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In L’École des Parents (Paris),
janvier 2000, n° 1, p. 51.

 

 

 

 

 

L’égalité des chances, une chimère ?

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
2000

L’inégalité des chances est un fait : le destin scolaire dépend toujours autant de l’origine sociale. Autrement dit : la probabilité de réussir à l’école s’accroît avec le niveau d’instruction et la position socioéconomique des parents.Le souci démocratique oppose spontanément à cette inégalité un rêve d’égalité des chances. Que les enfants de pauvres deviennent riches et les enfants de riches pauvres, voilà qui correspond à une certaine vision de la justice sociale, celle d’une " redistribution des cartes " à chaque génération.

S’agissant de la fortune, le moyen est simple : interdire l’héritage et proscrire toute forme sauvage de succession. Qu’est-ce qui en empêche ? L’action collective de ceux qui, nantis, même faiblement, veulent transmettre leur fortune à leurs descendants. Soutenus par les salariés qui espèrent accumuler quelque bien et ne supportent pas l’idée qu’il ne reviendrait pas à leurs enfants. Pourquoi en irait-il tout autrement en éducation ? Les nantis, qui sont souvent les mêmes, font tout pour transmettre leur héritage - ici culturel - à leurs enfants, de sorte qu’ils réussissent à l’école et conquièrent, par le diplôme comme par l’argent, une position sociale au moins égale à celle de leurs parents. Pour aller contre ce que Berthelot a appelé des " stratégies de perpétuation ", il faudrait qu’un gouvernement égalitariste prenne des mesures draconiennes… qui suffiraient à le renverser. Qu’on n’attende pas de l’école qu’elle soit plus égalitaire et démocratique que la société qui la mandate ! Par ailleurs, dans le champ de l’éducation, comment diable empêcherait-on la transmission de l’héritage culturel ? Les enfants de parents fortement scolarisés seront toujours favorisés dans la compétition scolaire, parce qu’ils hériteront des codes culturels, du rapport au savoir et à la langue et des stratégies de réussite de leurs parents. La poursuite d’une totale égalité des chances est une chimère statistique, qui détourne de l’essentiel : donner à tous une formation de base suffisante pour se débrouiller dans la vie. L’important n’est pas de " redistribuer équitablement l’ignorance ", de génération en génération, mais de faire respecter le droit à l’instruction, pour chacun. A cette fin, toute société devrait fixer le niveau de formation de base au-dessous duquel se trouve fortement compromis l’accès à la citoyenneté, à l’autonomie, au travail, à la culture et aux moyens de conduire lucidement sa vie. Un niveau de base qui s’élèvedans des sociétés de plus en plus complexes, multiculturelles planétaires.

Savoir lire, écrire, compter ne suffit plus. Atteindre le niveau actuel du baccalauréat paraît aujourd’hui le minimum vital. Certes, cela ne conduit pas à l’égalité des acquis au-delà de ce seuil. Certains l’atteindront de justesse, alors que d’autres - les héritiers - iront plus loin et se trouveront donc mieux placés dans la course au travail et aux positions sociales enviables. Du moins pourrait-on alors espérer que, tant dans le débat politique que dans les négociations quotidiennes, sans être véritablement " à armes égales ", les protagonistes seront tous assez instruits et autonomes pour défendre leur point de vue et leurs droits. Or, de cela, nous sommes encore fort loin. L’égalité des acquis de base nécessaires en cette fin de XXème siècle n’est pas réalisée. Elle passe par un travail patient, du début à la fin de la scolarité obligatoire, par une pédagogie différenciée appuyée sur une évaluation formative.

 

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