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L'apprentissage des sciences, pour contrer la pensée dogmatique

Dubois, L. (2018). L'Educateur, N°10 - Novembre.

L'école transmet des savoirs... ...mais souvent de manière dogmatique. En effet, comme le dit Daniel Favre, dans son ouvrage "Éduquer à l'incertitude" (2016), la forme verbale utilisée pour enseigner correspond le plus souvent à celle employée pour véhiculer les dogmes.

Il devient alors difficile pour des élèves de s'y retrouver, de faire la différence entre les croyances et les connaissances scientifiques, de se forger des opinions construites et documentées, d'identifier les types de connaissances, leur domaine de validité et leurs limites.

Pour cela, il est inévitable de reconsidérer le statut de la réalité et les processus cérébraux qui font de nous des êtres "pensant"... ...c'est ce qu'appelle Daniel Favre (2016) l'individuation : un processus de formation de l'individu cognitif et psychologique.

En effet, pour entrer en contact avec notre environnement, notre société, notre culture, l'évolution nous a doté de sens et de perceptions. Or, les informations transmises par ces interfaces, peu performantes (nos sens sont limités), subissent des interprétations, parfois même des transformations et sont reconstruites par notre cerveau.

Ainsi, les réalités sont des réalités construites. Ce que nous prenons pour la réalité est en fait "une reconstruction subjective en fonction des filtres culturels, idéologiques et conceptuels que chacun élabore au cours de son existence", et qui dépend également de nos émotions du moment (Daniel Favre, 2016). 

D'où le danger mentionné par Edgar Morin (1999), le danger de cécité. "Il est [donc] nécessaire d’introduire et de développer dans l’enseignement l'étude des caractères cérébraux, mentaux, culturels des connaissances humaines, de ses processus et de ses modalités, des dispositions tant psychiques que culturelles qui lui font risquer l'erreur ou l'illusion." (Edgar Morin, 1999).

Il convient à l'école de "développer des outils pour ne pas se faire piéger par la pensée dogmatique" (Daniel Favre, 2016), des outils qui permettent aux élèves de comprendre ce que sont les connaissances et comment elles se construisent (épistémologie) et des outils pour décrypter le monde dans toute sa complexité et pour permettre également aux élèves de gérer l’incertitude (Laurent Dubois, 2014).

Ce changement de paradigme est présent explicitement dans le Plan d'études actuellement en vigueur en Suisse romande. Il apparait dans la section dédiée aux capacités transversales, qui met en avant la capacité à développer des stratégies, une pensée créatrice, ainsi qu'une démarche réflexive :

  • "La capacité à développer des stratégies renvoie à la capacité d'analyser, de gérer et d'améliorer ses démarches d'apprentissage ainsi que des projets en se donnant des méthodes de travail efficaces.
  • La capacité à développer une pensée créatrice est axée sur le développement de l'inventivité et de la fantaisie, de même que sur l'imagination et la flexibilité dans la manière d'aborder toute situation.
  • La capacité à développer une démarche réflexive permet de prendre du recul sur les faits et les informations, tout autant que sur ses propres actions ; elle contribue au développement du sens critique" (CIIP, 2010).

Mais les habitudes ont la vie dure et le découpage en disciplines scolaires reste l'entrée privilégiée par l'institution. Or, intégrer véritablement ces enjeux d'apprentissage nécessite de revoir fondamentalement les approches, en valorisant également des approches interdisciplinaires et en développant les outils mentionnés ci-dessus.

Certains moyens d'enseignement dédient des chapitres entiers au développement de l'esprit critique et contribuent à rompre avec un enseignement des certitudes, comme par exemple le chapitre 10 des récents moyens d'Histoire 5P-6P Harmos centrés sur les représentations, ou le thème 6 nouveaux moyens d'Histoire 7P-8P Harmos intitulé "Mythes et légendes".

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Page de titre du chapitre 10 des moyens d'Histoire 5P-6P Harmos

Cette réorientation est une bonne chose, mais n'est pas suffisante, car l'enjeu est de taille.

L’enseignement des sciences se doit également de suivre cette voie. Les connaissances scientifiques ne doivent pas être enseignées comme des vérités qu’il s’agit de s’approprier de manière dogmatique. Il est essentiel de lutter contre les arguments d’autorité où les savoirs seraient détenus par l’enseignant-e-s et transmis de manière unilatérale.

Un élément déterminant consiste à permettre aux élèves de comprendre ce que sont les sciences, comment elles se sont construites et ont évolué au cours du temps... …de comprendre la nature de la science.

Comprendre ce que sont les sciences c’est en outre faire la différence entre les sciences et les pseudo-sciences – « une discipline revendiquant un statut scientifique et en cultivant les apparences, mais sans en avoir les attributs » (Blanquet & Picholle, 2010). Il est donc indispensable d’étudier avec les élèves les critères de scientificité permettant véritablement de faire la différence entre les types de connaissances qui régissent et influencent nos sociétés et nos modes de pensée.

Les représentations sur le rôle de l'école et sur ses nouvelles missions doivent également évoluer dans les esprits  de tous... ...et c'est là peut-être la chose la plus difficile à réaliser, dans une société conservatrice.

 

1. Daniel Favre, 2016. Eduquer à l'incertitude. Editions Dunod.

2. Edgar Morin, 1999. Les sept savoirs de l'éducation du futur. UNESCO.

3. Dubois, L., 2014. Résoudre des problèmes complexes et gérer l'incertitude. Résonnances – Mensuel de l'école valaisanne. Octobre, 9-11.

4. CIIP, 2010. Plan d'étude romand. Description des capacités transversales.

5. Blanquet, E & Picholle, E, 2010. Les critères de scientificité : un outil pour distinguer sciences et non sciences ? J