Histoires de France

Dès son arrivée à l’Université de Genève en 1999, France Merhan fut une enseignante et chercheuse particulièrement engagée du secteur Formation des adultes. A l’heure où sa carrière professionnelle se termine officiellement, ce petit hommage a été pompeusement intitulé « Histoires de France », de notre France bien sûr et histoires avec s, au pluriel, bien sûr aussi. Car quelles histoires que celles qui furent les siennes …

L’histoire de France, c’est d’abord celle qu’elle nous a si bien contée, lors de la conférence donnée dans le cadre du laboratoire RIFT le 1^er octobre dernier, celle qui lui fait traverser les frontières, voyager d’un pays à l’autre et d’un univers à l’autre. Ce passage l’a menée de ses racines bien ancrées dans sa région nantaise à cet espace de liberté, de pérégrinations et de réalisations intellectuelles qu’elle s’est construit à Genève. Ce voyage fut aussi celui qui l’a menée de son métier de formatrice, intervenante et formatrice de formateurs, à son engagement d’étudiante universitaire, de doctorante, puis d’enseignante-chercheuse, ce voyage de l’alternance entre l’agir et l’analyse, entre l’expérience sensible et l’écriture réflexive, qu’elle manie si bien et dont elle est devenue une experte reconnue.

Le parcours de France incarne aussi à merveille une page importante de la grande histoire de la formation des adultes. Son développement professionnel est concomitant au courant de l’éducation permanente, tel qu’il a véritablement éclos au tournant des années 60-70, dans un contexte marqué par l’ambition de faire de la formation tout au long de la vie un levier d’émancipation individuelle, de promotion sociale, de construction d’une société plus égalitaire et démocratique. Cet idéal l’a nourrie et elle lui est restée fidèle. Dans son approche des enjeux et processus sous-tendant la professionnalisation des adultes, la construction de la personne, la façon dont son identité professionnelle prend sens et cohérence dans son histoire personnelle est au centre, bien plus que les enjeux de développement des organisations, de finalité productive, d’ingénierie et de gestion de la fonction formation : ce qui ne l’a toutefois pas empêchée d’expérimenter et d’affiner avec ingéniosité une belle panoplie d’outils d’apprentissage et de médiations formatives au service de cet enjeu de construction identitaire, tels que l’écriture réflexive et le portfolio.

L’histoire pour France, c’est aussi le récit de vie comme méthode simultanée d’enquête et de développement auprès, avec, par et pour les adultes engagés en formation. Ces innombrables histoires personnelles, où elle invitait les étudiants et participants en formation à se dire et à se raconter, ou à collecter les récits d’autres, lui ont permis d’appréhender et de comprendre en profondeur, avec la finesse et la rigueur qui lui sont propres, les subtiles dynamiques de l’engagement et de l’apprentissage en formation. Elle a ainsi marqué de sa patte personnelle un riche courant de recherche, impulsé à Genève par Pierre Dominicé et porté par d’illustres professeurs du secteur Formation des adultes avec qui elle a travaillé.

Histoire, le mot fait encore référence à toutes ces petites histoires qui émaillent nos vies, ces moments de joies et de déconvenues, ces histoires d’amitié et ces coups de cœur qui nous animent. Les moments de vie partagés avec France nous ont permis d’apprécier son sens de l’écoute attentive et son empathie bienveillante, sa détermination dans la réalisation de ce qui lui tient à cœur, sa capacité à tenir face aux revers et aléas. Elle a cet art quelque peu théâtral de rendre les choses vivantes et passionnantes, de donner une intensité à la vie et de transformer les actes et décisions en scénario à suspens et épopées romanesques. Tourner la dernière page de sa vie professionnelle fut d’ailleurs aussi une sacrée histoire, une histoire d’hésitations et d’ambivalences, mais aussi une histoire d’attachement et d’affection profonde pour ses étudiants et étudiantes d’abord, pour ses collègues et pour toutes les personnes qui ont fait un bout de chemin avec elle.

Il est encore un sens du mot histoire, bien étranger à France, c’est celui d’histoire passée ou ancienne, avec sa coloration figée et nostalgique. Certes, France passe aujourd’hui à un autre chapitre du livre de son histoire mais elle a encore tellement de choses à écrire, à vivre et à partager, … Cette étape n’est pas un livre qui se ferme mais bien de nouveaux projets qui s’ouvrent, riches, audacieux, remplis de joies et d’amitiés.

Les histoires, celles que France nous a si bien contées, se gravent nos mémoires, circulent et se partagent. A chacun et chacune de nous, France laisse un héritage, a transmis une partie de son expertise et de sa sensibilité. Cette soirée RIFT fut le temps de lui dire toute notre reconnaissance pour ses apports partagés au sein de l’équipe ACT’FOR et dans le secteur Formation des adultes de l’Université de Genève.

Merci pour tout, très chère France, et beaucoup de plaisir à toi dans ce nouveau chapitre de ton histoire !