Histoires d'émotions

En temps de covid, les émotions avancent masquées !

Comment reconnaitre les émotions de son interlocuteur... à travers son masque?

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Bonne nouvelle, restons positifs, l'avantage du masque, c'est qu'il n'y a plus de problème d'haleine pour un contact trop rapproché. Mais comme la distance sociale créait déjà un éloignement salvateur, de ce côté-là, nous sommes "safe".

Plus sérieusement, nous sommes littéralement câblés pour lire les expressions faciales, les d-é-c-o-d-e-r, et dans le meilleur des cas, agir en conséquence.

 

Décoder les les expressions faciales

Cette capacité commence très tôt.Dès 3 ans, un enfant distingue des traits chez une personne qu'il ne connait pas qui lui inspireront confiance ou non. De manière générale, la lecture des traits de personnalité ou des émotions est une habitude à laquelle on n'échappe pas. En moins de 100 millisecondes, vous vous formez déjà une opinion sur la personne qui vous fait face, et, si cette impression est négative, le risque est de renforcer rapidement cette première impression durant le laps de temps qui suit (s'en rappeler à votre prochain entretien). Enfin, si votre interlocuteur vous montre un visage impassible, tel que le ferait un agent de sécurité à la sortie du magasin, il est possible que cette absence d'expression émotionnelle vous déstabilise. On cherche en effet, dans toute relation, à instaurer un minimum d'interactions émotionnelles, ce qui suppose, a minima, d'émettre des signaux à travers notre corps et d'en chercher chez notre interlocuteur pour comprendre son état émotionnel (par exemple est-il surpris par ce que je dis? va-t-il se mettre en colère?).

 

Une dynamique mise à rude épreuve par les temps qui courent

Le covid et les nouvelles règles d'hygiène édictées invitent expressément au port du masque, du moins dans les transports communs (en Suisse) . Or, si je vous efface la moitié de votre source d'information (le visage), ce qui reste à voir vous suffira-t-il pour interagir efficacement avec votre interlocuteur?

Certains scientifiques ont posé les bases d'un repérage systématique de ces expressions faciales, et développé un code permettant d'identifier objectivement les émotions exprimées (au moins les émotions dites de base: joie, tristesse, peur, colère, dégoût et surprise).

Fondée sur les travaux d'Ekman, l'analyse de micro-expressions faciales (par exemple la légère inflexion de la lèvre supérieure, le petit pli du bord de l’œil) vous permettrait même de vérifier la sincérité de votre interlocuteur. Une visée inquisitrice qui se pratique à des niveaux variés de validité scientifique dans certaines situations de négociation ou d'interrogatoire policier (voir la série à succès Lie to Me pour une mise en scène intrigante).

 

Les zones cibles du visage associées aux émotions

Si vous n'êtes pas encore prêt à vous entrainer au repérage systématique des micro-expressions, une récente étude répertorie les zones cibles du visage associées aux émotions. En résumant: l'expression de la tristesse et de la peur se reconnaitrait davantage autour du mouvement des yeux tandis que la reconnaissance de la joie et du dégoût se situerait au niveau de la bouche. En extrapolant, si vous portez un masque, il est possible qu'il faille exagérer votre bonheur ou votre écœurement pour être bien compris par celui qui vous regarde.

Mais soyez rassuré: votre cerveau est entrainé à pallier les manques ! Il sait intégrer l'information parfois redondante (ou contradictoire) du corps ou des intonations de la voix qui accompagnent l'expression du visage. Donc votre attention habituellement portée sur le visage se déportera parfois davantage sur l'attitude générale ou sur les nuances vocales.

Comme on le voit, le port du masque risque d'avoir une incidence non négligeable sur la lecture et l'expression de nos émotions faciales.

 

Maintenir le rapport émotionnel 

Étonnamment, peu d'études se sont penchées sur la question alors même que, dans plusieurs pays asiatiques, nous aurions assez de données pour observer les conséquences du port du masque sur plusieurs populations (les enfants, par exemple). L'enjeu pourtant peut aussi être thérapeutique: plusieurs compagnies développent des masques pour les personnels de santé qui laissent transparente la partie du visage afin de préserver le lien soignant/soigné. Maintenir ce rapport émotionnel est d'autant plus attendu que le patient est vulnérable, angoisse et a besoin de réconfort.

Nul doute que des stratégies originales seront développées dans les années à venir, mais elles pourront prendre des voies diverses: exagération de certaines expressions là ou l'information est visible, ou alors comportement inhibitoire ("à quoi bon sourire si on ne le voit pas"). Et là, résistez à cette tendance: ne vous interdisez pas de vous exprimer, car au fond, on exprime aussi ses émotions pour soi et pour réguler ses actions.

Le simple fait de sourire, qu'il soit vu ou non, vous donnera déjà du baume au cœur.


Pour aller plus loin

  • Willis, J. & Todorov, A. First Impressions Making Up Your Mind After a 100-Ms Exposure to a Face. (2006).
  • Zebrowitz, L. A. First Impressions From Faces. Curr. Dir. Psychol. Sci. 26, 237–242 (2017).