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Enfants migrants ou expatriés: un même regard, mais pas les mêmes ressources

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Déplacer un enfant ou un adolescent a des conséquences importantes sur son équilibre et son intégration. Selon qu’il soit un migrant précaire venant d’un pays en conflit, ou expatrié avec des moyens financiers, les conditions d’arrivée ne seront pas les mêmes, mais le ressenti, lui, peut être assez similaire. Betty Goguikian nous explique pourquoi.

Son histoire personnelle et familiale est traversée par les migrations et l’exil depuis plusieurs générations, aussi bien à titre personnel que via ses ancêtres. C’est ainsi que Betty Goguikian, aujourd’hui enseignante et chercheuse à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education (FPSE) de l’Université de Genève, s’est intéressée très tôt à la psychologie. « À l’époque, la psychanalyse était le courant dominant, mais elle ne traitait pas du tout de la migration de l’exil ; ce sont des thèmes qui se sont développés bien plus tard. Il y avait évidemment des migrants, mais on ne pensait pas à l’influence de leur parcours sur leur santé psychique », explique celle qui est devenue la spécialiste en psychologie des migrants à l’Université Genève.

« Au début des années 90, on a fait appel à moi dans le cadre de la consultation d’ethno-psychiatrie de Genève qui recherchait une psychologue qui parlait différentes langues. J’y suis allée vierge de toute connaissance concernant l’impact de la culture sur le fonctionnement humain, et ça a été le début d’une longue histoire. J’ai fait ensuite des recherches sur le rôle de l’interprète. Il y avait un champ à développer au niveau de la clinique. On m’a peu à peu confié un enseignement, puis je suis devenue responsable de l’unité de Psychologie clinique interculturelle à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève. »


La langue, premier vecteur d’intégration

Ne pas parler la langue lorsqu’on doit faire face à un nouvel environnement est très handicapant. Et tout le monde n’est pas égal par rapport à l’apprentissage d’une deuxième langue. « La différence culturelle demande une flexibilité mentale. Lorsqu’on focalise son attention sur les différences entre une nouvelle culture et celle de son pays d’origine, on va forcément considérer ces deux cultures comme antagonistes », explique Betty Goguikian. « Notre rapport aux choses et au monde est une construction. On peut s’autoriser à construire sa propre « tambouille culturelle », ses propres aménagements. Cette flexibilité cognitive aide aussi à acquérir une nouvelle langue. Et même si nous ne sommes pas égaux face aux apprentissages, on peut cependant travailler, en tant que clinicien, à favoriser cette ouverture, assouplir, aider à explorer les différences culturelles. Pour un enfant, il s’agit de lui restituer tous les morceaux du puzzle et de toujours garder le lien à sa culture d’origine, sans l’enfouir ni la nier. »

C’est pour aider les plus jeunes à relever ce défi que la psychologue a mis sur pied en 2018 une consultation* dédiée aux enfants et adolescents migrants. Dans ce suivi spécialisé, le rôle de l’interprète est central. Mais faut-il le considérer comme faisant partie intégrante de la relation thérapeutique lors d’une consultation ? « Pour moi, l’interprète constitue un soutien très précieux pour le patient car il est de la même origine, peut-être a-t-il même un parcours similaire, qui permet de créer des ponts. Dans le cadre de la consultation, nous organisons des formations sur l’évaluation psychologique en contexte interculturel qui associent psychologues, psychiatres, logopédistes et interprètes, pour fournir des outils à ces derniers. »


Les ressources, clé de l’adaptation

C’est un fait: plus une personne possède de ressources (éducatives, médicales, financières, psychologiques), plus elle va s’adapter facilement. « L’adaptation en soi n’engendre pas forcément des troubles psychologiques, mais elle engendre toujours une crise, une période de déstabilisation explique Betty Goguikian. Lorsqu’on voyage avec peu de ressources, avec des expériences déjà difficiles en amont, c’est évidemment plus compliqué. Et pour évoluer dans une société high-tech comme la nôtre, il en faut des ressources! »

Ce qui rend la migration plus difficile, ce sont les séparations à répétition, les attachements insécures, la discontinuité, qui sont tous des facteurs de vulnérabilité. Indépendamment de la migration, les événements de séparation, de rupture, de perte vont rendre la transition psychologiquement plus difficile. Les situations d’éclatement familial, un projet migratoire aux contours incertains, l’ambiguïté de la situation désécurisent, déstabilisent et rendent souvent un encadrement nécessaire. C’est pourquoi une consultation a été créée. Les principaux axes d’intervention sont l’identification des carences et besoins et l’accroissement des ressources à disposition. « On ne peut pas construire sur les pertes, ajoute l’enseignante et chercheuse. Le bien-être se traduit par l’équilibre entre les demandes de l’environnement et les ressources à disposition. »


La psychologie de l’enfant/adolescent migrant

Il n’y a pas de pathologie spécifique à l’enfant migrant, la migration est un poids en plus à gérer en termes de remaniement sur le versant identitaire. Il n’y a pas non plus de profil spécifique, tout dépend du tempérament de l’enfant, de sa flexibilité cognitive, de ses capacités intellectuelles, et pas seulement de l’environnement. Il y a des enfants plus résilients que d’autres. Il faut toujours miser sur les points forts pour que l’enfant engrange des réussites et ne soit pas constamment confronté à l’échec.

L’école a été mise au défi de faire face à une augmentation importante du nombre d’enfants migrants ces dernières décennies. Elle a dû créer de nouvelles structures, mais ces structures ne remplacent pas l’évaluation et les mesures personnalisées. Il faut voir les capacités et besoins de chaque enfant pour affiner les propositions en fonction du type de difficultés.


La consultation à Genève : l’application d’une formation continue

La consultation pour enfants et adolescents migrants a été mise en place en 2018, en même temps que le Certificat de formation continue en santé mentale migration et culture, dont elle est l’application concrète. De nombreux professionnels sont confrontés à la migration mais ils manquent de cadre et d’outils théoriques. Ils se retrouvent souvent seuls dans des institutions où les pratiques dominantes ne tiennent pas compte de ces problématiques spécifiques à la migration. « Cette formation destinée aux soignants n’est pas centrée sur le suivi des enfants migrants, mais il ne faut pas oublier qu’un réfugié sur deux et un migrant sur quatre dans le monde est un enfant ou un adolescent (Source : OIM). Donc plusieurs modules concernent très logiquement les enfants. »

Cette formation en emploi d’un an allie apports théoriques et empiriques, études de cas cliniques, expériences groupales et supervisions en petits groupes. Elle permet aux participants d’aborder des questions cliniques, juridiques et sociales concernant l’expérience migratoire, la différence culturelle, les traumatismes découlant de violences collectives et leurs séquelles à long terme ainsi que différentes formes de vulnérabilité psychosociale liées à l’exil.

* La Consultation pour enfants et adolescents migrants dans le cadre de Pôle cité-FPSE propose des évaluations psychologiques et des activités de médiation interculturelle destinées à des mineurs ou à de jeunes majeurs (4-20 ans) en situation de migration et à leurs familles, quels que soient leur origine culturelle, leur condition sociale ou leur statut de résidence en Suisse.

Quelques références pour aller plus loin

  • Goguikian Ratcliff, B. & Kameri, L. (2020). Évaluation multidimensionnelle et reconnaissance des besoins spécifiques des enfants migrants.  L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2020, 21 (3), pp. 274-284