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Une coupe du monde sans alcool

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Interrogés sur les enjeux pour le pays d'accueil et la région d'une coupe du monde historique au Moyen-Orient, quatre panélistes ont mis en évidence, chacun selon sa discipline, les points essentiels d'une réflexion autour de cet événement singulier. Cette table ronde s’est tenue le 27 janvier dernier, en introduction du module « Les riches pays du Golfe » de la session de formation continue « Mondes arabe et musulman: langue, culture et société ». Esther Um, coordinatrice de la formation continue en offre une restitution.

C'est avec une malice à peine voilée que David Goldblatt s'est réjoui, en tant que non-buveur d'alcool, de vivre une coupe du monde dans un pays où ce liquide est banni de l'espace public. Journaliste sportif, sociologue, écrivain et surtout bon orateur, David Golblatt s'est employé à déconstruire un à un les arguments contre Qatar 2022, événement qu'il replace dans une perspective historique pour mieux saisir ce qui se joue dans l'organisation d'une coupe du monde.


David Goldblatt évoque la problématique existentielle des micro-États, problématique que le politologue Hasni Abidi, étayera avec une métaphore parlante : étranglé par des voisins imposants, d'un côté la bien vaste Arabie Saoudite, d'un autre côté la très dynamique ville de Dubaï, il faut comprendre les actions du Qatar d'abord comme une volonté de manifester son existence, de conquérir une acceptabilité internationale. Cette thèse peut être étayée par les investissements consentis alors qu'ils ne rapportent pas toujours des revenus au pays, en revanche, ils contribuent à son rayonnement. Le rayonnement produit aussi des effets à l'interne, d'abord sur la population qatarie : les investissements sportifs stimulent l'économie locale, mobilisent la population autour du sport ; dans la région, ils créent une émulation : on voit des pays voisins se lancer dans le même type d'acquisition, après le Qatar. Le politologue pointe également le coup de génie de cet usage politique du sport, qui a consisté, dans le cas de la coupe du monde, à programmer la finale pour le 18 décembre, jour de la fête nationale du Qatar.


Il faut comprendre les actions du Qatar d'abord comme une volonté de manifester son existence, de conquérir une acceptabilité internationale


Abdulaziz Sager, fondateur d'un centre de recherche sur la région du Golfe, se réjouit particulièrement de cette première initiative de l'Université de Genève organisant un cycle de conférences sur les pays du Golfe. Il relève l'importance du football dans le Golfe dont plus de 60% de la population est très jeune. Le sport y joue donc un rôle primordial pour la jeunesse, mais également pour la santé de la population. Cela dit, l'intérêt d'une coupe du monde dans le Golfe est surtout l'occasion pour Abdulaziz Sager de rappeler les enjeux politiques de la région, des guerres du Golfe à la Covid-19, en passant par les printemps arabes, les tensions avec l'Iran, la guerre au Yémen, autant de défis que le Conseil de coopération du Golfe a dû gérer, en comptant aussi sur le sens de la solidarité locale. Le Golfe joue également un rôle essentiel pour toutes les autres régions du monde grâce à ses ressources naturelles. En effet, près de la moitié de l'énergie qui fait fonctionner le monde y est produite, et pour la Chine par exemple, c'est le tiers de ses besoins énergétiques qui est couvert par le Golfe. Il est donc facile de comprendre à quel point le monde entier dépend de cette région, et ce qu'elle représente pour l'équilibre mondial.

Pour Giacomo Luciani qui a consacré sa carrière académique à comprendre les enjeux énergétiques, particulièrement dans le Golfe, une coupe du monde au Qatar attire nécessairement le regard sur les questions énergétiques, et oblige à considérer la question du futur des pays du Golfe en tant que gros producteurs de pétrole et de gaz. À l'heure où le monde prend conscience de l'urgence climatique, de la nécessité de décarboniser la production énergétique, de la préciosité des ressources fossiles, il est attendu des pays du Golfe qu'ils sortent des énergies carbone alors que celles-ci représentent leur principale source de revenus. Dilemme.


 Il est attendu des pays du Golfe qu'ils sortent des énergies carbone alors que celles-ci représentent leur principale source de revenus. Dilemme.


Après une longue résistance, les pays du Golfe ont récemment commencé à prendre activement part au débat environnemental, à la réflexion et à l'action, explique Giacomo Luciani. Les pistes étudiées sont par exemple celle de l'économie carbone circulaire et celle de la séquestration carbone. L'avenir de la région présente donc des points d'interrogation, certes, mais également des fenêtres d'opportunités qui commencent seulement à être explorées. Rappelons aussi que les deux prochaines COP auront lieu au Moyen-Orient, dont la COP28 qui se tiendra dans un pays du Golfe, les Émirats arabes unis. La question énergétique s'avérant essentielle, 3 rencontres de notre cycle de conférences s'y intéresseront.

On peut dire que la table ronde a montré à quel point il est temps, voir urgent, de s'intéresser sérieusement aux pays du Golfe. Un module ne sera pas suffisant pour cela, mais c'est un bon premier pas salué à juste titre par l'ensemble des intervenants. Le module s'adresse aux professionnel-les, étudiant-es, simples citoyen-nes pour nous engager, avec des expert-es de la région, dans un échange serein et constructif. Les inscriptions sont ouvertes sur le site de la session de formation continue « Mondes arabe et musulman: langue, culture et société ». Il est possible de suivre le parcours entier de 10 conférences, ou simplement quelques conférences au choix. Une plateforme d'échanges en ligne sera ouverte pour nourrir le débat que le cycle ne manquera pas de susciter.