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Prochaine conférence :

  Les fantômes de l'espace

Roland Maurer
Maître d'enseignement et de recherche, Université de Genève

MARDI 30 avril 2019 - 18h15 - UNI MAIL - SALLE R040

Résumé

Dans son "Essai sur les Données Immédiates de la Conscience", Bergson, en 1888, se demande si des deux "formes homogènes" que sont le temps et l'espace, l'une dérive de l'autre. Rompant avec l'idée, courante à l'époque, que l'espace se construit sur le fondement de la durée, Bergson conclut que le temps n'est que le fantôme de l'espace. Dans l'avant-propos du même ouvrage, il écrit "Nous nous exprimons nécessairement par des mots, et nous pensons le plus souvent dans l’espace.

En d’autres termes, le langage exige que nous établissions entre nos idées les mêmes distinctions nettes et précises, la même discontinuité qu’entre les objets matériels." En effet, on peut se demander quel lien la représentation du temps entretient-elle avec celle de l'espace. Le temps n'est-il que "le fantôme de l'espace"? Pensons-nous, comme le dit Bergson, "dans l'espace"?

Ce n'est cependant pas de philosophie dont il sera question ici: Nous ferons d'abord une petite incursion dans la physique relativiste (où le temps n'est, en somme, que la quatrième dimension de l'espace), effleurerons ensuite quelques-uns des thèmes que Piaget aborde, pour nous intéresser en fin de compte surtout aux neurosciences. En effet, les connaissances récentes apportées par la neurobiologie de la représentation spatiale nous apportent maintenant un nouveau regard sur les soubassements de la mémoire, et plus généralement de la pensée humaine.

La découverte, au cours des 40 dernières années, de plusieurs classes de cellules fascinantes dans l'hippocampe (une structure du lobe temporal médian, fondamentale dans la gestion de la mémoire) et aux environs de celui-ci a permis récemment de faire des hypothèses sur la rôle crucial de la représentation neuronale de l'espace (et peut-être du temps) dans la mémoire. Certains auteurs s'avancent encore plus, et proposent que la représentation spatiale et les mécanismes qui la gèrent au niveau neuronal seraient à la base, très généralement, de la pensée: l'esprit serait donc littéralement un pays que l'on parcourt. Ce n'est pas le temps seul qui serait alors le fantôme de l'espace, mais toute la pensée.

Lecture proposée

Bellmund, J. L., Gärdenfors, P., Moser, E. I., & Doeller, C. F. (2018). Navigating cognition: Spatial codes for human thinking. Science, 362(6415), eaat6766. DOI: 10.1126/science.aat6766

24 avril 2019
  2019