne peut s’exercer que sur l’ensemble des savoirs et des situations de formation ou de vie.

    C’est dire que prendre au sérieux le développement des compétences évoquées suppose bien davantage que la modification ou l’enrichissement des programmes. L’évolution est solidaire d’une approche par compétences pour l’ensemble du curriculum (Perrenoud, 1998 a, 2000 a) et d’une transformation assez sensible du rapport pédagogique et du fonctionnement des établissements scolaires et des classes dans le sens de la pédagogie institutionnelle, de l’école nouvelle, des méthodes actives, des démarches de projet, de l’apprentissage sous contrat, de l’autogestion pédagogique.

    On s’inscrit ici dans le champ de l’éducation à la citoyenneté, mais bien au-delà de l’instruction civique. Il est question non seulement de valeurs et de savoirs, mais de compétences, donc d’une formation à la fois théorique et pratique mobilisable dans des situations réelles de la vie, à l’école et hors de l’école, dès l’enfance et tout au long du cycle de vie.

    On ne peut aller dans ce sens sans mettre ce projet au cœur des disciplines. Développer la pensée critique, le débat et l’autonomie intellectuelle est en principe l’intention de chaque discipline, langue maternelle, mathématique, histoire, biologie, philosophie, etc. En réalité, cet objectif est souvent laissé de côté au profit de l’accumulation de savoirs. Il se heurte aussi au manque de temps et à la crainte des professeurs de perdre le pouvoir s’ils ouvrent le débat. Former l’esprit critique fait toujours courir le risque qu’il s’exerce d’abord contre l’école. J’ai développé ces thèses ailleurs, notamment à propos des connexions à faire entre citoyenneté, débat intellectuel et rapport au savoir (Perrenoud, 1997, 1998 e). Je souligne simplement un postulat de base : l’école ne peut développer l’autonomie, la pratique réflexive et la pensée critique en les interdisant en son sein. C’est donc une formation à hauts risques qu’il faut envisager, qui implique des changement d’attitudes et de contrats pédagogiques et didactiques (y compris sur l’évaluation) autant que des remaniements du curriculum prescrit.

     


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