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Covid-19: les professionnels de la santé publique étaient-ils prêts et comment l'UNIGE les prépare-t-elle?

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Par: Prof. Jean-François Etter, Institut de santé globale (ISG), Faculté de médecine, Université de Genève

Les professionnels de la santé publique sont sous le feu des projecteurs. Faut-il les blâmer pour la relative impréparation du pays en mars dernier ? Ou au contraire, les inclure dans les applaudissements quotidiens destinés aux professionnels de la santé ?

Bien que l’épidémie ait commencé dès décembre 2019 en Chine et qu’elle fît rage dès février en Italie, les autres pays européens ont été surpris en situation d’impréparation début mars. Les voisins de la Chine (notamment Taiwan, Hong Kong, Corée du Sud, Singapour) avaient déjà connu l’épidémie de SRAS en 2003 et ils s’attendaient à l’arrivée d’une nouvelle épidémie en provenance de Chine, ils connaissaient aussi le manque de fiabilité des informations venant de Chine. Ils étaient donc mieux préparés et ont mieux su faire face à l’épidémie, notamment en appliquant précocement la triade tester-tracer-isoler, qui consiste à largement tester la population, à tracer les contacts des personnes infectées et à les isoler. L’usage du masque et les autres mesures de distanciation sociale y ont aussi été appliqués plus tôt.

Apprendre des expériences passées

En Europe, plusieurs experts et organisations avaient averti les autorités à temps, mais leurs voix étaient discordantes, certains experts sous-évaluant les risques, ce qui a retardé les décisions politiques. Espérons que les leçons de cette impréparation ont été retenues et qu’une nouvelle épidémie, ou une seconde vague de la même épidémie, ne nous surprendra pas de la même manière. Il convient de planifier dès maintenant une réponse qui maximise l’impact sur l’épidémie et minimise les dégâts sur l’économie et la société.

 

« Le confinement était-il la meilleure réponse possible, et ses effets adverses ont-ils été bien considérés avant qu’il ne soit imposé ? »

 

Nous apprendrons sans doute beaucoup de la comparaison des conséquences sanitaires, économiques et sociales entre les pays qui ont appliqué des mesures strictes de confinement (p.ex. France) et les pays qui ont appliqué des mesures moins strictes et qui se sont davantage reposés sur l’autodiscipline des citoyens et ont laissé l’économie fonctionner (p.ex. Suède).

L’incertitude pèse aujourd’hui sur les conséquences à moyen et long terme de cette crise sur l’économie, la société et la santé. L’histoire nous apprend que les épidémies ont souvent été suivies de guerres, et les risques de violence et de troubles sociaux ne peuvent être écartés. La crise agit comme un révélateur des forces et des faiblesses des sociétés concernées. A Genève par exemple, les longues files d’attente pour les distributions de nourriture gratuite ont rendu visible une population précaire que l’on ne savait pas si vulnérable, ni si nombreuse.

Ce que devront connaître les professionnels de la santé publique de demain

Une partie de la préparation aux conséquences de la crise actuelle et aux épidémies futures passe par la formation de professionnels de santé publique en nombre suffisant et disposant des connaissances et compétences pertinentes.

Ces professionnels devront en particulier disposer de solides bases en épidémiologie, afin de comprendre la situation et de proposer des solutions efficaces et basées sur les faits. Ils devront aussi savoir planifier et gérer des projets et programmes de santé publique, collaborer à l’élaboration des politiques de santé et faire preuve du leadership nécessaire à leur mise en œuvre. Puisque ces mesures impliquent souvent des restrictions des libertés individuelles, ces professionnels devront disposer des connaissances requises en droit et en éthique, afin de proposer des réponses qui respectent autant que possible nos valeurs fondamentales de droits humains et de libertés individuelles.

 

« Savoir convaincre le public et les décideurs est une compétence clé de l’expert en santé publique »

 

Ces experts en santé publique devront aussi disposer de compétences communicationnelles, afin de transmettre les connaissances et les messages clés à la population et aux décideurs politiques. Ils devront apprendre à interagir avec la presse et comprendre qu’une formule bien tournée sera souvent reprise par les journalistes. Les meilleurs d’entre eux pourront tenter de rivaliser dans ce domaine avec Alain Berset et sa phrase devenue culte : « Aussi vite que possible, aussi lentement que nécessaire »

Ne pas négliger les priorités d’avant

Plus sérieusement, la concentration des ressources en faveur de la lutte contre l’épidémie peut conduire à négliger d’autres priorités, comme la vaccination contre d’autres maladies infectieuses.

Cela pourrait causer une hausse de la mortalité liée à ces maladies, en particulier si les messages au sujet des campagnes de vaccination ne sont pas reçus par le public. Par exemple, bien que la grippe saisonnière tue 10'000 personnes chaque année en France (l’épidémie de Covid-19 a fait jusqu’ici 28'000 morts en France), et bien que l’on dispose d’un vaccin antigrippe efficace, une trop large proportion de la population à risque ne se vaccine pas contre la grippe.

Le tabagisme tue 73'000 personnes en France et 9’500 en Suisse chaque année, ce qui n’empêche pas un quart de la population de continuer à fumer et d’ignorer ainsi les messages sur les risques liés à la fumée.

 

« La concentration des ressources en faveur de la lutte contre l’épidémie peut conduire à négliger d’autres priorités »

 

La crise actuelle exacerbera de nombreux problèmes de santé, notamment parce que leur prise en charge a été négligée durant l’épidémie, mais aussi à cause des difficultés économiques ou de l’insuffisance des systèmes de protection sociale, de la malnutrition, de la violence domestique.

Des conséquences inattendues de cette crise sont à craindre, et les experts en santé publique devront proposer des solutions innovantes à ces problèmes nouveaux. Ils devront être capables de collaborer au sein d’équipes multidisciplinaires, et de comprendre la dimension internationale de la situation afin de proposer des solutions qui tiennent compte des enjeux globaux.

Perspectives de carrière

Les formations en santé publique proposées par l’Université de Genève permettent aux professionnels intéressés d’acquérir les connaissances et compétences précitées, par des enseignements théoriques et par la réalisation des projets leur permettant de s’intégrer dans les réseaux de la santé publique aux niveaux local, national et international.

Les formations en santé publique sont actuellement prioritaires et doivent être renforcées. Elles comprennent notamment en formation continue un CAS en promotion de la santé et santé communautaire et un MAS en santé publique, et en formation initiale un Master of Science in Global Health et un doctorat en santé globale.

La santé publique est aujourd’hui plus que jamais un domaine en pleine expansion avec des perspectives de carrière inédites pour des professionnels exerçant dans les domaines de la santé ou dans des secteurs connexes (administration, politique, etc.).