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INTERVIEW I Tobias Brosch

Bio express

 

Le professeur Tobias Brosch a étudié la psychologie à l’Université de Trèves et à l’Université de Canterbury avant d’obtenir un doctorat à l’Université de Genève et une bourse postdoctorale à l’Université de New York. En 2015, il a fondé le laboratoire de décision et de comportement durable à l’Université de Genève. Il y est aujourd’hui professeur associé et dirige le groupe de recherche en psychologie du développement durable.

«L’éco-anxiété est devenue un phénomène social»

 

Le changement climatique a aussi un effet sur notre santé mentale. Face à la menace de la dégradation de l’environnement, les éco-anxieux sont ainsi de plus en plus nombreux. Si, pour certains, cette angoisse sert de moteur pour passer à l’action, elle génère souvent un sentiment d’impuissance conduisant au repli sur soi.

 

PROPOS RECUEILLIS PAR SOPHIE FRANKLIN KELLENBERGER

Bien que d’apparition récente, l’éco-anxiété s’est si vite répandue qu’elle fait partie des termes les plus utilisés en 2020 sur les blogs et dans les médias. Ce concept recouvre toutefois des réalités très différentes, avec des intensités d’inquiétude très variables. Alors que la plupart des éco-anxieux sont poussés vers des actions concrètes favorables à l’environnement, certains ressentent un sentiment de détresse, voire de désespoir. Tobias Brosch est titulaire de la chaire de psychologie du développement durable à l’Université de Genève. Spécialiste de la science des émotions, il décrypte ce phénomène et explore les remèdes pour gérer ces nouvelles angoisses.

 

Pourquoi le phénomène d’éco-anxiété s’est-il aussi rapidement répandu?

On sait aujourd’hui que les émotions sont à la source de la majorité des décisions qu’un individu est amené à prendre dans sa vie. On sait aussi que les émotions servent depuis la nuit des temps d’avertisseurs de multiples dangers. Ressentir de l’anxiété à propos de la dégradation de l’environnement ou du changement climatique est en soi assez rationnel, au vu de leurs effets très négatifs sur le bien-être humain. L’augmentation des températures, les maladies, la malnutrition, les catastrophes, les conflits sociaux ou encore le stress peuvent logiquement générer une insécurité proprement existentielle dès lors que, soudain, le monde n’est plus comme avant. Il est donc normal qu’exposé à de telles conséquences, on puisse éprouver un mal-être. Mais notre observation est que cette anxiété est ressentie par des personnes qui n’ont pas personnellement subi d’impacts directs du changement climatique; leur perception du phénomène se fait notamment à travers les médias qui mettent le sujet sur le devant de la scène. Au point que l’éco-anxiété est devenue un phénomène social, et pas uniquement une observation de la recherche ou de la psychologie clinique.

«L’éco-anxiété est très utile dès lors qu’elle nous avertit d’une menace potentielle contre notre bien-être et de la nécessité de mobiliser nos ressources pour réagir.»

Le monde a-t-il déjà connu de telles angoisses collectives?

Les risques de guerre nucléaire me viennent à l’esprit. C’était une angoisse à l’échelle mondiale, où l’on s’est inquiété d’une situation hors de contrôle. Aujourd’hui, le réchauffement climatique est lui aussi un stress partagé à l’échelle planétaire. Et puis, évidemment, le Covid-19, qui préoccupe le monde entier et mobilise fortement nos émotions.

 

L’éco-anxiété peut-elle être utile pour accélérer les changements en faveur de la protection du climat?

Dans le domaine des sciences affectives, les psychologues des émotions répondent par l’affirmative: l’éco-anxiété est très utile dès lors qu’elle nous avertit d’une menace potentielle contre notre bien-être et de la nécessité de mobiliser nos ressources pour réagir. Lorsqu’elle reste dans ces limites, l’éco-anxiété n’a pas besoin d’être traitée, car elle peut inviter à l’action concrète.

Les écologistes, les chercheurs ou encore les entrepreneurs actifs dans les cleantechs seraient-ils des éco-anxieux actifs?

L’éco-anxiété est un terme trop vague pour qualifier d’emblée quelqu’un d’éco-anxieux. Les gens que vous citez ne sont peut-être pas tous des éco-anxieux, mais il est très probable qu’ils ressentent la force motivationnelle des émotions!

 

Comment l’éco-anxiété peut-elle devenir un poison?

Un excès d’anxiété peut vous submerger et vous paralyser. Et c’est là que commence vraiment le phénomène particulier d’une anxiété clinique, pathologique et problématique: lorsque votre fonctionnement quotidien est altéré, que vous ne parvenez plus à dormir, à travailler ou à vous socialiser parce que cette peur vous domine et qu’elle est partout.

 

Quelle est la proportion de personnes atteintes par cette forme pathologique de l’éco-anxiété?

Selon un sondage réalisé en 2018 aux Etats-Unis, 51% de la population considérait le changement climatique comme une source de stress et 29% des sondés se disaient très inquiets. D’autres recherches américaines portant sur 400 personnes indiquent que 10% d’entre elles présentent un blocage pouvant requérir un diagnostic clinique. Citons encore une autre étude récente faisant état d’une possible prédisposition à cette éco-anxiété paralysante: si votre système affectif est déjà vulnérable, elle peut véritablement vous paralyser. Les jeunes sont particulièrement touchés, notamment les adolescents.

 

Comment peut-on aider les éco-anxieux?

Le traitement n’est nécessaire que si l’anxiété interfère avec les capacités d’une personne à vivre sa vie. Depuis quelques années, nous développons des mesures et des traitements spécifiques. Mais il y a longtemps que la psychologie connaît les leviers et mécanismes utiles pour traiter les anxiétés en général. On peut ainsi travailler sur une meilleure maîtrise des facteurs de stress, c’est-à-dire des choses qui font peur. Mais on peut aussi se concentrer sur l’expérience de l’émotion, sans nécessairement éliminer le facteur de stress: dans le cas de l’éco-anxiété, le facteur stressant est le changement climatique, et il faut apprendre à faire avec.

«Les campagnes de communication très inquiétantes et alarmistes finissent par paralyser une partie de la population.»

Un discours sur l’environnement exclusivement alarmiste n’est-il pas contre-productif?

Les chercheurs en sciences affectives savent depuis longtemps à quel point les émotions peuvent mobiliser une réponse pour des gestes en faveur de l’environnement. Mais les campagnes de communi-cation très inquiétantes et alarmistes finissent par paralyser une partie de la population; chargées d’un tel fardeau trop lourd à porter, ces personnes deviennent incapables d’agir.

 

Quelle autre émotion que la peur peut-on susciter pour mobiliser les gens?

Plus stimulante que la peur, la colère pousse à l’action et semble donc plus efficace. Prenez Greta Thunberg ou Fridays For Future: ces propositions de mobilisation ne prennent pas appui sur la peur, mais sur la colère. «Comment osez-vous ne pas protéger notre planète?»: ça a quand même très bien marché! Surtout si l’on ajoute que le problème est grave, mais que l’on peut trouver une solution en travaillant ensemble. Et la perspective d’une solution donne de l’espoir!

Quand l’éco-anxiété pousse à la reconversion professionnelle

 

Psychologue du travail, Aline Müller-Guidetti accompagne de plus en plus d’éco-anxieux dans leur reconversion professionnelle. Elle cite le cas typique d’un patient aux revenus confortables, travaillant dans un multinationale et qui voyage souvent en avion. Soudain submergé par une inquiétude insupportable face aux atteintes à l’environnement, il plonge dans une crise existentielle et identitaire. «La mise en action est un processus salvateur, encore faut-il trouver sa voie», explique-t-elle. «Alors que certains s’engagent en politique ou deviennent militants, d’autres cherchent des emplois porteurs de sens ou utiles à l’environnement.» Mais pour la psychologue du travail, tout lâcher pour acheter son lopin de terre et faire de la permaculture sur un coup de tête est un pari risqué! Elle invite donc ses patients à prendre le temps de la réflexion en définissant leurs nouveaux besoins et leurs priorités avant d’entreprendre une reconversion dans un projet réaliste où leurs valeurs seront respectées.

 

Les psychologues du travail sont-ils suffisamment formés pour recevoir ces éco-anxieux? «Nous ne sommes pas nombreux à travailler dans ce nouveau domaine», relève Aline Müller-Guidetti. Des réseaux se mettent ainsi en place entre psychologues de différentes spécialités, en Suisse, en France et en Belgique, afin de développer de nouveaux moyens d’accompagnement individuels ou collectifs. Les outils utilisés avec les patients éco-anxieux sont notamment des bilans de compétences individuels incluant la réflexion du rapport à la nature. «On leur propose également de sortir de leur isolement en facilitant les échanges entre eux afin de réfléchir à d’éventuels projets communs.»