Source et copyright à la fin du texte
In Éducateur, n° 6,
7 mai 1999, pp. 28-35.

 

 

 

Travailler en modules à l’école primaire :
essais et premier bilan

Frédérique Wandfluh & Philippe Perrenoud*

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1999

Sommaire

Pourquoi des modules ?

Des modules sur l’espace : le dispositif expérimenté

Un premier bilan

Problèmes ouverts

Ne pas nier les doutes et les peurs

Références

 

Dans le cadre de la rénovation de l’enseignement primaire à Genève, il est envisagé d’introduire des cycles d’apprentissage pluriannuels qui ne soient pas la simple réunion de programmes annuels, assortie de la suppression du redoublement. Pour organiser de nouveaux espaces-temps de formation sans réinventer subrepticement les degrés, il faut imaginer d’autres dispositifs, inspirés par les expériences de décloisonnement, de groupes multiâges, de travail en groupes de niveaux, de besoins, de projets (Meirieu, 1989 a et b). Ces dispositifs ont pour but principal d’assurer une progression régulière de tous les élèves vers des objectifs de fin de cycle, mais ils ont aussi pour fonction de permettre aux enseignants solidairement responsables d’un cycle d’organiser, de planifier et de se répartir le travail.

C’est dans ce contexte qu’a été avancée l’idée d’organiser le cursus comme un réseau de modules thématiques, permettant pour chacun un investissement intensif et groupé sur un nombre limité d’objectifs d’apprentissage (Perrenoud, 1997 a et b). Pour effacer véritablement les degrés annuels, l’une des voies prometteuses paraît être de développer une architecture modulaire du curriculum d’un cycle de quatre ans.

Banale en formation des adultes et dans certaines formations professionnelles, la notion de module (dans le sens retenu ici) n’est pas en usage à l’école obligatoire, encore moins à l’école primaire, qui fonctionne plutôt par programmes annuels ou pluriannuels. La pertinence, la faisabilité et l’efficacité d’une organisation modulaire dans la scolarité de base restent donc à explorer. À cette fin, au-delà des clarifications conceptuelles indispensables, le plus simple est de tenter quelques expériences à échelle limitée, " pour voir ".

Cet article se propose de rapporter l’une des premières expériences menées dans une école engagée dans la rénovation genevoise. Il s’articule en quatre parties :

À ce stade, il ne s’agit nullement de conclure, mais de partager une réflexion et, peut-être, de donner à d’autres enseignants l’envie d’essayer à leur tour.

 

Pourquoi des modules ?

L’idée de base s’inspire des dispositifs mis en place dans les formations professionnelles et universitaires qui ont rompu avec l’idée d’un programme standard pour tous, à parcourir dans un ordre immuable, pour lui substituer des unités capitalisables, autrement dit des " briques de formation " grâce auxquelles chacun construit un édifice particulier, sa formation. Une formation modulaire est une formation que chacun peut moduler au gré de ses projets, de ses besoins, mais aussi de ses disponibilités.

Lorsqu’on met en place une formation modulaire, on permet et on favorise une diversification et une personnalisation des parcours de formation, donc une première forme de différenciation de l’enseignement : sont dispensés de suivre un module, d’une part, ceux qui maîtrisent suffisamment les savoirs et savoir-faire visés ; d’autre part, ceux qui n’éprouvent pas le besoin de maîtriser ces savoirs et savoir-faire, à supposer que le plan d’études leur en laisse le choix.

La première raison de développer une formation modulaire est transposable à l’école primaire : la structuration en programmes annuels, à parcourir par chacun, d’un bout à l’autre, inflige à certains élèves des enseignements dont ils n’auraient pas besoin, puisqu’ils maîtrisent déjà une partie du programme, soit parce qu’ils redoublent, soit parce qu’ils viennent d’un autre système scolaire, soit parce qu’ils ont appris hors de l’école, dans leur famille ou ailleurs. Une structuration en modules les dispenserait de refaire un parcours connu.

La seconde raison pose une question plus délicate. Durant l’éducation de base, une partie des apprentissages sont jugés " incontournables ", parce qu’ils paraissent au fondement d’une culture commune et de la citoyenneté. Les options restent donc marginales. Une organisation modulaire peut les favoriser, mais ce ne saurait être sa principale raison d’être à l’école primaire.

On peut en revanche en attendre une troisième vertu : favoriser une organisation plus dense et intensive des apprentissages et offrir un cadre propice à une pédagogie différenciée orientée vers un travail par situations-problèmes et objectifs-obstacles. À l’école primaire, ce sera l’enjeu principal.

Mais qu’est-ce au juste qu’un module ? On trouvera ailleurs un exposé plus détaillé des fondements théoriques (Perrenoud, 1997 b). Nicole Elliott et Katia Lerhraus, deux formatrices du service de pédagogie générale, ont proposé un résumé synthétique de l’approche modulaire :

" 1. Un module propose une autre organisation du temps : plutôt que de faire de tout chaque semaine, au gré d’une grille horaire dosant savamment les disciplines et progressant dans chacune à raison de quelques heures par semaine durant toute l’année, les modules auraient pour fonction de rompre avec cette continuité dans la diversité qui, pour certains élèves, ne construit pas d’apprentissages à la mesure de leurs besoins.

2. Un module se rapprocherait davantage d’un stage intensif de langue étrangère - dans lequel on entre parfois en ne sachant pratiquement rien et dont on sort avec une vraie maîtrise -, que de l’enseignement traditionnel d’une langue seconde, étalé sur six à dix ans, dont on sait l’efficacité discutable.

3. Plutôt qu’en termes de programme, on penserait alors l’architecture du réseau en termes de points nodaux. Les points nodaux seraient les modules indispensables pour la maîtrise du curriculum : à chaque module correspondrait un ou plusieurs objectifs-noyaux (Meirieu, 1995).

4. L’enjeu serait plutôt de concevoir et de mettre en place, dans le cadre du module, des dispositifs didactiques permettant à chaque élève de vivre des situations d’apprentissage fécondes pour lui.

5. Du fait qu’ils visent des apprentissages définis, certains modules devraient s’enchaîner comme des étapes d’une progression. "

Qu’il suffise ici d’insister sur deux idées principales :

Contre le zapping permanent

À l’école, on " zappe " en permanence, on mène de front, chaque semaine, un nombre important d’activités, correspondant à des objectifs d’apprentissages différents. Bref, on travaille comme un artiste qui peindrait en parallèle dix ou quinze tableaux. Or, ce qui peut stimuler la création d’un expert n’est pas nécessairement favorable à l’apprentissage d’un débutant. L’exemple des langues est assez éloquent : on apprend plus en quelques semaines de stages intensifs qu’en dix ans d’étude scolaire d’une langue, à raison de quelques heures par semaine. Pour la bonne raison que le stage intensif de langue, comme son nom l’indique, impose une continuité et une densité des apprentissages qui ne permet pas d’échappatoire. Chaque jour, on reprend l’apprentissage là où on l’avait laissé la veille au soir, on affronte les obstacles, parce qu’on n’a rien d’autre à faire, alors que dans un enseignement étalé sur une longue période, chaque rencontre permet de retrouver les mêmes difficultés et les mêmes obstacles, sans qu’on puisse s’y attaquer sérieusement. Il y a pour les élèves en difficulté, dans l’organisation habituelle du temps, une sorte d’éternel recommencement, parce qu’apprenants et enseignants sont régulièrement interrompus par la sonnerie ou le passage prévu à une autre activité ; du coup, au moment où il s’agirait d’affronter l’obstacle, on remet à un autre jour, ou à une autre semaine, la suite du travail engagé ; quelques jours plus tard, le temps de se remettre à la tâche, de refaire les mêmes constats, d’envisager les mêmes solutions, les opérations sont à nouveau suspendues, et ainsi de suite. À moins qu’on ne renonce, par lassitude et découragement, de part et d’autre.

Tel qu’il est conçu pour l’école primaire, un module est d’abord une organisation plus dense, plus suivie, moins décousue du travail, tant des maîtres que des élèves. Dans une classe, surtout lorsqu’on a encore " toute l’année devant soi ", on travaille souvent à flux poussés, en remettant au lendemain ou à la semaine prochaine ce qu’on n’a pas eu le temps de faire aujourd’hui. Mais surtout, on avance collectivement dans l’ensemble du programme, sans que les acquis correspondants soient assurés pour tous les élèves. Un module se centre sur les apprentissages et fonctionne selon le principe du flux tendu : élèves et enseignants ont un temps limité pour atteindre des objectifs définis ; ils n’ont rien de mieux à faire que de consacrer toute leur énergie à utiliser ce temps de façon optimale.

Une didactique plus pointue et différenciée

Lorsqu’on a un temps limité pour atteindre des objectifs, l’enseignant ne peut se dire : je construirai les activités que je vais proposer au fil des semaines. Il doit planifier de façon plus serrée, et donc mieux maîtriser l’ensemble du champ conceptuel couvert par le module, les notions, les savoirs, les méthodes à faire construire, et leur transposition didactique. L’organisation en modules produit une concentration comparable à celle d’un athlète avant une compétition : toutes les ressources doivent être accumulées et disponibles au départ, car il n’aura guère le temps de reconstituer des réserves et de réfléchir longuement une fois la course engagée. Ce qui conduit à une préparation plus dense, des choix plus rigoureux dans l’éventail des activités et des matériels utilisables. Cette concentration d’un apprentissage défini sur un temps limité enrichit les représentations des objectifs, des démarches didactiques, des tâches aussi bien que des obstacles que vont sans doute rencontrer une partie des élèves et des stratégies envisageables pour les aider à les surmonter.

Le temps condensé du module permet, pour une partie du temps, d’impliquer les élèves dans des démarches de production, des projets, des recherches qui avancent sensiblement parce qu’on peut y consacrer une bonne partie de son temps. En deux semaines, on peut monter un spectacle, faire une enquête ou écrire un roman selon une dynamique bien différente de celle qui s’instaure s’il faut " réchauffer " le projet chaque semaine, pour une ou deux heures, durant des moins. Les démarches les plus créatives demandent une forme de tension, elles sont portées par une forme d’impatience, parfois d’obsession d’arriver au but.

Le module permet aussi de mettre en place et de gérer sans interférence des situations d’apprentissages ouvertes, des situations-problèmes à partir desquelles l’enseignant pourra, d’une part, proposer des apports plus structurés, d’autre part offrir un soutien plus individualisé aux élèves en difficulté.

On s’en doute, tout cela n’arrive pas magiquement, du simple fait qu’on travaille en module. Cette organisation rend simplement possibles d’autres façons d’enseigner et d’apprendre. Pour tirer parti de ce potentiel, il faut non seulement des compétences pointues en didactique et en gestion de groupes, mais le temps de construire plusieurs séries de modules, à la fois réalistes (compte tenu du temps disponible, de la fatigue, des autres modes de fonctionnement, des dynamiques collectives, etc.) et pertinents par rapport à des objectifs centraux d’apprentissage.

C’est pourquoi une expérience ne peut faire le tour de la question. Elle permet en revanche de savoir plus précisément de quoi on parle, d’illustrer une façon de faire et de tirer de premières leçons.

 

Des modules sur l’espace : le dispositif expérimenté

L’école du Bachet fait partie du dispositif de rénovation mis en place en 1994 dans le cadre de l’enseignement primaire à Genève. Elle appartient au groupe des dix-sept écoles en innovation qui se sont engagées - volontairement - à explorer durant quatre ans les trois axes de la rénovation : 1. individualiser les parcours de formation, 2. apprendre à mieux travailler ensemble, 3. placer les enfants au cœur de l’action pédagogique. L’équipe se compose de dix enseignantes de la division élémentaire (4-8 ans), en charge des quatre premières années de l’école enfantine et primaire. L’équipe a déterminé les objectifs-noyaux à atteindre au terme de ce premier cycle, lui-même divisé en deux " sous-cycles ", A et B, de deux ans chacun.

Chaque élève possède un cahier de réussite et un dossier d’évaluation qui montre sa progression, ses acquis en fonction des objectifs poursuivis. L’équipe a créé des situations d’apprentissages qu’elle propose aux élèves, soit en groupes multiâges, soit en groupes de niveaux ou en groupes de besoin, afin que chacun travaille dans un environnement qui lui permette de progresser. Ces situations sont organisées en décloisonnements ou en modules, et dans les deux cas, l’élève se retrouve dans un autre groupe que son groupe-classe.

L’équipe s’attache à recréer constamment des liens entre les activités proposées en décloisonnements ou en modules et celles qui sont menées en groupe-classe, afin que chaque élève puisse y trouver du sens et réinvestir ses apprentissages. Le suivi des élèves est géré par l’équipe qui, deux à trois fois par année, organise un conseil des enseignantes, durant lequel elles cherchent des solutions et prennent des décisions face aux élèves en difficulté.

Le but est de faire réussir tous les élèves et l’équipe travaille à l’atteindre. C’est un changement de posture important, qui pousse à se remettre en question, à chercher d’autres pistes, d’autres modes de fonctionnement. L’équipe poursuit actuellement ses recherches en pratiquant l’intervision (visites mutuelles en classe), ce qui devrait permettre à chacune de s’améliorer en analysant plus finement les réussites et les manques.

Ayant lu le texte " Structurer les cycles d’apprentissages sans réinventer les degrés annuels " (Perrenoud, 1997 a), une partie de l’équipe pédagogique du Bachet, en charge des " grands " (sous-cycle B, 6-7 ans) a eu envie d’expérimenter des modules. À ce moment de l’année, les enseignantes estimaient qu’elles n’avaient pas encore suffisamment travaillé l’espace, en mathématiques. Elles ont donc décidés qu’une première série de modules se construiraient et s’articuleraient autour des objectifs à atteindre dans ce domaine :

Les enseignantes concernées ont ensuite choisi ensuite d’organiser ces modules de la manière la plus simple possible, de façon à ne pas perdre trop de temps à structurer l’ensemble. Ce qui intéressait l’équipe, c’était d’avoir un objectif-noyau précis, une situation d’apprentissage bien élaborée et un temps limité, mais dense, pour amener tous les élèves à atteindre l’objectif.

Quatre classes du sous-cycle B étaient concernées par ce projet. Ensemble, les enseignantes ont conçu quatre modules complémentaires, les élèves étant censés passer de l’un à l’autre dans un ordre sans importance. L’animation de chacun a été confiée à une titulaire. Pour se donner toutes les chances de réussir, les enseignantes ont demandé à une généraliste non titulaire de participer à leur projet et de créer un module de remédiation qui pourrait intervenir à la fin du tournus, pour permettre à certains élèves de consolider leurs apprentissages. Ce module, visant les mêmes objectifs, porterait sur un autre contenu et ne reprendrait pas celui des quatre modules de base. Les enseignantes étaient en effet persuadées que certaines remédiations se font mieux dans une situation d’apprentissage nouvelle. Remédiation n’est pas répétition !

Les élèves restaient groupés par classe d’origine (6/7 ans) et passaient d’un module à l’autre. Ceux-ci n’étant pas hiérarchisés, les élèves commençaient et terminaient par n’importe quel module. Ils passaient, durant cinq jours consécutifs, l’équivalent d’une heure trente dans un module. Chaque module disposait donc en tout de 7 heures et demie.

Les modules s’enchaînaient de semaine en semaine sans pause, puisque l’équipe souhaitait travailler l’espace en mathématiques de manière intensive et permettre aux élèves de créer plus facilement des liens entre leurs différents apprentissages. À côté des modules, les élèves poursuivaient le travail dans leurs groupes-classes respectifs.

Contenu et objectifs des modules

Qu’est-ce que l’espace ? " : les titulaires ont posé cette question à leurs groupes-classes respectifs avant de commencer le travail dans les modules. La discussion visait à construire avec les élèves le sens de leur parcours dans les modules et à créer des liens entre les différents apprentissages. Il paraissait important que les modules s’insèrent dans une vue d’ensemble d’un domaine et des cheminements proposés.

Cela ne dispensait pas, au début de chaque module, d’expliquer plus précisément son propos. L’objectif à atteindre était présenté aux élèves, ainsi que les tâches à accomplir et le temps qu’il leur était imparti.

Une fiche regroupait les intentions des enseignantes :

Modules " Espace "

Compétences visées

Objectifs à long terme

Les buts et les contenus des activités proposées aux élèves figurent dans le tableau suivant.

Modules de base " Qu’est-ce que l’espace ? "

Objectifs spécifiques
Reconnaître diverses transformations du plan
Reconnaître, décrire, nommer des formes géométriques simples
Découvrir et utiliser les transformations géométriques
Se déplacer sur un plan au moyen d’un code et coder son déplacement. Coder les points au moyen de coordonnées ou désigner un point.
Matériel et tâches
Structuro / plots Architek / fiches créées par les élèves :

a. feuille de route, progression individuelle

b. enseignant centré sur les élèves en difficulté

Créer des " patrons " de cubes et autres formes.

a. Fabriquer un patron.

c. Échanges -stratégies

Jeu des miroirs (activité du classeur de math. 1p-2p).

Fiches individuelles.

a. Miroir.

c. Élève-élève

Déplacement sur le quadrillage.

Jeu des gobelets.

Bataille navale

Fiches.

a. Élève-matériel

b. Présentation du parcours

c. Élève-élève

Mode d’évaluation
Autoévaluation
Autoévaluation
Autoévaluation
Autoévaluation

Le module de remédiation proposait d’imaginer et de choisir un itinéraire et utilisait des activités du classeur 1P-2P de mathématique, également avec autoévaluation.

Un module vu de plus près

Dans le module, dont l’objectif était " Reconnaître diverses transformations du plan ", les élèves avaient à disposition trois matériels différents (Structuro, Architek, Plots-matériel 1P-2P). Chaque matériel était accompagné de fiches permettant une progression individuelle, sur lesquels le plan d’une figure ou d’une construction était proposé. L’élève devait réaliser des constructions de plus en plus complexes. Il remplissait au fur et à mesure une feuille de route lui permettant de mesurer sa progression.

Au-delà de l’organisation du contenu du module, le rôle de l’enseignante consistait à repérer les problèmes rencontrés par certains élèves, à leur permettre de les identifier, de les dépasser, parfois avec l’aide des autres.

Pourquoi choisir une tâche visant une progression individuelle de l’élève ? C’était un choix délibéré, pour permettre à l’enseignante de prendre du temps pour les élèves en difficulté, sans être trop accaparée par une activité collective. On peut évidemment envisager d’autres démarches, selon les contenus et les intentions. Ce qui peut, dans un premier temps, surprendre, c’est que même face à un matériel individuel, les élèves échangeaient beaucoup, soit pour faire admirer leurs constructions, soit pour confronter leurs stratégies, soit pour s’apporter une aide mutuelle. L’enseignante devait parfois réunir tous les élèves pour les aider à structurer leur discussion et leur permettre de recenser leurs différentes manières de procéder.

Au terme de ce module, l’enseignante aidait les élèves à identifier leurs réussites et à se poser des questions pertinentes pour leur permettre de s’améliorer, de créer des liens avec le contenu des autres modules d’espace. Chaque élève s’auto-évaluait.

Plusieurs plans réels &endash; par exemple le plan de construction d’une villa -, furent présentés aux élèves, ainsi que des photos montrant étape par étape la réalisation de cette villa. La visite d’un architecte fut envisagée, mais le temps imparti au module, ne la permit pas.

Évaluation

Chaque élève passait d’un module à l’autre avec son dossier, qui contenait ses travaux écrits et une feuille d’évaluation comprenant trois parties :

  1. L’objectif à atteindre, les compétences à développer et un descriptif de l’activité.
  2. Une invitation à l’autoévaluation (" Que dois-je faire pour m’améliorer ? ").
  3. Un commentaire de l’enseignante.

Cette feuille était remplie, au terme de chaque module, par l’élève et l’enseignante.

À la fin de leur parcours dans les quatre modules, tous les élèves passaient un test papier-crayon.

À certains élèves, il était alors " proposé " (de manière très convaincante…) de participer au module de remédiation. Ce module a regroupé huit élèves qui ont travaillé avec une enseignante pendant cinq séances. Le problème est que, pour des raisons d’organisation, il a été impossible de grouper ces séances sur cinq jours consécutifs, ce qui a modifié le travail de l’enseignante et des élèves. Tous les élèves ont progressé de manière significative dans le domaine de l’espace, mais ils n’ont pas surmonté toutes leurs difficultés dans la découverte de nouvelles stratégies ou le recours à celles qui avaient été ébauchées dans les modules précédents. Ce manque de stratégies, l’équipe le constate très souvent chez les élèves en difficulté. Elle s’efforce de leur proposer des situations-problèmes qui permettent de mettre en évidence les stratégies utilisées par les autres élèves, de réfléchir sur la façon dont ils s’y prennent pour résoudre un problème, afin de créer des liens entre les situations proposées. Dans ce domaine, la remédiation est donc plutôt d’orientation métacognitive.

L’envie de poursuivre

La construction de modules a obligé chacune des enseignantes à clarifier les objectifs et leurs liens avec les activités. Cela les a également conduites à mieux identifier les objectifs à long terme. Pour construire un module, il est essentiel de définir le ou les objectifs que les élèves devraient atteindre et de créer, à plusieurs, les situations d’apprentissage correspondantes.

Ce premier exercice en mathématique, dans le domaine de l’espace, est apparu difficile, mais très intéressant et absolument indispensable pour progresser vers une pédagogie efficace et différenciée. En parlant de leur expérience à leurs collègues qui ne l’avaient pas vécue, les enseignantes qui ont expérimenté les modules ont suscité un réel intérêt dans l’équipe de l’École du Bachet (dix enseignantes), qui a depuis créé d’autres modules notamment en production écrite et en environnement. Les enseignantes ont suivi une formation dans cette dernière discipline. Elles ont été fortement aidées par une formatrice en environnement, qui s’est très bien adaptée à la manière dont l’équipe souhaitait travailler, tout en assurant un apport didactique pointu.

Les essais décrits ici apparaissent donc l’amorce d’un mode de fonctionnement durable et qui pourrait s’étendre progressivement aux autres disciplines. Des contacts ont été pris avec d’autres écoles en innovation engagées dans le développement de modules.

 

Un premier bilan

Les quelques observations réunies ici ne font pas le tour du problème. Elles se fondent notamment sur diverses conversations avec l’équipe et une séance de travail. Elles permettent surtout d’affiner la conception même des modules et de cerner peu à peu les problèmes que pose ce type de dispositif.

Un autre regard sur les élèves

Les modules amènent chaque enseignant à travailler avec des élèves dont certains ne sont pas ses élèves, ceux de sa classe. Cela peut se produire dans d’autres types de décloisonnements, mais les modules induisent, semble-t-il, un effet spécifique, dans la mesure où le temps y est compté pour atteindre des objectifs d’apprentissage bien définis. Il y a donc tension vers des objectifs didactiques précis.

À l’école primaire, les décloisonnements sont souvent associés à des activités créatrices ou à des démarches de projet dans lesquelles la " progression dans le programme " n’est pas aussi contraignante que dans les domaines notionnels. Du coup, le travail peut être plus coopératif, l’activité semble plus ludique, l’évaluation est moins présente, ce qui modifie le climat et le rapport pédagogique. Dans un module, on reste au contraire au coeur des apprentissages de base prévus par les programmes, on bute sur des obstacles cognitifs précis et on les travaille intensivement. L’enseignante affronte de façon dense, sans répit et sans porte de sortie, des difficultés ou des conduites de rejet qui pourraient reconstituer rapidement les tensions et les agacements mutuels qu’on peut observer dans une classe.

Or, les enseignantes travaillant en modules constatent :

Ce qui souligne qu’un module, du point de vue de la dynamique de groupe et des relations entre personnes, est une nouvelle histoire, une histoire plus courte qu’une année scolaire, une histoire moins " tranquille " du point de vue des objectifs et du rythme, mais peut-être plus sereine dans le registre relationnel. En quelque sorte, chaque module " remet les compteurs à zéro " et libère chacun d’un héritage : nouvelle tâche, nouveaux partenaires, nouveau cadre matériel, nouveau contrat…

Un fonctionnement plus solidaire

Seul dans sa classe, un enseignant pourrait structurer son programme en modules, en se détachant de la grille horaire pour une partie de l’emploi du temps. Il paraît cependant plus intéressant d’inscrire les modules dans un fonctionnement collectif et une division du travail, ce qui permet la réunion des élèves de plusieurs classes et leur répartition entre des modules parallèles.

Du coup, se crée entre enseignantes une solidarité spécifique, au-delà d’un projet d’école ou d’un simple échange sur les pratiques : il s’agit de mettre en place un système cohérent de modules complémentaires. Chacune compte sur les autres, au point qu’il est difficile d’être sereinement malade dans une telle division du travail ! Une coopération plus étroite se met en place, dont témoigne la mise en commun du matériel didactique, en rupture avec l’accumulation personnelle - qui n’exclut pas les prêts - qu’on observe en général dans l’enseignement.

Les enseignantes disent qu’elles se sentent plus responsables de faire avancer les apprentissages, à l’égard des élèves (qui doivent avoir franchi un pas significatif à l’issue du module qu’elles animent) et à l’égard de leurs collègues, dont elles prennent alors en charge les élèves, dans des domaines centraux du programme, qui ne sont pas censés être retravaillés en classe.

On mesure alors la différence avec les décloisonnements qui, quel que soit leur déroulement, n’entravent pas la progression dans le coeur du programme, parce que nul titulaire de classe n’en attend grand chose sous cet angle et sait qu’il devra assurer lui-même l’essentiel des progressions.

Des apprentissages moins décousus

L’équipe souligne les avantages de la continuité des activités, tant pour les élèves que pour les enseignantes :

On mesure le rôle de la mémoire dans l’activité didactique, pour les enfants comme pour les adultes. Si trop de temps s’écoule entre les moments successifs d’une activité, chacun dépense une énergie disproportionnée à se remettre dans la démarche. Dans leur classe, les enseignantes notent certes sur de " petits papiers " ce qu’elles doivent absolument reprendre " jeudi prochain ". Mais la vie qui va fait souvent fi de ces bonnes intentions… La continuité inhérente au travail en modules permet de resserrer le travail, de le densifier, de raccourcir les moments de relance.

L’idée de combattre le zapping scolaire à travers les modules semble donc confirmée, au moins d’un point de vue subjectif, en termes de cohérence et de continuité de ce que l’on fait, mais aussi de sentiment de maîtrise.

Venant de la formation des adultes, on aurait pu imaginer que les modules sont à la rigueur praticables avec de grands élèves, alors que les plus jeunes - ici entre 4 et 8 ans - auraient besoin de " variété ", variante noble du zapping. Les enseignantes disent au contraire que, chez les petits, la représentation du temps est très incertaine ; la perspective de continuer une activité une semaine plus tard leur paraît très lointaine, alors que le fonctionnement intensif en modules permet de travailler sur la mémoire à court terme.

Une didactique plus pointue

La construction même des modules impose un important travail de clarification des objectifs, d’anticipation des évaluations finales, de création d’outils, de situations d’apprentissage, de matériel. Cet investissement oblige à mieux cerner les savoirs à construire et à penser plus rigoureusement leur transposition didactique. Comme il est collectif, il confronte aux représentations des collègues, sur des " questions de savoir " qui ne sont pas d’ordinaire débattues.

Dans un module, il faut tenir la distance, ne pas gaspiller le temps, être prêt à faire face à des situations qui évoluent plus vite que d’habitude, du fait de la concentration sur un type d’apprentissage défini. On " se donne plus de peine ", on prépare davantage de matériel, on cherche à anticiper.

On consent, de plus, un important travail de régulation d’une séance à l’autre, qui s’accompagne de nombreuses conversations didactiques au sein de l’équipe.

Un travail à fil tendu

Dans les modules, " on ne prend pas tout son temps ", chacun a le désir d’avancer. On ne peut mettre les élèves dont on n’a pas le temps de s’occuper " en activité libre " ou sur des tâches d’un autre type, moins prenantes. Les pauses se font rares, on travaille plus intensivement.

Ce qui suggère qu’on ne peut travailler constamment sur ce mode, que les modules doivent coexister avec des fonctionnements plus tranquilles, pour les élèves comme pour les enseignantes.

Cela dit, ce n’est pas le bagne, les élèves, interrogés, semblent prendre plaisir à travailler en modules, non en dépit, mais à cause de la tension vers un objectif, qui est une façon de construire du sens dans le métier d’élève…

Les enseignantes jugent que les modules - surtout leur conception et leur mise en place - demandent un gros investissement professionnel, mais qu’on y trouve son compte.

 

Problèmes ouverts

Les apports positifs évoqués plus haut donnent envie de poursuivre l’expérience, sur d’autres contenus. Mais cela ne signifie pas que tout est clair.

Que faut-il évaluer en fin de module ?

Un module digne de ce nom ne se définit ni par des activités, ni par des contenus, mais par des objectifs d’apprentissage. La différence n’est pas toujours facile à faire.

Même quand on a identifié des objectifs clairs et réalistes (?), dont on s’est servi pour organiser les activités et les situations d’apprentissages dans le module, de quoi faut-il rendre compte à la fin du module ? Distinguer simplement " acquis " et " non acquis " ? Faire un bilan plus complet, avec une description du cheminement et des difficultés éventuelles ?

Faut-il documenter des apprentissages non prévus, qui ont surgi à l’improviste ? Faut-il saisir l’occasion d’un bilan sur le degré de maîtrise des compétences de base - communiquer, observer, essayer pour voir, etc. - qu’aucun module ne saurait construire à lui seul, mais au développement desquelles il contribue ? Si l’on veut construire des compétences dès l’école (Perrenoud, 1998) sans laisser leur développement au hasard, les modules doivent assumer une partie de la tâche, au moins dans le registre du bilan formatif. On peut supposer en effet que l’implication intense dans une tâche suivie donne à voir les compétences des élèves sous un jour différent.

Pour qui faut-il documenter ? Les enfants ? Soi-même ? L’équipe ? Les parents ? À titre formatif ? Ou comme " éléments de certification ", à la manière des unités capitalisables ? Si l’on allait vers une architecture modulaire, il serait absurde de demander aux classes (monoâges ou multiâges) de certifier les apprentissages travaillés dans les modules. Sauf si l’on souhaite délibérément séparer le temps de l’apprentissage et le temps de l’évaluation-bilan, ce qui serait intéressant dans la perspective du transfert et de la construction de compétences (Perrenoud, 1998), mais devrait s’inscrire dans un contrat clair entre les modules et les groupes-classes et impliquer des dispositifs de remédiation.

Tout dépendra du système de travail vers lequel on s’achemine. Ces questions ne peuvent être entièrement résolues dans le cadre d’une expérience limitée, mais ce n’est alors pas très grave. Elles devraient l’être, en revanche, si l’on voulait travailler régulièrement en modules, pour une partie importante du programme.

Que faire avec les élèves qui n’ont pas atteint les objectifs ?

On doit envisager qu’en dépit d’un travail intensif, certains élèves n’auront pas atteint les objectifs au terme du module. Que faire ? Prévoir un plan de remédiation (module spécifique) pour les élèves qui n’ont pas maîtrisé les objectifs ? Prévoir des " modules à niveaux " ? Redonner à ces élèves, quelque temps plus tard, l’occasion de suivre un module visant les mêmes objectifs ?

Dans le travail sur l’espace, l’équipe du Bachet a créé un module supplémentaire à l’intention des élèves qui n’avaient pas atteint les objectifs. Non sans un doute : " Cela suffira-t-il ? ". Et avec une option : ne pas faire plus du même, prendre le problème sous un autre angle, à travers de nouvelles situations d’apprentissage.

On se doute qu’en étendant l’architecture modulaire à de nombreuses composantes du programme, la question de la régulation devient cruciale (Allal, 1988). Elle peut être proactive, jouant sur l’orientation vers des modules fonctionnant, à certains égards, comme des groupes de niveau ou de besoin. Elle peut être rétroactive, intervenant à l’issue d’un ou plusieurs modules dont les objectifs n’ont pas été atteints. Elle peut aussi être interactive, dans la mesure où le module est un espace de différenciation.

Peut-on différencier mieux à l’intérieur du module ?

À cette question, les réponses sont hésitantes. Le module semble donner à chacun des chances d’apprendre mieux, mais permet-il, davantage que d’autres modes d’organisation, d’aider en son sein les élèves en difficulté, voire de gérer l’individualisation des parcours de formation à l’intérieur de l’espace-temps qu’offre le module ?

Le caractère intensif des activités pousse à mieux cerner les obstacles cognitifs ou affectifs que rencontrent les élèves en difficulté. Il y aurait donc un effet positif, à vérifier, en termes de diagnostic, d’observation formative.

Les régulations sont-elles pour autant plus ciblées et efficaces ? Il semble, sur ce point, que les différences d’attitudes et de compétences entre les personnes jouent au moins autant que les différences entre modules et autres types de groupements.

Dans tous les cas, le problème semble en effet de repérer les élèves qui butent sur la tâche, d’identifier les obstacles et d’aménager la situation pour qu’ils les franchissent. On se heurte, dans un module, aux dérives classiques de l’intervention individualisée :

Il serait intéressant de comprendre à quelles conditions un environnement modulaire peut permettre mieux qu’un autre d’éviter ces dérives. On émet deux hypothèses complémentaires, de natures différentes :

1. La préparation didactique et l’investissement intensif sur des objectifs limités devraient faciliter des interventions plus pointues, dans la mesure où ce mode de travail " oblige " les enseignantes à se faire une représentation plus fine des processus d’apprentissage en jeu.

2. Les échéances rapprochées et la centration du groupe sur des objectifs bien définis devraient permettre d’instaurer une forme de solidarité entre élèves, sur le mode " Nul ne sortira d’ici si tous n’ont pas atteints les objectifs de base du module ".

Ces deux attitudes n’exigent pas un travail en modules, on pourrait les mettre en œuvre en classe. Toutefois, il semble que la discipline du travail en modules soit un passage obligé pour les transposer à la classe…

Travailler par situations-problèmes et objectifs-obstacles

Dans un module, les démarches de formation dépendront de la nature des contenus et des objectifs. Plus globalement, fonctionner en modules ne dicte aucune orientation didactique particulière et n’exclut aucun mode de travail, y compris des moments d’enseignement magistral.

On peut cependant estimer que le travail intensif se prête particulièrement bien au travail par situations-problèmes centrés sur des objectifs-obstacles (voir par exemple Martinand, 1989, 1995 ; Meirieu, 1989 c, 1990 ; Astolfi, 1998 ; Astolfi et al., 1997, Astolfi et Peterfalvi, 1997 ; Vellas, 1998). Il s’agirait alors de ne pas se limiter à assigner des objectifs à un module, mais de les traduire, méthodiquement, en situations-problèmes susceptibles d’aider les élèves à construire les savoirs visés. Le module serait alors un enchaînement de situations-problèmes, rigoureusement ordonnées à des objectifs d’apprentissage bien identifiés, assez pointues et calibrées pour garantir leur réalisation pour la plupart des élèves. Ce travail de transposition didactique est exigeant.

Il en provoque un autre : à l’intérieur des situations-problèmes, les élèves ne rencontreront pas les mêmes obstacles cognitifs. Évidemment certains en rencontreront plus que d’autres. La différenciation se redéfinit alors comme la capacité d’identifier ce qui fait obstacle pour chacun et d’aménager la situation, les consignes, le matériel et les apports métacognitifs, de sorte à se concentrer sur l’obstacle, qui devient alors un objectif-obstacle au sens de Martinand et Astolfi.

Comment découper des modules pertinents ?

Il est relativement facile de s’emparer d’une partie intéressante du programme pour en dériver quelques modules convaincants. S’il fallait étendre ce mode d’organisation, se poserait la question de la taille optimale des modules, de leur architecture en réseau, et, plus fondamentalement, de l’identification d’objectifs suffisamment autonomes pour donner lieu à un module, assez larges pour ne pas faire éclater le programme en une myriade de modules microscopiques, assez étroits pour qu’un module n’occupe pas la moitié de l’année scolaire…

On bute alors sur la question des objectifs-noyaux, des compétences disciplinaires ou transversales, des niveaux graduels de maîtrise, bref sur des problèmes qui ne trouvent pas de réponses dans les plans d’études en vigueur et qui dépassent les forces d’une équipe pédagogique. Ces chantiers devraient être ouverts à l’échelle du système, mais à partir des demandes du terrain autant que de la traduction des plans d’études. Il apparaît en effet qu’une démarche purement descendante, dans une logique de traduction du plan d’études en objectifs-noyaux ou objectifs de fin de cycle, ne répondrait pas nécessairement aux contraintes pragmatiques d’un découpage optimal des modules et d’une architecture en réseau.

Ce qu’on peut mettre en modules

On peut assigner à un module des objectifs de connaissance, voire la construction de compétences. Cette approche convient-elle à l’éducation, à l’instruction, aux disciplines moins intellectuelles ?

On se rend compte que seuls les privilèges habituels accordés au français et à la mathématique empêchent d’imaginer d’autres types de modules. Pourquoi ne pourrait-on, même avec de très jeunes enfants, concevoir un module pour apprendre à s’habiller seul, à se déplacer dans l’école ou à utiliser les jeux ? Le stage intensif de langue ne porte pas sur des savoirs, mais sur une pratique langagière. Les entraînements artistiques ou sportifs intensifs portent, eux aussi, sur des pratiques. Il n’y a donc aucune raison de réserver l’approche modulaire aux disciplines intellectuelles, aux " branches principales ", pas plus qu’aux derniers degrés du cursus primaire.

 

Faire la part de la nouveauté

La création de modules permet une sorte de renouveau professionnel, parce qu’elle incite à se poser " plein de questions ". Pour que ce défi ne devienne pas une charge trop lourde, il importe qu’il soit relevé par une équipe, qui conjugue les idées et le matériel de plusieurs personnes. Et aussi qu’on ne réinvente pas constamment la roue. Il faut donc considérer qu’une équipe qui s’engage dans cette direction constitue un capital de modules, les uns bien rôdés, améliorés et enrichis au gré de plusieurs rééditions, les autres nouveaux, expérimentaux. Chaque année, en fonction des élèves, de leurs besoins spécifiques, mais aussi du renouvellement des équipes et de l’inspiration du moment, on choisirait dans ce capital les modules à activer.

Il n’y a pas de raison de viser une stricte correspondance entre l’ensemble du programme et les modules : certains objectifs ne seront pas travaillés en modules, soit parce qu’ils ne s’y prêtent pas, soit parce qu’il reste à les construire. Dans le même temps, une équipe peut développer plusieurs modules travaillant les mêmes objectifs. Certains peuvent viser des objectifs plus larges, d’autres plus pointus apparaissent comme un zoom approfondissant tel ou tel apprentissage.

Il ne serait donc ni nécessaire, ni mobilisateur, que le système éducatif établisse une " liste officielle " de modules pertinents. Leur mise au point et leur variété est une source de créativité didactique et un gage de renouvellement. Cela n’empêche pas le système d’en proposer, ni les formateurs de contribuer à leur conception. On peut même penser que " fabriquer ensemble des modules " est une démarche de formation privilégiée, au gré de laquelle un formateur apporte son expertise à une équipe dans le cadre d’un projet précis.

 

Ne pas nier les doutes et les peurs

Travailler en modules amène à prendre des risques, à reconstruire des parties du programme, à mettre sur pied des dispositifs inédits et complexes, à négocier avec les collègues des séquences et des contenus didactiques.

Est-ce efficace ? Est-ce à la mesure des efforts ? Peut-on étendre ce système sans s’user ou crouler sous le travail ?

Ou, autre série de questions que chacune se pose dans l’équipe du Bachet : suis-je capable, à la hauteur, assez forte pour faire ma part dans l’équipe ? Le plus absurde serait de taire ces questions ou de les poser en dehors de l’équipe ! Elles sont légitimes, inséparables d’une dynamique de coopération et de changement. Les enseignantes les plus avancées de l’équipe doivent les entendre et, au besoin, ralentir le rythme, différer des projets et prendre le temps de reconstruire un consensus.

 

Références

Allal, L. (1988) Vers un élargissement de la pédagogie de maîtrise : processus de régulation interactive, rétroactive et proactive, in M. Huberman (dir.), Assurer la réussite des apprentissages scolaires. Les propositions de la pédagogie de maîtrise, Paris, Delachaux et Niestlé, pp. 86-126.

Astolfi, J.-P. (1998) L’important, c’est l’obstacle, in Astolfi. J.-P. et Pantanella, R. (dir.) Apprendre, Cahiers pédagogiques, n° hors série, pp. 33-36.

Astolfi, J.-P., Darot, É, Ginsburger-Vogel, Y. et Toussaint, J. (1997) Mots-clés de la didactique des sciences. Repères, définitions, bibliographies, Bruxelles, De Boeck.

Astolfi. J.-P. et Peterfalvi, B. (1997) Stratégies de travail des obstacles : dispositifs et ressorts, Aster, n° 25, pp. 193-216.

Martinand, J.-L. (1989) Des objectifs-capacités aux objectifs-obstacles, in Bednarz, N. et Garnier, C. (dir.) Construction des savoirs, obstacles et conflits. Ottawa, Agence d’ARC, pp. 217-227.

Martinand, J.-L. (1995) La référence et l’obstacle, Perspectives documentaires en éducation (INRP), n° 34, pp. 7-22.

Meirieu, Ph. (1989 a) Itinéraires des pédagogies de groupe. Apprendre en groupe ? I, Lyon, Chronique sociale, 3ème éd.

Meirieu, Ph. (1989 b) Outils pour apprendre en groupe. Apprendre en groupe ? II, Lyon, Chronique sociale, 3ème éd.

Meirieu, Ph. (1989 c) Apprendre… oui, mais comment ?, Paris, ESF, 4e édition.

Meirieu, Ph. (1990) L’école, mode d’emploi. Des " méthodes actives " à la pédagogie différenciée, Paris, ESF, 5e édition.

Perrenoud, Ph. (1996) La pédagogie à l’école des différences. Fragments d’une sociologie de l’échec, Paris, ESF, 2e édition.

Perrenoud, Ph. (1997 a) Structurer les cycles d’apprentissage sans réinventer les degrés annuels, Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (repris dans Perrenoud, Ph., Pédagogie différenciée : des intentions à l’action, Paris, ESF, 1997, pp. 101-158).

Perrenoud, Ph. (1997 b) Pédagogie différenciée : des intentions à l’action, Paris, ESF.

Perrenoud, Ph. (1998) Construire des compétences dès l’école, Paris, ESF, 2e édition.

Perrenoud, Ph. (1999) De la gestion individuelle d’une classe à la gestion collective d’un cycle d’apprentissage pluriannuel. Une nouvelle corde à l’arc des enseignants, Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.

Vellas, E. (1998) Une gestion du travail scolaire orientée par une conception " auto-socio-constructiviste " de l’apprentissage, Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.

Wandfluh, F. et Maulini, O. (1998) Infinis questionnements, Éducateur, n° 8, 5 juin, pp. 10-12.

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