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Communiquer sur les réseaux sociaux en temps de crise #covid19

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Retour d’expérience de Manon Vauthier, Chargée de communication réseaux sociaux à l’OFSP

 

Quel bilan tirez-vous de cette gestion de crise COVID de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ?

Il est un peu tôt pour tirer un bilan final. Nous commençons seulement à réintégrer des contenus autres que COVID sur les réseaux sociaux depuis fin mai.

Pour autant, le bilan intermédiaire pour les réseaux sociaux est positif et le constat est clair : les réseaux sociaux constituent des canaux de communication indispensables et ils revêtent une importance plus grande encore pendant une crise.

Notre communauté a explosé, ce qui nous fait bénéficier d’une augmentation de la portée et de la visibilité des messages que nous transmettons à la population. En janvier, nous avions quelque 10'000 followers sur LinkedIn et Twitter et étions à nos balbutiements sur Instagram. Aujourd’hui, nous avons presque 300'000 followers cumulés, en comptant Facebook et TikTok, des plateformes sur lesquelles nous avons démarré notre activité pendant la crise.


« Un des grands défis reste la gestion des commentaires, et ce particulièrement sur Facebook »


Nous avons réussi à faire cohabiter les contenus venant directement de la campagne « voici comment nous protéger » et les contenus créés par notre équipe uniquement, dévolus aux réseaux sociaux.

Après avoir passé les premières semaines de montée en puissance, nous avons vécu une crise qui s’est transformée en « daily business » dont le rythme est resté bien plus intense qu’à l’accoutumée. Et dans ce « daily business » sur fond de crise sont venues s’ajouter les difficultés du management classique des réseaux sociaux comme les shitstorms [ndlr: déchainement de critiques virulentes sur les commentaires de sites Web, blogs ou réseaux sociaux].

 

Quelles compétences ou stratégies avez-vous mobilisées ?

Pouvoir réagir vite, mais sans céder à la panique est une compétence clé. Je me suis à maintes reprises répétée «  pas de panique, respire et réfléchis calmement, mais rapidement à la meilleure solution ». Il faut adapter la stratégie régulièrement, car planifier à deux jours est impossible. Il faut donc être en mesure de pouvoir modifier ce qui était prévu quasiment en permanence, tout en évitant de s’écarter de la ligne fixée. De plus, il faut toujours privilégier une action potentiellement différée afin de vérifier la véracité d’une information plutôt que de foncer tête baissée pour répondre à l’immense pression de l’instantané et du « tout, tout de suite ».


« Il faut adapter la stratégie régulièrement, car planifier à deux jours est impossible »


Mon expérience précédente de responsable communication et relations publiques m’a beaucoup aidé. Il aurait été compliqué d’aborder cette crise si je n’avais disposé que de ma seule expérience des réseaux sociaux. Il était nécessaire de pouvoir compter sur une capacité d’analyse globale, de comprendre et connaître le travail de l’équipe média et de l’équipe campagne, et de pouvoir intégrer ces paramètres dans la stratégie réseaux sociaux.


Le challenge consiste à adapter les besoins très rapidement, notamment en termes de ressources pour réussir à élaborer les contenus et gérer la communauté.


Il est primordial d’adapter le contenu ou la forme du contenu au réseau social. Une même information n’est pas traitée sous la même forme sur Twitter que sur Facebook. Pour alimenter les contenus, je n’ai pas seulement travaillé avec mes collègues de la communication : avoir recours à l’expertise des médecins et scientifiques du domaine de compétence abordé est une nécessité. La créativité s’avère aussi une compétence utile pour réussir à mettre une information en image ou créer un scénario pour une animation.

Enfin, d’un point de vue plus personnel, il est indispensable de se forger une carapace épaisse, ce qui peut prendre quelques semaines, afin d’affronter les commentaires négatifs.

 

En quoi le fait que vous ayez suivi le diplôme de formation continue (DAS) en Communication digitale, expertise web et réseaux sociaux vous a aidée pour la gestion de cette crise ?

Il est difficile d’identifier un module qui m’aurait plus aidée qu’un autre. A posteriori, je constate que le DAS forme un tout qui permet d’être prêt à élaborer des stratégies de communication, à les appliquer sur les différents canaux digitaux, et à obtenir non seulement des clés pour la gestion de crise, mais aussi des clés dans l’utilisation des outils nécessaires (social media management tools, outils d’analyse, de veille et de listening).

 

Comment les gens ont-ils réagi sur les réseaux sociaux ?

Nous avons observé différentes phases. Dans un premier temps, nous avons constaté que les suiveurs venaient pour s’informer. Puis, les suiveurs sont venus pour poser des questions. Enfin, les derniers arrivants sont ceux qui étaient les plus critiques envers les mesures, la gestion de la crise, notamment la réouverture des écoles.


Les différences dans les régions linguistiques sont clairement présentes. Sur certains sujets, comme les écoles, les conversations intervenaient presque uniquement en français. D’autres, comme le degré et le timing des mesures, étaient plus discutés en Suisse alémanique. Quant à la fermeture des frontières, elle intéressait en premier lieu les Tessinois.


La question des langues est extrêmement vive : langues nationales ou langues officielles ? Quand on recourt à l’anglais, son utilité est remise en question alors que quand l’information n’est pas disponible dans la langue de Shakespeare, une partie de la communauté gronde.

En outre, parler du COVID sur Twitter n’est pas la même chose que d’en parler sur Facebook. Certains contenus ont d’ailleurs été postés sur toutes les plateformes alors que d’autres uniquement sur Twitter. C’est le cas, par exemple, du rapport quotidien du nombre de cas.

Les contenus scientifiques doivent être vulgarisés et imagés pour être compris rapidement et coller à la manière de consommer l’information sur les réseaux sociaux. La vidéo fonctionne extrêmement bien pour arriver à transmettre les messages plus complexes.

Au-delà des différences de plateforme, un maître-mot demeure : simplicité.

Ne dit-on pas une image vaut mille mots ? Nous avons privilégié des visuels qui indiquent en une fraction de seconde le sujet abordé… ce qui n’est pas toujours évident.

 

Quelles sont vos quatre recommandations à un-e chargé-e de communication pour gérer une crise ?

  • Se préparer dès aujourd’hui à l’éventualité d’une crise ! Avoir bien posé les bases de sa stratégie communication, il est nécessaire d’avoir un concept de crise.
  • Savoir travailler en équipe est également essentiel : cultiver les bonnes relations dans son équipe et au sein de son entreprise facilite le travail , d’autant plus en temps de crise. Utiliser les compétences des autres est primordial : chacun a ses forces.
  • Avoir l’humilité de demander de l’aide, mais aussi réussir à dire « j’ai besoin d’une pause ». Se griller dans la tornade quotidienne, c’est aussi perdre sa capacité d’analyse et sa créativité. Il faut savoir s’écouter.
  • Être prêt à adapter sa vie personnelle. En tant que maman, j’ai dû m’adapter à un rythme de temps de crise, moins voir ses enfants, accepter qu’ils vous disent le week-end « quoi maman t’es encore sur ton téléphone !?! J’en ai marre que tu travailles !! !! Papa il est plus cool que toi !! »