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Hommage à Pierre Mounoud

C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Pierre Mounoud, professeur honoraire, survenu le 4 février dernier. La cérémonie a eu lieu le 10 février dans l'intimité.

Pierre Mounoud a joué un rôle majeur dans l’avancement scientifique du champ du développement cognitif et moteur du très jeune enfant à l’adolescence, voire l'âge adulte. Assistant de recherche de l’école genevoise de Psychologie et des Sciences de l'Education déjà pendant ses études, Pierre Mounoud soutient en 1968 une thèse de doctorat sous la direction de Jean Piaget sur le thème de la structuration d'instruments chez l'enfant de 4 à 8 ans.

Après plusieurs séjours post-doctoraux à l’étranger (France, Royaume Unis, Etats-Unis) qui lui permettent de compléter sa formation dans le domaine de la neuro-psychophysiologie, en particulier dans le laboratoire de Jacques Paillard à Marseille, Pierre Mounoud revient à Genève en 1970. Il y est successivement assistant, chez Piaget et Inhelder et au Centre international d'épistémologie génétique (CIEG), chef de travaux, chargé de recherche. Il accède au poste de professeur extraordinaire, d'abord à Lausanne de 1973 à 1979, puis à Genève dès 1975, dans la toute nouvelle Faculté de Psychologie et des sciences de l’éducation. Il devient professeur ordinaire en 1981, poste qu’il occupera jusqu’à sa retraite et sa nomination au titre de professeur honoraire en 2006. Après sa retraite et resté fidèle à la FPSE, Pierre Mounoud a encore assisté, pendant près d'une dizaine d'années, à des colloques et conférences dans le cadre de la psychologie cognitive et développementale, à des séminaires des Archives de psychologie et à des soutenances de thèse.

Les recherches de Pierre Mounoud ont exploré les différentes facettes du développement psychologique de l’enfant, abordant des thématiques aussi diverses que la genèse des catégories, les fonctions exécutives, l’attention sélective et la théorie de l’esprit. Sa conception du développement, fondée sur l’idée que l’intelligence pratique est indissociable des représentations et de l’intelligence conceptuelle, a conduit à une nouvelle compréhension des relations entre « l’action et la pensée ». Dans des travaux très novateurs commencés dès la fin des années 60, lui et ses collaborateurs ont travaillé sur le développement du jeune enfant, et ont démontré que ses compétences sont plus précoces et plus organisées que Piaget ne le proposait. A la fin des années 80, Pierre Mounoud s'est décrit lui-même dans le cadre d'un entretien comme un post- ou néo-piagetien.

La reconnaissance internationale des recherches de Pierre Mounoud et sa capacité à construire de fructueuses collaborations l’ont amené à être professeur invité à dix reprises dans des universités Suisses et étrangères. Il a encadré de très nombreux diplômants, dirigé la thèse de doctorat d'une bonne vingtaine de chercheurs, dont plusieurs sont devenus professeurs dans différentes universités (Suisse, France, Grèce, Colombie et Etats-Unis). Il a participé en personne et souvent avec ses doctorants à de nombreux congrès scientifiques, lors desquels il était très apprécié. Il a également contribué à l'organisation de congrès scientifiques internationaux, notamment ceux de l'International Society for the Study of Behavioural Development (ISSBD), société dont il a été membre très actif; on peut relever aussi sa co-présidence du ,congrès international  "La pensée en évolution" ("The growing mind") tenu à Genève à l'occasion du centenaire de la naissance de Piaget, en  septembre 1996.

 Il savait se rendre disponible pour répondre aux invitations (conférences, colloques, etc.) de nombreux collègues praticiens (psychologues, éducateurs, médecins, enseignants) provenant de diverses institutions ou associations.

Pierre Mounoud a également été très actif du point de vue de l'enseignement ; outre ses cours inscrits au plan d'études, il a participé au lancement de nouveaux cours (e.g. neurosciences, cours de psychologie cognitive de l'EPFL) et établi des collaborations avec d'autres facultés, notamment la Faculté de médecine. Il prenait très à cœur son métier d'enseignant, et a toujours insisté sur la nécessité de faire réfléchir ses étudiants, même les plus jeunes, plutôt que leur demander des apprentissages par cœur. Il a obtenu, quasiment sans interruption des subsides du FNRS, quelquefois avec des collègues de la Section de psychologie.

Sa liste de publications est conséquente. Commencée dès les années 60, par des contributions dans plusieurs ouvrages de Piaget et Inhelder, elle s'est poursuivie dans des revues internationales et des chapitres dans des livres édités. Il a ainsi, durant toute sa carrière, contribué à accroître la notoriété de la psychologie développementale genevoise. On peut relever aussi la co-direction, avec Piaget et Bronckart, d'un ouvrage dans la collection Encyclopédie de la Pléiade: Psychologie,1987.

Au-delà de ses accomplissements scientifiques et professoraux, la carrière de Pierre Mounoud à l’Université de Genève est marquée par un très fort engagement institutionnel. En particulier, il a été président de la Section de psychologie de 1985 à 1987 puis doyen de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation de 1992 à 1995. Il a participé à de nombreuses commissions facultaires et universitaires importantes en ayant toujours le souci de partager la préparation des discussions dans des groupes interdisciplinaires qu'il a créés et animés.

Pierre Mounoud était un homme d'une très grande curiosité, non seulement intellectuelle, mais aussi humaine. Homme de contacts, d'une grande probité, mais aussi de rigueur et d'exigence, il était connu pour être quelquefois un peu abrupt au sein de la Section de psychologie. Il était aussi très ouvert à la discussion, et soucieux de la carrière de "ses" jeunes.

Enfin, il n'était pas que professeur de psychologie, mais avait bien d’autres intérêts.  Il aimait la nature, a pratiqué de nombreux sports (tennis, ski, voile, plus récemment randonnées) souvent avec des collègues. Mais il était aussi intéressé par la peinture, visitait de nombreuses expositions, s'est même lancé, durant sa retraite, dans un travail sur Giacometti. Passionné de musique, il la pratiquait aussi, notamment avec des collègues ; en jouant avec élégance et sensibilité de la flûte traversière et invitant par exemple les professeurs Mimi Sinclair puis Jacques Montangero pour l'accompagner au piano.

Nous nous souviendrons de lui et adressons toutes nos pensées à sa compagne et ses proches.

15 février 2022
  2022